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23 octobre 2002 — Un article publié le 22 octobre par le Washington Post est du plus grand intérêt. Il s'agit de l'article de Dana Milbank intitulé : « For Bush, Facts Are Malleable — Presidential Tradition Of Embroidering Key Assertions Continues ». (Il y a dans la deuxième partie du texte, dans l'emploi du verbe “Continues” une inexactitude par rapport au texte, qui montre un certain malaise chez ceux qui ont publié le texte. On le voit plus loin)
Le cas est exposé dans le début du texte : des affirmations récentes du président (GW), concernant essentiellement l'Irak, et concernant des raisons d'attaquer l'Irak, se sont révélées complètement fausses ; plus encore, ou mieux comme on veut, ces affirmations ne pouvaient être que connues comme étant fausses quand elles ont été dites (cela est évident mais n'est qu'implicite, cela n'est pas écrit noir sur blanc ni débattu dans l'article, de crainte de tomber sur le cas méchant de préméditation).
« President Bush, speaking to the nation this month about the need to challenge Saddam Hussein, warned that Iraq has a growing fleet of unmanned aircraft that could be used “for missions targeting the United States.” Last month, asked if there were new and conclusive evidence of Hussein's nuclear weapons capabilities, Bush cited a report by the International Atomic Energy Agency saying the Iraqis were “six months away from developing a weapon.” And last week, the president said objections by a labor union to having customs officials wear radiation detectors has the potential to delay the policy “for a long period of time.”
» All three assertions were powerful arguments for the actions Bush sought. And all three statements were dubious, if not wrong. Further information revealed that the aircraft lack the range to reach the United States; there was no such report by the IAEA; and the customs dispute over the detectors was resolved long ago.
» As Bush leads the nation toward a confrontation with Iraq and his party into battle in midterm elections, his rhetoric has taken some flights of fancy in recent weeks. Statements on subjects ranging from the economy to Iraq suggest that a president who won election underscoring Al Gore's knack for distortions and exaggerations has been guilty of a few himself. »
Le journal fait ensuite un rapide historique. Certes, le “mensonge présidentiel”, ou disons l'inexactitude, a toujours existé. Mais le cas semble bien différent. C'est ce qu'on comprend “entre les lignes” dans l'article, c'est ce qu'on comprend même en lisant la liste impressionnant de, — comment dire ? “mensonges” ? ou “mistakes” ? — qui parsèment les interventions présidentielles ces derniers mois (d'ailleurs sur d'autres sujets que l'Irak à côté de l'utilisation massive qui en est faite pour l'Irak). Voici une explication donnée par Stephen Hess, un expert de sécurité nationale, démocrate, qui fait une remarque qui, elle aussi, dissimule difficilement un malaise, lorsqu'il parle des très nombreuses “
« “Everybody makes mistakes when they open their mouths and we forgive them,” Brookings Institution scholar Stephen Hess said. Some of Bush's overstatements appear to be off-the-cuff mistakes. But, Hess said, “what worries me about some of these is they appear to be with foresight. This is about public policy in its grandest sense, about potential wars and who is our enemy, and a president has a special obligation to getting it right.” »
L'explication de Hess est poussive, sauf peut-être, involontairement, avec la dernière partie de phrase. (Faut-il comprendre que le président peut “mentir” sur les sujets annexes mais qu'il a une obligation de dire “à peu près” la vérité sur les grands problèmes ?) Dans tous les cas, on trouve là une explication de ce que nous nommions “contradiction” entre titre et texte. Il semble y avoir plus que la poursuite (“Continues”) d'une tradition présidentielle, même Stephen Hess semble nous dire que GW va un peu plus loin que ses prédécesseurs, qu'il semble y avoir comme une différence presque de substance.
Quant à la Maison-Blanche et à ses armées de porte-parole, c'est juste si on consent à l'emploi du mot “imprecise” (ce qui n'est pas si mal vu : un jour, on nous dirait aussi bien que GW est un poète et qu'il ne faut pas attendre des poètes qu'ils soient précis) . A côté de cela, grande indignation puisque tout ce que dit GW est évidemment « well documented and supported by the facts, ». Cela nous laisse un peu incertain sur le sens des mots.
« The White House, while acknowledging that on one occasion the president was “imprecise,” said it stands by his words. “The president's statements are well documented and supported by the facts,” Bush press secretary Ari Fleischer said. “We reject any allegation to the contrary.”
(...)
» The White House said that Bush “was imprecise on this” and [...] the source was U.S. intelligence, not the IAEA. »
Il s'agit d'un cas très intéressant, sur lequel nous reviendrons. Nous faisons d'ores et déjà plusieurs remarques.
• Il y a bien une différence de substance entre GW et les présidents qui ont précédé, sur l'utilisation de l'“inexactitude”. Celle-ci est aujourd'hui systématique et concerne la manufacture de la politique de sécurité nationale la plus fondamentale.
• ...Le problème étant que cette “sécurité nationale la plus fondamentale” est aujourd'hui faite de faits et d'arguments dont on peut avancer qu'ils sont le plus souvent, eux-mêmes, totalement dépourvues du moindre fondement.
• Le malaise relevé plus haut se comprend. LePost devine qu'il y a là un problème un peu plus important et central que les quelques “mensonges présidentiels” de la tradition.
• S'agit-il de “mensonges” ? Oui, sans aucun doute. Mais sans vraie “intention de nuire”. Les équipes de communication politique circulent désormais dans des univers totalement virtualisés, c'est-à-dire, totalement mensonger. Dans ces univers, le “mensonge” n'en est pas un puisqu'il s'accorde à la logique de l'univers virtualisé/mensonger.
• Cette réalité a été possible parce que le concept d'information a été poussée à son terme dans la logique mercantile qui caractérise la communication. L'information, par conséquent la vérité, est un “produit” et, comme telle, sa valeur dépend du conditionnement, du contenu, de la puissance du marketing et ainsi de suite, et tout cela peut être changé, modifié, etc. L'information est devenue quelque chose de complètement relatif qui se fabrique. Notre conviction étant bien qu'il n'y a pas d'“intention de nuire” (au fond, le “mensonge” n'est pas vraiment un mensonge), nous dirons alors que ces manipulations sont faites, dans le chef des auteurs, dans un souci d'efficacité. Qui pourrait trouver à y redire selon les normes américaines ?