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337Misha Saakachvili est venu à Londres, vendredi dernier, dire son mécontentement que la vente du Mistral à la France semble aller de l’avant. On peut éventuellement comprendre pourquoi le président géorgien ait choisi la capitale britannique pour s’exprimer dans ce sens. On peut certainement douter qu’exprimer ainsi son mécontentement en ce lieu, alors que la vente semble de plus en plus une chose acquise, soit particulièrement d’habile politique.
EUObserver du 20 février 2010 nous fait rapport de la colère du président géorgien et de l’avertissement politique qu’il lance à l’Europe.
«Georgia […] warned Europe against a proposed French sale of warships to Russia, as it would allow Moscow to invade any former Soviet republic “within hours,” echoing concerns raised by Baltic leaders that the deal is in breach of an EU code on arms trade.
»During a visit to London, President Mikheil Saakashvili said that the warship sale was “very risky” and would “reward” Russia's continued military presence in Georgia's breakaway provinces, in violation of a French-brokered ceasefire agreement after a brief war in 2008. […]
»Mr Saakashvili said that if Russian Prime Minister Vladimir Putin “gets tanks, ships, missiles – technology which he's also shopping for- then we are getting into a very, very risky zone.” He added that Georgia has had an “informal exchange of opinions” with Paris about the warship deal but hadn't made an official protest.
»The Georgian leader also referred to remarks made last year by admiral Vladimir Vysotsky, the commander of Russia's navy, who said that if his country had such a ship in 2008, it could have won the war against Georgia “in 40 minutes instead of 26 hours.”
»Selling assault ships to a “revisionist power that might become revanchist” was extremely risky, he said. Vladimir Putin was now searching for a new conflict to underpin his bid to recapture the Russian presidency in 2012, Mr Saakashvili claimed…»
A propos de la question abordé par Saakashvili, de sa contestation de la vente qui s’adresse directement à l’Europe (et non à l’OTAN), au nom des “normes” de restrictions et de transferts d’armements de l’UE, le même article observe ceci:
«There is no EU law governing arms sales by member states. But in 2008 the bloc adopted a political commitment not to sell weapons or components to countries which violate human rights, pose a risk to regional stability or hurt the security interests of EU allies. The code was signed into life by the French EU presidency four months after the Georgia war.
»“Having in mind the unpredictability of Russian politics, we cannot exclude that this military equipment may be used for illegitimate purposes inconsistent with our values and principles,” Lithuanian defence minister Rasa Jukneviciene told EUobserver.»
@PAYANT L’attaque de Saakachvili, évidemment coordonnée avec les trois pays baltes membres de l’UE (mais eux seuls, semble-t-il), marque clairement l’affaiblissement du dossier de ceux qui veulent s’opposer à cette vente de ce système d’arme français, le Mistral, à la Russie – au moment, qui plus est, où cette vente est pratiquement acquise et pourrait passer de une à quatre unités. Il n’est plus guère question de références à l’OTAN, ce qui indique sans aucun doute une très faible réaction de l’OTAN et une volonté de cette Organisation, qui a déjà affirmé sa neutralité à l’une ou l’autre reprise, de ne s’impliquer en aucune façon dans cette affaire. De même, tout tend à montrer que l’écho aux USA des arguments des contestataires de la vente semble faible et de pure forme, sinon il y aurait une position de l’OTAN différente sous la poussée des USA. En ce moment, les USA ont d’autres préoccupations.
Le choix de Saakachvili (et des pays baltes) de mener la bataille, manifestement d’arrière-garde, en privilégiant le terrain des règlements et conduites au sein de l’UE confirme cette situation. Or, il s’agit d’un domaine non pas formel mais d’évaluation, puisqu’il s’agit d’affirmer que la Russie est imprévisible, viole les droits de l’homme et met en péril la stabilité de la région. La définition irait certainement mieux, sans aucun doute pour la question de l’imprévisibilité et de la menace de la stabilité, aux USA qu’à la Russie. C’est dire si la cause a bien peu de chance de rencontrer quelque succès, sans le soutien de la moindre contrainte formelle; par contre, si elle continue à être plaidée comme elle l’est, elle introduira au sein de l’UE des situations d’antagonisme, voire de rupture, où les petits pays de l’Est se trouveront rapidement isolés. (Ils le sont déjà de facto, en n’étant guère soutenus dans leur démarche, même pas les autres pays de l’Est de l’UE, simplement parce que l’humeur générale n’est pas de chercher des noises à la Russie, ni à la France pour cette question, et au contraire de tenter à tout prix d’établir de meilleures relations avec la Russie.)
Tout cela nous confirme que Saakachvili, comme ses amis de l’Est dans l’UE, sont peut-être des tacticiens de la manipulation dans certains cas mais qu’ils manquent évidemment de sens stratégique. En insistant pour tenter de bloquer une affaire pratiquement conclue, ils contribuent largement, par pression indirecte, à donner un grand sens politique à cette affaire par l'écho médiatique de la chose. Ils contribuent à achever la transformation d’une question de transfert d’armement en une entente stratégique majeure entre la France et la Russie.
(On rappellera, de plus, que les intentions des deux partenaires ne semblent pas s’arrêter là, surtout du côté russe où l’on envisage l’achat d’autres systèmes d’arme à la France, notamment terrestres. Cela renforcera évidemment l’interprétation stratégique de liens nouveaux entre les deux pays, dans un domaine qui prendrait aussitôt le caractère d’une entente politique de sécurité paneuropéenne d’une grande importance. Au contraire de Saakachvili, certains, plus réalistes comme le sont les Britanniques, semblent comprendre cela et comprendre également qu’au stade où l’on en est, la seule tactique à suivre est de tenter de faire que le rapprochement franco-russe soit noyé dans un rapprochement général avec la Russie par une poussée vers l’entrée de la Russie dans l’OTAN. De ce point de vue, le choix de Saakachvili d’intervenir à Londres dans le sens où il le fait est complètement à contretemps. Cela aurait eu un sens en 2006 ou en 2007, cela est complètement contre-productif aujourd’hui.)
Ainsi, les événements, surtout marqués par des visions archaïques de certains acteurs mineurs à qui l’on donna une importance disproportionnée pendant la période de manipulation intense des années Bush, tendent à jouer un rôle objectif d’accélération des reclassements stratégiques en Europe. Cela est d’autant plus possible que les USA, où nul n’ignore plus que le gouvernement est paralysé dans une situation intérieure bouillonnante, avec une crise qui menace désormais de toucher la politique de sécurité nationale, tendent à devenir un acteur de plus en plus effacé dans la problématique de la sécurité européenne. En un sens, on peut observer que, pour la première fois, d’une façon convaincante, le rôle du président géorgien prend une certaine importance en contribuant, dans le sens exactement opposé à celui qu’il recherche, à une évolution des affaires européennes. Saakachvili sert donc à quelque chose.
Mis en ligne le 23 février 2010 à 06H02
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