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840Les 21 et 22 juin 2012 avait lieu au Paraguay un “coup” d’une facture nouvelle, qu’on pourrait classer comme une variante parlementaire de la stratégie d’“agression douce” développée depuis quelques années par le Système (dito, les USA dans ce cas, mais en général avec l’aide de relais de diverses organisations frontistes, initiatives privées type-Soros, éventuellement d’autres pays, etc.). Cette fois, il s’agit de l’élimination dans des normes législatives contraintes jusqu’à la caricature provocatrice du président Fernando Lugo, président d’une “gauche modérée”, élu en 2008 et pratiquant contre les oligarchies qui tiennent le pays une “voie moyenne” entre la “voie Chavez” et la “voie Lula”. En deux heures de délibération pour la Chambre le 21 juin (76 voix contre 1), puis en cinq heures de délibération pour le Sénat (39 voix contre 4), les deux assemblées dominées par l’influence du parti Colorado des oligarchies votèrent sans perte de temps pour l’instruction du dossier ni pour le développement de la défense de l’accusé, la destitution de Fernando Lugo et son remplacement par son vice-président, homme d’un parti de centre-droit généralement caractérisé comme “pro-US”. Le 25 juin 2012, WSWS.org faisait un rapport complet sur l’affaire, en précisant son arrière-plan historique et politique.
Le cas justifiant la destitution de Lugo est suffisamment remarquable, par rapport à ce que l’on voit et ce que l’on sait des activités générales des dirigeants et des autorités par les temps qui courent, pour qu’on s’y attarde.
«The principal charge brought against Lugo was a “weak performance” in relation to a forced eviction on June 15 of landless peasants who had occupied land owned by Blas Riquelme, a wealthy businessman and landowner, who was also a leading figure in the country’s right-wing Colorado Party, which before Lugo’s election had ruled the country for six decades.
»The eviction of the some 100 families from the land in Curuguaty in eastern Paraguay near the Brazilian border led to a massacre in which 11 peasants and six policemen were killed. Witnesses reported that the bloodbath began when snipers opened fire on the peasants as their leaders were negotiating with a police commander. The Lugo government responded by sending the army into the area to impose order. Nine peasants, one just 15 years old, have been arrested and charged with murder.
»While Lugo had called for an investigation into the massacre, offering to turn such a probe over to the police themselves together with the Colorado Party, i.e., those responsible for the killings, his right-wing opponents brushed the proposal aside, moving to impeach the president instead. The charge against Lugo was based not on his responsibility for the murder of peasants, but rather for his supposed failure to use sufficient force to suppress them and employing empty populist rhetoric that aroused expectations among the country’s most oppressed layers.»
Les réactions de nombre de pays d’Amérique latine, où s’est désormais installé depuis dix ans le fameux “virage à gauche” (c’est-à-dire antiaméricaniste, qualification qui convient beaucoup mieux), ont été nombreuses, allant de la rupture des relations diplomatiques (Argentine) à des rappels d’ambassadeurs pour consultations. D’une façon générale, la décision de destitution n’est pas acceptée comme légale ni constitutionnelle. Enfin, hier, l’association de libre-échange sud-américaine Mercosur a pris deux décisions qui, en se complétant, donnent une dimension politique à la réunion et induisent un isolement du Paraguay dans son contexte géographique et politique de la communauté de l’Amérique latine.
• Mercosur a suspendu le statut de membre de Mercosur du Paraguay, au moins jusqu’aux prochaines élections présidentielles de 2013. D'autres mesures de suspension d'autres organisations du même format devraient suivre.
• Mercosur a décidé d’accorder au Venezuela le statut de membre à part entière que ce pays sollicitait depuis 2004. Mercosur comprend quatre membres à part entière (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) et six membres associés jusqu’à hier (par ordre chronologique : Bolivie, Chili, Pérou, Colombie, Équateur, Venezuela). Jusqu’ici, l’accession demandée par le Venezuela au statut de membre à part entière, acceptée par les autres membres, était bloquée par le corps législatif paraguayen, contre l’avis de son président Lugo. La suspension du Paraguay a aussitôt débloqué le cas vénézuélien, qui devrait être accueilli comme membre à part entière le 31 juillet, à la très grande satisfaction de Chavez («Un jour historique pour l’histoire de l’intégration du continent»). Les deux choses apparaîtront politiquement liées, quelle que soit la réalité à cet égard, avec pour résultat le renforcement dans le sens antiaméricaniste de toutes les institutions du continent d’Amérique latine.
La réunion de Mercosur, qui a eu lieu à Mendoza, en Argentine, est présentée par AP (Winnipeg Free Press), le 29 juin 2012 : «Argentine President Cristina Fernandez told other heads of state at a Mercosur summit Friday that the “democratic order was broken” in Paraguay because it carried out a two-hour trial where Lugo was not allowed a proper defence. It will be suspended from Mercosur until it holds presidential elections next year.
»But Fernandez said Paraguay would not be slapped with economic sanctions because “they never hurt governments. They always hurt the people.” Paraguay is among South America's poorest nations and any economic sanction by the bloc would have been disastrous since half its trade is with fellow Mercosur founding members, Argentina, Brazil and Uruguay.
»Mercosur barred Lugo's replacement, former Vice-President Federico Franco, from attending the summit. Franco says the transition of power in Paraguay was carried out according to the law. Lugo said at first that he would attend the meeting in order to plead his case with regional leaders but later changed his mind. He then spoke out against retaliatory economic sanctions, which he said would only hurt ordinary Paraguayans.»
Cette affaire devrait être présentée comme un cas typique de la dynamique de surpuissance du Système débouchant sur sa compagne presque jumelle, la dynamique d’autodestruction. L’affaire conduit en effet à un durcissement significatif antiSystème (antiaméricaniste, anti-oligarchie, etc., selon l’étiquette qu’on veut), à partir d’une circonstance qui n’apporte qu’un bien piètre avantage au Système (aux proaméricaniste, aux oligarchies, etc.). Bien entendu, il ne fait nul doute que cette sort de “coup doux”, pour suivre la nomenclature de l’“agression douce”, a été réalisée par les forces proaméricanistes dominantes au Paraguay, avec le soutien au moins implicite des USA, avec pour bien souligner la chose une réaction très neutre, presque approbatrice du département d’État à la nouvelle de la destitution de Lugo. (Voir notamment les appréciations de Wayne Madsen, le 28 juin 2012, sur Strategic Culture.org)
On peut observer plusieurs point pour substantiver cette interprétation d’une piètre “victoire” des forces du Système.
• Lugo était un “gauchiste” extrêmement édulcoré par de très nombreux bons sentiments et une présidence marquée par l’inaction, en plus ou à cause de structures de sécurité complètement contrôlées par les oligarchies, et diverses interférences paralysantes. Religieux et archevêque jusqu’en 2005 (année où il fut relevé de cet état à sa demande, pour entrer en politique), Lugo n’a pas fait grand’chose de “révolutionnaire”, – ni su ni voulu, c’est selon, – depuis son élection de 2008. De ce fait, il constituait, du point de vue du Système, un faux-nez tout à fait supportable (par exemple, avec l’avantage de barrer l’accession du Venezuela au statut de membre à part entière de Mercosur). Qui plus est, Lugo fut fortement handicapé par un diagnostic de cancer, et sa présidence par divers scandales de reconnaissance en paternité marqués par la polémique et, souvent, la manipulation…
• L’élimination de Lugo ne prive pas le continent latino-américain d’un architecte remarquable de son tournant antiaméricaniste. Par contre elle contribue à ranimer la menace de l’interventionnisme yankee, sous des formes plus déguisées ou soft que la brutalité historique habituelle en la matière, contribuant un peu plus au discrédit des USA après l'échec de l’opération de tentative de réhabilitation par Obama. Par conséquent encore, elle revigore des antagonismes de plus en plus vivaces, en les organisant pour cette occasion.
• L’élimination de Lugo a amené une mobilisation notable des pays d’Amérique du Sud, jusques et y compris le Chili malgré son gouvernement de droite. Ce sont un nouveau resserrement des antagonismes antiaméricanistes ; une relance du statut du Venezuela de Chavez grâce à son entrée définitive dans Mercosur, alors que la maladie de son président avait fait passer ce pays au second plan ; une confirmation de nouvelles positions dures de certains pays (celle de l’Argentine de Fernandez qui aurait voulu des sanctions contre le Paraguay). C’est une des premières fois, certainement la première dans la séquence historique actuelle, que l’Amérique du Sud réagit à la manière du bloc BAO, en constituant sa propre “communauté internationale” réduite au continent, pour mettre l’un des siens à l’index, – avec cette cerise sur le gâteau des sanctions directes écartées selon le motif glorieux et humanitaire de ne pas toucher les populations (alors qu’au départ il y a une différence de position entre Fernandez l’extrémiste et la Brésilienne Rousseff, plus modérée).
• Le résultat, du point de vue de la perception politique, est que le continent sud-américain apparaît plus que jamais uni, prêt à repousser ce qui finit inéluctablement par apparaître comme une manigance yankee, – on ne prête qu’aux spécialistes de la chose… On observe ainsi combien l’opération initiale contre Lugo, marque très spécifique de la dynamique de surpuissance du Système par les conditions grotesques de sa destitution, aboutisse au même processus d’autodestruction du Système qu’on identifie régulièrement.
Mis ebn ligne le 30 juin 2012 à 12H58
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