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10428 février 2008 — Le “Super Tuesday” a sans aucun doute remué les USA en même temps qu'il a passionné le monde entier. Tous les témoignages et commentaires montrent que ce jour fut vécu comme un véritable jour d’élection présidentielle alors qu'on en attendait peu d'événements décisifs. Le fait est qu’il ne donna aucun résultat décisif. La tension n’est nullement dissipée, elle a au contraire haussé d’un cran avec plusieurs nouvelles.
• Le retrait de Mitt Romney des primaires républicaines, dans des conditions très particulières. La chose peut donner lieu à plusieurs remarques, qui peuvent se compléter plutôt que s’exclure. D’une part, on peut considérer que le départ de Romney libère McCain d’un obstacle décisif pour sa nomination. Ce constat impliquerait que la compétition est terminée du côté républicain. D’autre part, l’événement peut également polariser le reste des primaires, essentiellement entre un McCain considéré comme futur candidat républicain et une partie de l’électorat républicain (la partie la plus conservatrice) qui rejette McCain. Dans ce dernier cas, d’autres candidats encore en course en profiteraient pour tenter d’instituer sur leur nom une véritable “opposition” interne à l’orientation prise par le parti avec McCain. C’est bien sûr le cas de Huckabee mais aussi, éventuellement, d’un Ron Paul marginalisé dans le processus officiel mais disposant d’un fort appui populaire. Par ailleurs, Huckabee est l’objet de fortes pressions du parti républicain pour qu’il abandonne les primaires et libère complètement McCain de toute opposition institutionnelle sérieuse. Cette situation pourrait également exacerber l'opposition républicaine à McCain, frustrée de ne pas s'exprimer, qui pourrait prendre sa revanche lors du vote du 4 novembre (en ne votant pas Mccain).
• “Le retraite de Mitt Romney ... dans des conditions très particulières”? Il s’agit de ses déclarations pour expliquer sa décision (dans le Guardian d’aujourd’hui):
«“If I fight on in my campaign, all the way to the convention, I would forestall the launch of a national campaign and make it more likely that Senator Clinton or Obama would win. And in this time of war, I simply cannot let my campaign be a part of aiding a surrender to terror,” he said. “In this time of war, I simply cannot let my campaign be a part of aiding a surrender to terror.
»“This is not an easy decision for me. I hate to lose ... but I entered this race because I love America, and because I love America I feel I must now stand aside, for our party and for our country.”
»Referring to the Democratic party's contenders, Romney said: “Barack and Hillary have made their intentions clear regarding Iraq and the war on terror. They would retreat and declare defeat. The consequence of that would be devastating. It would mean attacks on America launched from safe havens that make Afghanistan under the Taliban look like child's play.”»
• Ces déclarations ont amené certaines réactions furieuses. Dans une note, hier sur son site, Steve C. Clemons cite sans commentaire un passage de The Nelson Report, la lettre d’information d’un commentateur indépendant très influent à Washington, Chris Nelson. Cette citation de Clemons indique évidemment qu’il prend à son compte le jugement de Nelson, – notamment ceci:
«...Romney today disgraced himself and his party by charging that a Democratic victory in the presidential race will turn America over to the terrorists.
»As we said, a new abyss [...] even for the man who reversed every important policy position he had ever held.. in order to make himself attractive to the worst elements of the Republican “base”.
(...)
»The now-presumptive nominee, John McCain, was apparently so relieved by Romney's surrender that he didn't note Romney's betrayal of one of the fundamental “laws” of politics in a civilized country: criticize your opponent's policies, beliefs, and perhaps even his spouse, children, and dog [...] but NEVER his patriotism.
»In the post-9/11 panic which swept the country, some in the Republican Leadership accused critics of the Iraq war of treason [...] Romney has now resurrected this ugly, dare one say treasonous tactic.»
• Nelson ne s’en tient pas là. Il suggère qu’une opération de cette sorte, une “démonisation” de l’adversaire, est possible du côté démocrate, dans le camp “des” Clinton (puisque décidément, il faut compter Bill presque à part égale avec Hillary). Il écrit:
«In the “informed gossip” department, we have heard that it may not be just the Republican Romney diving into the sewage pit. Sources in the Clinton Campaign say consideration is being given to comparing Obama supporters to cult members [...] with all that implies.
»Clinton Campaign players at a very high level are calling attention to a recent article by Joe Klein (author of “Primary Colors”) in which he examines the “messianic” aspects of the “movement” Obama has sparked, we have been told.»
• Justement, Obama. Le sénateur de l’Illinois est présenté comme envahi d’une confiance exceptionnelle dans sa destinée politique, c’est-à-dire sa désignation par le parti démocrate et sa victoire en novembre prochain. David Usborne décrit, dans The Independent d’aujourd’hui, la visite du sénateur-candidat à La Nouvelle Orléans, cette ville-symbole de la rupture entre le système et les citoyens, – des citoyens parmi les plus défavorisés en ce lieu, et “Africains-Américains” de surcroît... «A man who sounds like a winner already [...] a new Barack Obama, liberated from the anxiety of the multiple Super Tuesday contests, buoyed by the realisation that the knock-out punch that Hillary Clinton had once predicted for herself that day had not come to pass and energised by the new flood of cash being given to his campaign.» (Il s’agit des $7,2 millions recueillis par Obama en deux jours après le Super Tuesday.) Cette suprême confiance est non seulement partagée par ses partisans qui l’acclament à La Nouvelle Orléans, elle est transcendée en un enthousiasme que Usborne décrit lui-même, – a-t-il lu Joe Klein? – avec des termes qui renvoient à la musique de jazz ou au langage des cultes: «The near-messianic cadences...» des manifestations d’enthousiasme saluant Obama.
«True some of his better jokes have survived, like the “embarrassment” of discovering last year that Dick Cheney is a cousin. It was a speech not even much about his stalemated match with Mrs Clinton. He did not mention her. It was about New Orleans and most of all about the “broken trust” between the city and the federal government in the wake of Hurricane Katrina in 2005. And it was delivered by a man sounding like he had won the nomination already. “When I am President of the United States, I will...”
»The near-messianic cadences – uplifting to his followers, disconcerting to critics – remained of course. Barbara Ganucheau, 47, high in the stands, calls Mr Obama her “prince”. When he appeared she began to cry. She was weeping still when he was done. “I get the chills from my toes to my head,” she says of the candidate. Why is he her candidate? “It comes from inside of me, I just know.”
»The delegate pool in Louisiana is tiny – only 37 are available here after voting tomorrow. But almost every one will count. And Mr Obama came here, his first campaign stop after Super Tuesday, because the Crescent City offers him a metaphor for the messages of his own campaign – disappointment giving way to hope, the difficult past surrendering to change – that is too perfect to resist.
»His list of priorities for New Orleans when he “becomes President” was long and detailed. But soon he was back in metaphors – and Ms Ganucheau was crying again. “To confront these challenges we have to understand that Katrina may have battered these shores – but it also exposed silent storms that have ravaged parts of this city and our country for far too long,” he intoned. “The storms of poverty and joblessness; inequality and injustice”.»
Le système est face à des équations bien délicates, toutes résumées par un constat. Le système ne contrôle plus les événements du processus électoral. Certes, il peut récupérer ce contrôle, et il s’y emploie. En attendant, il ne le maîtrise plus. On ajoutera: et il reste 9 mois de campagne! Certains jugeraient qu’il y a bien assez de temps pour cette reprise en main; d’autres, que c’est bien assez pour que la perte de contrôle se transforme en chaos... Le verre à moitié plein ou à motié vide, pour décrire la situation actuelle. Impossible de trancher. Force est tout de même de constater qu’en un peu plus d’un mois, ces élections ont montré un enchaînement vers le désordre (du point de vue du système) et une incapacité du système d’en reprendre le contrôle. Le verre à moitié vide l’est joliment.
Décrivons ces “équations bien délicates” par quelques remarques.
• Le seul facteur stable du point de vue du système, pour l’instant, c’est la nomination quasi-acquise (jugement d’aujourd’hui) de John McCain. Un comble! McCain est un homme de multiples réputations, avec le pire et le meilleur. Il s’est fait une image d’original et d’esprit indépendant, écologiste, ennemi des lobbies, de la torture et des gaspillages du Pentagone. A côté de cela, c’est un belliciste («Bomb, bomb, bomb Iran») qui fait passer GW pour un modéré, un caractère emporté et instable, un soi-disant ennemi des lobbies qui s’est fait prendre plus d’une fois la main dans le sac des subventions courantes dans la politique US. Qui plus est, McCain est détesté par une partie non-négligeable de la base républicaine, qui lui reproche d’être trop “libéral”, et qui serait capable d’aller voter pour un Ron Paul décidant de présenter une candidature indépendante. Comme élément de stabilité, on trouverait mieux.
• ... Il ressort donc de ce qui précède que la question du parti républicain n’est pas tout à fait réglée, malgré le succès quasi-acquis de McCain. Il faudra donc faire un effort d’unification. Sur quel thème? Celui qu’a indiqué Romney: le parti démocrate est le parti de la trahison et de la capitulation? En septembre 2001 ou en février 2004, cela pouvait constituer un facteur de stabilisation de la situation, du point de vue du système. Aujourd’hui, c’est un facteur de polarisation, de “montée aux extrêmes”, particulièrement déstabilisant.
• Du côté démocrate, toujours selon le point de vue du système, on est proche du chaos. D’abord parce qu’aucune décision n’est faite et qu’il est possible qu’on doive attendre la convention du parti, en août, pour y parvenir. Ensuite parce qu’il y a le “facteur Obama” dont on ne parvient pas à savoir si c’est du lard ou du cochone, si Obama est sous contrôle ou pas... Obama a été successivement considéré comme un facteur de stabilisation et d’unification (au soir du vote de l’Iowa), puis comme un facteur de respectabilité du système (lors de ses engagements contre “Billary”, qui en faisai[en]t trop); désormais, il est au moins le vecteur et la cause d’une certaine inquiétude devant la vigueur et la “couleur” du mouvement qui le pousse et qu’il suscite. Les insinuations de Joe Klein, le projets prétés aux Clinton de dénoncer le “culte Obama” ne sont plus très loin d’être dans l’esprit du système. Il ne faudrait pas qu’Obama devienne, notamment, le candidat symbolique du petit peuple noir liquidé de La Nouvelle Orléans.
• Dans cette situation changeante et incertaine, “les” Clinton sont à la fois craints et soutenus par le système. Ils sont craints, parce que leur acharnement, leurs débordements devant la poussée Obama sont bien mal venus pour la réputation du système et les rendent fortement incontrôlables; ils sont également soutenus par le système parce qu’ils peuvent s’avérer comme le dernier rampart du système si le facteur Obama devenait complètement incontrôlable.
Toujours le même mot revient: “incontrôlable”. Il caractérise bien entendu la situation électorale aux USA, qui n’a guère de précédent. L’évolution du climat politique pousse irrésistiblement vers cette tendance désormais classique de “montée aux extrêmes”, – à l’intérieur des partis d’abord, avec tentative de rassemblement sur un thème nécessairement radical, — entre les partis ensuite, voire même parallèlement. Cette montée aux extrêmes touche tous les candidats, même un candidat au discours d’unité et de rassemblement comme Obama. Il n’en faudrait pas beaucoup pour que le discours d’Obama se transforme en appel au rassemblement contre le système, la chose la plus radicale qu’on puisse concevoir aux USA. Cette évolution est d’autant plus envisageable, et explosive si elle se poursuit, que les candidats eux-mêmes ne contrôlent pas leur fortune ou leur infortune. Ils sont eux-mêmes poussés à la surenchère par la pression populaire, éventuellement le désarroi et le dépit si les événements ne répondent pas à leur attente.
L'hypothèse est concrètement concevable aujourd'hui. Il suffit que divers éléments épars, dans le cours même de la campagne et pas trop loin les uns des autres, se trouvent rassemblé en un moment. L'hypothèse serait alors envisageable très sérieusement: l'Amérique devient-elle incontrôlable? Pour le système, on ne peut rien concevoir de pire.