MOP, ou comment nous apprendrons à aimer la Bombe

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MOP, ou comment nous apprendrons à aimer la Bombe


1er novembre 2007 — Sait-on ce que signifie MOP? Nous ne parlons pas du groupe de hip hop décrit comme hardcore (puisque nous avons découvert l’existence de Mash-Out Posse lors de nos vaticinations sur Google). MOP, ignorants que nous sommes, est l’espoir enfin concrétisé des partisans d’une attaque contre l’Iran. C’est une bombe conventionnelle monstrueuse de 14 tonnes (à peu près, – 30.000 livres), désignée par l’USAF Massive Ordnance Penetrator (MOP) parce que sa fonction première est de pénétrer dans le sol pour y exploser. Le 26 octobre, le chroniqueur du Times Gerard Baker, pro-américaniste, néo-conservateur britannique, pro-guerre et tout ce qui s’ensuit, s’est jeté avec voracité sur la chose pour en faire son pain béni. L'homme exulte littéralement et chrétiennement.

«Nestled deep in George Bush’s latest $190 billion request to Congress for emergency funding for the wars in Iraq and Afghanistan is a tantalising little item that has received scant attention.

»The US Department of Defence has asked for an additional $88 million to modify B2 stealth bombers so that they can carry a 30,000lb bomb called the massive ordnance penetrator (or MOP, in the disarming acronymic vernacular of the military). The MOP is an advanced form of a “bunker buster”, an air-delivered weapon with an explosive capacity to destroy targets deep underground. Explaining the request, the Administration says it is in response to an “urgent operational need from theatre commanders”. What kind of emergency could that be?

»It’s possible that the US Air Force wants more firepower in the hunt for Osama bin Laden and al-Qaeda as they skulk in their caves in Afghanistan. But that wouldn’t require stealth bombers – the sleek, black-skinned, radar-dodging darts of the US military. The Americans own the skies over Afghanistan and Iraq and could, if they wished, blanket the two countries with all manner of bombardment from a few thousand feet in broad daylight.

»So what lies somewhere between Iraq and Afghanistan that might demand the urgent deployment of a stealth aircraft that can quietly drop a 30,000lb bomb and destroy something several storeys below ground? The secret wine cellars in Tehran that house the illicit stash of vintage clarets belonging to the Iranian President, Mahmoud Ahmadinejad? The vast collection of grey polyester suits and Iranian goody bags that lie in wait for the next batch of luckless British sailors?

»Pat yourself on the back if you correctly identified the subterranean nuclear enrichment facilities operated by the Iranian Government in its pursuit of an epoch-altering Bomb.»

• D’un autre côté et un autre jour (le 28 octobre) mais dans le même Times (celui du dimanche, le Sunday Times), Sarah Baxter démarre un long texte sur la même question d’une attaque contre l’Iran, selon le même argument exactement, – MOP ou Big BLU.

«In the white desert sands of New Mexico, close to where the first atom bomb was detonated, America’s biggest conventional weapon was tested last spring. A 30,000lb massive ordnance penetrator, known as the Big Blu or the Mother of All Bombs, was placed inside a tunnel to test its explosive power against hard, deeply buried bunkers and tunnels designed to conceal weapons of mass destruction.

»The monster bunker-buster was so heavy, it could not fly. But the blast was a huge success, rippling through the tunnels and destroying everything in its wake.

»Today the Big Blu might as well have “Tehran” written on its side in the same way that the Iranians love to parade missiles marked “Tel Aviv”. Tucked away in an emergency defence spending request, the US air force has just asked Congress for $88m to equip B2 stealth bombers, the black warriors of the skies, with racks strong enough carry the huge bomb.

»This was no casual request, but an “urgent operational need from theatre commanders”, according to the air force. Even a Republican congressman fretted: “This whole thing . . . reminds me of the movie Dr Strangelove.”

»In the 1964 film starring Peter Sellers, a demented general launches a unilateral strike on the Soviet Union, convinced it is already stealthily undermining America. Global nuclear destruction ensues. THE end result might not be so grave, but are America’s B2s being readied for an attack on Iran? It would fit in neatly with President George W Bush’s recent warning about the dangers of a third world war, should Iran be allowed to obtain the “knowledge to make a nuclear weapon”.

»Iran-watchers noted with interest the use of the word knowledge. Bush, it appeared, was determined to act well before the mullahs got anywhere close to an actual bomb.»

• Hier, 31 octobre, le site WSWS.org développe l’information autour de la bombe MOP, à partir d’une information du journal écossais Herald. Cette fois l’information est développée autour de l’idée que la base de Diego-Garcia est réaménagée pour recevoir des MOP.

La “magie MOP” s’est développée depuis quelques mois, sous la pression des prévisions épisodiques d’attaque contre l’Iran. Diverses interventions ces dernières semaines se sont concentrées sur cette arme.

• Dans une interview à Fox.news le 13 septembre (rapportée ici par Novosti), le général à la retraite McInerney, proche des néo-conservateurs, annonçait une attaque US, qu’il justifiait d’une façon assez cavalière par la décision allemande de ne pas soutenir un renforcement des sanctions contre l’Iran; pauvres Américains, forcés à envisager l'attaque, imaginez leur détrersse... «Since Germany has backed out of helping economically, we do not have any other choice.... They've forced us into the military option.» Puis plus loin, donnant tous les détails qui nous importent pour connaître le déroulement et le succès évidemment assuré de cette attaque-surprise dont tout le monde est ainsi averti: «the U.S. has a new massive ordnance penetrator that's 30,000 pounds, that really penetrates... Ahmadinejad has nothing in Iran that we can't penetrate.»

• …Citons encore, pour le plaisir, Norman Podhoretz, le sémillant (77 ans) conseiller le conseiller du candidat à la désignation républicaine Giuliani. Dans une interview déjà citée, en date du 27 octobre, Podhoretz affirmait: «People I’ve talked to have no doubt we could set it back five or 10 years. There are those who believe we can get the underground facilities as well with these highly sophisticated bunker-busting munitions.»

• Le 24 octobre, le site ThinkProgress.org citait le Congressional Quaterley qui avait débusqué le poste budgétaire, lequel nous dit (avec le souligné en gras tout à fait adéquat, de ThinkProgress.org) :

«Buried in the $196.4 billion supplemental war spending proposal that Bush submitted to Congress on Oct. 22 is a request for $88 million to modify B-2 bombers so they can drop a Massive Ordnance Penetrator, or MOP, a conventional bomb still in development that is the most powerful weapon designed to destroy targets deep underground.

»A White House summary accompanying the supplemental spending proposal said the request for money to modify ­B-2s to carry the bombs came in response to “an urgent operational need from theater commanders.” […]

»Previous statements by the Defense Department and the program’s contractors, along with interviews with military experts, suggest the weapon is meant for the kind of hardened targets found chiefly in Iran.»

Bref, MOP est la dernière consigne washingtonienne. Le conformisme qui répand l’idée, jusqu’à exciter les commentateurs les plus huppés comme Baker, est toujours un spectacle fascinant. Voir la soi-disant intelligence humaine soumise à une vitesse aussi rapide que l’éclair à l’enchaînement machiniste que suppose cette chose ne peut que réjouir l’esprit critique aiguisé. La bêtise de l’intelligence humaine confirme l’orientation de notre civilisation.

MOP nous mopntre la voie

La permanence de l’argument du poids de la force et de la technique est irrésistible chez les Anglo-Saxons, particulièrement les américanistes et la bureaucratie militariste. Il l’est d’autant plus qu’il s’appuie sur une culture et une tradition qui vont dans ce sens. Il l’est d’autant plus que la situation politique y pousse. Une situation politique à la fois indécise et très confuse constitue effectivement pour une telle culture une tentation d’introduire un élément de mécanique offrant une perspective d’inéluctabilité, – dito, rendant l’attaque inéluctable.

WSWS.org cite John Pike, l’analyste de GlobalSecurity.org, disant il y a quelques mois à propos de MOP : «It’s a powerful coincidence that [the Pentagon claims] it’s going to have this thing soon and we’re possibly going to be bombing Iran. There’s a mission made for this bomb.» Ceci est une indication très précise de la façon dont la psychologie mécaniste agit: l’attaque contre l’Iran et son programme nucléaire est “une mission faite pour cette bombe”. L’argument logique est renversé. De la nécessité (ou la possibilité) problèmatique de la mission, nous évoluons vers une situation où c’est la disposition de l’arme qui va forcer à la mission, – puisque MOP existe et que c’est l’arme idéale pour attaquer l’Iran, c’est donc qu’il faut attaquer l’Iran. Cette hypothèse n’est pas si absurde qu’il y paraît, dans tous les cas elle n’est pas sans précédent. Parmi les nombreuses raisons avancées pour l’utilisation contestée de l’arme atomique contre le Japon en 1945, alors que la situation opérationnelle (la puissance japonaise anéantie, le Japon demandant la paix) semblait ne plus guère la nécessiter, il y eut celle-ci avancée par l’officier de marine qui servait d’aide de camp à Truman : après avoir dépensé $2 milliards pour fabriquer cette arme, il était impensable que Truman ne l’utilisât pas. Le même témoin (dans un documentaire sur la Bombe, Le soleil noir d’Hiroshima) affirmait que Truman risquait une procédure de destitution du Congrès s’il n’avait pas agi de la sorte, uniquement pour la raison budgétaire indiquée. Ainsi fonctionne le système, – car cette stupéfiante explication au regard du désastre que furent Hiroshima et Nagasaki nous paraît finalement la plus plausible au regard du monde bureaucratique fermé qu’est ce Washington américaniste.

Les partisans de l’attaque ont-ils trouvé leur casus belli irrésistible (puisque j’ai une arme pour casser l’Iran, j’attaque l’Iran, – irrésistible logique humaniste)? D’autre part, la situation est très confuse. Alors que le CQ repris par ThinkProgress.org indique qu’il faut $88 millions pour reconfigurer le B-2 pour transporter la MOP, WSWS.org donne une autre version:

«The request, included in a war-funding bill totaling nearly $200 million, includes $83.5 million for continuing to develop the MOP bomb itself and another $4.2 million to modify the B-52 bomber for use in launching the weapon.»

Cette situation confuse nous conduit à une situation surréaliste. Tout se passe comme si l’attaque était suspendue, comme c’est le cas de le dire, à la disposition de la bombe MOP et de l’adaptation de de ses lanceurs; tout cela, pour répondre à un “urgent operational need from theater commanders”. On comprend le terme “urgent” dans l’absolu, du point de vue de l’USAF. En tout état de cause, c’est une bonne tactique pour l’USAF de faire passer certains de ses frais sur une facture intermédiaire hors-budget que le Congrès ne discute pas ni ne détaille; or, l’USAF veut la bombe MOP quoi qu’il en soit de l’attaque contre l’Iran. Par contre, on doit laisser dire que c’est pour un théâtre d’opérations sinon on soupçonne l’USAF de pirater des fonds de la guerre pour ses propres besoins internes, – et quel théâtre sinon l’Iran à venir? («Representative Jim Moran of Virginia, a Democratic member of the House Armed Services Committee, told the Reuters news agency, “My assumption is that it is Iran, because you wouldn’t use them in Iraq, and I don’t know where you would use them in Afghanistan, it doesn’t have any weapons facilities underground that we know of.”»)

Par contre, le terme “urgent” devient surréaliste si toute la logique (?) de l’attaque est liée au développement d’une bombe qui n’est pas encore achevée, et qui pourrait, selon certaines estimations très optimistes, nous conduire au mieux jusqu’à la mi-2008. (“Au mieux” : si l’USAF ne rencontre pas de difficultés de développement. Voilà qui rend le calendrier extrêmement aléatoire, connaissant les habitudes performantes de la bureaucratie du Pentagone. On notera que le développement de la bombe fut lancé mars 2002, sur la base de l’urgence également [il était alors question de pulvériser Ben Laden dans ses grottes de Bora-Bora]. Finalement, le premier test de MOP était anoncé en 2004 pour 2006 et il eut lieu en mars 2007.) Fera-t-on dépendre l’attaque de la disposition de ce système d’arme alors qu’on nous annonce cette attaque comme imminente, chaque semaine depuis le début de 2005?

Cet imbroglio peut nous conduire à la guerre ou prolonger une sorte d’opéra-bouffe semi-guerrier, semi-bureaucratique et, de toutes les façons, entièrement virtualiste. Quoi qu'il en soit, la bombe MOP a une fonction thérapeutique évidente, et c'est une bonne part de sa vertu incontestable. Elle apaise pour un temps les angoisses existentielles des partisans de l’attaque, ceux qui ont une psychologie si fragile, en matérialisant leur espérance fièvreuse d’une attaque. La bombe MOP est une sorte de Xanax de la bureaucratie washingtonienne et des intellectuels américanistes qui l’inspirent. Tout cela s’appelle “civilisation” et c’est “le modèle occidental”, ou américaniste, offert aux foules ébahies et enthousiastes avant d’être bombardées du Monde Extérieur dont la barbarie n’est plus à démontrer.

(P.S.: Mais tout cela n'est peut-être qu'une ruse. Pendant que les mollahs barbares et inhumains fixent leur attention sur la “grosse Bertha” du Petagone, peut-être nous préparent-ils une intervention ultra-légère et chirurgicale,avec des bombes de 2 tonnes et 5 tonnes. Tout est possible, y compris qu'ils soient aussi fourbes qu'ils sont bêtes.)