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458Maintenant que les dirigeants polonais sont, comme des grands, à la tête de plusieurs crises européennes, il va leur falloir mesurer avec attention tous leurs propos. Il va leur falloir mesurer tous leurs propos en songeant qu’un propos estimé favorable au niveau intérieur peut leur être défavorable à l’extérieur, que l'ambiguïté est maîtresse dans ces crises européennes où tout se fait en double jeu et en triple langage.
Ainsi des systèmes anti-missiles que le Pentagone projette de déployer en Pologne, avec une station-radar complémentaire en Tchéquie. Une dépêche de l’agence Novosti, reprise par Spacewar.com ce 27 février, rapporte notamment des déclarations du Premier ministre polonais, le 20 février qui sont destinées à justifier le choix favorable aux anti-missiles des dirigeants polonais, aux yeux de l'opinion intérieure (qui est défavorable à ce choix).
«However, the Polish prime minister said February 20 that the deployment of a U.S. anti-missile base in the country would guarantee that Warsaw would no longer be under Russia's sphere of influence.
»“We are talking about the status of Poland and about Russia's hopes that Poland will once again come under its [Moscow's] sphere of influence,” Jaroslaw Kaczynski said.
»The premier said such a situation could involve exercising influence on Poland, exerting direct pressure on it, or creating a situation in which dealing with Moscow becomes Poland's only recourse.
»“But following the deployment of a missile defense base here, the chances of such undue influence arising will be greatly reduced for at least several decades,” Kaczynsky said.»
Le jumeau Jaroslaw doit donc apprendre que la question des anti-missiles, qui suscite un contexte de crise très semblable à celui de la crise des euromissiles (1977-1987), mélange d’une façon dramatique et mortelle les questions complexes de quincaillerie et les questions les plus aiguës de politique. Lorsqu’on débat sur les anti-missiles, que les Russes dénoncent les Américains parce qu’ils déploient des systèmes anti-missiles qui peuvent affecter leurs propres systèmes stratégiques offensifs, que les Américains répondent que c’est absurde parce que leurs systèmes anti-missiles ne concernent que les systèmes stratégiques potentiels d’Iran ou de Corée du Nord, il y a un corollaire politique. Les Américains impliquent que leur neutralité est également politique. Leurs systèmes anti-missiles n’ont rien à voir avec la situation stratégique européenne, donc ils n’ont rien à voir avec l’influence US en Europe. Et voilà le jumeau Jaroslaw qui affirme le contraire.
Grave erreur. En disant ce qu’il dit, le jumeau Jaroslaw implique que les anti-missiles US ont un poids politique en Europe. Par conséquent, le soupçon stratégique que les Russes portent sur leur installation et sur leur destination, même s’il est complètement infondé en réalité du point de vue opérationnel, est absolument fondé d’un point de vue politique (cela ouvre la porte à toutes les hypothèses pour le futur d’un point de vue opérationnel).
Certes, les jumeaux peuvent dire que tout cela n’est que briser une apparence convenue et qu’ils n’ont fait, pour leur compte, que rendre compte de la réalité. Dans ce cas, qui est vrai autant qu’il est pendable, les Russes peuvent répondre que, pour eux, c’est la même chose : en dénonçant les entreprises US et les complicités polonaises, ils ne font que dire tout haut ce que tout le monde chuchote. Ainsi voit-on, avec cet exemple, ce que recèle cette situation lorsqu’elle est appréciée dans toute sa pureté presque vertueuse : une poussée d’influence US là où cette influence existe déjà, suscitée essentiellement par un membre de l’UE et de l’OTAN d’ores et déjà sous la coupe des USA, débouchant sur une crise stratégique majeure et explosive.
Le couple Varsovie-Pentagone n’a pas fini de faire parler de lui. Avec l’habileté cumulée des jumeaux et de la bureaucratie du Potomac, on peut prévoir un bon 80-90% de malchances que la crise éclate. L’aveuglement des deux parties sur les perspectives et les effets de leurs actes et décisions est remarquable.
Mis en ligne le 28 février 2007 à 05H02
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