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96721 décembre 2007 — D’une façon assez discrète, c’est-à-dire sans écho extérieur particulier, la campagne présidentielle US “monte aux extrêmes” dans un processus très particulier de rhétorique interne pour l’instant spécifique au parti républicain (le GOP, ou “Great Old Party”). Il s’agit de l’envahissement de la rhétorique électoraliste par “la religion”, c’est-à-dire par la référence au soutien de Dieu Lui-même dont se réclament divers candidats. Le langage employé par nous doit être perçu d’une façon prudente parce que le processus ne recouvre évidemment aucune forme d’affirmation de croyance nouvelle ou de croyance renforcée en réalité mais d’abord une nécessité électorale de type publiciste. Le niveau est à ce point de bassesse.
• Le 19 décembre, RAW Story signalait un aricle de Harold Mayerson dans le Washington Post sur ce sujet: «The GOP's clamor to identify itself as a party of Christian piety has failed to include some key elements of the faith – namely Christian principles, according to a Washington Post columnist who says modern Republicans recall the hypocrisy of the Ku Klux Klan.»
Le site met notamment en évidence combien, selon Mayerson, cette évolution opportuniste affecte pourtant certains problèmes fondamentaux, par le fossé qui s’affirme entre certains arguments au nom de la religion et l’enseignement de la religion: «That gap, according to Meyerson, is particularly visible when it comes to GOP stances on torture. “Virtually the entire Republican House delegation opposed the ban on waterboarding,” he writes. “Among the Republican presidential candidates, only Huckabee and the not-very-religious John McCain have come out against torture, while only libertarian Ron Paul has questioned the doctrine of preemptive war.”»
• Effectivement, dans son article du 19 décembre également, avec le titre «Hard-liners for Jesus», Harold Meyerson critique un processus électoral bien plus qu’une croyance ou une résurgence de la foi.
«As Christians across the world prepare to celebrate the birth of Jesus, it's a fitting moment to contemplate the mountain of moral, and mortal, hypocrisy that is our Christianized Republican Party.
»There's nothing new, of course, about the Christianization of the GOP. Seven years ago, when debating Al Gore, then-candidate George W. Bush was asked to identify his favorite philosopher and answered “Jesus.” This year, however, the Christianization of the party reached new heights with Mitt Romney's declaration that he believed in Jesus as his savior, in an effort to stanch the flow of “values voters” to Mike Huckabee.
»My concern isn't the rift that has opened between Republican political practice and the vision of the nation's Founders, who made very clear in the Constitution that there would be no religious test for officeholders in their enlightened new republic. Rather, it's the gap between the teachings of the Gospels and the preachings of the Gospel's Own Party that has widened past the point of absurdity, even as the ostensible Christianization of the party proceeds apace.
»The policies of the president, for instance, can be defended in greater or (more frequently) lesser degree within a framework of worldly standards. But if Bush can conform his advocacy of preemptive war with Jesus's Sermon on the Mount admonition to turn the other cheek, he's a more creative theologian than we have given him credit for. Likewise his support of torture, which he highlighted again this month when he threatened to veto House-passed legislation that would explicitly ban waterboarding.»
• Le commentateur et historien William Pfaff publie un article sur le même sujet, toujours le même 19 décembre. Appréciant le phénomène du point de vue moral, Pfaff met en évidence combien cet appel à Dieu et à la religion contraste radicalement avec les enseignements de Dieu et de la religion pour les croyants.
«The talk about religion that has become so revealing a part of the developing American presidential campaign demonstrates that the God who in the past in American political discourse was invoked with awe in great causes, sometimes even with Biblical fear and trembling, has been traded in for a deity that offers competitive political endorsements based on the fundamentalist Protestant orthodoxy of the candidates.
»This I suppose was to be expected ever since George W. Bush in 2001 brought the fundamentalists’ divinity into international play as a fighter for America against the agents and agencies of Evil.
»In the present campaign, particularly among the Republicans, God is convened to play a partisan role as backer of one or another of the candidates. In the background mischievous attacks are audible upon rivals said unlikely to enjoy the privileged heavenly access of certain others. Can a Mormon message get through the heavenly static?
»This exploitation of religion is not only puerile and demeaning of the nation but objectively an attack on religion itself. Introducing God into the political debate in these mean terms, so as to intimate that God’s favor is at the rival beck and call of the Mike Huckabees and Mitt Romneys, as well as those others forced to edge into this regrettable affair in ways meant to suggest that they too bear on their brows the mark of divine approval (if not heavenly election; it is too early to tell...).»
En ce sens, on comprend que le procès de l’aspect religieux de la chose est prestement expédié. Les anticléricaux n’ont pas à s’alarmer. Il n’est pas vraiment question, il n’est pas du tout question, ni de Dieu ni de la religion. Il est question d’un parti républicain (GOP) aux abois dans une situation où son chef naturel (le Président) est discrédité, où sa politique est discréditée, où il faut d’autant plus trouver des arguments imparables pour renverser ce courant. Dieu et la religion font l’affaire, même dans les circonstances les plus obscènes, – lorsqu’il s’agit de se référer in fine à la caution divine de l’emploi de la torture.
L’interprétation évidente est que nous nous trouvons complètement dans le processus décrit par Ronald Brownstein dans son livre The Second Civil War, que nous avons signalé dans notre rubrique Bloc Notes le 13 novembre dernier. Il s’agit de la “montée aux extrêmes” politiques par les nécessités de la publicité et des relations publiques (RP) électorales. Il s’agit d’un renversement complet, dans le sens politique et même si le moteur en est complètement artificiel et au seul propos de l’efficacité électorale, par contraste avec la tendance naturelle de la politique US vers le rassemblement modéré.
Alors que la démagogie des grands partis était jusqu’ici d’évoluer vers une attitude “consensuelle” nécessairement modérée, pour attirer le plus grand nombre de votants, c’est l’inverse qui se produit. Sans aucun argument consensuel modéré à trouver dans une politique républicaine qui est elle-même “montée aux extrêmes” par nécessité publicitaire s’appuyant sur une minorité idéologique, les candidats vont à l’inverse. Ils justifient cette politique extrémiste par la caution religieuse et divine, – argument imparable et impératif dans d’importants groupes sociaux – utilisée pour leur fortune électorale.
Il ne s’agit plus de justifier une politique par des arguments politiques (dans ce cas, elle est injustifiable et les arguments politiques ne serviraient qu’à la discréditer) mais de justifier cette politique et par conséquent les candidats par l’argument qui a la structure du béton: “Dieu le veut”, – point final. (Pfaff: «In the present campaign, particularly among the Republicans, God is convened to play a partisan role as backer of one or another of the candidates.») C’est un processus irrésistible, un argument électoral écrasant beaucoup plus qu’un argument de résurgence de la foi. S’il n’est pas employé, le GOP est à la dérive. Mayerson parle donc justement de ce «fitting moment to contemplate the mountain of moral, and mortal, hypocrisy that is our Christianized Republican Party».
Le problème est que cet appel à Dieu et à la religion utilisé entre candidats républicains pour se départager pour la désignation du parti républicain ne va pas disparaître avec cette désignation. Le candidat finalement choisi par le GOP se trouvera devant le même problème à l’échelon national, avec sans doute la même “solution” de pure démagogie RP et publicitaire: s’appuyer sur la politique injustifiable de GW Bush, qu’il ne peut répudier sous peine de perdre son électorat, en accentuant la rhétorique absolue de la volonté de Dieu. La montée aux extrêmes se poursuivra et s’accentuera. La médiocrité de tous les prétendants à la nomination, donc la médiocrité du candidat final, interdit la possibilité de transcender cette base de départ hypocrite et publiciste du GOP.
C’est alors tout le problème de la phase finale de la campagne qui est posé. Face à une campagne extrémiste du GOP, le parti démocrate (le candidat démocrate) pourra difficilement éviter le choix de s’appuyer lui-même sur une rhétorique extrémiste, éventuellement dans le même sens de l’appel à Dieu et à la religion comme Juge suprême de condamnation de l’argument du GOP. Dans le cas contraire, il se trouverait exposé au risque d’être jugé comme un sans-Dieu par une partie importante de l’électorat chauffée à blanc par la rhétorique religieuse du GOP. Le cas sera encore plus accentué, plus polémique, si Hillary Clinton est ce candidat, tant on sait la haine que lui portent les organisations religieuses. La nécessité pour elle d’écarter les accusations de “créature du diable” portées contre elle sera très grande, et il faut en général l'aide de Dieu pour cela. Dans ces conditions, Clinton aurait bien du mal, sinon en retrouvant l’esprit du FDR de 1933, à exploiter l’autre piste d’une candidature appelant à sauver les USA de la crise systémique (bien réelle, cette fois) qui la menace. (Mais il s’agirait somme toute d’un autre type de montée aux extrêmes, quoique plus justifiée par les faits. Dieu serait encore plus sollicité par le GOP.)
Nous avons ainsi la possibilité exemplaire d’un cas d’une élection de type “Guerre Civile”, à-la-Brownstein, suscitée au départ et peut-être sur la durée et jusqu’au terme par les seules pressions du processus politique, à la fois publicitaire et de RP.
Une possibilité complémentaire à envisager est la présence d’un troisième candidat “indépendant” puissant (le nom d’un Ron Paul quittant le GOP au nom de la défense de l’idéal du GOP vient à l’esprit) qui prendrait le contre-pied de cette rhétorique en jouant le jeu clair de dénoncer aussi bien la politique en cours depuis huit ans, où les démocrates eux-mêmes sont fortement compromis, que la montée aux extrêmes du processus électoral, pour en appeler à un rassemblement pour sauver les valeurs de la République.