Merkel à Washington et la fable de l’anti-américanisme de Schröder

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Merkel à Washington et la fable de l’anti-américanisme de Schröder


13 janvier 2006 — Merkel est aujourd’hui à Washington et l’on se pose la question de savoir si la position de l’Allemagne vis-à-vis des USA va évoluer. Mais pour que cette question ait la moindre signification, il faudrait simplement qu’elle soit fondée dans son prémisse, selon cette autre question : la position allemande vis-à-vis des USA avait-elle fondamentalement changé avec Schröder? Si l’on pose cette question, c’est bien sûr que la réponse est “globalement négative”. Toutes ces évolutions sont de pure apparence. Pour autant, il n’y a pas lieu de se décourager puisque 99% de la politique se fait aujourd’hui selon la seule apparence.

Des révélations en Allemagne, qui se succèdent depuis l’affaire des vols de la CIA en novembre-décembre, montrent que la collaboration entre l’Allemagne et les USA s’est poursuivie durant la “brouille” Schröder-Bush, y compris en Irak, dès le déclenchement de cette guerre à propos de laquelle Schröder avait adopté une position d’opposition déclarée. Un texte de WSWS.org reprend les informations sur cette question.

En voici quelques extraits: « According to reports in the German ARD television news programme “Panorama” and the Süddeutsche Zeitung newspaper, agents of the German intelligence service BND (Bundesnachrichtendienst) provided active support for American troops engaged in the war against Iraq.

» The German media reports allege that two German intelligence agents played a key role in identifying targets in Iraq in the spring of 2003 which were later bombed by American strike forces. These latest revelations of collusion between the BND and US intelligence agencies follow on the heels of reports that Germany’s former government, comprising a coalition of the Social Democratic Party and the Greens, played an active role in CIA renditions of alleged “terrorists.” It is also evident that, along with other European governments, the SPD-Green government was also aware of, and permitted, CIA flights transporting alleged terrorists to the network of prisons which the American intelligence agency has established throughout Eastern Europe.

» According to the “Panorama” report, BND agents remained in Iraq following the closure of the German embassy on March 17, 2003—just three days before the start of the invasion. The work of the German agents in Iraq was officially coordinated with the American military intelligence agency DIA (Defense Intelligence Agency) and according to the Süddeutsche Zeitung this collaboration had been given official political approval at the highest level. “This was not the decision of a departmental head,” the SZ quoted an anonymous official.

» Although leading government figures have immediately proclaimed their ignorance of the activities of the German agents, the phrase “political approval at the highest level” indicates that leading members of the German government at the time—chancellor Gerhard Schröder (SPD) and his closest co-worker Frank-Walter Steinmeier (SPD) (former head of the German chancellery and government co-coordinator with the intelligence services, and Germany’s current foreign minister) and the foreign minister Joschka Fischer (Greens)—were either aware of, or personally approved, the activities of the BND agents in Iraq.

» The “Panorama” programme revealed in some detail the activities of the two German agents. One of their missions involved assisting in the targeting of Saddam Hussein for assassination in April 2003. A subsequent US air raid in the capital city of Baghdad—based on the targeting information of the German agents—dropped four 2,000-pound bombs, flattening the identified building and killing at least 12 innocent people. The “Panorama” report alleged its source for the report is a “former Pentagon employee,” who declared that the German help was “very important” for the American offensive. The programme also claimed that one of the two BND agents involved in the operation subsequently received a medal from his American colleagues. »

D’autres précisions sont présentées dans l’article, donnant des indications sur d’autres cas de coopérations entre Allemands et Américains. Il y a notamment le cas des vols de la CIA, qui étaient manifestement connus et autorisés par le gouvernement Schröder, voire de cas de séance de torture US auxquelles participèrent activement des agents du BND. D’une façon générale, et sans s’attacher aux détails, il apparaît évident que la collaboration active des Allemands a continué à être acquise aux Américains malgré la brouille d’apparence.

Ce ne peut être en aucun cas une surprise. L’on sait, dès l’origine, que la position anti-américaine de Schröder est due à une circonstance électorale. Si elle a été maintenue, c’est à cause de deux facteurs : à cause de l’opposition massive des Allemands à la guerre d’une part, à cause de la maladresse et la brutalité délibérée de l’administration GW Bush d’autre part. (Maladresse et brutalité délibérée : des exigences de déclarations quasi humiliantes et infaisables en regard de l’opposition du public allemand, des propositions de rencontres repoussées, des phrases officielles méprisantes ici et là, des comportements grotesques et méprisants [Rumsfeld à la Wehrkunde de février 2003, à l’encontre d’un Fisher tremblant de trouille], des attaques haineuses de porte-parole officieux de l’administration [type Richard Perle].) Nous serions tentés de penser que la maladresse et la brutalité américanistes furent la principale cause de la persistance forcée de la position allemande.

Première conclusion : rien de nouveau sous le soleil. La seule chose qui conduit certains pays européens à sembler critiques des USA, c’est l’attitude insupportable des USA. Nous avons toujours pensé et continuons à penser que le pire ennemi de Washington, c’est Washington. Si ce n’était le cas, il y a longtemps que nous serions tous sous uniformes de supplétifs de l’U.S. Army (Ardennes National Guard ou Bavière National Guard), en train de nous battre à la place de l’U.S. Army. Il n’y a en effet aucune résistance sérieuse à attendre des Européens, notamment ceux qui se disent opposés à la politique américaine (cf. Schröder), si les Américains ne les y forçaient par leur maladresse.

Deuxième conclusion : dans cette époque de vacuité quasiment parfaite de la moindre substance de ce qu’on pourrait désigner sous l’expression étrange de “une politique”, l’apparence triomphe complètement. A ce compte, Schröder a paru un immense adversaire des Américains. C’est risible mais certains y ont cru et certains y croient encore. Allons-y donc pour l’apparence… Et c’est à ce point que Merkel pourrait nous amener quelques surprises puisqu’elle a paru, dans les premiers mois à la chancellerie, devoir préciser que certaines apparences de bonne moralité doivent être maintenues en bon état. Avec elle, le BND coopérera avec la CIA, mais il n’y aura là rien de nouveau par rapport à Schröder. Par contre, avec elle on dit que Guantanamo ça ne fait pas très chic, et que, idéalement, la chose devrait être fermée. Schröder n’en a jamais dit le dixième du quart.

La rencontre d’aujourd’hui, Merkel-Bush, va être intéressante. Il faudra en mesurer les effets et les conséquences. Les Allemands ne doivent pas oublier qu’à l’exemple de Blair et des Britanniques, pour les Américains, un bon allié est un allié mort, — un allié qui fait ce qu’on lui dit de faire, sans un mot, sans se faire voir pour ne pas faire de l’ombre à son maître, sans faire attendre une minute, voire même en prévenant (en “préemptant”?) ce qu’on va lui demander, — en un mot, comme s’il n’existait pas, — un allié mort, vous dit-on.