‘Néo’, de quel puritanisme es-tu le nom ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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‘Néo’, de quel puritanisme es-tu le nom ?

07 mars 2021 – Regardant un documentaire récent sur le trio Jacqueline Maillan, Poiret & Serrault, nous vîmes une séquence où Maillan grimée en oiseau des îles, d’une teinte fort proche du marron moyen, interprétait « Mon doudou » devant un ballet exotique complétant le spectacle qui pouvait être aussi bien jugé comme une reconstitution comique que comme une satire à peine moqueuse et un rien attendrie (appréciation plutôt paternalo-capitaliste, affreusement). Épatée par les performance (celle-là et d’autres) de nos anciens, notamment ces trois-là, une voix amie me fit cette remarque : « Elle ne pourrait plus interpréter cela aujourd’hui ». La remarque valait aussi bien pour les extraits divers de « La cage aux folles » (un couple d’homosexuels) de Poiret-Serrault, que pour une autre sortie de Maillan, interrogée en 1975 sur les hordes déchaînées des mouvements féministes, et répondant en substance, quelque chose comme : “Toutes ces choses sont ridicules, si vous croyez que les femmes ne pouvaient rien faire ni s’affirmer avant ! Elles le faisaient plus en douceur, mais elles le faisaient, et comment !”

C’est vrai me dis-je sans ménagement, ce ne serait plus possible aujourd’hui. Je pensai alors à cette remarque faite si souvent ces temps-ci de censure extrême, et qui plus est de censure assumée, magnifiée, applaudie, brandie absolument, présentée comme une vertu éducative, – rien de moins ; la phrase souvent dite par ceux qui se veulent critique de cette évolution des temps : « C’est le retour du puritanisme » ; et l’explication, à peu près ceci : “Cela vient de l’Amérique, son fond de puritanisme, absolument irréfragable”.

Ce n’est pas faux certes, mais c’est au moins incomplet, insuffisant ; et cela mérite d’être exploré, non sans préciser que je n’hésiterai pas à employer, très vite dans le texte, l’expression de “néo-puritanisme”.

Il faut s’attacher au terme de puritanisme. On a parlé également, pour définir la tendance censureuse et autre de cette époque, d’“Inquisition” ou de “McCarthysme”, voire de “communisme” dans le cas des camps de redressement avec autocritique, mais je souscris moins à ces analogies, même s’il y a nécessairement certains aspects de pratiques communes (dénonciation dans certains cas, auto-humiliation publique, etc.). Dans ces phénomènes, il s’agissait essentiellement d’obtenir, soit par l’argument, soit par les contraintes brutales habituelles, – nous ne sommes pas chez les bonnes sœurs, contrairement aux apparences, – la contrition, l’adhésion, ou le renouvellement d’adhésion à une foi ou à une idéologie, éventuellement en affirmant ce “choix”-forcé par un serment ou un engagement solennel, parfois en démontrant ce “choix”-forcé par une pratique ou l’autre. Le mode de vie, la façon d’être, les mœurs allaient d’eux-mêmes à partir de ce “choix”-forcé, avec éventuellement les libertés prises silencieusement et cachées qu’on imagine, selon la liberté de manœuvre qu’autorisaient les divers systèmes envisagés.

Aujourd’hui, il y a effectivement un puritanisme, – un “retour du puritanisme” quoique je dirais plutôt, lorsqu’on mesurera les différences, “néo-puritanisme” ; mais, comme on va le voir, ce néo-puritanisme nullement dans le sens où l’acte touche essentiellement une personne d’une même foi [le mot est employé à dessein], par conséquent qu’on n’a nul besoin de convaincre de cette foi ou de l’y convertir, mais dont il est nécessaire de modifier le comportement dans le sens d’un plus grand respect, sinon d’un respect extrême de tous les enseignements directs et indirects de cette foi.

Certes, ce qu’ils nomment encore “puritanisme” a pris depuis ses origines religieuses un sens plus large, qui le dégage de l’orbite de la foi de telle ou telle religion, mais pas nécessairement de l’orbite de quelque chose qui peut prétendre être perçu comme une “foi” ; dans tous les cas, sa définition devient précisément celle de l’austérité des mœurs et du comportement, antonyme de l’hédonisme :

Wikipédia : « Le puritanisme est un courant spirituel du calvinisme qui désirait “purifier” l’Église d'Angleterre du catholicisme à partir de 1559 et en Nouvelle-Angleterre à partir de 1630.
» Cette doctrine des puritains a pris aujourd'hui le sens figuré, souvent péjoratif, de conduite de ceux qui professent un certain moralisme et rigorisme. Dans le langage courant, un “puritain” est une personne austère, rigide, hostile à tous les plaisirs : “pureté” à laquelle on associe volontiers une teinte d’ostentation, voire d'hypocrisie, sans appartenance religieuse particulière. »

Académie Française : « Adepte du puritanisme ; membre d’une Église issue de ce mouvement. “Les pèlerins du ’Mayflower’ étaient des puritains”. Par extension, souvent péj. Personne qui professe une grande austérité de mœurs, une extrême rigueur dans l’observation des principes et le respect des règles de la morale. [...] 
» “La société américaine est imprégnée de l’esprit puritain.” »

Je pose pour mon compte comme une évidence qu’il y a effectivement un retour du puritanisme en un néo-puritanisme de nature différente, mais avec des similitudes par rapport à la marque d’origine, ne serait-ce que par l’imposition ouverte de la censure, dans certains cas par voie législative, le plus souvent par voie de la communicationSystème d’une telle puissance que des expressions comme “lynch médiatique” ou “lynch par les réseaux sociaux” dans tout leur sens ont gagné droit de cité d’une façon irrésistible sinon totalitaire. Le “lynch médiatique/par les réseaux sociaux” s’apparente presque à une peine pénale horrible et inhumaine, signifiant une mise à l’index par la déshumanisation et l’humiliation, jusqu’au totalitarisme communicationnel de l’individu visé, sinon son “effacement” (“Cancel Culture”) qui est du type d’une néantisation pure et simple.

Je pose également comme une évidence que ce puritanisme renvoie à une foi qui s’exprime par diverses métaphores : “foi dans le Progrès” d’une façon générale, comme vertu universelle ;  “foi dans la diversité”, “foi dans l’inclusivisme hystérique”, “foi dans les minorités genrées [sexuelles]”, “foi dans l’antiracisme-antisuprémacisme” ; et, dans la voiture-balai des spécificités de cette grande course révolutionnaire, pour assurer et verrouiller les bonnes consciences, “foi dans la science” qui ne manque pas d’interdits totalitaires.

(Par exemple pour cette dernière catégorie et pour situer le niveau de la pensée, ceci d’assez aimablement extrême rappelant les expérimentations des experts-médecins de la NSDAP, venu du Herr Doktor Philip Schmid, « spécialiste du comportement, qui étudie le scepticisme à l’égard des vaccins à l’université d’Erfurt »... [Avez-vous jamais eu un prof qui étudie le scepticisme vis-à-vis de l’aspirine ou de l’antibiotique, avec la peine nécessaire ? Vis-à-vis de la couleur et de la profondeur des “Trous-Noirs” et de l’âge du cosmos [13,4 milliards d’années, selon des sources approximatives] venu d’où vous savez bien ? Herr Schmid donc, pas du tout du NSDAP, cité dans le Guardian du 5 mars 2021, à propos de la “non-croyance sceptique” dans les vaccins anti-Covid : « D’une certaine façon, les gouvernements doivent travailler sur un développement parallèle de vaccins [obligatoires par définition], – immuniser le public contre le déni de la science. »)

Mais ce qu’il y a de très spécifique dans le cas que nous étudions est que la “foi” dont il est question, dont ce néo-puritanisme est l’expression opérationnelle, n’est en rien universelle ni en relation avec lui. Elle n’existe pas chez ceux que l’on veut soumettre au néo-puritanisme alors que le puritanisme originel, qui s’appliquait à des chrétiens, ne tendait à dicter, sinon à imposer qu’à des chrétiens une pureté extrême de ce christianisme. On doit alors dire que ce néo-puritanisme n’est applicable qu’aux ennemis de cette foi, les croyants de cette foi étant par définition des puritains de cette foi.

Le caractère le plus extrême de ce néo-puritanisme est celui qui concerne l’ensemble, – on dirait un “cluster” pour rester dans l’air du temps, non ? – concernant les opinions (non nécessairement idéologiques), les comportements, les mœurs, les façons d’être dans la vie courante, etc., jusqu’à l’essence même du “moi” individuel qui doit se modifier à mesure pour se couler sans heurts ni déviance dans l’ensemble proposé ; c’est-à-dire, pour reprendre les métaphores évoquées plus haut, “foi dans la diversité”, “foi dans les minorités genrées [sexuelles]”, “foi dans l’inclusivisme hystérique”, “foi dans l’antiracisme-antisuprémacisme”, – bref, “foi dans le wokenisme”, vécu comme ce néo-puritanisme qui vaincra toutes les dévciances venues des comportement d’“avant”, des temps anciens de Before G.F. (G.F. pour George Floyd, comme l’on dit J.C. pour qui-vous-savez).

Là aussi, je mets en avant ma conviction pour soutenir l’hypothèse évidente que tous ces caractères, qui concernent par définition des minorités selon le seul argument qu’elles sont des “minorités”, et des pratiques de mœurs spécifiques qui sont bien plus que des mœurs et sans doute proches d’être des sacrements conduisant à une foi absolue, sont totalement déstructurants et déconstructeurs jusqu’à la dissolution, – déconstructionnisme à la recherche d’une finalité de l’entropisation transitant par la dissolution. Cette “feuille de route” du “déconstructionnisme à la recherche d’une finalité de l’entropisation transitant par la dissolution ”, ne s’attaque pas essentiellement, sinon par tactique nécessaire ou comme dégâts collatéraux, à nos “valeurs” modernistes dont il ne me déplairait pourtant pas qu’elles fussent détruites ; elle s’attaque absolument aux principes fondamentaux relevant de toute démarche à la fois de la Tradition et de la recherche d’une civilisation au travers de formes dont le but devrait se trouver défini par les notions d’équilibre, d’harmonie et d’ordre. (On voit bien qu’on ne discute pas ici de ces sornettes pour enfants de chœur de la République, du type “démocratie”, “droits de l’homme” & Cie.)

Il revient alors à la conclusion d’observer que ce néo-puritanisme, outre d’utiliser la maximalisme du puritanisme, n’évolue nullement comme le voulait la chose originelle dans le sens d’une “pureté” et d’une austérité des mœurs (ce mot dans le sens général recouvrant nos diverses spécialités inclusives dans ce courant), mais au contraire dans le sens d’un déchaînement catastrophique des mœurs bien au-delà de toute description que l’on peut relever dans les chroniques des temps passés. Le puritanisme originel est sans aucun doute chargé de lourdeurs et de contraintes, de tortures et de crimes qui le disqualifient, mais il ne prétendait nullement conduire à l’entropisation. Le néo-puritanisme additionne tous les traits les plus détestables et les plus contraignant du puritanisme et les met au service d’une non-doctrine, d’une anti-religion vécue avec une foi intensément religieuse, pour ne viser que le néantissement de l’entropisation. Il est à la fois et absolument, – 1) subversion, et 2) inversion.

C’est bien ce totalitarisme de l’entropisation qui est remarquable dans le néo-puritanisme, à un point où seule la bêtise absolue, la bêtise lumineuse du fond des cavernes du Mordor et de la nage artistique dans les marigots de “D.C.-la-folle” en constitue l’axe central, – à condition que l’on fasse sienne, comme je le fais moi-même sans aucun doute, cette analyse de Pierre-André Taguieff que je complète et chapeaute par cette remarque de René Guénon, les deux qui nous situent là où doit nous apparaître l’horizon de notre jugement :

• Taguieff : « On connaît le dogme des pseudo-antiracistes contemporains, que j’appellerai le dogme inexistentialiste : “Le racisme anti-Blancs n’existe pas.” On est tenté d’ajouter : sauf chez la plupart de ceux qui affirment cet énoncé dogmatique. Le déni du racisme anti-Blancs peut en effet exprimer soit une adhésion idéologique au racisme anti-Blancs doublée d’une volonté de cacher cette adhésion, soit une forme de conformisme relevant du politiquement correct, soit une forme de bêtise consistant à nier les évidences. » (‘L’imposture décoloniale’, 2020)

Guénon : « L’on dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s’empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature... »

Cet excès, dont seul le diable est effectivement le producteur patenté, est tel qu’il porte en lui la marque de sa propre mort par suicide. Cela entraînera la civilisation qui en a accouché, – ditto, le Système, — ce qui explique que je ne sois pas vraiment malheureux de vous conter tout cela.