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137328 septembre 2006 — Le site RAW Story a relevé une très intéressante situation concernant le magazine Newsweek dans ses éditions du 2 octobre. En reprenant et en soulignant l’affaire, nous n’en avons certainement pas après Newsweek d’une manière spécifique. Dans ce cas, le célèbre hebdomadaire représente parfaitement le comportement américaniste et le soin qu’on prend de la soi-disant “psychologie américaine” — remarquable surtout par son inexistence en tant que telle (en tant que psychologie nationale, d’une “nation” qui est un artefact historique). La fragilité de la psychologie américaniste est inscrite dans cette tragique situation.
Voici donc le cas Newsweek du 2 octobre.
• RAW Story nous présente d’abord l’édition internationale de Newsweek, avec l’enchaînement de la manchette de la page de couverture et du chapeau : «The Rise of Jihadistan — Five years after the Afghan invasion, the Taliban are fighting back hard, carving out a sanctuary where they—and Al Qaeda's leaders—can operate freely.»
• RAW Story nous parle ensuite de l’édition nationale de l’hebdomadaire, qui dit ce qui suit (titre de couverture et “chapeau” là aussi) : «Through Her Lens — In her new book, Annie Leibovitz, our most famous photographer, places celebs side by side with surprisingly personal images of love and loss. An exclusive.»
Pour aller au plus explicite quant au sens du propos, voici comment RAW Story nous présente sa nouvelle :
«The United States edition of the October 2, 2006 issue of Newsweek features a radically different cover story from its International counterparts, RAW Story has learned.
»The cover of International editions, aimed at Europe, Asia, and Latin America, displays in large letters the title “Losing Afghanistan,” along with an arresting photograph of an armed jihadi.
»The cover of the United States edition, in contrast, is dedicated to celebrity photographer Annie Leibovitz and is demurely captioned “My Life in Pictures.”
»The International cover story begins:
»“You don't have to drive very far from Kabul these days to find the Taliban. In Ghazni province's Andar district, just over a two-hour trip from the capital on the main southern highway, a thin young man, dressed in brown and wearing a white prayer cap, stands by the roadside waiting for two Newsweek correspondents. It is midday on the central Afghan plains, far from the jihadist-infested mountains to the east and west. Without speaking, the sentinel guides his visitors along a sandy horse trail toward a mud-brick village within sight of the highway. As they get closer a young Taliban fighter carrying a walkie-talkie and an AK-47 rifle pops out from behind a tree. He is manning an improvised explosive device, he explains, in case Afghan or U.S. troops try to enter the village.”
»The United Story cover story begins:
»“Annie Leibovitz is tired and nursing a cold, and she' s just flown back to New York on the red-eye from Los Angeles, where she spent two days shooting Angelina Jolie for Vogue. Like so many of her photo sessions, there was nothing simple about it. ‘I talked with Angelina before the shoot,’ says Leibovitz, who's famous for her preparation. ‘She felt like she was coming back from having the baby and she felt very sexy and ready to go.’ ... There were 50 people on the set, and racks of clothes from the New York spring collections to be tried and styled.”
»The story aimed at the United States then goes on to discuss the difficulties Leibovitz had in photographing Tom Cruise and Katie Holmes' infant. The International story continues with difficulties of a very different kind:
»“In Ghazni and in six provinces to the south, and in other hot spots to the east, Karzai's government barely exists outside district towns…”»
… Et ainsi de suite.
Bien sûr, l’exemple est exceptionnellement significatif. Qu’il ait été relevé par un site US qui se veut critique mais qui n’est certainement pas “dissident” d’une façon militante illustre ce jugement. Les deux couvertures de l’hebdomadaire speak volume, comme disent les Britanniques — le visage évidemment barbare et incompréhensible pour la psychologie américaniste du taliban prisonnier pour la consommation extérieure, pour les “supplétifs” au cuir épais comme dirait Lellouche, et l’allure avenante et rassurante de Annie Leibovitz pour l’intérieur de l’Empire.
On aurait bien tort, à notre sens, de croire :
• que Newsweek ait suivi une consigne délibérée de quelque chose qui pourrait ressembler à une censure recommandée de l’extérieur ;
• que Newsweek ait appliqué ce que sa direction estimerait elle-même être un acte délibéré (et fautif, par conséquent) d’auto-censure.
En aucun cas, nous ne devons oublier la notion d’inculpabilité qui, à notre sens toujours, domine la psychologie américaniste. Il y a, dans la démarche de Newsweek, une allure profondément américaniste et, par conséquent, une absence complète de la notion de tromperie, de faute, de censure, par simple mécanisme d’“inculpabilité” qui implique dans ce cas un complet et sérieux angélisme. D’une certaine façon, Newsweek a agi selon sa nature même, qui est la nature de l’américanisme.
Cela admis comme hypothèse, le geste de Newsweek nous en dit long sur l’état de peur-panique qui caractérise aujourd’hui le jugement américaniste sur l’état de la psychologie américaniste. En même temps, les réflexes fondamentaux, même ceux qui peuvent être objectivement jugés comme les plus “nocifs”, subsistent. C’est ce que nous dit cette grossière substitution.
• D’une part, il est désormais tenu pour acquis qu’il faut absolument tenter de cacher, par tous les moyens disponibles, la détérioration de la situation en Afghanistan. L’analyse implicite est que la psychologie américaniste risquerait de connaître un choc dévastateur parce que, pour elle — et cela, avec le degré et la qualité de l’information qui vont avec — l’Afghanistan est gagné depuis la fin 2001 et la victoire de l’Alliance du Nord soutenue par les USA. Depuis, l’information “officielle” n’a plus remis en cause l’évolution de la situation dans ce pays. En fait, l’Afghanistan n’existe quasiment plus dans cette information “officielle” pour le grand public, à plus forte raison depuis que le fardeau a été imposé à l’OTAN.
• D’autre part, il est hors de question que Newsweek se prive d’un reportage et d’une analyse de cette importance. L’argument vaut aussi bien du point de vue commercial que, paradoxalement, du point de vue de l’information (liberté de l’information). Selon la même vertu d’“inculpabilité”, Newsweek n’estimant en aucun cas faire acte de censure ou de manipulation en procédant comme il le fait, la même logique l’invite à exposer cette information agressive sur l’Afghanistan là où elle peut l’être, pour le meilleur rapport commercial et pour satisfaire aux nécessités de la liberté de l’information.
Le résultat est une cacophonie grossière qui attirera encore le sarcasme et le mépris des non-américanistes pour cette “nation” qui prétend imposer son magistère moral constant au reste du monde parce qu’elle détiendrait, par décret divin, la chaire exclusive pour ce domaine. Le citoyen américain, lui, sera effectivement épargné ; certains diront : quelle différence puisque, dans tous les cas, il s’en fiche ou bien n’y comprend rien? Cette caricature n’est pas si éloignée de la réalité.
Le fait est que l’Amérique est une “nation” constamment sous calmant, avec une pincée de Prozak, par l’arrangement et l’agencement systématiques des informations dans ce qu’elles ont de plus frappant (l’image, principalement). Au XXème siècle jusqu’à aujourd’hui (auparavant, d’autres moyens étaient utilisés), le cinéma et la télévision jouent un rôle évidemment considérable dans ce conditionnement permanent, qui est moins une entreprise perverse conçue comme telle qu’un réflexe automatique perçu comme une nécessité de survie pour le système dans son entier. Tout le monde est solidaire dans l’entreprise parce que tout le monde américaniste se trouve dans le même besoin psychologique et dans la même nécessité auto-manipulatrice. A la limite, on dirait, sans vraiment solliciter la caricature ou le sarcasme, que la manipulation des couvertures de Newsweek concerne aussi bien l’establishment de Washington que la population US elle-même — et peut-être la direction et la rédaction de Newsweek elles-mêmes, pourquoi pas?
Chaque nouveau cas de cette sorte qui se présente à nous — et ils sont de plus en plus grossiers, de plus en plus visibles — met en évidence ce problème fondamental de l’Amérique vivant “sous influence” d’elle-même, mettant en scène pour elle-même le spectacle d’un monde qui n’existe pas. Les circonstances tragiques désormais, notamment l’échec terrible de la puissance américaniste confrontée au véritable monde, alimentent et organisent une colossale crise de la psychologie américaniste qui n’épargne pas grand’monde outre-Atlantique, et particulièrement l’establishment. La grossièreté du montage de Newsweek placée dans ce cadre confirme le diagnostic de peur-panique émis plus haut.
Conclusion en force d’antienne : l’aveuglement, volontaire ou pas, face à cette crise psychologique US de nombre de pays “partenaires” des USA, notamment les pays européens, est une tragédie qui accélère la crise américaniste. La facture sera carabinée.
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