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1363Le président égyptien Morsi a enclenché un très haut régime pour faire évoluer la diplomatie égyptienne, et la position de l’Égypte dans la situation du Moyen-Orient, sur une voie révolutionnaire par rapport à l’époque Moubarak. Plus aucun pays du bloc BAO n’arrive désormais à “chevaucher le sphinx”. Il y a trois évènements qu’on enregistre dans cette deuxième quinzaine du mois d’août, qui marquent autant de déplacements remarquables de la diplomatie égyptienne, en fait une véritable résurrection en tant qu’acteur indépendant et dont le poids va nécessairement changer l’entièreté de l’équilibre de la région : une position nouvelle, originale et intéressante sur la Syrie, une visite en Chine, une participation au sommet des pays non-alignés à Téhéran le 30 août, retour de Chine.
• Sur le premier point, il importe de lire M K Bhadrakumar, dans le texte qu’il publie sur Indian PunchLine, son blog personnel, le 18 août 2012. Il s’agit du compte-rendu de la position exposée par Morsi, au sommet des pays islamiques de Ryad, les 14 et 15 août. Morsi y a fait des propositions sur la Syrie et il est vrai, et remarquable par conséquent, que l’Iran a été le premier pays concerné, et le seul en fait, à exprimer sa satisfaction à cet égard (voir Global Times, le 18 août 2012) ; et pour cause, au reste, puisque Morsi propose la création d’“un groupe de contact” sur la crise syrienne auquel devrait participer l’Iran (groupe de quatre pays, Arabie, Égypte, Iran, Turquie).
«…“It is time for the Syrian regime to leave”, [Morsi] said. So far so good. The Western media lapped it up. But then came the sub-texts. Morsi called for a non-violent path. In immediate terms, he sought a ceasefire through Ramadan. Besides, he wanted an Islamic solution. Then came the bombshell. Morsi proposed that a contact group should be formed to resolve the Syrian crisis through peaceful means, discussion and reconciliation. And, pray, who would form this group? Saudi Arabia, Egypt, Turkey and Iran — he outlined.
»In a nutshell, Morsi has rejected the stratagem for ‘regime change’ in Syria by the United States in alliance with Turkey, Saudi Arabia and Qatar (with Israel standing in the shade for undertaking covert operations). Most important, Morsi’s package is almost exactly what Iran espouses, too. No wonder, Tehran feels greatly elated. In contrast with the deafening silence in Ankara, Riyadh and Doha, Tehran has scrambled to welcome Morsi’s proposal. Saudis will feel perturbed that Cairo is careering away into the trajectory of an independent foreign policy that may have more commonality with Tehran than the course adopted by the GCC states. Turkey will feel downcast that the new Egypt is not exactly in a mood to adopt the so-called islamist leadership of Prime Minister Recep Tayyip Erdogan as its role model…»
• Très peu notée, très peu remarquée, mais néanmoins notable et remarquable, la visite de Morsi en Chine, qui n’est en général mentionnée qu’en fonction de son séjour en Téhéran pour le sommet des Non-Alignés (du type “le président Morsi fera escale à Téhéran, au retour de son voyage en Chine” : «The agency [MENA] quoted sources at the Egyptian presidency as saying on Saturday that Morsi “will participate in the summit” on his way back from China.»). La chose s’est faite discrètement, à l’image de la façon d’agir des Chinois et, sans doute, selon les vœux de Morsi. Mais cela se fait, et le premier déplacement de Morsi hors de la zone moyenne-orientale est pour la Chine. Le voyage est stratégique, bien entendu, à cause des crises en cours, et sans doute avec Pékin appréciant la position du président égyptien sur la question. Il est aussi économique, probablement, avec la question de savoir si l’Égypte ne chercherait pas, pour l’avenir, des aides venues plutôt de la Chine que des embarrassants “pays-frères” type Arabie et Qatar, avec lesquels les liens vont nécessairement se distendre, et d’ailleurs selon ce qu’il adviendra dans les mois qui viennent du sort de ces pays fabriqués pour l’occasion du pétrole.
• Enfin, Téhéran, la “visite historique” comme titre Aljazeera le 19 août 2012. Il s’agit de l’invitation iranienne à la participation au sommet du Mouvement des Pays Non-Alignés (la présidence passe de l’Égypte à l’Iran). Depuis que la préparation de la conférence est dans sa phase finale, la question de la participation personnelle de Morsi est restée ouverte. Pendant quelques jours, la thèse officieuse était que Morsi n’irait pas à Téhéran, à la demande pressante des USA. Cette “demande pressante” a sans aucun doute été exprimée mais Morsi l’a ignorée, ce qui marque un échec de plus pour la diplomatie US/du bloc BAO, et un échec spectaculaire, à cause du symbolisme de l’événement. L’Égypte et l’Iran s’ignorent depuis la prise du pouvoir par les islamistes de Khomeiny, en 1978-1979. “Historique”, certes, le terme n’est en rien galvaudé.
L’espèce de tranquillité et, dirait-on, l’évidence qui marquent les initiatives de Morsi, rencontrent bien l’analyse de l’installation du président égyptien dans un courant naturel, selon la dynamique d’une force irrésistible qui n’a pas besoin d’éclat pour se manifester. L’évolution de l’Égypte correspond à la nature des choses quand cette nature, les choses étant rendues à leur mouvement, devient la force des choses. Le poids de l’Égypte libérée des contraintes du régime Moubarak pèse d’une façon irrésistible, sans la nécessité d’à-coups spectaculaires quand nous passons à la réalisation effective du phénomène. Le qualificatif d’“historique” pour caractériser cette visite de Morsi à Téhéran, alors que le déplacement était prévisible et largement envisagé (sans être assuré) depuis deux ou trois semaines, s’impose lui aussi tranquillement, sans le bruit qui accompagne d’habitude l'annonce des évènements historique. Morsi représente assez bien, d’ailleurs curieusement jusqu’à son aspect physique presque bonhomme, ce retour à l’existence politique dans sa zone d’influence du poids égyptien ; son mode turbo est souple, presque silencieux, mais avec l’énergie qui accompagne ce régime de fonctionnement. Par contraste, l’agitation des divers commis du bloc BAO apparaît bien dérisoire, et les visites bruyantes d’Hillary et de Panetta, au Caire, qui ont précédé ces initiatives de Morsi pour tenter de les prévenir, comme des spasmes un peu grotesques et assez vulgaires. Il y a un courant supérieur, dont le déferlement a commencé en janvier 2011, qui poursuit sa route, irrésistible comme l’on dit d’une force naturelle, ou plus précisément supra-naturelle par rapport à nous, sapiens, puisque notre propre nature est devenue si corrompue.
Désormais, il va falloir commencer à apprécier les conséquences de ce retour de l’Égypte dans le jeu du Moyen-Orient, après trente d’années d’un complet effacement. On va pouvoir mesurer la véritable signification de la crise syrienne, la légitimité de fer blanc des États-bidon du Golfe ; on va pouvoir d'une part réaliser pleinement l’incongruité monstrueuse de ce régime de menace permanente d’agression contre l’Iran, d'autre part le risque effectif de son autodestruction, et par déstructuration et dissolution internes venues d’une psychologie dévastée bien plus que par une menace mythique inventée par la narrative du Système, que prendrait Israël en lançant une attaque de la sorte qu’il ne cesse de concocter convulsivement depuis des années. (Le président Shimon Peres nous confie que, songeant à la possibilité de cette attaque, il n’en dort plus la nuit ; on le comprend, cet homme.) Il s’agit du commencement de quelque chose de complètement différent…
Mis en ligne le 20 août 2012 à 06H08