Négocier à l’abri d’une complète soumission

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Négocier à l’abri d’une complète soumission

Il y a donc une “crise” majeure, sinon une “hypercrise” – puisqu'il semble qu'on peut employer ce terme, – entre la Turquie et les USA ; on connaît la cause de la chose, dont il a souvent été question ailleurs comme ici puisque le dilemme est posé depuis plus d’un an. Il s’agit de la commande de missiles antimissiles S-400 russes par les Turcs, contre laquelle les USA s’élèvent avec fureur en menaçant de supprimer la commande de 100 F-35 par la Russie (l’arrêt de la livraison de la logistique de ce programme vers la Turquie a été effective mardi).

Les derniers développement, après les rencontres des trois derniers jours à Washington en marge du 70èmeanniversaire de l’OTAN, n’ont pas arrangé les trames de cette crise, comme le signale un texte de RT.com de ce 5 avril 2019... 

« Le Pentagone a fermement rejeté l'offre de la Turquie de créer un groupe de travail bilatéral qui garantirait qu'aucun secret militaire des États-Unis ne soit compromis une fois qu'Ankara aura déployé les systèmes de défense aérienne russes S-400.

» Tentant de préserver une relation de travail avec Washington dans un contexte de désaccords sur l'achat par la Turquie de systèmes d'armes modernes russes, le ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a proposé mercredi de créer un groupe technique bilatéral pour s'assurer que le S-400 “ne sera pas une menace, – ni pour les F-35 ni pour les systèmes OTAN”. Il a réitéré la possibilité d’un tel arrangement jeudi, avant que le Pentagone ne rejette la proposition turque, insistant sur le fait qu'elle s'oppose à ce que les armes américaines et russes travaillent côte à côte.

» “Un groupe de travail technique n’est pas une nécessité ni même une possibilité de processus de résolution que les États-Unis puissent envisager”, a déclaré le porte-parole du Pentagone, Eric Pahon. “Nous avons été clairs avec la Turquie à tous les niveaux, – le S-400 est une menace pour le programme F-35 et la sécurité de nos alliés de l'OTAN”.

» Le Pentagone a interrompu le transfert de technologie des F-35 vers la Turquie plus tôt cette semaine, “jusqu’à ce qu’Ankara abandonne son projet d'acquisition du matériel russe”. Cette décision a été suivie d'un avertissement du vice-président Mike Pence, qui a menacé d’expulser la Turquie du programme d’avions d’attaque interarmes F-35, à moins qu'il ne se comporte comme un bon allié de l'OTAN et se soumette aux conditions de Washington. La Turquie s'est jointe au Programme en 2002 et, au fil des ans, a investi plus de 1,25 milliard de dollars dans le développement et la fabrication de diverses pièces pour l'avion.

» Washington reste déterminé à faire pression sur la Turquie pour qu'elle achète des systèmes de défense antimissile Patriot de fabrication américaine. “Ce problème avec le S-400 est un problème très sérieux, a déclaré jeudi le porte-parole du Pentagone”, Charlie Summers, aux journalistes. “S’ils acceptent le S-400, ça affecterait le F-35.”

» La Turquie “pourrait convenir d'un prix” pour les Patriot anti-missiles [que les USA proposent à la Turquie], en attendant l'approbation du Congrès pour résoudre la question du F-35, mais elle ne considère pas qu'il s'agit d'une alternative au S-400, a rappelé Cavusoglu. Le ministre a également souligné que les relations avec la Russie ne sont pas considérées comme une alternative à l’alliance de l'OTAN.

» Cherchant à réduire les frictions dans les relations bilatérales, le secrétaire d'État Mike Pompeo a déclaré qu'il restait “très confiant” que les deux parties “trouveront la voie à suivre”, après une rencontre entre des diplomates américains et turcs de haut niveau. Ankara a accusé le Département d’État américain de faire de fausses déclarations et de ne pas mentionner que Pompeo avait menacé la Turquie de “conséquences dévastatrices”. »

Cette hypercrise doit être effectivement identifiée comme “hyper” parce qu’elle est semée de paradoxes qui ne font que l’aggraver d’une façon, disons artificielle. Qui dira aux Turcs que c’est pour eux une bénédiction de se voir interdire la livraison de F-35 qui sont les fers à repasser que l’on sait ? Pas les généraux de l’aviation turque qui sont bouche bée et admiratiuve devant le F-35, entre deux voyages à Washington et à Fort-Worth. Quant à leur présence comme sous-traitants dans le programme F-35, avec investissements déjà faits, les Turcs n’ont rien à perdre et pas grand’chose à gagner, contrairement à ce qu’ils imaginent : les sous-traitants connaîtront le même sort que le programme, ils seront les premiers sacrifiés dans la catastrophe industrielle et technologique sans nom que va devenir le F-35. (Les Turcs ont déjà investi ? C’est de l’argent perdu, et ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes.)

Pour le Pentagone, la commande turque est importante, mais dans la mesure où la condition sine qua non (pas de S-400) est respectée. Même si certains savent bien que le F-35 est une ignominie  sans nom, il reste une gloire de laz puissance technologique de l'américabnisme (“it is a sonovobitch but it is our sonovobitch”). Il est hors de question d’écarter toutes les mesures de protection et d’exclusivité autour du programme, qui sont là pour entretenir et renforcer son image, et même qui n'ont que cette mission de protection de son image ; car on ne protège pas les secrets du F-35, on protège le simulacre de communication qu’est le F-35. Il est d’autant plus impératif qu’il n’y ait l’apparence d’aucun risque couru, que le Pentagone fasse “comme si” aucune concession ne peut être faite pour assurer la “protection” à 150% de ce non-avion.

Le Pentagone sera d’autant plus dur avec la Turquie que le F-35 est une catastrophe invendable, sinon par ses arguments de communication : plus le Pentagone est faible sur ce segment énorme et monstrueux du F-35, plus il durcit sa position d’intransigeance de la Turquie qu’il considère de plus en plus comme un pion de convenance, au travers duquel il peut notamment mais en prime, – ce n’est pas négligeable, – asséner un coup assez dur à la Russie si les Turcs pouvaient avoir l'obligeance soumise d'annuler leur achat de S-400. La logique du Pentagione est simplement de dire aux Turcs : “Capitulez complètement, soumettez-vous sans réserve en annulant purement et simplement la commande des S-400, et nous pourrons commencer la négociation sur un complet pied d’égalité, en partenaires loyaux et fidèles.” 

A force de jouer au plus fin ou au plus fort, selon les circonstances, les deux partenaires-adversaires vont vite se retrouver devant l’impensable pour Washington D.C. : les S-400 commençant à être livrés à la Turquie... Si c’est le cas, ce sera une surprise considérable, un événement absolument explosif. Plus que jamais, notre jugement du 9 mars 2019 nous paraît donc valable en cas de livraison, effective des S-400 (selon, le calendrier établi, livraison commençant en juillet pour un premier déploiement opérationnel en octobre) : 

« On connaît les variations de position d’Erdogan et ses capacités de changement de cap, mais dans le cas des S-400 l’affaire paraît vraiment trop avancée : les Turcs ont commencé à payer les premières traites du contrat de $2,5 milliards signé fin 2017 et les premiers échanges de techniciens turcs et russes concernant le maniement des S-400 ont déjà commencé, avec la livraison des premières batteries attendues en juillet, dans quatre mois, avec une mise en service opérationnelle très rapide, en octobre.

» Cette chronologie n’intéresse pas la partie américaniste qui suit son propre agenda prospectif, dans son propre monde, et dans lequel il est prévu que les Turcs céderont parce qu’il est simplement évident qu’il est inconcevable que l’on ne cède pas aux USA. Cela fait qu’à moins d’un effondrement complet d’Erdogan, – certains jugeant qu’il risquerait une perte catastrophique d’autorité et de prestige pouvant mettre en danger sa position de président s’il renonçait aujourd’hui aux S-400, ce qu’il sait fort bien, – les livraisons de S-400 vont éclater dans la capacité de vision des USA, et surtout dans la perception de Trump, à la manière et avec l’effet d’une explosion nucléaire. C’est alors que la crise atteindra son paroxysme, avec un Trump au comble de la fureur, capable de prendre des décisions catastrophique, où l’équilibre de l’OTAN pourrait être mis en cause. »

On pourra lire, par exemple sur Sputnik.News le 4 avril 2019, les commentaires de quelques “experts” sur les divers prolongements possibles de cette hypercrise. Le propos est banal, la vision très limitée ; d’un côté, les “experts” estampillés-BAO, même s’ils sont Turcs ou Arabes, ne peuvent imaginer un monde où un pays comme la Turquie qui ne finisse par se soumettre aux États-Unis, surtout quand l’enjeu est cette pure et indestructible merveille hors-sol (le JSF) ; de même, ils ne peuvent imaginer les enchaînements de rupture et de bouleversements qui naîtraient d’une hypercrise menée à son terme. 

Tout le monde joue avec le feu, comme un enfant avec des allumettes... On n’en attendait pas moins de ces excellents acteurs du drame contemporain de l’Effondrement.

 

Mis en ligne le 5 avril 2019 à 14H42