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620Le président géorgien Mikhail Misha Saakachvili est un cas remarquable pour illustrer, expliquer et comprendre la situation et l’évolution de la politique du monde, – c’est-à-dire, s’il y a quelque chose à comprendre, espérer y comprendre quelque chose... Dans Ouverture libre de ce même 2 juillet 2010, nous avons réuni un certain nombre de références illustrant et documentant le récent parcours politique de Misha ; aujourd’hui, proche de la Turquie et de l’Iran, fervent soutien de l’accord Turquie-Brésil-Iran du 17 mai répudié par la “communauté internationale”, ce qui implique effectivement une considérable évolution par rapport à ses extases éminemment démocratiques et américanistes des années 2003-2008.
@PAYANT Il faut tout de même rappeler que lors de la riposte des Russes à l'attaque géorgienne en Ossétie du Sud, avec l’entrée en Géorgie de leur XVIIIème armée, et cela il y a moins de deux ans, tout le monde chuchote que les USA sont derrière l’attaque géorgienne mais, aussi et surtout pour notre propos, que des “conseillers” israéliens ont à peine eu le temps de quitter la Géorgie avant l’attaque russe. Et l’on renchérit en précisant que ces “conseillers” sont là au nom d’une entente entre la Géorgie et Israël qui implique l’aménagement de bases aériennes en Géorgie par la force aérienne israélienne, pour leur utilisation par cette même force aérienne dans le cas d’une attaque d’Israël contre l’Iran et sa terrible menace nucléaire qui fait trembler le monde. Cela permet de mesurer le chemin parcouru, à l’heure où Misha devrait recevoir le président iranien un de ces prochains mois.
Faut-il en vouloir à Misha et, une fois de plus, le vilipender comme, nous-mêmes, nous nous sommes rarement empêchés de le faire ? Tout le monde sait le garçon roué, corrompu, matamore et arrogant, manipulateur des mots et des urnes, menteur comme un singe et malin comme un arracheur de dents, et ainsi de suite. So what ? Qu’est-ce qui, chez nous, dans le bloc américaniste-occidentaliste, dans son fonctionnement, dans ses us et coutumes, nous autoriserait à lui faire la leçon ? D’ailleurs, c’est nous qui l’avons fait puisqu’il est une créature des neocons, lesquels tiennent le haut du pavé de la pensée made in boulevard Saint-Germain, rive gauche brusquement passée à droite, ou vice-versa qu’importe ? Cela pour dire qu’il y dans les virevoltes de Saakachvili plus de quoi se réjouir que de s’exclamer au nom de la morale.
…Quelle morale, au reste ? Car s’il y a bien quelque chose que Saakachvili nous démontre tambours battants, c’est qu’il se fout du tiers comme du quart de nos discours dont nous nous croyons obligés d’enrober nos pensées discrètes et nos desseins secrets, notre arrogance parfumée et notre suprématisme de bon ton. Le plus bel effet de manche de Saakachvili dans cette affaire, lui qui fit partie de l’entreprise de diabolisation occidentaliste des années 2003-2008, circa-GW, c’est un superbe bras d’honneur à la susdite diabolisation puisqu’il invite le diable-en-chef du jour, l’Hitler de notre plan quadriennal de moralisation du monde, l’Ahmadinejad au fameux discours caviardé par nos soins pour paraître comme le Mein Kampf postmoderniste dans nos beaux quartiers. Ainsi Saakachvili réduit-il, pour ceux qui en doutaient encore, l’entreprise occidentaliste de diabolisation à sa juste et piètre mesure.
Dans tous les cas, la course de Misha permet de mesurer les reclassements effectués en moins de deux ans, notamment dans le chef des USA et de la Russie.
• Les USA ont totalement abandonné leurs entreprises de pénétration en Europe de l’Est vers la Russie. Le texte du réseau Voltaire mentionne les réactions de l’ambassade US à Tbilissi, qui sont du type : “La Géorgie ? Laquelle ? Gone with the wind.” Les explications des Géorgiens pour faire survivre l’idée d’une relation active avec les USA en même temps qu’ils sont en train de copiner avec l’Iran a la consistance standard de la bouillie pour les chats. En fait, il n’y a strictement aucune réaction notable des USA, qui semblent avoir éliminé purement et simplement la Géorgie de leur écran radar. Cela, venant après la visite tonitruante du vice-président Joe Biden dans le pays en juillet 2009, mesure parfaitement la vitesse du désintérêt US pour la région des frontières de la Russie, et la capacité de mémorisation de la diplomatie de Washington. Les neocons suivent le mouvement, s’ils ne l’ont précédé. Le parcours de Saakachvili est une confirmation sérieuse du complet changement de “politique” US en fonction de l’absolue priorité donnée à de bonnes relations avec la Russie.
• La Russie est dans une étrange position, mariant à la fois sa position de défense active de l’époque allant jusqu’en 2008 et s'affirmant notamment par son hostilité sans concessions à l'encontre de Saakachvili, et sa nouvelle politique de défense de ses intérêts dans le cadre d’une “communauté internationale” apaisée à son égard. Elle conserve une vigilance hargneuse contre la Géorgie mais montre également que son distanciement de l’Iran marqué par le vote des sanctions à l’ONU représente une incurvation réelle de sa politique. L’Iran est devenu une fréquentation-“limite” pour Moscou.
• La Turquie mérite une mention particulière par la multipolarité de sa politique étrangère, puisque ce pays parvient à être en excellents termes à la fois avec l’Iran, la Géorgie et la Russie, sans interférences majeures entre tous ces liens, mais sans préférence exclusive non plus. On ne parle ici que du théâtre régional Mer Noire-Caspienne-Caucase, les problèmes de la Turquie avec Israël et les USA dépendant clairement d’un autre théâtre, qui est celui du Moyen-Orient arabe, avec la question palestinienne en son cœur.
Ces remarques n’impliquent aucun ordre ni aucun reclassement. Il n’y a plus de lignes de force précises, ni de pressions géopolitiques impératives. L’apparence d’ordre antagoniste du temps de GW Bush a complètement volé en éclat. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer l’attitude hostile de la Russie vis-à-vis de l’entente Géorgie-Iran en songeant aux embrassades Moscou-Varsovie prolongées jusqu’à Berlin-Paris, et se rappelant qu’en août 2008 le défunt président polonais se précipitait héroïquement à Tbilissi alors que les chars russes envahissaient le nord-est du pays… Les virevoltes de Saakachvili ont donc moins l’allure de manigances d’un nouveau style que celle des conséquences du désordre qui se généralise. Même les schémas constituant des alternatives au bloc occidentaliste-américaniste, comme le bloc du BRIC avec la Turquie qui semblait avoir toute sa valeur il y a un an, perdent de leur substance potentielle à une vitesse accélérée dans ce désordre. La montée des crises non-politiques provoque des effets politiques complètement indirects qui accentuent ce désordre (la catastrophe du oil spill montre combien la question du pétrole, sous quelque angle qu’on la considère, suscite moins des enjeux et des conflits politiques et géopolitiques directs que des désordres psychologiques et politiques transnationaux, d'une forme indirecte). Bien entendu, tout cela se fait sur le fond d’un effondrement accéléré des capacités de puissance et d’influence autant de l’Europe en tant que membre du bloc occidentaliste, que des USA. Tous ces grands pays “modèles” de la postmodernité sont dans un état de paralysie complète du pouvoir, c’est-à-dire de l’énergie et de l’intelligence de leur puissance réduite de plus en plus à un état statique favorable à la décrépitude. Leur poids paralyse certains processus qui pourraient permettre la recherche d’un certain rétablissement d’un ordre quelconque (même en partie en leur faveur, d’ailleurs), leur impuissance fait le reste.
La crise générale du monde brûle des étapes pour se rapprocher des conditions idéales de diffusion d’une déstructuration générale d’un “ordre” dont on sait que la finalité est évidemment, elle-même, complètement déstructurante. Dans ce cadre, les divers Saakachvili semés par le régime précédent dominé par les intrigues des réseaux extrémistes du système perdent leur pouvoir de nuisance et deviennent des acteurs comme les autres, d’ailleurs presque sympathiques à force de rouerie madrée et sans aucun frein, et évidemment à la recherche d’arrangements opportuns qui leur assurent des rentes de sécurité à très court terme. Il n’y a plus aucune organisation structurée dont on puisse dire qu’elle répond à un dessein général, de type du “complot d’influence” ou approchant. Le destin de Saakachvili, même à cette étape qui n’est sans doute pas le terme de sa carrière, ferait un bon film biographique à Hollywood. Malheureusement, les USA ne savent plus que la Géorgie existe, – sinon celle de Scarlett O’Hara et de la marche fameuse et civilisatrice du général Sherman.
Mis en ligne le 2 juillet 2010 à 14H19
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