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548L’affaire postmoderniste ou l’étrange affaire des “espions” russes qui ne sont pas accusés d’espionnage révèle une attitude très spécifique des Russes. On a vu quelques informations à propos des “espions” dans Ouverture libre de ce 3 juillet 2010, et l’on sait par ailleurs, comme l’a fait Hillary Clinton le 2 juillet 2010 à Kiev, que l’administration Obama minimise au maximum l’affaire. Il n’est pas question, pour Hillary, que cette affaire «[perturbe] les relations entre la Russie et les Etats-Unis»
@PAYANT Comme l’écrit The Independent, citant un expert russe, «…the Kremlin has identified two main goals: “To support Obama against his enemies and not to rock the boat”» Et en écrivant “ his ennemies”, il faut bien comprendre les “ennemis intérieurs” d’Obama. Les Russes ont noté que l’affaire des “espions” intervient juste après la visite réussie de Medvedev aux USA, et qu’elle tombe à point pour sembler saboter tout espoir de ratification de START-II au Sénat US avant les élections de novembre prochain. La thèse des Russes est que quelques-uns des “ennemis intérieurs” de BHO ont bien “ciblé” leur intervention, et que les républicains, eux-mêmes “ennemis intérieurs” permanents, prennent joyeusement le train du surenchérissement type-Guerre froide pour écarter la possibilité de ratifier START-II. (L’absence d’explication précise de l’interférence de l’affaire des “espions” sur le processus de ratification de START-II, telle qu’on peut l'observer dans l’article de The Hill, semble montrer que les républicains étaient prêts à saisir n’importe quel prétexte pour freiner le processus de ratification. Le constat pourrait alimenter des hypothèses de connexions au moins indirectes entre les républicains et les conditions, notamment chronologiques, où a éclaté cette affaire.)
Les Russes ont leur idée sur la structure du pouvoir aux USA, d’ailleurs instruits par leur propre expérience, notamment du temps de l’URSS. Le 9 mai 2009, nous avions commenté l’intervention de Rogozine, dénonçant des “conspirateurs” anti-Obama au sein de l’OTAN («We believe it is possible that there might be some conspiracy against Obama inside the North Atlantic alliance. This is because the difference between Obama and the former U.S. President George W. Bush is too striking»). On se trouve dans le même ordre de jugement, avec les “espions” opportunément impliqués par rapport au calendrier des chaleureuses relations entre la Russie et Obama.
Au reste, c’est un peu une tradition à Moscou. Du temps de Nixon et du Watergate, le Kremlin avait constamment manœuvré pour apporter à Nixon un maximum de soutien face à ses “ennemis intérieurs” (le Congrès, le Joint Chiefs of Staff). Brejnev était personnellement intervenu à plusieurs reprises, et une réelle estime avait lié les deux dirigeants (Brejnev et Nixon) durant cette période. Aujourd’hui, la situation est assez proche, du point de vue des Russes, à part qu’elle est pire qu’au temps du Watergate (même s’il n’y a pas de Watergate). Ils estiment que l’atomisation du pouvoir à Washington, le renforcement de nouveaux centres de pouvoir, notamment de pouvoirs privés avec des groupes mêlant idéologie et business (cas des néo-conservateurs, soutenus par des forces privées), isolent et affaiblissent encore plus le président. Eux-mêmes ont eu à souffrir de l’action et de la force d’influence de ces groupes, car ils n’ignorent pas que leur responsabilité directe dans les diverses “révolutions de couleur” des années 2003-2005 est entière.
Il faut noter que la Russie, certainement dans sa forme de l’URSS, connaissait une structure assez semblable, avec une certaine subsistance aujourd’hui, notamment sous la forme du cercle nommé soloviki regroupant des milieux appartenant aux “organes” de renseignement et de sécurité nationale, passés ou présents. Mais, d’une façon générale, les Russes, y compris du temps de l’URSS, ont toujours procédé de façon à conserver pour le pouvoir politique une certaine prééminence dans l’exercice du pouvoir général. Les agitations au sein de la hiérarchie militaire russe ne laissent entendre que des échos atténués, sans guère d’influence sur la politique générale de la Russie, au contraire de l’agitation publique et des changements majeurs qui agitent la hiérarchie militaire américaniste, jusqu’à la récente affaire McChrystal, avec une influence certaine, au moins indirecte, sur le pouvoir civil et sur son orientation.
Il est manifeste qu’il existe une solidarité non exprimée mais très marquée entre les dirigeants russes et le pouvoir civil US, particulièrement Obama, avec probablement une coordination active, notamment pour tout faire pour écarter les obstacles sur la voie d’une ratification de START-II par le Sénat US. D’ores et déjà, si effectivement la ratification est reportée à après les élections de novembre 2010, la partie devient délicate. D’abord, on ignore ce qui sortira de ces élections. Si les démocrates perdent ces élections, le processus de ratification deviendra extrêmement complexe et sera l’objet d’un affrontement entre le Sénat (les républicains du Sénat) et la Maison-Blanche, avec la possibilité de manœuvres parlementaires des républicains pour faire traîner le plus possible cette ratification et, probablement, des tentatives d’amendement au texte du traité qui conduirait les Russes à durcir leur position et à eux-mêmes freiner le processus de ratification de leur côté. (En principe, les deux côtés ont conclu que la ratification se ferait parallèlement, pour éviter des interférences antagonistes ou de déboucher sur des textes inconciliables si des amendements sont introduits.)
Mis en ligne le 3 juillet 2010 à 18H16