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9 octobre 2002 — A côté de la grande bataille onusienne entre détenteurs d'un veto qui s'opposent sur la question des résolutions irakiennes, un “deuxième front” vient de naître, qu'il est fort intéressant d'observer. Il concerne ce qu'on pourrait désigner, à défaut d'expression plus satisfaisante, comme une sorte de néo-“neutralisme” activiste. L'étiquette est sommaire et certainement en partie trompeuse et nous l'offrons dans l'attente de voir se dégager, du mouvement lui-même s'il s'affirme, une définition et une étiquette plus précises. Pour l'instant, ces pays se définissent sous l'appellation de Coalition for a New Agenda, que nous désignerons pour faire bref comme les pays-CNA. Un article d'Asiatimes tente de présenter ce mouvement, qui regroupe pour l'instant sept pays non-nucléaires et non-dotés d'un droit de veto au sein du Conseil de Sécurité.
« A group of nations is taking the United States and seven other nuclear powers to task at the United Nations General Assembly for not paying closer attention to the issue of nuclear disarmament. Last week, the Coalition for a New Agenda - Ireland, Mexico, Brazil, Egypt, New Zealand, South Africa and Sweden - adopted a unanimous resolution expressing its “deep concern” over the existence of thousands of nuclear weapons and the continuing possibility of their use.
» The coalition says that it is particularly concerned over the development of new types of nuclear weapons, a reference to US policy to develop a new generation of nuclear weapons that are perceived to be more useable, so more likely to be used. »
A côté de ce groupe formel et de ses intentions officiellement affichées, observons qu'il y a effectivement, au sein du Conseil de sécurité, parmi les membres tournants (non-veto), un mouvement général qu'il est également intéressant de signaler. On ne retrouve pas nécessairement les pays-CNA mais on trouve des préoccupations communes, dans la circonstance générale qui est celle de la crise irakienne. Une analyse d'AFP du 4 octobre nous faisait observer ceci :
« Even if the veto threat [against the US, UK motion on Irak] could be overcome, the United States and Britain may only be able to count on the support of four — Bulgaria, Colombia, Norway and Singapore — of the non-permanent members, and two of those — Colombia and Singapore — are shaky, officials said.
» The remaining elected Security Council members — Cameroon, Guinea, Ireland, Mauritius, Mexico and Syria — were all opposed to the US-British proposal in varying degrees, with the most adamant being Ireland, Mexico and Syria, they said. »
Il y a là, pour l'instant, une situation compliquée mais dont l'intérêt est évident. On peut néanmoins commencer à mieux l'appréhender au moyen de quelques remarques simples.
• Le projet US d'attaque contre l'Irak rencontre également (en plus de l'opposition/réticences de trois pays ayant le droit de veto) une résistance certaine dans les pays non-veto. Le fait lui-même n'est pas étonnant tant on sait combien le projet US est impopulaire ; ce qui est étonnant est que cette opposition s'exprime ouvertement au Conseil. (On peut déjà noter là-dedans une conséquence négative de plus de l'énorme erreur stratégique américaine d'avoir accepté de présenter la question irakienne à l'ONU, — erreur par rapport à la logique US, quoiqu'on pense par ailleurs de cette logique unilatéraliste et préemptive en général.)
• Les pays strictement CNA se regroupent sur l'idée d'une opposition au nucléaire en général. Ils condamnent les armes de destruction massive (nucléaire) pour tous les pays nucléaires, et non pour la seule (et fort hypothétique) Irak. Ce mouvement renvoie aux précédents neutralistes, anti-nucléaires, mais il a une toute autre signification (quoique veuillent ses membres) dans la situation présente.
• L'opposition par principe au nucléaire des pays-CNA ne peut être séparée de l'opposition politique conjoncturelle des pays non-veto actuels du Conseil, notamment pour la simple raison que certains sont les mêmes : c'est le cas du Mexique et de l'Irlande ; notamment, pour la raison encore bien plus forte que c'est la crise irakienne qui pose la question de l'emploi et de le menace du nucléaire, et de toutes les façons : certes, la soi-disant menace irakienne d'emploi du nucléaire, mais aussi la menace implicite d'emploi du nucléaire par les US et par Israël contre l'Irak si l'Irak fait un acte le justifiant aux yeux de ces deux pays, et la menace de banalisation de l'emploi du nucléaire par les USA dans la nouvelle doctrine stratégique d'emploi de la force de manière pré-emptive. Mettre en cause tous les pays détenteurs d'armes nucléaires, aujourd'hui, c'est poser un acte d'accusation contre les USA. Ce point est largement mis en évidence par ce passage du texte d'Asiatimes :
« The coalition says that it is particularly concerned over the development of new types of nuclear weapons, a reference to US policy to develop a new generation of nuclear weapons that are perceived to be more useable, so more likely to be used.
» Recent reports indicate that the administration of President George W Bush has already directed the US military to prepare contingency plans to use nuclear weapons against at least seven countries, and to build smaller weapons for use in warfare.
» Critics say these plans break US promises made 30 years ago when the country signed the Nuclear Non-Proliferation Treaty (NPT) and agreed to negotiate the elimination of its nuclear weapons. Like other nuclear-armed countries, the United States renewed that promise in 2000, giving an "unequivocal undertaking" to accomplish the "total elimination" of its nuclear arsenals.
» Bush also continues to oppose the Comprehensive Test Ban Treaty (CTBT), which the United States has signed but refused to ratify. The treaty will be effective three months only after all 44 designated countries have ratified it. France and Britain are the only two of the five original nuclear powers to have ratified the CTBT. The US Senate rejected ratification in 1999. »
• Dans ce cadre, certaines situations deviennent très ambiguës et conduisent à séparer certains pays des autres dans le groupe. La Suède y figure par tradition pacifiste et antinucléaire. Cela ne lui vaudra pas beaucoup d'estime en Europe (les deux grands européens nucléaires n'apprécieront pas) et surtout aux USA. De même, on voit mal la Suède afficher une position anti-US dans l'affaire irakienne, tant ce pays s'est montré accommodant, ces dernières années, face aux exigences US. La situation des Néo-Zélandais est assez proche. (La situation de l'Irlande aussi, quoique ce pays ait montré plus d'activisme pacifiste sincère ces dernières années que les deux autres.)
• Finalement, en effet, la principale caractéristique du CNA est qu'il s'agit d'une poussée de plus à caractère anti-américain.
• Émergent de ce groupe et de la logique politique qu'il présente quelques pays non-industrialisés très activistes, et, parmi eux, le Mexique. On revient ainsi au cas mexicain, si intéressant et si surprenant. Sa présence au coeur des pays-CNA, après les marques d'indépendance vis-à-vis des USA qu'il a montrées, est particulièrement significative. Le Mexique pourrait apparaître comme le pays le plus affirmé dans la résistance à la poussée US, l'inspirateur d'un antiaméricanisme anti-hégémonique pour une sorte de “néo-tiersmonde” idéologique et/ou stratégique. Le Mexique tiendrait, dans ce domaine stratégique et géopolitique, le même rôle que tient la France dans la zone des pays industrialisés. Ainsi l'étiquette de néo-neutralisme activiste qu'on proposait ci-dessus céderait la place à une sorte de “néo-tiersmondisme”, si l'on en vient à la réalité des engagements de cers membres.