Netanyahou, le Système et le “devoir de désobéissance civile”

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Netanyahou et le “devoir de désobéissance civile”

L’écrivain israélien David Grossman, un des intellectuels et/ou artistes importants du pays, est aussi connu pour un certain engagement contre la politique activiste et belliciste du gouvernement. Pour autant, il ne s’agit pas d’un activiste au sens plein du mot, si l’on considère son statut et sa position et sa position en Israël, considération renforcée par divers points de sa position personnel (officier de réserve, a effectué son service dans le renseignement militaire dans les années 1970 ; il a eu un de ses fils, un commandant de char, tué en 2006 lors de la guerre contre le Hezbollah).

Grossman s’exprime dans Haaretz, et son intervention est reprise dans The Independent du 3 août 2012. Il dénonce la politique d’attaque unilatérale de l’Iran par Netanyahou, dont il juge qu’il (Netanyahou) est animé par une vision “mégalomaniaque” de la situation. (Ce jugement rejoint, dans l’investigation d’une pathologie de la psychologie, celui de l’ancien chef du Shin Bet, Diskin, qualifiant la vision de Netanyahou de “messianique”. Voir notamment le 7 mai 2012.) Grossman estime pourtant que les ambitions nucléaires (supposées) de l’Iran sont dangereuses mais juge, selon une rhétorique technique courante chez les opposants à la stratégie d’une attaque aérienne unilatérale, que cette attaque ne réduirait en rien ces ambitions et leur réalisation. Il fustige l’attitude “fataliste” du public israélien devant “un danger qui ne cesse de grandir chaque jour”. (Accessoirement, mais d’une façon certes intéressante, il confirme qu’il y a un nombre appréciable de fonctionnaires et de chefs militaires qui partagent les opinions qu’il exprime à l’encontre de Netanyahou et de sa politique iranienne de pousser vers une attaque unilatérale.)

«The author […] said there were serving ministers and defence officials “who in private express opposition to an attack; who believe that an Israeli attack will only defer Iran's nuclearisation for a very short time. They fear the profound consequences an attack would have for Israel's… very survival. Why aren't they standing up right now, when it is still possible, and saying: ‘We will not be a party to this?’ Is loyalty to the system more important than loyalty to the things they have devoted their lives to – Israel's security and future?”

»He added: “And what about us, the Israeli people […] who clam up in fatalistic resignation with eyes wide shut? How will we face ourselves and our children when we are asked why we kept silent? Why we didn't take to the streets in masses to demonstrate against the possibility of another war launched by us? Why we didn't set up a single symbolic protest tent in front of the Prime Minister's Residence to warn against the potential disaster heading our way?”»

Cette intervention de Grossman est intéressante, justement parce que l’homme, pour être ce qu’on pourrait désigner comme un libéral progressiste, disons de tendance plutôt non-interventionniste, n’en reste pas moins d’opinion assez conforme au courant général israélien. Pour lui, l’Iran armé de nucléaire est un danger pour Israël, mais une attaque contre l’Iran ne supprimerait pas ce danger. Il ne met pas en question le soupçon systématique à l’encontre de l’Iran de vouloir une arme nucléaire d’une façon dangereuse pour Israël et ne condamne pas le principe de l’attaque ; de même, il ne souscrit pas à l’hypothèse, développée dans des milieux académiques et militaires, selon laquelle la disposition éventuelle d’armes nucléaires par l’Iran conduirait à un équilibre de puissance, selon les conceptions largement démontrées de la dissuasion nucléaire réciproque.

On n’a donc pas affaire à un raisonnement dont la classification, selon ses éléments relatifs à la situation, serait du type antiSystème affirmé, sinon radicalisé. Pourtant, et c’est en cela que réside l’intérêt du propos, les jugements de Grossman sur Netanyahou, sur le Système et sur l’attitude à recommander par rapport à ces éléments, conduisent, eux, à une position de type antiSystème. Grossman nous dit, lorsqu’on va au sens profond de ses propos, que Netanyahou est un personnage présentant une pathologie de la psychologie, que la “loyauté au Système” qu’il suppose chez nombre de chefs militaires et dirigeants de la sécurité pourtant opposants d’une attaque contre l’Iran doit être rejetée au nom d’un jugement objectif sur les risques courus par Israël, que c’est le comportement de Netanyahou (et non celui d’Ahmadinejad et de l’Iran dans ce cas) qui représente une menace contre l’existence d’Israël, et qu’il existe par conséquent une sorte de “devoir de désobéissance civile”, aussi bien chez ces fonctionnaires et chefs militaires que dans le public, pour s’opposer, par la révolte ouverte, à cette politique. (Il faut noter que le raisonnement de Grossman, l’appel qu’il lance, ne tiennent aucun compte des données statistiques habituelles soutenant “démocratiquement” la position d’un homme politique et de son clan, – popularité électorale, sondages, etc. ; il met directement en cause la légitimité de l’objet de sa critique et juge que son comportement et sa politique le délégitiment complètement et justifient la “désobéissance civile”.)

Il s’agit d’un cheminement qui semblerait assez classique mais qui l’est moins qu’on le croit en seconde analyse. Il existe en effet un déséquilibre de plus en plus important entre l’opinion et l’action recommandable, qui apparaît clairement chez Grossman et qu’on trouve également chez certains chefs militaires et fonctionnaires qui ont déjà pris position (Dagan, Diskin, etc.). Il s’agit du déséquilibre entre une opinion qui reste assez conventionnelle tout en différant sur les moyens (l’Iran dangereux, mais l’attaque unilatérale de l’Iran l’est encore plus, dangereuse), et les actions dites “de désobéissance civile” ou d’insubordination qui sont requises, qui apparaissent au fil du temps, – mais au fil d’un temps très rapide (les premières manifestations publiques de désaccord datent de juin 2011), – parallèlement à la mise en cause de la politique de Netanyahou. Plus encore, le jugement qu’il y a conflit entre “la loyauté au Système” et la survie d’Israël, – c’est ce que dit Grossman, – pose en des termes très extrêmes une problématique soulevée par une opinion qui n’est au départ nullement extrême. La transmutation du devoir d’obéissance au gouvernement, aux autorités, etc., en une position de “loyauté au Système” (allégeance au Système, etc.), suppose le jugement implicite que les directions civiles impliquées ne sont plus légitimes. La caractérisation de la psychologie de Netanyahou dans ce contexte renvoie aux thèses de déséquilibre pathologique, que ce soit l’affection de la maniaco-dépression ou la terrorisation des psychologies.

Dans ce cadre générale, ce qu’on nomme le “devoir de désobéissance civile” devrait devenir, devant l’aggravation constante de la situation conduite par le Système et exécutée par des psychologies malades et dérangées, une consigne de plus en plus répandue. L’expression (la consigne) elle-même devrait acquérir son sens plein et général, et ne plus concerner le seul citoyen dans ses activités générales, mais également les fonctionnaires et chefs militaires, placés devant l’alternative de la désobéissance dans l’exercice de leurs fonctions. Dans ce cas, le terme de “désobéissance civile” a lui aussi son sens large : il n’a rien à voir avec la différenciation entre civils et militaire, il porte sur l’attitude des citoyens dans le cadre de leurs fonctions, y compris dans le gouvernement, vis-à-vis du pouvoir intérieur, à l’intérieur même d’une nation. Le terme de “désobéissance” ne porte pas sur une attitude générale mais sur les responsabilités individuelles et professionnelles du citoyen ; le qualificatif de “civil” a le sens large de tout ce qui concerne la vie d’une nation, à l’image de ce qu’est une “guerre civile”. Effectivement, la logique de Grossman est celle d’une “guerre civile” non armée, d’une insurrection à l’intérieur même des structures de l’État. Il ne s’agit pas d’un projet, d’un plan ou d’un complot ; il s’agit d’une logique antiSystème générée par le comportement du Système lui-même, et des activistes ou des déséquilibrés psychologiques qui le servent. (Que Grossman en ait ou non conscience n’importe pas, – et notre hypothèse est qu’il n’en a pas conscience précisément ; ce qui importe, c’est le cheminement de la logique antiSystème vers une constante radicalisation, voire une orientation “révolutionnaire”, auquel force le comportement du Système.)


Mis en ligne le 4 août 2012 à 09H30

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