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844Moins d’un an après la nomination du général McChrystal comme commandant en chef en Afghanistan, chargé de l’application d’une nouvelle stratégie victorieuse, la guerre en Afghanistan semble se défaire, se dissoudre alors qu’elle est soi-disant conduite avec détermination. Comme l’écrit Josh Mull (voir notre Ouverture libre ce 21 juin 2010), la guerre en Afghanistan est “en cours de désintégration sous nos yeux”…
@PAYANT Peut-il faut-il commencer à envisager d’admettre que nous approchons du moment de décision en Afghanistan, le moment où l’Ouest, ou le bloc américaniste-occidentaliste (les USA et l’OTAN), n’aura plus comme problème que celui d’aménager le retrait de façon à ce qu’il soit le moins évident possible qu’il s’agit d’une sévère défaite aux conséquences catastrophiques pour le statut, l’influence et l’équilibre interne de ce bloc. Comme le décrit Josh Mull, en Afghanistan c’est dans tous les cas le sentiment qui domine, avec les manœuvres à ciel ouvert de Karzaï, y compris le choix de ses partenaires pour l’“après-guerre”, et ces partenaires étant tous asiatiques, y compris les Japonais pour assurer le développement des richesses minières de l’Afghanistan.
Ce qui est notable, bien entendu, c’est qu’à Washington la perception évolue aussi dans ce sens et il n’y a plus que le Pentagone pour insister sur une présentation (une narrative) optimiste du conflit. Même la Maison-Blanche semble avoir décidé de rester discrète sur cette affaire, pour tenter de prendre ses distances des militaires et leur faire supporter le poids de l’échec. La Speaker de la Chambre, Nancy Pelosi, vient de signaler aux militaires et à leurs chefs, à Robert Gates en premier, qu’il n’est plus improbable que le Pentagone n’obtiendra pas les quelques dizaines de $milliards qu’il réclame pour la poursuite de la guerre, pour le 4 juillet au plus tard . Pelosi juge qu’il y a des chances très sérieuses pour que la Chambre ne respecte pas ce délai. Effectivement, Gates se trouvera dans la situation qu’il définit lui-même de “ridicule” de devoir diminuer les salaires des soldats et mettre à pied du personnel civil pour réunir l’argent nécessaire à la poursuite de la guerre. Situation “ridicule”, mais également humiliante sinon pathétique, qui résume l’estime où le Congrès tient aujourd’hui cette guerre. Les parlementaires ne pensent qu’à leur élection de novembre et savent parfaitement que la guerre est extrêmement impopulaire dans le public.
Par conséquent, c’est aujourd’hui à Kaboul, autour de Karzaï et des talibans que s’élaborent les conditions du conflit, ou de la fin du conflit, ou de cette phase du conflit dans tous les cas. Il nous paraît très probable que la méfiance grandissante du secrétaire général de l’OTAN pour la guerre en Afghanistan ne va cesser effectivement de grandir encore, et que l’Organisation en tant que telle va tenter de plus en plus, et de plus en plus vite, de prendre ses distances d’avec le conflit. Les six mois qui viennent jusqu’à la fin 2010 devraient voir des bouleversements dont l’effet, en Occident, sera de peser considérablement sur les liens stratégiques traditionnels, entre l’Europe et les USA, voire même entre les USA et l’OTAN.
L’orientation générale est, pour l’Afghanistan, de se tourner vers son Orient asiatique ou assimilé, du Pakistan à l’Inde, voire à la Chine, – voire à la Russie sur son flanc Nord. Les appels du pied de Karzaï aux Japonais pour l’exploitation des richesses minières du pays entre dans cette réorientation qui s’inscrit dans un grand mouvement qui, loin du seul constat malgré tout structuré du passage de l’unipolarité US à une multipolarité ordonnée, constitue d’abord un échec fondamental pour la stratégie américaniste, un facteur de plus de l’affaiblissement des USA et de la dégradation de son influence, et finalement un facteur objectif d’accroissement du désordre des relations internationales. Les plus importants effets d’une semblable évolution, si elle a lieu, seront d’abord intérieurs aux USA, en accélérant la crise intérieure de l’ancienne “hyperpuissance”. Cette perspective pessimiste comprend comme facteur principal, moins le bouleversement stratégique qu’on signale que l’accélération de l’effondrement du système de l’américanisme. De ce point de vue, l’Europe, et même l’OTAN, seront contraintes à envisager un jeu spécifique qui tendra à établir une distance entre elles-mêmes et l’influence américaniste, tout cela bien plus dans le désordre que par stratégie élaborée.
Il faut signaler enfin, pour caractériser l’hypothèse et dans la logique de ce qui précède, qu’une telle prospective accorde bien plus d’importance au facteur de la communication qu’au facteur stratégique (l’ère psychopolitique plutôt que l’ère géopolitique). Cela ne fait que confirmer une caractéristique de la situation générale. C’est en effet au niveau de la perception, constamment à contrepied par rapport à leurs intérêts, que ce soit pour l’engagement ou l’éventuelle préparation d’un éventuel désengagement, que les USA ont évolué par rapport à ce conflit. A chaque occasion, ils ont placé la perception de leur position dans une posture telle qu’ils ont chaque fois été perçus eux-mêmes comme engagés dans une politique fautive, avec des effets destructeurs. Il serait temps de tenir compte de ces réalités. Certes, l’Afghanistan est toujours en bonne place dans les explications des géopoliticiens adeptes de Brzezinski, qui vous expliquent comment les défaites US sont en fait des victoires déguisées ; mais non, vraiment, les agitations de Karzaï et le reste commencent à faire désordre et nous restituent une réalité objective de la situation qui n’a que de lointains rapports avec les théories de la géopolitique.
Mis en ligne le 21 juin 2010 à 05H02