“My country, right or wrong”, ou encore: le juge Hutton lave plus blanc que blanc

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“My country, right or wrong”, ou encore: le juge Hutton lave plus blanc que blanc


29 janvier 2004 — Le rapport Hutton ne pouvait être démonstration plus et mieux accomplie de la permanence de la solidarité des forces en place. Il trouve le bouc-émissaire qu’il désigne aussitôt d’un doigt vengeur, — la BBC — avec les conséquences immédiates qui se manifestent, d’abord par la démission de son président. Il sauve le pouvoir d’une manière qui, littéralement, coupe le souffle par ce qu’elle montre, qui devrait être jugée de façon objective comme d’une impudence complètement surréaliste et obscène. Mais, dira-t-on, — et on ne peut mieux dire : les événements imposent l’urgence et font passer sur l’élégance des manières.

Selon qu’on est “réaliste” avec une touche de sentimentalisme ou “réaliste” avec une touche de cynisme, on aura cette position ou cette position :

• “My country, right or wrong”. L’honorable juge Hutton a mis la stabilité du gouvernement de son pays au-dessus de tout. Il a sauvé la tête des hommes en place, que ce soit le ministre de la défense Geoffrey Hoon, qui avait déjà fait ses valises, et, surtout, celle du Premier ministre Tony Blair. Il a “jugé” (l’étrange mot !) que la stabilité de la structure du pouvoir valait toutes les vérités du monde, même quand elles sont évidence pure.

• L’establishment britannique a montré son sens de la solidarité, comme seules les canailles savent faire. Le pouvoir politique est blanchi, de la façon la plus catégorique possible, et, par conséquent, de la façon la plus suspecte qu’on puisse imaginer. Rien à dire de plus.

Rien à dire de plus ? C’est à voir. Le sentiment général, on le retrouve dans nombre d’éditos, tant l’intervention du juge Hutton est d’une partialité qui, littéralement, nous coupe le souffle, — comme l’écrit justement le Guardian : « Hutton's embrace of any construction of the evidence surrounding David Kelly's death that might be helpful to the government is breathtaking in its sweep ». La citation des deux premiers paragraphes de cet éditorial du quotidien britannique suffit à expédier l’affaire.


« We have been here before. In April 1972, the former brigadier Lord Widgery published his now notorious report into the killing of 14 unarmed civil rights demonstrators by British paratroopers in Northern Ireland three months earlier on Bloody Sunday. Widgery cleared the soldiers of blame, insisting, in defiance of a mass of evidence, that they had only opened fire after coming under attack. The Widgery report was so widely seen as a flagrant establishment whitewash, and continued to be such a focus of nationalist anger, that a quarter of a century later Tony Blair felt compelled to set up another Bloody Sunday inquiry under Lord Saville, still sitting today.

» Lord Hutton — a scion of the Northern Irish protestant ascendancy who himself represented British soldiers at the Widgery inquiry — has, if anything, outdone Widgery in his service to the powers that be. Hutton's embrace of any construction of the evidence surrounding David Kelly's death that might be helpful to the government is breathtaking in its sweep. Instead of a prime minister who took the country to war on the basis of discredited dossiers about Iraqi weapons of mass destruction, it is the BBC that now finds itself in the dock — and its chairman who was last night forced to resign. Hutton's report could scarcely have been more favourable if it had been drafted, or even sexed up, by Tony Blair's former spinmeister Alastair Campbell himself. The prime minister certainly knew his man when he appointed the one-time Diplock court judge to head the inquiry into Dr Kelly's death. »


Le titre du même édito du Guardian nous dit implicitement pourtant que rien n’est vraiment fini : « The Hutton saga is a sideshow. The real issue is who will pay the price for war and occupation ». Un autre quotidien, The Independent, va plus loin et annonce déjà des jours difficiles : « Demands grow for inquiry into the case for war as Hutton is accused of a “whitewash” »

Mais nous sommes victimes de notre temps. Nous sommes des gens moraux. Nous vivons dans un univers virtualiste qui impose l’apparence de fer de la morale. Blair est parti en guerre parce que c’était une juste cause, paraît-il, et parce qu’il est victime des excès de son caractère parfois illuminé, des montages qu’il avait imposés à ses services par conséquent et aussi des nécessités de l’alignement pro-US. La BBC a fait son travail parce que la liberté de l’information est le fondement de la démocratie, paraît-il encore, et parce que la compétitivité et la loi des marchés autant que de la “société du spectacle” imposent qu’il faille faire vite et spectaculaire. La BBC a exagéré, sans doute ; mais Blair, avec ses grotesques montages des armes de destruction massive qui peuvent taper sur Londres en 45 minutes ? Peuvent-ils croire que, dans le système médiatique étourdissant et le virtualisme galopant qui règlent tout aujourd’hui, on laissera de côté les si grossières évidences qu’a laissées derrière lui le Premier ministre, dans un temps où le château de cartes Blair-Bush prend eau de partout ? L’impudence et le mensonge finissent par étouffer (couper le souffle).

D’un point de vue politique cynique, complètement cynique, un Européen ne devrait pas être mécontent. Un Blair affaibli, c’est-à-dire obligé d’en rabattre sur ses intentions belliqueuses pro-américaines et plutôt conduit à célébrer l’Europe, vaut mille fois mieux qu’un Brown britannique avant tout, anti-européen, prêt à s’aligner sur les Américains sans le moindre état d’âme. (En cas de chute de Blair, le Chancelier de l’Échiquier le remplacerait.) Mais d’un point de vue un peu plus élevé, qui dit qu’il y a certains équilibres de justice et de vérité à respecter, dans l’intérêt même de la stabilité des régimes et de la paix des âmes, dans l’intérêt même de l’establishment d’ailleurs, — de ce point de vue, cette affaire nous donne à penser de façon vertigineuse.

D’un autre côté (suite) : que pouvait faire d’autre ce serviteur si zélé du pouvoir en place qu’est le juge Hutton ? Dans toutes ces questions sans réponse, on mesure l’impasse de nos régimes occidentaux, de cette folie que sont devenus la politique occidentale et le mensonge virtualiste qui la gouverne. Nous sommes au regret, peut-être, — peut-être pas si mécontents d’autre part, — de vous annoncer que nous n’en avons pas fini avec cette guerre et ses suites, du côté de Londres, de Downing Street, du diable et de son train. Justement : le diable en rit encore, et de plus belle.


«An insult to the intelligence of anyone who reads it and an insult to the British people»

Pour ceux qui veulent lire une réaction plutôt vive, mais vraiment pas injustifiée, au rapport Hutton, voici un extrait de la réaction du site américan Xymphora, par ailleurs très intéressé par la mort du Dr. Kelly et assez bien informé sur cette question.


« The British people are peasants and remain peasants. In no modern country would such an insulting report be issued without riots in the streets. This report is an insult to the intelligence of anyone who reads it and an insult to the British people, who apparently are prepared to accept this horseshit from their “betters”, and like it. Gloating Blair, who has been lying to the British people non-stop for months, now has the absolute audacity to demand an apology from those who dared point out the obvious fact that every single thing he said to force through the attack on Iraq has proven to be a lie. Hutton must have retired to his club, lit up a big cigar (or perhaps a big blunt, for that is what he must have been smoking when he wrote his report), and had a huge laugh with his friends about how the peasants have been fooled again. »