Mieux qu’Hillary, bien mieux que BHO

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Mieux qu’Hillary, bien mieux que BHO

07 avril 2017 – Il y a une rapidité peu ordinaire et sans précédent ni équivalent concevable dans cette situation qui ne cesse de se faire succéder les renversements radicaux des positions. C’est dire si, à cette heure de ce matin (09H00), quelques heures après l’intervention militaire US avec le tir de 60 missiles de croisière contre, semble-t-il, une base aérienne syrienne, mon intervention à moi sera basée sur une très faible quantité d’informations, et s’en tenant au fait brut : rapidité de la décision, exécution immédiate... Cela conduit à quelques constats mesurés à l’évidence des événements, à quelques questions également évidentes mais nullement précipitées parce que répétées depuis au moins quatre années à la lumière des menaces d’intervention US. Mais l’observateur bien plus que le commentateur que je suis en a bien conscience : rien d’assuré dans toutes les remarques qui suivent, rien qui ne puisse changer et être complètement démenti en quelques heures au gré de cette situation absolument incontrôlable... Comme il était écrit hier dans ce même Journal-dde.crisis qui a l’avantage, par sa personnalisation subjective de ne pas prétendre à la moindre objectivité sans réplique et aux prévisions assurées, « Les événements courent et n’attendent pas ; ils prennent au vol ce qui leur convient, sans nous demander notre avis... »  (*)

L’attaque de cette nuit s’est faite dans des conditions bien pires que celle qui était prévue en août 2013 et qui n’eut pas lieu : aucune certitude sur la responsabilité de l’attaque et quelques signes évidents de l’habituel false flag, l’absence complète d’intérêt tactique jusqu’à l’absurde de la Syrie de réaliser une telle attaque au moment où les USA venaient de modifier leur position vis-à-vis d’Assad, la situation vérifiée (par l’ONU, la Russie et les USA) du désarmement chimique de la Russie depuis 2013, une information biaisée par des filières connues depuis longtemps comme très-douteuses, aucune vérification d’aucun élément dans les circonstances, aucune légalité internationale, quasiment aucune consultation réelle mais quelques notifications préventives ici et là, un climat absolument plongé, noyé dans l’hystérie et l’affectivisme, etc. (On y ajoutera des considérations objectives : la présence des Russes, l’aide indirecte apportée à Daesh et les autres bandes que Trump prétend détruire, et un encouragement direct à poursuivre plus que jamais, le déchaînement belliciste des acteurs qui ont été peu ou prou disciplinés par les Russes : Israël, la Turquie, l’Arabie, etc., et chacun bien entendu avec des buts différents qui vont rallumer ou aggraver les affrontements, etc.)

Le premier constat paradoxal est que Trump a entièrement justifié l’une des principales critiques de ses adversaires durant la campagne USA-2016, résumée par cette question suprême : “Peut-on laisser à un homme aussi impulsif la responsabilité de détenir la décision suprême de l’utilisation de l’arme nucléaire ?”. Le paradoxe, qu’on peut aussi qualifier de “complot“ mais encore faut-il voir sur quoi il débouche sinon sur le nihilisme destructeur du Système avec les effets négatifs en retour probables (blowback), est que ce sont les pressions de ceux qui dénonçaient cette impulsivité qui ont suscité cette impulsivité. On dira donc que, finalement tout se passe comme s’il s’agissait d’une manœuvre complotiste à laquelle Trump s’est prêté sans la moindre réflexion politique et stratégique ; que cette manœuvre, notamment et paradoxalement, renforcera le dossier contre Trump, – car, c’est ma conviction absolue que cette attaque, même si elle est approuvée par principe belliciste et affectiviste par ceux qui veulent sa chute, ne désarmera en rien la haine contre Trump ; au contraire, elle l’attisera, et les critiques absolument contradictoires de ces mêmes adversaires bellicistes et anti-Trump vont pleuvoir, pour le pousser encore plus dans l’impasse de politiques complètement irréfléchies. (Pourquoi a-t-il agi d’une façon si impulsive, sans consulter le Congrès ? Pourquoi n’a-t-il pas frappé plus fort ? Pourquoi ne continue-t-il pas à frapper ? A quoi sert-il de frapper si l’on n’a pas de stratégie de regime change et, s’il vous plaît, illico presto ? Et ainsi de suite.) (**)

Ce dernier point de la haine anti-Trump va évidemment complètement, – et là encore, c’est ma conviction, – contre la possibilité qu’il voit lui-même dans cette attaque d'une façon de rétablir sa position et d’établir son autorité ; par ailleurs, et ce n’est pas rien, il est en train de perdre à une très grande vitesse le soutien de ceux qui l’ont conduit à la victoire du 8 novembre. Il affirmera peut-être : “Au moins, les Syriens vont cesser leurs attaques chimiques”. C’est assez juste stricto sensu puisque ce n’est probablement pas eux qui ont fait cette attaque, – mais cela, en attendant le prochain false flag, non ? Ou bien en guettant les résultats, – excellent travail, certes, – de la relance de l’attitude offensive de Daesh grâce aux frappes US, oui ? Pour ajouter un peu de sel sur la pérennité des jugements de ces gens parmi lesquels il faut désormais le placer, on observera que Trump aurait aussi bien pu se référer à cette série de tweets diffusés lors de l’alerte de 2013, dans des circonstances quasiment identiques sinon le recul d’Obama à propos duquel on est obligé de reconnaître qu’il a cédé aux circonstances plus qu’il ne les a ignorées comme Trump, – une série de tweets de l’époque, qu’on retrouve un peu partout en citation, comme un rappel tristement ironique, comme celui-ci par exemple :

« Donald J. Trump@realDonaldTrump : What will we get for bombing Syria besides more debt and a possible long term conflict? Obama needs Congressional approval. 8:14 PM - 29 Aug 2013. »

L’extraordinaire rapidité de la dissolution de l’administration Trump alors qu’elle n’est même pas encore constituée reçoit avec l’événement de cette nuit un fameux coup de pouce ; cela, même si cette événement est interprété comme une victoire de ses adversaires (appelez-les comme vous voulez : Deep State, neocons, bellicistes sociétaux-progressistes et globaliste dont on apprend avec une surprise accablée sinon épuisée car qui peut savoir le vrai dans ce cloaque de la post-Vérité que sa fille Ivanka et son gendre en font partie), ce développement ne laisse nullement deviner une situation nouvelle nettement tranchée (au choix : Trump prisonnier ou Trump éliminé) ; parce que, par rapport à hier, rien, absolument rien n’a changé et le Deep State est plus fracturé que jamais, avec ses obsessions et ses hystéries pathologiques de la psychologie. Le résultat, c’est du désordre, encore plus de désordre, toujours plus de désordre.

Du côté russe, l’action de l’administration Trump pourrait bien faire évoluer décisivement la situation profonde et à terme du pays, avec la possibilité d’effets plus rapprochés selon la voie choisie. C’est-à-dire qu’elle placerait éventuellement Poutine devant une singulière alternative électorale : durcir sa position et sa politique, avec effets militaires, s’il veut être réélu en mars 2018 (dans onze mois) ; ou nous préparer à voir surgir un dur nationaliste éventuellement incontrôlable, type-Jirinovski, ou certainement inflexible, type-Rogozine, ou encore quelque général décidé au pire.

Dans quelque sens qu’on se tourne, c’est la surpuissance du Système qui gronde, sans aucun espoir de stabilisation et avec de multiples possibilités de conflits. Dans ce cas, l’automatique autodestruction qui suit aussitôt laisserait des traces profondes sur la situation du monde. Il ne reste plus qu’à espérer dans la capacité infinie des directions-Système de se déchirer entre elles, dans une atmosphère si totalement dépourvue de mesure et de logique, et complètement emportée par l’hystérie et l’affectivisme.

 

Notes

(*) Citation, pour mon cas et renseigner mes lecteurs sur cette position irréfragable, à toujours avoir à l’esprit : « Puisque les événements vont très vite, beaucoup plus vite que nul ne peut imaginer, tentons de les suivre non pas pour les expliquer, ce qui supposerait d’en être en partie les instigateurs, mais de les comprendre comme un observateur extérieur qui ne peut rien pour les modifier. Il y a longtemps que je ne peux me départir du sentiment que “les événements”, – expression passe-partout pour figurer la dynamique de la Grande Crise Générale de l’effondrement du Système, – sont totalement détachés de nous, hors de notre contrôle, qu’ils ont leur propre logique et j’irais même jusqu’à dire comme pour les personnaliser en un être leur propre essence. Je ne peux donc être que cet “observateur extérieur qui ne peut rien pour les modifier”. »

(**) Par exemple, BBC.News estime que Trump est “au moins en partie” responsable de l'attaque chimique lancée sûrement (quoique ce ne soit pas établi) par Assad, parce qu'il n'a pas attaqué Assad dès les premières dsemaines de son entrée en fonction.