Morsi, la Syrie et sa frontière incertaine

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Morsi, la Syrie et sa frontière incertaine

Nous continuons donc à être surpris par le président Morsi, son rythme d’intervention, la vastitude et l’ampleur des sujets abordés. On peut observer que ses interventions semblent mettre complètement à l’arrière-plan le rôle des militaires du SCAF, sinon pour les cantonner dans un rôle implicite de soutien. Il y a bien sûr eu la “purge” réalisé par Morsi, mais même dans ce contexte le rééquilibrage des pouvoirs en faveur du président est d’une ampleur et d’une puissance inattendues. Cette évolution montre éventuellement dans quelle mesure l’orientation donnée par Morsi répond à une tendance naturelle et évidente pour l’Égypte ; dans ce cas, on peut avancer l’hypothèse qu’une partie importante des militaires attendaient secrètement cette orientation et se trouvent tout à fait à l’aise pour la soutenir, c’est-à-dire simplement la laisser faire. Cela n’empêche pas l’entretien de rumeurs concernant une éventuelle “contre-attaque” de certains groupes de militaires restant en contact avec les forces d’influence du bloc BAO, et contre cette possibilité Morsi n’a qu’une chose à faire qui est d’accentuer son orientation politique qui renforce sa position.

Sa dernière intervention (PressTV.com, le 28 août 2012), hier au Caire, concerne deux volets : la Syrie et la situation générale de la sécurité de l’Égypte.

• Sur la Syrie, Morsi a réaffirmé en la renforçant sa position d’opposition formelle à toute intervention étrangère en Syrie, ce qui le place de plus en plus sur une ligne de confrontation avec le Bloc BAO (USA et France, notamment, avec leur évocation d’une no-fly zone et d’une intervention par rapport à l’armement chimique et biologique syrien) : «We are against any military action on Syrian soil, in any shape or form… […] The time has come for everyone to realize that war do[es] not achieve stability, because peace is based on justice and comprehensive peace for everyone, without any side attacking the other…» (A côté de cela, Morsi, qui reste évidemment proche des Frères Musulmans, version syrienne, a réaffirmé que le peuple syrien était favorable au départ d’Assad.)

• Concernant la sécurité de l’Égypte, Morsi a évoqué des situations d’affrontement dans un langage sibyllin mais dont on peut avancer qu'il contient sans le moindre doute un avertissement… «We will never be a party to an attack on any side and we will never accept anyone threatening our security or the security of the region for one reason or another… […] This statement is for everybody and on behalf of everybody, including the states of this region.»

• Il ne fait guère de doute non plus que les craintes d’un conflit entre Israël et l’un ou l’autre de ses voisins, exprimées par le chef du renseignement militaire israélien , le général Aviv Kochavi, sont à placer dans la même logique que les déclarations de Morsi, et concernent notamment, voire essentiellement l’Égypte. Antiwar.com rapporte cette intervention (le 28 août 2012), qui est contenu dans le rapport annuel du service impliqué…

«In his annual report to be presented soon, Israeli military spy chief Maj. Gen. Aviv Kochavi is warning of a serious prospect of a war breaking out between Israel and a neighbor soon, citing “increasingly Islamist” neighbors. The “Islamist” comment seems primarily to be aimed at Egyptian President Mohamed Mursi, though it may also be targeting a rebel regime in Syria as well, as their leadership is overwhelmingly Sunni Islamist factions as well…»

Il est évidemment impossible de ne pas placer ces deux interventions dans un mode complémentaire d’une part, dans le cadre des tensions qui se sont faites jour dans le Sinaï et à la frontière israélo-égyptienne d’autre part, durant les deux derniers mois, et particulièrement depuis l’élection de Morsi. Il apparaît assez probable que c’est à ce théâtre d’opération que Morsi fait allusion lorsqu’il parle spécifiquement des “pays de la région”, impliquant qu’aucun “État de la région” ne doit se croire au-dessus des obligations de sécurité et de respect des souverainetés («This statement is for everybody and on behalf of everybody, including the states of this region»).

La progression des évènements et les déplacements des positions ne cessent de montrer l’importance capitale, pour les Égyptiens, du Traité de paix de 1979, avec ses hypothèques sur la souveraineté nationale des Égyptiens sur le Sinaï. A la suite des récents événements, autour d’attentats et d’attaques, ou de pseudo-attentats et de pseudo-attaques, de la part de terroristes ou de pseudo-terroristes, les Égyptiens ont déployé des moyens militaires (chars, hélicoptères de combat) proches de la frontière israélienne. Ce déploiement n’est pas autorisé par le Traité de paix. Les Israéliens veulent que les Égyptiens retirent ces moyens militaires, conformément au Traité, et ils ont obtenu le soutien des USA qui font pression sur l’Égypte en agitant de possibles mesures de contraintes, notamment par rapport à l’aide que les USA apportent à l’Égypte. (Le voyage en Chine de Morsi, aujourd’hui et demain, est donc d’autant plus à considérer comme une initiative importante, puisqu’il est ainsi confirmé que Morsi va certainement demander leur aide aux Chinois, ce qui constituera une amorce de renversement stratégique, la Chine commençant éventuellement à remplacer les USA comme soutien financier de l’Égypte.) C’est bien entendu ce point qui est particulièrement générateur de tensions, et le discours de Morsi constitue également une allusion assez directe à cette situation. Il ne semble pas que les Égyptiens envisagent de céder et la question du Traité est effectivement en train de s’envenimer, en une question centrale de souveraineté pour l’Égypte. La situation est d’autant plus intéressante, et susceptible de tensions, que les Égyptiens ne sont pas loin d'être persuadés que les “attaques“ et les “terroristes“ ont beaucoup à voir avec un montage du Mossad, pour attirer les forces égyptiennes, puis exiger leur retrait en suscitant ainsi une réaffirmation solennelle du Traité de 1979.

En d’autres mots, un nouveau front est bien en train de s’établir, entre Israël et l’Égypte, et les événements risquent de très vite de confirmer et d'amplifier l’action de Morsi. En d’autres mots, les événements vont vite à cet égard parce qu’ils sont conduits par des forces d’une forte substance, et complètement antagoniste : l’affirmation souveraine de l’Égypte et le besoin paranoïaque de sécurité d’Israël. En d’autres mots enfin, mais en peu de mots parce que le séjour de Morsi sera court, Égyptiens et Iraniens auront beaucoup de chose à se dire lorsque Morsi rendra visite au sommet du NAM, après-demain.


Mis en ligne le 28 août 2012 à 16H56