Militarisation de la frontière ou militarisation de la crise?

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Militarisation de la frontière ou militarisation de la crise?

15 mai 2006 — Ce soir, GW Bush doit faire un discours où il devrait annoncer la possibilité de déployer des unités militaires le long de la frontière mexicaine, pour lutter contre l’immigration clandestine. Il s’agit essentiellement de la Garde Nationale mais il n’est pas exclu que l’on fasse plus tard appel à l’U.S. Army régulière. Dans tous les cas, la mesure est par avance recommandée par les parlementaires, comme le montre un vote (252-171) de la Chambre, il y a quatre jours. Le Washington Times annonce l’initiative, qui est une rupture dramatique de la politique gouvernementale, de cette façon : « President Bush is looking at ways for the military to play a broader role along the U.S.-Mexico border and will announce new immigration initiatives in a prime-time address from the Oval Office on Monday night.

» “We are looking at all options as we continue to do the best we can to help secure the border,'' one senior administration official familiar with the details of Mr. Bush's speech told reporters yesterday, speaking on the condition of anonymity. [...)

» “It is difficult to immediately create thousands of new border guards,” the official said. “There is so much capability that resides in the National Guard that that's everybody's first choice. We are examining options, and that is the stage we are in right now. The question is not so much one of numbers, but of capabilities.”

» The possible National Guard roles: joining the Border Patrol on patrols, especially at known points of entry for illegal aliens, constructing or improving roads used by border agents and aerial surveillance. Still to be worked out is whether the governors or the president would command the fresh troops, and whether federal money would fund the missions. Guard troops are under the control of state governors, until activated by the Pentagon. Some governors already have activated Guard units for border duty, but typically the chief executives guard their prerogative to control troops in their states. [...]

» But increasing the military's role is a shift of sorts for the administration. Just last month, commenting on the Senate debate, the administration said it was “concerned” about provisions in the Senate that would “require increased use of military surveillance assets in controlling the U.S. border to prevent illegal immigration.” Still, using the military is a popular option among many lawmakers and the public. A Time magazine poll last month found 62 percent support for using the military to guard the border. »

Pourquoi cette orientation nouvelle du gouvernement? Les sondages, bien entendu, dans la perspective d’élections (novembre prochain) qui s’avèrent catastrophiques pour les républicains. La majorité des Américains favorisent cette mesure de la militarisation des frontières. Une écrasante majorité désapprouve l’actuelle politique des frontières (contre l’immigration clandestine) du gouvernement, et sa politique de l’immigration en général : « The president is facing abysmal ratings on the issue. A Zogby poll released last week found just 9 percent of those surveyed approved of Mr. Bush's handling of border security, and his handling of immigration overall was only slightly better, at 13 percent approval. »

L’attitude des Américains vis-à-vis de l’immigration (essentiellement mexicaine et latino) s’est très fortement durcie ces derniers mois. Quelles que soient ses intentions par ailleurs, Bush doit suivre parce que sa position de faiblesse générale ne lui permet aucune résistance à cette sorte de poussée. Il n’y a plus vraiment de gouvernement dans cette affaire, mais une politique directement inspirée des sondages. Les décisions, ou recommandations attendues ce soir constituent une incontestable dramatisation de la crise de l’immigration, avec la force symbolique considérable de la militarisation du problème.

Cette dramatisation intervient au moment où la communauté latino se manifeste puissamment aux USA, et bien entendu ceci n’est pas sans rapport avec cela. Dans l’interprétation du mouvement, — mouvement de masse sans guère de précédent, lui aussi, — on trouve également une radicalisation et une dramatisation.

Par exemple, lisez l’interprétation du militant des droits civiques Brian Kwoba, le 12 mai dans “CounterPunch”. On y voit que sa réflexion va évidemment vers une très forte politisation du mouvement.

« Because the immigrant rights movement is so predominantly working-class, it can provide an even wider basis for struggle around key political questions. For example, it can be linked to the struggle against the war in Iraq, whose victims (Iraqi and American alike) are predominantly working-class, and thrust into combat because of the economic and military consequences of the US-dominated world order. It can also be linked to the struggle for reproductive rights, whose beneficiaries are predominantly poor and working-class women, particularly Latinas (among other minorities). It can be linked to the African-American struggle for justice on the basis of unity against racism and resistance to prison-industrial-complex-style militarization, which attempts to control both populations.

» If the immigrant rights movement is also indeed a revolt against the effects of ‘free trade” NAFTA-style policies, then it could conceivably develop into a struggle against corporate globalization and neoliberalism itself-in the primary offending country, for that matter.

» Significantly, these ideas are not lost on the migrant workers in the streets. In LA, for example, despite the media's focus on flag-wavers to the exclusion of political messages, there were home-made signs saying “Are our troops in Iraq illegal too?” and “Your Foreign Policy Brought Me Here.” If those workers don't represent the inspiring potential for a radical challenge to neoliberalism and imperialism inside the movement, we'd have to be politically impotent. Or Democratic Party enthusiasts.

» The masses of undocumented workers in the streets can lead the revival of a new left, and one that is even broader and more labor-radical than what came out of this country in the 1960s. For the first time in decades, millions of people celebrated May Day in the US, for heaven's sake! Of course the political, economic, and social conditions today are very different from 40 years ago. For example, global warming now threatens life as we know it, so the stakes are far higher. But the immigrant workers movement taking to the streets has shown that the once-in-a-long-time opportunity for transformative change is returning. We need to throw ourselves into it with all the energy we can muster. »

Bien sûr, on retrouve dans cette orientation de la militarisation de la défense des frontières contre l’immigration mexicaine les ingrédients habituels d’une crise grave poussée vers son paroxysme. Le recours aux militaires, d’ores et déjà appuyé sur le précédent de Katrina, représente le réflexe habituel de l’administration GW et des USA aujourd’hui, en général dans des occurrences où aucune solution n’est en vue. Sans préjuger des résultats de cette mesure, le fait même de la militarisation implique de nombreux problèmes.

• Il y a le problème des moyens. Les troupes régulières, les réserves et la Garde Nationale sont d’ores et déjà à la limite de leurs capacités avec l’Irak et le reste, avec un budget du Pentagone pourtant colossal de $512,7 milliards. Où et comment trouver des moyens supplémentaires?

• Pour l’instant, le recours à la seule Garde Nationale semble favorisé, mais si la situation ne s’améliore pas, le réflexe sera, comme toujours, d’amener de nouvelles forces et de passer à des forces régulières. Le même problème avait été envisagé dans les années 1982-84 et l’on avait alors calculé qu’il faudrait un contingent de 400.000 à 500.000 hommes pour boucler une frontière de plusieurs milliers de kilomètres. Même si les conditions sont différentes (avec déjà des dispositions “de défense ” des frontières importantes, l’engrenage habituel, l’ampleur du problème et les habitudes US font que nous nous dirigerons rapidement vers un déploiement important, voire massif. Tous les problèmes évoqués ici en seront aggravés.

• Il s’agit d’un pas de plus vers la militarisation interne de l’Amérique, un pas de plus vers une hostilité grandissante de la population à l’encontre du pouvoir central (même si la population est par ailleurs favorable à la militarisation des frontières : il y a les deux manières de percevoir la mesure, et ces deux manières cohabiteront pour influer sur le jugement).

• Le mouvement interne US des immigrants clandestins et de la communauté des latinos, comme il s’est manifesté ces derniers mois, doit également être influencé par cette mesure dans le sens d’une radicalisation. La militarisation des frontières porte en soi une démarche de méfiance, voire d’hostilité à l’encontre des immigrants.

• Les rapports implicites et fondamentaux entre les USA et le Mexique vont être aggravés par la militarisation. Celle-ci va être perçue, quelles que soient les intentions des uns et des autres là encore, là aussi comme un acte de méfiance, voire un acte hostile. Question inévitable : la mesure va-t-elle influencer l’élection présidentielle très importante du 2 juillet, avec notamment le candidat proche de la ligne Chavez, Obrador? Comme d’habitude, la chronologie de la décision, par une direction américaine qui ne se soucie guère des situations extérieures, est catastrophique. Mais aussi, répétons-le, il n’y a plus de direction, il n’y a plus que les sondages.