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1603Le terme “overhead” désigne en langage bureaucratique “le temps passé par un système à ne rien faire d’autre qu’à se gérer lui-même”. Quelle proportion du budget de la défense US (en comptabilité officieuse, proche des $1.200 milliards l’an) est consacrée aux activités et dépenses overhead ? Dans un bref commentaire pour DoDBuzz, le 29 juillet 2010, l’une des vedettes des “réformateurs” du Pentagone, Winslow Wheeler, du Center of Defense Information, la situe à largement plus de 50% à partir d’une référence précieuse mais pas assez fameuse, du discours du 10 septembre 2001, de Donald Rumsfeld.
«In his September 10, 2001 (alas, not to be) swan song speech, Donald Rumsfeld asserted that 50 percent of DoD spending was overhead. The money gusher that started the next day can only have increased that percentage…»
@PAYANT Comme on le voit, Wheeler qualifie curieusement ce discours de Rumsfeld de “chant du cygne” de ce secrétaire à la défense-là, ce qui semble simplement suggérer que, selon Wheeler, la carrière de Rumsfeld s’est arrêtée là, – disons, la carrière “sérieuse”, le reste s’étant perdu dans les folies de 9/11 et la suite. Le jugement est assez juste. Il est vrai que Rumsfeld, durant ses neuf premiers mois au Pentagone (janvier-septembre 2001), s’était lancé dans un combat furieux et, finalement, désespéré pour tenter d’assainir le fonctionnement du Pentagone. Ce discours du 10 septembre 2001 restera dans les annales comme l’un des plus courageux et des plus prémonitoires qu’ait prononcés un secrétaire à la défense. A cet égard, Rumsfeld est le secrétaire à la défense qui avait approché avec le plus d’énergie le problème de la réforme radicale du Pentagone, au point de collectionner les ennemis en septembre 2001, alors que ses premiers mois avaient été marqués par de remarquables tentatives d’affirmation de son autorité qui lui avaient valu beaucoup d'encouragements. En septembre 2001, Rumsfeld avait contre lui le Congrès, la hiérarchie militaire et la bureaucratie du Pentagone. Le discours du 10 septembre (9/10) semblait annoncer une offensive majeure et radicale contre Moby Dick…
Le discours du 10 septembre 2001 est “prémonitoire”, parce que Rumsfeld explique bien que le premier danger, qui menace les USA et leur sécurité nationale, c’est la bureaucratie du Pentagone et son activisme incontrôlable, – mais nous dirions aussi le “vrai danger” en plus du “premier danger”, en fonction de ce qui s’et passé le lendemain et de ce qui en fut déduit. (Rumsfeld le 10 septembre 2001 : «Perhaps this adversary sounds like the former Soviet Union, but that enemy is gone: our foes are more subtle and implacable today. You may think I'm describing one of the last decrepit dictators of the world. But their day, too, is almost past, and they cannot match the strength and size of this adversary. The adversary's closer to home. It's the Pentagon bureaucracy…») Assez curieusement ou bien d’une façon très révélatrice, parlant à ses auditeurs, justement des employés du Pentagone, Rumsfeld leur dit : “pas vous…”, alors qu’il parle à des membres de la bureaucratie du Pentagone. («Not the people, but the processes. Not the civilians, but the systems. Not the men and women in uniform, but the uniformity of thought and action that we too often impose on them.») Rumsfeld sous-entendait ainsi, volontairement ou pas, qu’il parlait d’un système quasiment autonome, le Pentagone, ou Moby Dick selon le secrétaire à la défense Cohen en 1998. Quoi qu’il en soit de son rôle dans 9/11 et après, Rumsfeld, selon Wheeler, est mort le 10 septembre 2001 en tant que secrétaire à la défense qui tentait quelque chose pour prendre d’assaut la forteresse du Pentagone. Dès le lendemain, il était emporté par la folie de la Guerre contre la Terreur, avec des dépenses de défense réelle qui, en neuf ans, ont quasiment quadruplé à partir d’un budget d’un peu plus de $300 milliards en 2001. Effectivement, depuis Moby Dick a pris ses aises.
Il est manifeste que Wheeler situe aujourd’hui les dépenses overhead du Pentagone largement au-delà des 50%, sans doute autour de 70%. La situation a atteint et très largement dépassé le point critique de la rentabilité, ce qui fait qu’aujourd’hui tout apport d’argent neuf ne fait qu’accroître la proportion et le volume des dépenses overhead. (Idée qu’on retrouve, par exemple, dans cette remarque : «The defense luminaries […] ignore the fact that more money, generously applied — for the last 10 years especially — has made the equipment inventory both smaller and older….»)
Il est bon d’en revenir parfois aux “fondamentaux”. Ce chiffrage de l’overhead du Pentagone, qui comprend bien entendu les gaspillages, les redondances, les corruptions, etc., mesure non seulement le degré d’inefficacité du système de l’américanisme, l’inefficacité chronique et en constante accentuation des forces, mais aussi, probablement, l’impossibilité de réformer, ou de changer le Pentagone à moins de la détruire dans la forme où il se trouve. Sa destruction n’est concevable que dans le cadre de la destruction du système de l’américanisme, passant également par l’abandon de la politique extérieure qui a installé, avec ses bases, ses traités, ses “coopérations”, etc., une paradoxale structure de déstructuration.
Winslow Wheeler est engagé dans une vaste tentative de réforme du Pentagone, avec des connexions officielles, au Congrès notamment, et avec d’autres experts. Il a signé le 27 juillet 2010, un texte, avec quatre autres experts, proposant cinq axes de réformes fondamentales, en réponse au n°3 du Pentagone Ashton Carter. La caractéristiques essentielle de ces axes de réforme se trouve moins dans ce qui est proposé que dans la condition sine qua non que les personnes impliquées dans ces tentatives soient toutes indépendantes de tout lien avec le Pentagone, l’industrie d’armement, les lobbies, etc., bref toutes les forces liées d’une façon ou d’une autre au complexe militaro-industriel. Cela représente une condition proche de l’impossibilité à moins de mesures et d’une politique discrétionnaires, “à-la-Gorbatchev” ; et même si cette “condition impossible” était réalisée, cela serait sans guère de doute pour aboutir à la conclusion que le Pentagone est irréformable en l’état et qu’il faut, au moins, le démanteler (le “déstructurer”), c’est-à-dire briser sa forme actuelle pour tenter une reconstruction d’autre chose. C’est d’ailleurs la pensée secrète de Wheeler, qu’il a exprimée une fois ou l’autre et qui semble complètement utopique (ce dont il convient, semble-t-il) : un audit du Pentagone qui impliquerait l’arrêt de son fonctionnement pendant plusieurs mois et, probablement, le constat de mesures extrêmes de déstructuration à prendre pendant que Moby Dick est inactif et donc temporairement neutralisé.
Mis en ligne le 30 juillet 2010 à 05H39