Monti, vite à Bruxelles : mamma mia, bobo

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 971

Monti, vite à Bruxelles : mamma mia, bobo

Le Premier ministre Mario Monti a obtenu, avec sa “coalition” («lui-même, des libéraux excellemment “free-marketistes”, quelques chrétiens démocrates épars, des ex-néofascites en vadrouille»), 9% des voix aux élections générales du dernier week-end de février. Il s’est empressé de se rendre à Bruxelles, d’abord pour y asséner la leçon qui importe, – car il a pour lui le principe sacré de la légitimité, – disons, de son point de vue. (Ce compte-rendu du journal bruxellois Le Soir, du 23 février 2013.)

«Le chef du gouvernement italien, Mario Monti, a critiqué jeudi à Bruxelles les gouvernements européens qui cherchent à gagner du temps en reportant leurs objectifs de réduction des déficits publics, estimant que cela nuit aux pays qui respectent leurs engagements. “Nous n’avons pas cédé à la tendance récente consistant à demander le report d’un an de certains objectifs, comme la réduction des déficits”, a dit M. Monti qui participait à un forum sur la concurrence organisé par la Commission européenne. “Lorsque j’ai pris mes fonctions, je n’ai pas envisagé de demander un arrangement pour reporter à 2014” les objectifs de réduction du déficit public italien, “malgré des conditions très, très difficiles”, a-t-il souligné. “Je ne blâme personne, ni au niveau de l’Union européenne ni parmi les Etats membres, mais il est évident que la crédibilité de la politique menée dans un pays peut souffrir si d’autres demandent des reports et les obtiennent”, a-t-il conclu, dans une critique voilée adressée à l’Espagne, au Portugal, à la France ou encore aux Pays-Bas.»

“Un Américain en Europe”, sous-titre du site Gulfstream Blues, a donné (le 1er mars 2013) de la visite bruxelloise de Mario Monti une vision tout de même un peu plus large, un peu plus instructive, un peu plus substantivé, et même un peu plus exotique. On voit que Monti entendait venir rendre compte à ses copains eurocrates de la justesse, de la vertu et de l’efficacité de son gouvernement et de la politique d’austérité qu’il a suivie… Il y a juste ces “clowns d’Italiens”, à l’image de Beppe, qui ne comprennent rien à rien ; pour le reste, «It is right and it will continue to be right». (Comme l’écrivait Jenkins, – voir le 28 février 2013, – «Leaders (and their bankers) claim that austerity is a “necessary” punishment, to be visited on European people for allowing their governments to borrow beyond their means. [….] The message is […] take the medicine, even if it is poison. […] «These finance ministers are like Aztec priests at an altar. If the blood sacrifice fails to deliver rain, there must be more blood. […] Clearly no new idea will dent these dogmatists…»)

Voici donc les observations de cet “Américain en Europe” (avant, c’était “Un Américain à Paris”, – comme les temps changent…) «Yesterday was a big news day for EU politics, with a series of high-profile speeches in reaction to the disastrous election result in Italy on Monday. But despite the many speeches, the message has been singular: there is “no alternative” to austerity, and hostility toward the EU in domestic politics is exascerbating the euro crisis.

»The day started with a speech by humiliated ‘technocrat’ prime minister Mario Monti at the European Commission. Having been rejected by his home country, it is perhaps unsurprising that the former European Commissioner wanted to come to Brussels, where people understand him. It was Brussels after all, at the behest of Berlin, who installed Monti on the Italian throne after forcing out Silvio Berlusconi at the height of the Italian crisis in 2011. And it is no coincidence that it was the ‘Italians abroad inEurope’ voting region in which Monti received his highest share of the vote – 30%. This compares to the 9% of the vote he received at home – less than half the vote chare received by anti-establishment comedian Beppe Grillo.

»If he came to Brussels for appreciation, he got it. The crowd gave him a standing ovation after a speech in which he explained that the brutal austerity reforms he had imposed on the country over the past year would eventually pay off, but it was tough for an angry Italian electorate to understand that now. Austerity was the right response to the crisis, he said. It is right and it will continue to be right. After the speech Monti met with Commission President José Manuel Barroso and Council President Herman Van Rompuy to discuss the Italian situation. The EU leaders made clear that they expect any new administration to continue the Monti austerity reforms.»

Eh oui, légitimité, nous employons bien ce mot, assez étrangement à propos d’un Premier ministre nommé par l’UE et battu un dimanche dans son pays, dont le pays est ainsi, selon son point de vue qui rejoint cette fois ceux de ses adversaires, en plein désarroi, et quittant aussitôt ce pays pour réserver son premier discours important à sa véritable patrie. Effectivement, légitimité : Monti est allé rendre compte aux souverains qui lui donnent cette légitimité, qui sont en fait et simplement, à Bruxelles, les termites fort foisonnantes et pullulantes nées de cette sorte d’égrégore postmoderne qu’est l’UE, aussi froid qu’un serpent mais sans la nécessité naturelle de l’animal dont seule la vérité du monde possède le secret, – donc sans légitimité en ce sens souverain et dans le sens le plus fort qui est celui de l’absence de nature. Monti, serré dans les bras chaleureux comme un conditionnement d’air d’un Barroso et d’un von Rompuy, ces ET dont leurs critiques disent qu’ils réussissent à polariser toute la haine et tout le mépris d’un continent. Pourtant, ils ne sont certainement pas mécontents d’eux-mêmes et de leurs actes, et cela en bonne conscience et sans véritable culpabilité en un sens, puisqu’ils agissent pour le bien du peuple et ignorent la haine et le mépris du peuple à leur encontre ; et que, s’ils s’en avisaient, ils jugeraient héroïquement, avec une sorte d’esprit de sacrifice, qu’elle est une bonne mesure de la justesse de leur religion, – dans ce cas, montrant l’héroïsme justement d’ignorer ces impondérables (haine, mépris), pour sauver le peuple “à l’insu de son plein gré”. (Le journaliste Leigh Phillips, sur son site 1848, nous avisait, in illo tempore,n le 4 avril 2012, que «[t]hese are the experts who, in the words in May of the president of the Eurogroup of states and Luxembourgish Prime Minister Jean-Claude Juncker, believe that fiscal policy (that is to say almost all government endeavours involved in spending money that touch most citizens apart from home affairs and foreign policy) is “too important” for voters to have a say over, that would be better be agreed, again, in his words, in “dark, secret debates.”»)

Tout cela est connu mais pas encore absolument reconnu. Pour autant, on tiendra l’escapade de Monti, pour ceux qui l’ont notée, comme un acte d’une force symbolique considérable pour montrer où est le pouvoir, d’où il vient et où il s’en retourne quand ils se voit contesté. Ce n’est pas avec le président de la république italienne que Monti passe son après-élection, et d’ailleurs le président de la république italienne se trouvait, lui, en Allemagne, qui est l’autre berceau du pouvoir italien en train d’être passé au peigne fin. Il montrait le même esprit, même s’il s’offusquait de certains jugements un peu lestes sur la situation en Italien, – mais sa mission avant tout, après tout… («Italian President Giorgio Napolitano was in Germany yesterday to reassure the markets and political leaders that Italy “is not falling apart”»)

Par conséquent, de symbole en symbole, des imprécations de l’ex-comique devenu le duce (voyez le clin d’œil allusif) du second parti d’Italie au voyage-express de Monti à Bruxelles, il faut bien admettre que tout se passe comme si la vérité de la situation européenne était brutalement éclairée par l’affaire italienne, grâce en soit rendue aux “deux clowns” vainqueurs de l’élection du dimanche précédent. (Les “clowns” vainqueurs en Italie, selon le mot du chef du parti social-démocrate allemand, Peer Steinbruck, bien entendu homme politique de gauche, on vous l’assure.) On dira que ce n’est pas la première fois qu’une telle lumière est faite sur la réalité des sources du pouvoir, en Europe, aujourd’hui. On dira que c’est la première fois qu’elle est aussi crue, cette lumière, grâce aux circonstances, à l’importance de l’Italie, à la main de fer (celle de Monti) qui tenait le pays prétendument serré pour qu’il vote dans le sens qu’il faut. Il faut donc considérer que la résistance antiSystème continue à se développer, au gré de circonstances diverses et sans guère de coordination entre elles, mais simplement comme l’expression de forces résilientes qu’il est de plus en plus difficile de contenir et de tenir à distance.

D’un côté, l’on connaît sans aucun doute les critiques furieuses, “la haine et le mépris“ dont nous parlions plus haut, l’horrible frustration qui semble confiner à une impuissance sans retour, qui semble être le lot des peuples en général, en Europe, devant l’extraordinaire unicité de la politique générale et monstrueusement autodestructrice qui leur est imposée. Cette façon de voir suscite une colère d’autant plus furieuse qu’on la croit inutile, une révolte d’autant plus futile qu’on la juge paralysée dans des normes contraignantes et dans des perspectives paradoxalement fermées. Plus personne n’ignore que le mot “révolution” fait partie du passé… Cela suffirait à justifier tous les découragements dans des esprits qui, pour être contestataires du Système, ne s’appuient pas moins sur des notions passées qui furent elles-mêmes enfantées par le Système et qui en portent les mêmes tares, même si ces tares semblent des vertus lorsque le regard se laisse aller à l’ivresse de l’inversion qu’autorise la pratique intellectuelle de l’idéologie.

…Mais c’est du côté opposé qu’il faut voir les choses. Ce côté-là nous montre que le Système, malgré sa surpuissance monstrueuse dans toutes les lignes de front qui comptent, n’arrive pas à contenir et à écarter quoi que de ce soit des blocages, des freins, des contestations, des réactions hors des normes dans les entreprises qu’il ne cesse de lancer avec toute cette même surpuissance et sa capacité de coordination. Où se trouve le bilan le plus encourageant ? Depuis quatre ans que le Système a pris le pouvoir en Europe, laquelle n’attendait que cela dans ses structures institutionnelles, rien de décisif n’a été fait ; aucun colonel n’a encore pris le pouvoir, aucune “stratégie de la tension” sérieuse n’a pu être développée, il n’est même pas question de ces “années de plomb” que les manipulateurs des divers services surent si parfaitement développer dans les années 1970. Ils n’ont que Davos, les consignes chuchotantes d’un Juncker, les Goldman-Sachs accumulant les $milliards, le diable et son train qui n’arrive même pas à respecter les horaires… Nous en sommes encore à attendre l’opération décisive du Système, et chaque “coup de force” qui semble la préparer est bientôt suivi d’un recul à mesure, voire plus que dans cette mesure… Leur “stratégie de la tension” ressemble à une “stratégie de l’écrevisse” et l’escapade de Monti à Bruxelles pourrait être décrite, par un ex-comique qui aurait trouvé sa place au Parlement, comme un remake postmoderne, certes temporaire mais joliment symbolique, d’une sorte de “fuite de Varennes”… Comme quoi, la “révolution”, si elle est passée de mode, nous permet de faire des mots avec un bon contenu symbolique ; en effet, il est aisément décrété que, derrière ces mots, il y a des réalités, et elles ne sont pas à l’avantage du Système. Les applaudissements qui accueillirent Monti à Bruxelles, discours autosatisfait regnante, exprimaient une solidarité aveugle qui, ma foi, n’est pas exempte d’une certaine trouille (pour parler comme un “clown”).


Mis en ligne le 4 mars 2013 à 05H56