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222210 février 2025 (18H50) – Depuis trois mois que Trump a remporté l’élection, et trois semaines où il détient effectivement le pouvoir avec aucune rupture entre ces deux périodes grâce à une formidable préparation de son équipe, l’évolution de la situation politique générale, donc de la GrandeCrise, a été exceptionnellement rapide. Il semble que l’effet des événements, que les événements eux-mêmes aient précédé notre perception consciente, permettant à notre inconscient de préparer nos psychologies à ces changements.
Nous allons examiner cet aspect central et suprême de notre situation générale à partir d’un “texte-martyr”, – cela dit pour indiquer un texte qu’on prend pour exercer son appréciation critique, positive ou négative, et ainsi mieux définir sa propre position , – l’article de Fiodor Loukianov, dans RT.com du 9 février :
« Ce qu’il y a derrière la “révolution culturelle de Trump
» L’establishment américain réalise qu’il ne peut être désormais partout dans le monde. »
L’intérêt du texte de Loukianov, qui est un journaliste et auteur réputé, notamment rédacteur en chef de ‘Global Affairs’ et autres positions qui lui donnent une bonne place dans l’ ‘establishment’ russe, est qu’il examine et mélange sans retenue la politique étrangère (des USA) et la politique intérieure (des USA), en envisageant leurs inévitables et fondamentaux effets mondiaux. Il le fait parce qu’il constate que l’une et l’autre sont entrées dans une ère de complet bouleversement, une ère véritablement révolutionnaire déclenché par le pays qui est par essence l’ennemi de la révolution.
« Le 80e anniversaire de la conférence de Yalta, qui a jeté les bases de l’ordre international après la Seconde Guerre mondiale, tombe à un moment remarquable. Aujourd’hui, cet ordre est en crise, et le conflit en Ukraine est peut-être la manifestation la plus frappante de cette rupture.
» Une révolution culturelle est en cours aux États-Unis, qui ont joué le rôle d’hégémon mondial pendant des décennies. L’administration Trump n’a pas seulement modifié sa politique étrangère : elle a fondamentalement changé le paradigme de la façon dont Washington perçoit son rôle dans le monde. Ce qui était autrefois impensable est désormais ouvertement discuté et même poursuivi en tant que politique. »
Ici, on fera une remarque capitale pour la suite du martyre de ce texte : la venue de Trump était, moralement, tellement inattendue et impensable d’une part, et politiquement, tellement évidente et inévitable d’autre part, qu’elle provoque un formidable effet de stupeur psychologique. Même les braves antiSystème, qui souhaitaient pourtant cette explosion par goût du feu d’artifice, en furent bruyamment décoiffés.
Il s’ensuivit que l’on attendit aussitôt des événements sortant de cet ordinaire catastrophique qui se dissipait en poussières avec les derniers balbutiements de Biden et “salades de mots” de Kamala. La première narrative fut un surcroît de puissance et d’hégémonie avec Trump, acté avec certitude alors que rien de la décrépitude US n’avait changé. Ce fut, si j’ose dire, l’“effet Groenland-Canada-Panama”, juste avant la prestation de serment. L’hégémonie US allait être dix fois plus contraignante avec Trump, ricanait-on à l’intention de ceux qui se moquait de l’Amérique au travers des lubies bellicistes et marmonnantes de Biden.
Le serment prêté et même fait par le nouveau président installé, ses premiers Executive Order d’un déluge torrentiel rendus public, la narrative changea du tout au tout devant l’évidence de la réalité : les premiers grands événements trumpistes se faisaient bel et bien au niveau intérieur (actions de Musk, USAID, actions sur les frontières, etc.). D’une façon assez surprenante pour l’audace de l’analyse mais qui marque combien l’inconscient attendait ce développement, ces “premiers grands événements trumpistes” furent très rapidement perçus comme significatifs d’une grande stratégie interne destinée à détruire le DeepState, – et d’ores et déjà en vitesse de croisière supersonique
Et l’extérieur ? On constata, après un rétropédalage sur l’“effet Groenland-Canada-Panama” installé comme “affaires intérieures” (isolationnisme), un joyeux pédalage dans la semoule sur l’Ukraine bien sûr, où Trump se heurte à une implacable politique russe ; sur Gaza, où les projets turbo-touristiques de Trump arrivent difficilement à dissimuler qu’il s’agit tout simplement de lancer une bouée de sauvetage à Netanyahou pour éviter une crise catastrophique en Israël (voir ici après avoir vu là) ; sur l’Iran où un trio Iran-USA-Russie est en train d’arranger une affaire qui permettrait à Trump de s’en laver les mains (peut-être en même temps que l’Ukraine).
Revenons à Loukianov et à son “texte-martyr” (que nous n’avons guère martyrisé jusqu’ici). Il reprend à partir de son étrape du 80èmee anniversaire de Yalta, pour observer qu’à cette conférence fameuse une situation nouvelle d’équilibre approximatif mais bien réel, – ce qu’on nomma “Guerre Froide”, – fut établi. La Russie, vainqueur totalement épuisé de la guerre, dut bien s’en arranger. Les USA, vainqueurs frais, pimpants et superpuissants, entendaient bien en faire bon usage pour établir une hégémonie sur le monde. D’une certaine façon, on suivit la voie US jusqu’à ce qu’un incident stupide et incroyable (pour la “belle vie” US et ses fameux prévisionnistes) se produise : l’effondrement de l’URSS et la fin du communisme. Les Américains jubilèrent, – un peu jaune, si je me souviens bien, – méditant la phrase (en 1988) de l’un des conseillers les plus proches de Gorbatchev, – phrase plagiant, c’est moins connu, une remarque de l’ambassadeur soviétique au Canada en septembre 1985, après l’arrivée de Gorbatchev :
« Nous allons vous faire une chose terrible : nous allons vous priver d’Ennemi... »
Loukianov voit bien les effets de ce tournant de 1989... En effet, plus d’Ennemi, mais aussi tous les instruments dont les Américains usèrent pour assurer leur hégémonie pendant la Guerre Froide, usés, dépassés, démodés, – et pourtant continuant à être utilisés... D’où cette excellente remarque :
« Le cadre établi à Yalta et à Potsdam a officiellement persisté à travers des institutions comme les Nations Unies, mais l’équilibre au sein du système s’est effondré à mesure que la domination américaine s’est étendue. Les tentatives d’adaptation des institutions d’après-guerre pour servir l’hégémonie américaine ont échoué, ce qui a porté préjudice à la fois aux institutions et à l’hégémon lui-même. Cette impasse est à l’origine des changements que nous observons aujourd’hui dans la vision globale de Washington. »
Tout de même : dire “changements” pour le trumpisme et la révolution qui l’accompagne, c’est un peu court ; et puis, cela nous fait croire que tout cela est voulu, bien arrangé et tout, sous les applaudissements de la foule et du DeepState... Notez bien qu’il y en a qui le disent, mais que ne dit-on pas depuis la guerre du Kosovo et l’instrument “internet” mis entre toutes les mains !
Là encore, Loukianov dit des choses très intéressantes, concernant d’abord la situation interne des USA, avec la politique extérieure qu’il en fait découler. C’est l’objet de sa conclusion, où l’on trouve aussi, mélangé, une affirmation qui est hautement critiquable (c’est là que le “martyre” se fait le plus durement sentir).
D’abord, il dit fort justement que l’idée d’un ‘Yalta-II’, qui a été proposée ici ou là, doit être immédiatement évacuée. Elle n’a aucun intérêt ni aucune chance.
« Pourtant, l’idée d’un nouveau “grand compromis” reste préoccupante. Contrairement à 1945, où la clarté morale et les objectifs communs guidaient les négociations, le monde d’aujourd’hui est plus fragmenté. Des idéologies concurrentes, des rivalités bien ancrées et des puissances émergentes rendent le consensus difficile à atteindre.
» La stabilité relative du système de Yalta est issue d’un fondement moral clair : la défaite du fascisme. L’ordre mondial actuel manque de tels principes unificateurs. Le défi consiste plutôt à gérer un monde multipolaire où le pouvoir est dispersé et où aucun récit unique ne domine. »
A partir de là s’enchaîne la conclusion de Loukianov. Il faut la lire attentivement, pour percevoir combien d’importance il accorde à la révolution intérieure (“révolution culturelle”), et quelle politique étrangère il en déduit :
« Pour la Russie, l’émergence d’une nouvelle politique étrangère américaine centrée sur les valeurs traditionnelles et le transactionnalisme constitue un défi. Le programme libéral des administrations précédentes, axé sur la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et des valeurs progressistes, a été quelque chose que Moscou a appris à contrer efficacement. Mais le programme conservateur imaginé par les trumpistes, qui met l’accent sur le patriotisme, les structures familiales traditionnelles et la réussite individuelle, pourrait s’avérer plus difficile à combattre.
» En outre, la numérisation potentielle des mécanismes d’influence américains, en simplifiant l’efficacité d’initiatives comme l’USAID, amplifierait leur portée. Les plateformes automatisées et l’analyse des données pourraient cibler les ressources plus efficacement, ce qui rendrait le soft power américain encore plus puissant. »
Lisez donc son message dans ce passage :
1). La “révolution culturelle” trumpiste est quelque chose qui va dans le sens des « valeurs traditionnelles », sur « le patriotisme, les structures familiales traditionnelles et la réussite individuelle ». Tournez tout cela comme vous voulez, vous aurez du mal à repousser l’idée que cette évolution rencontre le courant général autour du trumpisme tel que Loukianov l’identifie.
2). Mieux encore, la perspective évoquée rencontre, d’une façon générale, les perspectives évoquées par Patrick Buchanan en décembre 2013 (« Is Putin One of Us ? »), ou par Alexandre Douguine au début janvier de cette année. Il s’agit du conservatisme dans son interprétation la plus conforme à la Tradition. Si l’on y ajoute la technologie moderniste comme fait Loukianov, on débouche sur la question de l’archéofuturisme (« Musk, héritier de Guillaume Faye ? »).
3). Dans tous ces cas et si l’on prend pour du comptant ce qui nous est décrit, sans présupposer dissimulation et tromperie comme on nous a appris à faire avec les instruments de l’hypermodernité, les intentions des promoteurs de cette “révolution culturelle” qui veulent couper les ailes de tous les canards progressistes, bellicistes et wokenistes, – et donc, antirusses, – conduisent à faire disparaître complètement le fondement de l’antagonisme avec la Russie. Dans un tel contexte qu’il adopte précisément, que viennent faire les craintes de Loukianov qui continue à voir un affrontement avec les USA qui n’a eu lieu qu’à cause du communisme, puis à cause de l’orientation américaniste ultra-progressiste, anti-traditionnaliste qui a suivi ? Pourquoi parler de « menace en évolution », de « défi », de « nouvelle ère de concurrence géopolitique », à propos d’une Amérique qui évoluerait vers une sorte de néo-traditionalisme primordial avec les « valeurs traditionnelles » qui vont avec ?
« Moscou ne peut pas se permettre de se reposer sur ses lauriers. Les modèles de propagande obsolètes des années 1990 et du début des années 2000 sont mal adaptés à l’environnement actuel. Au lieu de cela, la Russie doit développer des récits culturels compétitifs et maîtriser les outils modernes de “soft power” pour contrer cette menace en évolution.
» La vision des trumpistes de faire revivre le “rêve américain” n’est pas seulement une affaire interne aux États-Unis – c’est un récit mondial qui a le potentiel de remodeler les perceptions de l’Amérique. Pour la Russie et les autres États insatisfaits de l’ordre post-guerre froide, le défi consistera à s’adapter rapidement et efficacement à cette nouvelle ère de concurrence géopolitique.
Les enjeux sont considérables. Un nouveau chapitre des affaires mondiales s’ouvre et le succès dépendra de la capacité des nations à naviguer dans ce paysage complexe et en rapide évolution.
Ma conclusion à moi, sans trancher par rapport aux perspectives qu’offre Loukianov et même si l’on connaît mon sentiment évident, concerne l’extraordinaire difficulté où nous allons nous trouver de rétablir un comportement et des relations correspondant aux vérité-de-situation caractérisant les circonstances de notre GrandeCrise. Il faut nous engager dans une (r)évolution psychologique sans précédent, avec la possibilité d’affronter des événements sortant de l’ordinaire historique que nous avons vécus.
Douguine parle du ‘Quatrième Tournant’ lorsqu’il apprécie l’arrivée de Trump : ce n’est certainement pas l’ampleur intellectuelle du nouveau président des États-Unis qui l’impressionne, mais bien sa position dans la cosmologie de la Tradition. On est ce que les évènements nous permettent d’être, sans autre jugement de valeur individuelle...
Douguine : « Les libéraux [progressistes-modernistes] sont considérés comme possédés par Satan et la modernité elle-même est satanique. En termes hindous, ce cycle est connu sous le nom de Kali-Yuga, l'âge des ténèbres.
» Trump est bien plus qu'un simple Trump, c'est un signe. »