Mémoire médiévale

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Mémoire médiévale

19 juin 2020 – Un grand débat court depuis si longtemps et ne cesse d’enfler, entre les modernes et les autres, que ces autres se disent antimodernes ou non. Nous-mêmes le posons et l’argumentons dans nos termes selon le phénomène du “déchaînement de la Matière”, qu’il faudrait décrire comme né et identifié à partir d’une grande “rigueur intuitive” et nullement d’une grande “rigueur logique”. Ce Grand Débat, – il mérite de ces majuscules dont je ne suis pas avare, – est partout dans nos esprits comme il est dans le mien, dans ces temps où enfin apparaît l’évidence que nous ne pourrons plus durer tels que nous sommes.

Ce débat concerne essentiellement le vaste concept, mythe et symbole à la fois, de “Progrès” avec tout ce qui l’accompagne, et qui fonde la modernité. Ce débat est qualifié de “Grand” selon son évidence même, et il doit être aussi apprécié comme “urgent” en raison de la crise catastrophique qui nous frappe avec de plus en plus de vigueur ; en même temps, il devrait être, pour ceux qui y participent, extrêmement ouvert, – sinon iconoclaste, absurde ou impensable pour certains (pour ceux qui n’en veulent pas). Il est vrai que ce Grand Débat, suscité par le symbole du fléau de Dieu qu’est la pandémie Covid19 suivi par l’opérationnalisation du mythe de l’insurrection qu’est l’événement que nous nommons sur ce site la Grande-Emeute2020, ne concerne rien de moins que l’idée d’une alternative à notre système, – au Système dirais-je, pour notre compte à nous. 

Tout se passe comme si nous étions invités à débattre de la nouvelle civilisation que nous devrions vouloir voir s’installer, en présence de l’effondrement de la prédécesseure, celle qui est toujours en place, et cela sous nos yeux, dans le temps même de la catastrophe qui se déploie et accélère, accélère... C’est un effet de plus du fameux phénomène que l’on rappelle, j’y veille, à chaque occasion. (« ...[E]n même temps que nous subiss[ons]cet événement d’une force et d’une ampleur extrêmes, nous observ[ons]cet événement en train de s’accomplir et, plus encore, nous nous observ[ons]les uns les autres en train d'observer cet événement. »)

Alors, j’ai jugé particulièrement et parfaitement bienvenu, d’une façon générale mais aussi pour la raison très précise qu’on verra développée plus loin, qu’un auteur, médiéviste et spécialiste de l’économie, ait publié un livre où il propose de nous dépeindre “l’économie médiévale” (*) et où, dans tous les cas au travers d’une interview qui est faite de lui dans l’excellente publication qu’est Éléments (**), il examine cette économie partiellement comme une alternative théorique à notre économie catastrophique, où dans tous les cas quelque chose qui peut nous inspirer pour certains choix et orientations. Monsieur Guillaume Travers dit notamment, dans ce sens, et après avoir écarté avec une assez belle insolence tranquille les clichés habituels sur l’époque :

« Une fois que l’on se dépouille des préjugés, on peut regarder le Moyen Âge pour ce qu’il est : un authentique contre-modèle au libéralisme. Sur ce point, la publication par Karl Polyani de ‘La Grande transformation’ en 1944 fut une étape essentielle : il montre que l’économie libérale ne se déploie à grande échelle qu’à partir du XVIIIème siècle, et encore plus au XIXème. Avant cela, nous avons un “monde de communautés” plutôt qu’un monde d’individus atomisés. Les valeurs dominantes restent non marchandes, par exemple l’honneur. Et de nombreux biens échappent à la seule logique de l’offre et de la demande. »

Il est vrai qu’il m’est arrivé de m’interroger sur ces gens du Moyen-Âge que l’on décrit en général, dans les livres habituels, dans les films courants, par les on-dit dans les esprits et dans le commun, comme des êtres brutaux et presque primitifs, pas loin d’être proches des animaux que l’on charge également des instincts de violence déchaînée, – et qui, par ailleurs, sont capables de respecter des valeurs assez hautes, de poser des gestes d’un altruisme assuré et sans autre référence que principielle. En général, on expédie cela sous le manteau aujourd’hui rapiécé de la foi stupide, de la superstition hébétée, d’une sorte de pavlovisme antimoderne avant la lettre.

C’est ce que disait un historien médiéviste récemment entendu, lui parlant de Jeanne d’Arc, mais assez peu incliné à évoquer le volet mystique de la légende, et pourtant avec le récit de la marche sur Orléans parlant des grands capitaines du Roi comme des “rustres et des brutes, pillant, tuant et violant”, qui pourtant s’étaient tous regroupés sous l’influence de la Pucelle, infiniment respectueux à cet égard. Pourtant, elle était du genre que ces “rustres et ces brutes” passaient leur temps à violer, et plus encore une pucelle. Certes, il y a l’aspect mystique, et peut-être en étaient-ils si fortement influencés sans nécessaire simagrées ni sermon de messe ; quoi qu’il en soit, cela nous fait de bien étranges “rustres et brutes” si prompts au spirituel dans certaines circonstances et selon certaines règles et personnes, et je ne sache pas que la Pucelle serait respectée à ce point si elle débarquait dans l’un ou l’autre “quartiers difficiles” de nos banlieues, en plus sans voile et sans amabilité pour le Prophète dont elle prétend se passer de son intermédiaire.

Il est vrai que l’image si vague, nullement érudite, presque par intuition j’espère, que je me fais de cette époque est celle d’une stabilité que nous n’avons plus, de cette lenteur mesurée lorsqu’elle est vertu de l’esprit, du temps laissé à la méditation. Le Moyen-Âge devient ainsi le temps du Temps élargi et sans précipitation, quelles que soient la brutalité et la cruauté des événements terrestres. Le cadre tient tout et met la quantité, quand elle sert, au service de la qualité. L’intervieweur cite Georges Minois (‘Histoire du Moyen Âge’), opposant l’« absurde course à la croissance » de nos jours de la modernité à la « mentalité médiévale, qui privilégie l’état stationnaire » ; un monde dit l’interviewé, qui n’avait que faire, de la concurrence, ni de la publicité...

« Au-delà de la seule question de la croissance, le Moyen Âge peut nous aider à penser une économie communautaire, ancrée dans un environnement et un ordre social respectés, tournée davantage vers le renouvellement du même que vers l’accumulation sans fin. »

Mais ce qui m’a le plus réchauffé le cœur et conquis l’esprit, sans aucun doute, c’est ce passage où Travers met en évidence combien cette époque était bien peu utilitariste, combien elle envisageait ce qu’elle ne nommait sans doute pas “économie”, sans le moindre souci d’économisme : aucune attirance pour le rapport du comptable, guère de goût pour la spéculation dans le courant des pratiques. Il y avait certes de la fortune, l’intérêt pour le gain, la considération pour les biens, mais rien de tout cela qui fût dictateur de la pensée et exclusif des élans de l’esprit, comme l’on en voit si souvent aujourd’hui le modèle exalté. 

Non, “ce qui m’a le plus réchauffé le cœur et conquis l’esprit”, et en plus rappelé à mon âme les hauteurs vers lesquelles elle doit tendre, c’est ce passage-là :

« On ne comprend rien au Moyen-Âge si l’on se limite à une vision purement individualiste de l’ordre social. Il faut faire table rase des idées modernes et accepter de se plonger dans un univers nouveau. Deux exemples permettent de le faire comprendre. Tout d’abord, la construction des cathédrales. Celle-ci n’a aucun sens d’un point de vue individualiste : les ressources nécessaires étaient considérables et les conditions de vie modestes. Pourquoi les hommes ont-ils “consumé” tant de ressources pour élever ces édifices, plutôt que de les “consommer” pour leur propre plaisir ? Il nous faut admettre que les fins spirituelles primaient sur les fins matérielles... »

Il est à noter qu’à aucun moment dans son interview Travers n’évoque la religion. Moi-même, je n’y ai guère songé lorsque je suis entré pour la première fois dans la cathédrale de Reims : j’avais bien assez à faire avec l’élan spirituel qui happait mon regard vers le haut. Ainsi peut-on vivre la spiritualité sans s’attarder aux querelles humaines, trop humaines, dont nos ébats sont aujourd’hui encombrés, nous qui ne voyons aucun intérêt sonnants et trébuchants dans le spirituel alors que nous poursuivons sans trêve de Dieu ni de n’importe quoi, nos guerres de religion.

Là-dessus, me dis-je, pourquoi ne pas illustrer ce propos d’extraits de La Grâce de l’Histoire ? Je me dois d’avouer que ce passage du Tome-II sur Le Temps des Cathédrales  (***)  fut une de ces occurrences où je connus un bonheur parfait à écrire un texte, tant il me paraissait juste et beau par la seule grâce du sujet lui-même. Peut-être jugerait-on aujourd’hui que c’est un gâchis quasiment subversif que cette célébration d’une absence de “consommation”, mais j’assure le boursicoteur, selon les termes qu’il affectionne, que c’est un investissement fort rentable pour l’âme et l’esprit, qui se sentent ainsi gratifiés du sentiment de la hauteur et de la grandeur sublimes dans la fusion de la Beauté et de la foi (de fides, pour “confiance”, autre vertu boursière).

 

Notes

(*) ‘Économie médiévale et société féodale. Un temps de renouveau pour l’Europe’, de Guillaume Travers, collection ‘Longue mémoire’, La Nouvelle Librairie/Institut Illiade.

(**) Éléments, n°184, Juin-Juillet 2020.

(***) Ces extraits ont déjà été publiés en partie sur ce site, dans cette rubrique. On me pardonnera ce bis repetitat  illustrant une matière économique si originale.

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Le Temps des Cathédrales

Extraits de La Grâce de l’Histoire, Tome-II

J’ai rassemblé dans mon esprit, sous le magistère de l’intuition haute, la somme de toutes mes convictions avec la maîtrise d’émotions pourtant si pressantes et bouleversantes, pour contempler cette architecture unique et cet élan ineffable, et considérer que la cathédrale est un rassemblement humain, intellectuel et esthétique, d’une fièvre contenue et d’une spiritualité sans retenue, concrétisé en une œuvre monumentale plusieurs fois répétée et pourtant sans-pareille, un rassemblement du monde enfin réconcilié avec le Ciel. Ce rassemblement est aussi celui de l’humanité, se précipitant pour édifier ces constructions somptueuses, pleines de secrets architecturaux, de traces des nombres secrets, dressées selon une géographie sacrée ; tous les regards de mesure et tous les actes de conception pour témoigner de leur grand’œuvre, toutes les prières et les  ex-voto  pour rendre grâce de leur  bonheur, tout cela venu des artisans valeureux comme des poètes maudits et soudain révélés, des soldats de la beauté de Dieu surgissant de nulle part, des bourgeois montrant les fastes d’une dignité retrouvée derrière la logique comptable de leur richesse, les travailleurs des matières nobles soudain ennoblis par la matière, les barons et les princes songeant à la grandeur de leurs âmes comme levier de leurs actes souverains, les clergés, du plus haut au plus bas, grandis d’une légitimité terrestre qui semblerait un don du Ciel ; et cela, cet élan développant au plus fort de lui-même sa dynamique pendant soixante ans, dans un cadre historique plus large qui embrasse la deuxième moitié du XIIème siècle et le XIIIème siècle ; soixante ans, pour saluer la durée exceptionnelle de ce miracle collectif, soixante ans pour saluer la brièveté avec laquelle se fit un tel rassemblement, dans sa dimension qualitative qui semble épurée de toute trahison du sentiment, de la déloyauté du comportement, comme dans une sorte d’universalité sacrée enfin réalisée, qui ne dépare rien ni n’abaisse, ni l’identité, ni le flux grandiose de l’intuition, qui semble ainsi sur la voie de réaliser la sublime intégration.

(Que cela se passe en France, puisque cela se passe en France, rien de plus normal, en vérité, dans le sens d’une normalité relevant du plus haut où portent les yeux de l’esprit pour rencontrer l’intuition haute. On s’est déjà attardé à la France, on y reviendra. Elle est chargée d’une centralité terrestre sans exemple, pour tenir le lien avec le Ciel.)

Le phénomène ne peut tenir d’autre chose que du prodige, avec la conjonction des circonstances terrestres et des conditions spirituelles, comme une sorte de symphonie universelle qui se développe selon son génie propre, d’une composition intérieure à elle, née d’elle-même et elle-même ordonnée comme expression de l’entreprise universelle que les mots ne peuvent prétendre décrire. Ainsi les pierres des cathédrales sont-elles muettes et, en même temps, elles chantent dans le vent et elles chantent le vent comme une mélodie céleste ; musique divine, élévation sans fin, comme l’esprit courant dans les cieux ; cela semblant comme si le Christianisme, puiqu’il est au cœur, s’était saisi de ces pierres, comme s’il avait trouvé la voie, la voix et le geste, pour transformer la matière brute en une forme unique qui semblerait pouvoir renouer un lieu rompu avec la divinité, – le Principe de toutes choses, et les choses devenues Principe même…

Même les rapports les plus anodins faits sur la période, que nous choisissons à dessein dans ce sens parce qu’ils nous indiquent la perception commune, mettent en lumière la puissance originale et la singularité inouïe de l’événement :

« Dans la seconde moitié du XIIème et au XIIIème siècle, l'épiscopat se renforce et entreprend de reconstruire ses cathédrales. La relative prospérité de l'économie et des finances royales, et l'appui fort de souverains — comme Philippe-Auguste, Louis VIII et Saint Louis — forment un contexte favorable à ce projet (ce qui explique, pour l'essentiel, que les cathédrales sont construites sur le domaine royal). Le concours énergique des populations et l'activité développée par les établissements religieux allait lui venir en aide. Il est difficile aujourd'hui de donner une idée de l'empressement avec lequel les populations urbaines se mirent à élever des cathédrales. La  foi  avait certes son importance, mais il s'y joignait un instinct très juste d'unité et de constitution civile… […] 

» [L]a période pendant laquelle leur existence est pour ainsi dire un besoin, l'expression d'un désir irrésistible, correspond à une durée d'environ 60 ans, comprise entre les années 1180 et 1240. Ce qui surprend aujourd'hui, c'est qu'en un temps aussi court on ait pu obtenir, sur un territoire aussi vaste, des résultats aussi surprenants ; car ce n'était pas seulement des manœuvres qu'il fallait trouver, mais des milliers d'artistes qui, la plupart, étaient des hommes dont le talent dans l'exécution des œuvres est pour nous aujourd'hui un sujet d'admiration. » (Wikipédia, article L’histoire des cathédrales en France.)

Je pense que les cieux furent cléments et que la terre fut bonne durant ces années-là, et les oiseaux chantèrent, et les beautés du monde furent haussées jusqu’au sommet d’elles-mêmes pour découvrir ce qui, en elles, les rendaient sacrées. Ce fut le Temps des cathédrales, ce qu’il y a de plus haut que l’on puisse concevoir…  Mon jugement s’arrête-t-il à ce flot d’émotions indicibles, celui qui me submerge lorsque, en dehors des apparats du culte, hors de tout compagnonnage de quelque clergé que ce soit, je franchis le porche de la cathédrale de Reims que j’imagine déserte et vierge de toute entreprise terrestre, et qui l’est sans doute, que je hausse le menton comme l’on salue et comme l’on s’élance, et hausse mon regard vers le haut, et soudain embrassant mon âme qui est emportée dans une irrésistible ascension ? Ce temps-là est celui où le Christianisme n’eut plus la moindre nécessité d’être une religion pour être le maître du monde, pour être cela sans même la nécessité que la puissance du monde existât et se manifestât en sa faveur. A ce Moment de l’histoire du monde, tout était possible parce que tout était accompli.


***

 

Les cathédrales semblaient obéir au doigt de Dieu, comme à un commandement porteur de promesses indicibles. Comme pour nous confirmer, les hommes des cathédrales, de ce Temps des cathédrales, semblent à notre esprit d’une spécificité si exceptionnelle qu’on en fit un “type”, nommé d’après le style architectural, – l’“homme gothique” comme l’on dit homme de Dieu, fait ainsi “par grâce de la cathédrale”. Dans  Le temps des cathédrales, Georges Duby les décrit, tels qu’on les imagine, tels qu’on les sent, au milieu de cet élan jubilatoire de beauté et de hauteur qui les emporte vers la création de ces oratoires de Dieu sur la terre ; tels qu’ils sont fixés, ces oratoires, dans la pierre, la matière ainsi devenue sacrée, la matière sortie d’elle-même, enfin devenue sacrée… « Ce sont des êtres sauvés, appelés à ressusciter dans la gloire, lavés de tout péché. Déjà les rayons de Dieu les illuminent et les aspirent vers la joie. Sur leur visage de clarté s’ébauche le sourire des anges. »

L’“homme gothique” trône au milieu d’un monde sorti de ce qu’il est coutume de désigner comme “la longue nuit de l’An Mil”, alors que des processus économiques se mettent en branle, alors que les fortunes de la chevalerie puis de la bourgeoisie vont couvrir d’ors les grands élans qui naissent, alors que la hiérarchie de l’Église assistée par de grands esprits offre à notre destin le sens d’une cohérence sans pareille, alors que l’autorité royale commence à s’imposer et à imposer dans le même sens le miracle qui se dessine parce qu’elle sent qu’elle tient là le modèle de la nation, la “Grande Nation” elle-même, – car tout cela se passe en France principalement. Alors l’“homme gothique” trône au milieu de son temps comme s’il en était le maître. On sent qu’il s’agit d’un  temps de fusion, d’où peut sortir une transmutation divine dont la cathédrale serait nécessairement le signe, le véhicule et le symbole. Même ce qui paraîtrait le plus vulgaire et le plus bas, et qui le sera plus tard effectivement, la géographie et la psychologie de l’argent qu’ils nommeront “capitalisme”, est partie prenante de ce temps-là, et même cela trouve judicieux, ou bien le fait sans le savoir, de se sacraliser… « Dans la cathédrale, on n’entrait pas seulement pour prier, les associations de métiers s’y rassemblaient… D’autre part, être l’“homme” de l’église procurait des privilèges et des exemptions douanières dont les gros marchands savaient le prix. Les hommes d’affaires ont donc considéré ce monument comme leur. Ils l’ont voulu splendide, ils l’ont paré… »

Mais peu importe le détail enfin, puisque s’installe fermement l’intuition que ce temps de fusion est ainsi une  époque totale, quelque chose qui, dans le champ du terrestre, laisse éclater une ouverture sublime, qui peut enlever l’esprit vers des hauteurs insoupçonnées et pourtant si longtemps espérées qu’elles en étaient évidemment attendues. Soudain, comme en un miracle cosmique, tout sur la terre, jusqu’aux plus affreuses injustices, jusqu’aux situations les plus infâmes, jusqu’aux souffrances les plus tourmenteuses, semble se fondre dans l’ordre d’une unité si parfaite qu’elle ne peut être que celle du Principe divin, – et ainsi, tout semblant écarter les pesanteurs terrestres et les prisons de la matière. Dans ce Temps des cathédrales, sans aucun doute le Christianisme nous paraît toucher, à nous qui jugeons intuitivement, au faîte de lui-même, au terme de sa mission d’élévation des choses et des hommes.

…Et il s’élève “au faîte de lui-même”, le Christianisme, dans des conditions géographiques, culturelles, sociales, c’est-à-dire dans des conditions  terrestres qui sont elles-mêmes très spécifiques, comme s’il était entendu que l’ordre du Principe même dût régner partout. Comme rapidement mentionné plus haut, c’est en France que tout cela se passe, cette France où vont s’ériger, dans cette éblouissante période, plus de 150 cathédrales ; où cette entreprise temporelle et gigantesque, mais également  transcendantale, se fait avec, si j’ose dire, l’onction royale dans le cadre d’une dynastie dont toute l’autorité émane de sa transcendance (royauté de droit divin), notamment avec le soutien du plus “saint” des saints rois de France (Louis IX, dit Saint-Louis) ; où la répartition de cette architecture transcendantale que forment les cathédrales épouse une “géographie sacrée” qui est un sujet sans fin de délices dialectiques et ésotériques pour les spécialistes du genre ; où la puissance esthétique et monumentale trouve sa source dans ce que Duby nomme « l’art de France », qui devient le modèle pour toute l’Europe engagée, à la suite de la France, elle-même modèle de ce mouvement. « Aussi l’art nouveau fut-il reconnu par tous les contemporains comme étant proprement l’“art de France”. Il s’épanouit dans la province qui portait alors ce nom, celle où Clovis était mort, entre Chartes et Soissons… »

La chose n’est pas indifférente, sur le plan de la doctrine elle-même. La France est la Grande Nation, c’est le modèle même de l’identité nationale, de la spécificité, en quelque sorte ; et, pour poursuivre en termes terrestres, l’anti-modèle du “modèle impérial” et universel ; pourtant elle-même, la France, élevée à sa dignité à l’insistance de Dieu lui-même. Le paradoxe, ou l’ambiguïté qui devrait avoir une résonnance théologique pour le Christianisme lui-même, c’est que la France, depuis le baptême de Clovis, puis dans l’affirmation terrestre progressive de la source divine de la fonction royale, est également “la fille aînée de l’Église”. Elle est quelque chose qui s’affirme venue de l’Église certes, mais également distinguée par l’onction divine  directement. C’est au nom de cette spécificité que naît et s’impose l’inspiration du gallicanisme, qui est une version plus identitaire et spécifique que “nationale” du catholicisme, mais qui est également, du point de vue  terrestre et politique, une affirmation de l’indépendance française par rapport à Rome, prétendument centre de toutes choses divines sur la terre. Jeanne, que l’Église mettra cinq siècles à faire Sainte, agit prémonitoirement en représentante de la doctrine officielle du gallicanisme en disant aux évêques qui la jugent que le Seigneur lui a parlé “directement”, par la voix de ses Saintes, pour sauver le royaume de France. En 1930, dans ‘Dieu est-il français ?’, où il tente de comprendre et d’expliquer à sa façon « ce pays magnifique et insupportable », dont l’Allemagne moderne chercha vainement à la fois le mystère et la destruction, l’Allemand nationaliste Friedrich Sieburg donnait une place prépondérante à Jeanne pour expliquer l'exceptionnalisme français et ce qu’on pourrait désigner comme son “nationalisme mystique”, qui se manifeste aussi bien sur la Marne qu’à Verdun, qu’on retrouve bien entendu chez de Gaulle. Sieburg, comme Ernst Robert Curtius dans son ‘Étude de la France’en 1932,  estime que l'un des plus grands résultats de l'action  temporelle  de Jeanne d’Arc est d’avoir, en outrepassant le pouvoir de l'Église de Rome en France, forcé la fraction française de l'Église à se franciser de façon irrésistible, – donc, Jeanne fondatrice et inspiratrice du gallicanisme... Jeanne a “nationalisé l’Église” pour le compte de la France et donné à la France un formidable ciment temporel, structurant et unificateur.

Mais nous parlons d’un personnage, Jeanne, qui est bien au-delà du Temps des cathédrales, bien que des thèmes essentiels en soient repris. Un autre jugement sur Jeanne nous ramène effectivement, mais “à front renversé” on le verra, à ce même Temps des cathédrales : celui de George-Bernard Shaw, dans la longue préface à sa pièce  Sainte Jeanne, en 1924, où il fait de Jeanne la “première protestante” de l’histoire conduisant à la Réforme, parce qu’elle se passe des autorités et de la hiérarchie de Rome. On comprend aussitôt que ce lien que nous faisons, à la lumière de ce jugement, entre Jeanne et le Temps des cathédrales est à contretemps historique, ce que nous avons qualifié de “front renversé”. Jeanne affirme la spécificité française dans une époque qui, à notre sens et cela à l’image de la proposition centrale de notre démarche, a déjà basculé après le Temps des cathédrales,. A cette lumière rétrospective, et nullement elle-même comme la “première protestante” de Shaw mais comme la première “nationaliste mystique” française, Jeanne se manifesterait alors dans son temps pour installer et protéger la spécificité française, la part divine de la France elle-même, dans une époque qui a déjà,  en effet, tourné le dos à l’esprit du Temps des cathédrale pour se précipiter dans cette autre voie, d’abord l’ensemble Renaissance-Réforme, puis la modernité, c’est-à-dire cet ensemble métahistorique que nous jugeons être la Chute du Christianisme, et la Chute d’une façon générale. Ici se dessine avec force la voute centrale de notre réflexion.

Au contraire et avant cette Chute, au Temps des cathédrales, la France offre sa spécificité comme modèle où peut se forger le triomphe du Christianisme,  contre les caractères fondamentaux du Christianisme, notamment tels que les a décrits Jean-François Mattei que nous avons cité, c’est-à-dire essentiellement l’universalité par homogénéisation des identités présentée comme fondamentale par la doctrine chrétienne, contrebattue dans ce cas par l’antithèse terrestre de l’identité à laquelle prétend l’exceptionnalisme français.

(Si la France est souvent présentée comme universaliste, et se présente elle-même de la sorte d’ailleurs, il va sans dire, dans tous les cas selon sa part de Tradition, que cet universalisme ne réduit en rien les identités ; au contraire, il les préserve, il les favorise, parce qu’il sait bien que l’identité est dans ce cas la structure de l’universalité, sa colonne vertébrale, ce sans quoi l’universalité est promise à devenir comme le président McKinley décrit par son vice-président Theodore Roosevelt : « Il a autant de colonne vertébrale qu’un éclair au chocolat. »)

Ce cas que nous observons et offrons en hypothèse de ce qui aurait pu être une sauvegarde du Christianisme est donc celui de la France qui, dans sa mission divine, offre au Christianisme une voie de sauvegarde de son propre destin et de triomphe de lui-même, en modifiant subrepticement mais fondamentalement sa doctrine, sans qu’onne s’en avise ni ne s’y attache, comme un fait de nature, comme un enchaînement sans avertissement, dont seuls les clercs, plus tard, feraient une théorie, une fois le triomphe affirmé ; et cette voie, qui ne peut être que  vers le haut  par l’évidence de sa logique, s’exprimant dans l’élancement sublime de la cathédrale. L’on ne s’empêchera pas d’observer que cette méthode de l’identité, de la spécificité nécessairement marquée dans l’universalité, retrouve les grandes expressions de la Tradition venue de nos origines, marquées elles-mêmes par les notions spécifiques des divers principes issus du Principe originel. L’on parle de la hiérarchie, de l’autorité, de l’aristocratie, tout cela exprimé dans le principe essentiel de la légitimité ; l’on parle de ce principe qui ne peut se manifester que par le contraire de cette tendance à l’uniformité qu’implique l’universalité sans les identités… L’on parle enfin de son rejet, par lui ce principe, de cette tendance si vertueuse en apparence mais toujours grosse de son extrême catastrophique de l’entropisation, de la réduction infinie au “rien” de l’entropie ; de cette tendance dont on pourrait identifier la filiation dans les diverses doctrines qui s’affirment d’universalité mais qui en fausse le principe fondamental dès lors que la structure de l’identité lui est ôtée, jusqu’à ses legs décadents ultimes de l’époque postmodernes avec la chute dans la Matière déchaînée que sont la globalisation et les doctrines de l’ultralibéralisme que nous subissons aujourd’hui.

Ce rôle essentiel de la France est encore mieux mis en évidence, dans la description qu’on peut faire d’elle, la Grande Nation, d’“outil transcendantal”, ou de pseudo-“passerelle eschatologique” par rapport à la période précédant le Temps des cathédrales. [...] Dans ces temps antérieurs se développa la grande bataille de la Querelle des Investitures, entre l’Église et l’“Empire d’Occident” réunissant la Bourgogne, la Germanie et l’Italie jusqu’aux terres vaticanes, cette querelle où l’Église, avec son “Pape de la haine”, – comme l’érudit, Jacques van Wijnendaele, nomme Grégoire VII, – où l’Église, disais-je, atteignait le faîte de sa puissance en se posant comme concurrente de celui qui était en vérité perçu comme l’“Empereur du monde”. Dans cette partie, ce qui n’était encore que le noyau de la France se tenait à part, comme indifférent à cet affrontement suprême et suprêmement terrestre, où l’Église du Christ semblait distinguer son destin au milieu des ambitions et des agitations du sapiens ; cela, les ambitions terrestres, ce n’était pas le “jeu de la France” (c’était Philippe de Saint-Robert qui employait l’expression, à propos de la politique du général de Gaulle). On pourrait dire que tout bascula, avec un événement terrestre considéré du point de vue de notre symbolique, lorsque l’“Empire d’Occident”, au sortir de la Querelle des Investitures, voulut s’en prendre à la France et qu’il se heurta à un obstacle imprévu et soudain fondamental, c’est-à-dire à la France devenant la France et, soudain, préparant l’ouverture du Temps des cathédrales par sa résistance victorieuse. Dans son ‘Éloge de la France’, Philippe Barthelet décrit l’occurrence terrestre que nous interprétons selon notre symbolique, sans contrainte ni la moindre déloyauté, d’autant qu’il cite Suger, l’abbé de Saint-Denis, l’un des hommes clef du Temps des cathédrales : « [E]n juillet 1124, quand l’empereur germanique menaçait d’envahir le royaume : Louis VI en appela aux chevaliers et aux communes, ce fut l’adjuratio Franciae, l’appel de la France. La “mobilisation de Reims” qui lui répondit fut si grande que, selon Suger, “on eût dit des sauterelles dérobant aux yeux la surface de la terre”… »

Ainsi doit-on distinguer ce signe fondamental d’une sorte de transcendance de l’histoire lorsqu’elle se fait métahistoire, que la France et l’Église se soient retrouvées, hors de cet épisode des ambitions terrestres qui accablait l’évolution du monde dans les traquenards et les affrontements de la Querelle des Investitures, dans cette épopée soudainement sublime du Temps des cathédrales, où les choses terrestres se marient soudain avec la perspective du Ciel ; où l’histoire soudain se défait de ses querelles terrestres dans quoi l’Église se compromet, pour s’emporter et devenir métahistoire, pour offrir son envolée vers le haut ; où s’avance la sublime occurrence, peut-être l’unique et certainement la dernière, par quoi l’Église aurait pu transcender sa fonction après s’être faite terrestrement, selon les impulsions des forces supérieures, et offrir le Moment lui aussi sublime que sa Mission lui assignait. Mais cela ne se fit pas et vint le progrès, qui devint Progrès, qui régla tout cela… 

Élevé par ce que nous jugerions être une intuition irréfutable, Duby salue, dans la ‘Divine Comédie’de Dante, la “dernière cathédrale”… « On peut tenir la Divine Comédie pour une cathédrale, la dernière.[…] Comme les grandes cathédrales de France, ce poème conduit, par degrés successifs, selon les hiérarchies lumineuses de Denys l’Aréopagite et par l’intercession de Saint Bernard, de Saint François et de la Vierge, jusqu’à l’amour qui meut les étoiles… » Dans ce cas, l’œuvre unique de ce grand initié que fut Dante Alleghieri clôt une époque comme on achève un Grand’Œuvre, comme on met la dernière sublime note à une symphonie qui ne peut être que sublime… Effectivement, c’en est fait, et quelques lignes plus loin Duby signale également que ‘la Divine Comédie’marque autre chose, c’est-à-dire exactement son contraire : achèvement sublime comme l’est la dernière touche mise à l’entreprise, l’œuvre est aussi la fin d’une époque comme si cette époque était dépassée et sortie de son propos, et le début d’une autre, prometteuse celle-là, presque comme les lendemains qui chantent…

« Mais à l’aube du Trecento, le mouvement de croissance qui dégageait insensiblement la pensée d’Europe de l’emprise des prêtres détournait désormais les hommes d’Europe de la surnature. Il les menait vers d’autres routes et vers d’autres conquêtes. […]  Dante lui-même, et les premiers qui l’admirèrent, cinglaient vers de nouveaux rivages. » “Les lendemains qui chantent”, disent-ils ? Déjà pointe, en effet, ce qui s’installera dans notre conscience, dans notre mémoire, dans notre raison bientôt subvertie, dans notre cœur et dans notre émotion, et j’irais jusqu’à dire, – qu’on me pardonne, – dans nos tripes, dans les tripes de notre pensée, la notion irrésistible, fascinatoire, exaltante, ensorceleuse, racoleuse jusqu’au plus profond de soi, – la notion de “progressisme”, comme si l’on opposait soudain la gloire de l’homme à la gloire des cathédrales, comme si la dialectique humaine et bientôt humaniste avait trouvé le  vaccin  irrésistible contre toute forme approchante de cette gloire-là (celle des cathédrales) et en voie désormais d’être jugée pernicieuse comme serait un péché originel. Par la grâce indéfinissable du Christianisme qui semblera bientôt avoir trouvé sa voie dans le délice paradoxal de la déviation, le sapiens  est engagé sur la voie du pardon futur par l’oubli à venir de ce qu’il commence à entreprendre, par effacement par avance du péché qui s’esquisse déjà, par inexistence rétroactive de la faute puisque la faute esquissée aujourd’hui, au crépuscule du Temps des cathédrales, deviendra vertu demain, une fois digéré la parcours qui va de la Renaissance au “déchaînement de la Matière”… Cette façon d’absoudre par antériorité, cela fait la Chute moins raide. [...]
 

***

 

Duby note effectivement, correctement par rapport à l’Histoire dans son cheminement logique et temporel : « [L]e mouvement de croissance qui dégageait insensiblement la pensée d’Europe de l’emprise des prêtres… » Nous objecterions, du point de vue de la forme qui a ici une importance considérable, que c’est plutôt de l’offrande que représente ce Moment de vérité que sont le Temps des cathédrales et le “modèle” transcendantal français que se dégage « insensiblement la pensée d’Europe », et que, pour se défaire de l’emprise de ces prêtres-là, à la grandeur si admirable, à la beauté si apaisante, elle (l’Europe) trouverait rapidement d’autres guides (d’autres prêtres) sur sa route. L’amour moderniste de la liberté fait se réjouir un peu vite de circonstances plus suspectes qu’elles ne paraissent, de même que la “liberté” exigerait souvent d’être pesée avec un peu moins d’ivresse moderniste dans le jugement, avant son adoubement comme la marque d’une élévation de l’être. On sait que l’ivresse mène en général au contraire de ce qu’elle suggère.

Le fait, que l’on devinera à la lumière de ces commentaires réservés, le fait est que notre hypothèse nous suggère de situer à cette charnière le basculement des choses pour le Christianisme. Nous suivons la comptabilité de Duby, pour le confort du lecteur en armant son esprit d’une référence datée, “autour de 1300”, c’est-à-dire passé le paroxysme sublime du Temps des cathédrales. Les termes employés par Duby correspondent parfaitement à l’esprit de la chose et nous dispensent d’un commentaire qui ferait long, pour simplement embrasser l’évidence historique, – la description portant essentiellement sur l’évolution des psychologies, des mœurs de la pensée, des liens entre le jugement et son objet, – ou bien encore, des âmes chrétiennes si l’on veut. La période est décrite comme un désordre, un temps de brassage, de bouleversement de l’ordre et des structures, de dérangement des choses ; il y a « les malheurs du XIVème siècle » qui s’annoncent, mais la plume qui observe à partir de notre temps en acquiesçant à l’évolution qui est venue jusqu’à nous n’y voit pas que du mal ; au contraire, elle y distingue les jeunes pousses de temps nouveaux, qui, parce que “nouveaux”, ont cette sorte de “vertu d’être vertueux par définition”, qui va avec cet état (la “nouveauté”). Nous dirions, nous, un temps de déstructuration, et nous nous expliquerons encore, plus loin, des caractères dissolvants que nous lui prêtons, – lesquels affleurent dans le passage ci-dessous qui rapproche irrésistiblement des mots tels qu’“affaissement”, “effritement”, “effondrement”, “vertige”, “désordre”, – et, au-dessus de tout, pour chapeauter, pour inspirer, pour griser, pour emporter irrésistiblement, le mot magique en vérité, “modernité”… 

« …Voici pourquoi, malgré la stagnation de la production et le marasme des échanges, la propension au luxe, loin de fléchir, s’exaspéra. Enfin, et surtout, l’affaissement des structures matérielles provoqua l’effritement, l’effondrement d’un certain nombre de valeurs qui avaient encadré jusque-là la culture d’Occident. Ainsi s’établit un désordre, mais qui fut rajeunissement et, pour une part, délivrance. Tourmentés, les hommes de ce temps le furent certainement plus que leurs ancêtres, mais par les tensions et les luttes d’une libération novatrice. Tous ceux d’entre eux capables de réflexion eurent en tout cas le sentiment, et parfois jusqu’au vertige, de  la modernité  de leur époque. Ils avaient conscience d’ouvrir des voies, de les frayer. Ils se sentaient des hommes nouveaux. »

En vérité, notre incrédulité est à cette mesure qui nous arrête, qu’il s’agit d’apprécier comme l’on perce un mystère, – si l’on peut, – et l’on pourra vite, mystère de polichinelle… Cette incrédulité s’adresse au commentateur par ailleurs si éclairé (Duby) lorsqu’il décrit le Temps des cathédrales : comment peut-on, après avoir rencontré l’“homme gothique”, cet “être sauvé”, “illuminé par les rayons de Dieu” et avec son visage sur la clarté duquel “s’ébauche le sourire des anges”, comment peut-on accueillir l’“affaissement” et l’“effondrement” de tout cela presque avec une sérénité satisfaite… Ces mots, “progrès”, “modernité”, ont en eux la puissance de la magie noire du maléfice, n’est-ce pas, sa fascination, l’espèce d’attirance irrationnelle qu’elle exerce sur nos psychologies soudain affaiblies par la musique de la chose, comme Ulysse par le chant des sirènes s’il n’avait pris la mâle précaution de se faire lier au mat de son navire...