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17141er mai 2008 — Depuis quelques semaines, une avalanche de menaces d’attaques (US) contre l’Iran peut être observée, suivie et entendue. Une “avalanche”, ou un choeur, ou un déferlement, ou un torrent d’accusations et de menaces, que nous rapporte notamment, ce 1er mai, le site WSWS.org. Citons ce paragraphe, entre beaucoup d’autres détaillant ce phénomène:
«There has been a growing chorus of US accusations and threats against Iran over everything from “meddling” in Iraq and its supposed nuclear weapons program to Tehran’s ties with groups such as the Lebanese Shiite organisation Hezbollah and the Palestinian group Hamas, which are branded by Washington as “terrorists”. Everyone in the Bush administration and at the Pentagon appears to be singing from the same song sheet.»
Si l’on doit choisir une écume particulière dans ce torrent, ce sera Robert Gates annonçant qu’un deuxième porte-avions va être déployé dans le Golfe. Gates nous dit plusieurs choses à la fois: ce deuxième porte-avions (avec son groupe d’attaque), le USS Abraham-Lincoln, va être déployé temporairement; il sera là néanmoins pour rappeler que les USA veillent au grain et sont prêts à tout; pour autant, il ne faut pas y voir une seule seconde un préparatif d’attaque. Ce que Vincent Cannistraro, ancien analyste de la CIA, commente de cette façon: «Cheney believes this administration has to take military action against Iran before it leaves office. Gates echoes the rhetoric publicly but he doesn't support Cheney’s position.»
Julian Borger, du Guardian, présente cette affaire, aujourd'hui:
«The US defence secretary, Robert Gates, said yesterday the deployment of a second aircraft carrier to the Gulf could serve as a “reminder” to Iran of American resolve to defend its interests in the region.
»Gates denied the arrival of a new carrier represented an escalation, pointing out that US naval strength in the Gulf rises and falls constantly with routine naval deployments, but it comes at a time of heightened rhetoric from Washington about Iran's role in the Iraqi insurgency.»
Dans tous les cas, l’on sait que l’effectif de l’U.S. Navy dans le Golfe est bien loin d’un effectif d’une attaque majeure contre l’Iran. Il y a déjà eu (au printemps 2007) trois groupes de porte-avions et il en faudrait au moins quatre pour lancer une attaque importante contre l’Iran. On se rappelle les diverses pérégrinations des porte-avions US dans le Golfe ou hors du Golfe, en juille-août dernier, sous l’orchestration de l’amiral Fallon.
Mais là-dessus, le texte indubitablement le plus intéressant nous vient du Washington Post et d’une interview de l’amiral Mullen, président du comité des chefs d’état-major. Mullen nous parle beaucoup de l’Iran, de ses interférences en Irak, de son rôle, etc., mais ce n’est pas l’essentiel. S’étendant à côté de cela sur la situation des USA durant la transition entre l’actuel président et son successeur, Mullen parle d’une façon étonnante, inattendue et inédite pour un chef militaire, surtout dans sa position au sommet de la hiérarchie militaire, de leur extrême vulnérabilité durant cette période. Le caractère inédit de cette déclaration, outre qu’un aveu de vulnérabilité des USA est peu courant, tient en ce que l’intervention de Mullen concerne le pouvoir civil...
«The nation's top military officer warned yesterday that the transition to a new American president will mark a “time of vulnerability” as the United States fights two wars, and he said military leaders are already actively preparing for the changing of the guard.
»The chairman of the Joint Chiefs of Staff, Navy Adm. Michael G. Mullen, said the U.S. political transition will be “extraordinarily challenging,” particularly as the military is engaged in Iraq and Afghanistan and faces interference in both countries from Iran.
»“Iran is not going away,” Mullen said. “We need to be strong and really in the deterrent mode, to not be very predictable” regarding Iran, he said in a meeting with editors and reporters at The Washington Post.
(...)
»Offering an unusual insight into how senior military leaders are anticipating the transition to a new president, Mullen said he is continually thinking about how military decisions taken today will play out under a new administration.
»“There are very few either briefings or meetings that I'm in that I'm not thinking about ‘How does what we're talking about right now transition to next spring?’” Mullen said. He said U.S. commanders in regions overseas, as well as chiefs of the different services, are having similar discussions.
»The transition is unlikely to be smooth, predicted Mullen, who assumed his position seven months ago for a two-year term. He said he hopes to offer a stabilizing influence as a military leader who will bridge two administrations.
»“We will be tested. . . . I'm preparing that this country will be tested, and I have a role in that regard, certainly providing advice to whoever the new president's going to be,” he said. He said his current priority is to develop military strategies for the Middle East and the globe to “tee up” for a new president.
»Specifically, Mullen said he hopes that the change in politically appointed leaders will unfold at a wartime pace, rather than at a “peacetime” one. “I think it's important for us to get as many principals in positions as rapidly as possible in a time of war,” he said.»
Donc, voici ces très intéressantes déclarations de Mullen qui sonnent comme si Washington était en crise, et non la situation avec l’Iran, ou bien l’Irak, ou bien l’Afghanistan. Ces déclarations ont un tour dramatique. Elles rappellent, par exemple, les pires périodes de la présidence Nixon.
(…Qu’il s’agisse de l’alerte nucléaire du 25 octobre 1973, lorsque les Soviétiques annoncèrent qu’ils pourraient envoyer des divisions aéroportées soviétiques en Egypte pour stopper l’offensive israélienne alors que, selon divers témoins, Nixon, dépressif et alcoolique et en plein Watergate, était incapable de prendre une décision; les forces US furent placées en alerte Defense Condition 3 [DefCon3] pour avertir l’URSS de ne pas profiter de cette faiblesse du pouvoir US; les sources différent quant à savoir comment fut prise cette décision de mise en alerte… Qu’il s’agisse, dans les semaines précédant la démission de Nixon du 10 août 1974, de l’ordre donné par le secrétaire à la défense Schlesinger aux chefs militaires de se référer à lui et non plus au président, de crainte que Nixon ne tente un coup de force avec l’une ou l’autre unité militaire dont les chefs lui étaient proches.)
Elargissons le champ d’observation: les déclarations de Mullen semblent s’adresser aux Iraniens, non pas pour les menacer d’une attaque mais pour les avertir: ne tentez rien pendant la passation de pouvoir, nous sommes sur nos gardes... Ces phrases expriment bien l’idée: «We need to be strong and really in the deterrent mode, to not be very predictable...» «We will be tested. . . . I'm preparing that this country will be tested...» L’affirmation également que la transition politique doit être très rapide, comme cela doit se faire en temps de guerre, lorsque la mise en place des chefs civils ne doit pas souffrir le moindre délai («I think it's important for us to get as many principals in positions as rapidly as possible in a time of war»). Tout cela sonne comme si l’Amérique était en état de siège.
... Et il s’agit de “colombes”, d’adversaires d’une attaque contre l’Iran, autant Gates que Mullen. De ce fait, le tableau habituel des “offensives” de menaces anti-iraniennes doit être très largement nuancé jusqu’à envisager son contraire dans certains cas. Les manoeuvres “bellicistes” aussitôt nuancées de considérations diverses, comprises ces déclarations peu ordinaires de Mullen, représentent alors une tentative de tenir l’Iran à bout de bras pour que ce pays ne “profite” pas, en Irak particulièrement, de la “faiblesse” (de la “vulnérabilité”, dit Mullen) des USA dans cette étrange période de la passation de pouvoir. L’affirmation iranienne en Irak, au travers du cas du général Suleimani, est une solide explication de la crainte US.
Là-dessus, bien sûr, il y a les habituelles poussées des “faucons” obsessionnels, type-Cheney. Il semble bien qu’il ne faut pas voir une “unité de menaces” entre l’axe Gates-Mullen et la fraction Cheney, mais au contraire un antagonisme de conception. Chacun utilise la même menace (avec les nuances qu’on voit) dans un but inverse. Ce qui paraît important dans ces différentes circonstances, c’est l'événement politique de ce qui paraît être une véritable crainte de la part du Pentagone de perspectives dangereuses pour les USA, d’une part du côté des Iraniens. On sait que Willim S. Lind a déjà évoqué des hypothèses militaires, le 26 mars encore, où le corps expéditionnaire US pourrait voir ses voies de communication coupées par les diverses forces contrôlées par les Iraniens ou alliées des Iraniens en irak, et son existence même gravement menacée.
D'autre part, il faut considérer que les déclarations de Mullen, également extraordinaires selon ce point de vue, doivent être perçues selon leur dimension intérieure propre. Elles s’adressent également au pouvoir civil (l’administration, le Congrès, les partis), dont le Pentagone craindrait des écarts, des tentatives diverses de déstabilisation au niveau politique, des imbroglios à l’occasion de l’élection présidentielle, entraînant une paralysie institutionnelle. Les déclarations de Mullen sonnent comme l’écho d’une inquiétude très grande de l’establishment militaire et du Pentagone devant une possibilité de crise grave pour les USA dans les mois à venir.
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