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469Ce fut une étrange visite, un étrange voyage, une curieuse étreinte (entre Gordon Brown et Nicolas Sarkozy, devant le 10, Downing Street). Brown essaie de tenir face aux conservateurs et, d’ailleurs, il n’est pas si mauvais. A côté de cela, il est personnellement mis en cause pour un soi-disant comportement brutal, pour un caractère insupportable, ce qui lui vaut des contestations au sein même de son parti. Du côté de Sarko, on se demande s’il y aura un deuxième mandat et si le troisième mariage (avec Carla) durera très longtemps encore.
Voilà qui rapprochait les deux hommes lors de la visite de Sarkozy à Londres, ainsi qu’une hostilité affichée des deux pour le dirigeant conservateur Cameron, — largement démentie par des bruits insistants qu’au cours de la rencontre Sarko-Cameron (qui eut également lieu), des échanges de vue avancés et constructifs ont eu lieu (cela ne transparaît guère dans le texte de The Independent du 13 mars 2010).
«For two leaders recently embarrassed by chatter about their behaviour behind closed doors, the smiles lighting the faces of Gordon Brown and Nicolas Sarkozy seemed as unlikely as they were fulsome when the pair appeared for their lunchtime press conference yesterday.
»Perhaps they had bonded over their shared adversity. Or maybe they had been cheered by the realisation that they had something else in common – a mutual distrust of David Cameron.
»The French leader came as close to endorsing Mr Brown's campaign for a fourth Labour term as the age-old art of diplomacy would allow, lavishing praise on the Prime Minister for his work during the financial crisis, while admitting to his own concerns over Mr Cameron's decision to pull the Tories out of the EU's main centre-right grouping. […]
»The French President deployed landmines in Mr Cameron's path, insisting, unprompted by any questioning, that Britain needed to remain “bang in the middle” of Europe. He pleaded, “We need you [Gordon Brown]”, and insisted, “I don't want to meddle in domestic affairs" before adding, pointedly: “I'm very happy to work with a British Labour Prime Minister.”
• …Puis on passe abruptement à une autre question, complètement différente, “la” question comme écrivent les journalistes britanniques:
«For the gaggle of journalists packed into the No 10 briefing yesterday, the vagaries of Tory European policy were not the main event. They were all waiting for someone to ask Mr Sarkozy “that” question.
»While Mr Brown has had to endure days of headlines alleging that he bullied staff, the Gallic rumour mill has spun that both Mr Sarkozy and his wife, the musician and former supermodel Carla Bruni, have been enjoying extra-marital affairs. According to the latest unsubstantiated internet tittle-tattle, the president had a fling with Chantal Jouanno, 40, the junior environment minister and former French karate champion.
»When the inevitable question was delivered to the stony-faced President, delicately phrased by a brave French journalist, Mr Sarkozy dismissed it as “idiotic”. “You must know very little about what the President of the Republic actually has to do all day long!” he fumed at such fripperies. “I certainly don't have time to deal with these ridiculous rumours, not even half a fraction of a second. “I don't even know why you use your speaking time to put such an idiotic question.”
»Mr Brown, not known for his repartee, wouldn't have been the most likely candidate to lighten the mood. Yet filled with a sudden zeal to rescue his new best friend from an unwelcome confrontation, he jumped in. “As far as the British press, I have been able to tell Nicolas that I don't believe everything that I read in the British press,” he chuckled.»
@PAYANT C’est un curieux texte, qui reflète une curieuse rencontre, marquée par un non moins curieux chaos, à côté d’affirmations qui se voudraient sérieuses et politiquement constructives, et qui, dans le contexte, apparaissent elles-mêmes bien curieuses… Il s’agit aussi bien d’une illustration des complications extraordinaires et incontrôlables de l’interférence de la communication dans la politique, qui mélange la vie privée et la vie publique; il s’agit de la complication des relations avec le Royaume-Uni pour savoir si ce pays est bien, finalement, un pays européen; il s’agit de la complication d’une époque où l’homme politique est autant en quête de son identité que telle ou telle nation aux abois.
• Le mélange des vies privées et des vies publiques apparaît à la fois incongru, déplacé et complètement inévitable. Ces hommes (surtout Sarko, en l’occurrence) se sont construits en utilisant largement leurs vies privées comme facteur de leur ascension politique. Cette vie privée est donc un élément politique, quelles que soient leurs mines vertueusement scandalisée devant telle ou telle question, – la principale devenant, en l'occurrence: qui t ‘a fait roi, piètre souverain? Ainsi Brown apparaît-il comme une brute obtuse et Sarkozy comme un instable volage, ou un instable cocu, ce qui est encore pire. Dans les deux cas, la stature politique des deux hommes en est atteinte et les diminue d’autant. Ainsi l’ont-ils voulu (toujours, “surtout Sarko”), puisque leur carrière est faite de communication dans tous les azimuts, y compris les plus intimes. Le prix à payer, quoi que cela puisse paraître extravagant, est bien politique.
• Sarko est venu voir Brown pour faire acte de vertu européenne et affirmer son soutien à ce dirigeant britannique, qui est à quelques encablures des élections générales, puisqu'on le présente comme “le plus européen” (il faudrait encore savoir ce que signifient ces termes). Merkel devrait faire de même, sous peu, tous ces dirigeants des pays européens s’accrochant avec un entêtement pathétique à la fiction de l’existence de l’Europe comme preuve de leur brio et de leur intelligence politique commune.
• Pour autant, la condamnation publique et concertée avec Brown, pour l’avantage de Brown, du conservateur Cameron, n’a pas empêché Sarko de rencontrer ce même Cameron. Les conversations auraient porté, selon des milieux européens, sur les questions de défense, sur lesquelles les conservateurs voudraient, s'ils l'emportaient, entamer une énorme restructuration, permettant des réductions de dépenses, passant par une coopération très renforcée avec la France. Ces indications portent notamment sur l’abandon d’un sous-marin lance-missiles, la mise en question des porte-avions, l’abandon du programme JSF. Cette approche, qui serait également celle des conservateurs, pourrait très bien être, aussi, celle des travaillistes. On pourrait, sans grand risque, ajouter qu’elle est largement favorisée par l’humeur très ronchonneuse, voire furieuse, des Britanniques à l’encontre des USA dans l’affaire des Malouines, et cela chez les conservateurs et chez les travaillistes. Cela encourage à aller voir, question défense, du côté de l'Europe et du côté des Français.
Il est vrai que le Royaume-Uni risque de se retrouver, à la fin du printemps, dans une situation inédite, si aucun parti n’emporte une majorité absolue comme bruits et sondages le font penser. La question préoccupe d’ores et déjà les milieux financiers mais elle devrait aussi préoccuper les milieux stratégiques et de défense. Il n’est pas impossible, mises à part les mésententes diverses, dont celle, plutôt de forme que de fond, sur l’Europe (les conservateurs type-Cameron étant beaucoup moins anti-européens qu’il n’est proclamé), que les uns et les autres, notamment travaillistes et conservateurs, parviennent à un accord général sur les questions fondamentales. Celle de la défense, dans le cadre de la situation budgétaire abyssale du Royaume-Uni, est l’une des plus essentielles. Dans les réunions européennes plus ou moins officieuses, les Britanniques, qui n'en sont pas à une chansonnette près, font savoir qu’ils sont d’ardents partisans d’une coopération européenne “avec les pays développant un effort budgétaire sérieux”, ce qui signifie autour, dans le sens de “plus”, de 2% du PIB; cela réduit les pays coopérants valables pour les Britanniques à la seule France; façon britannique de dire leur préférence pour une coopération bilatérale avec la France recouverte du manteau de la vertu européenne. Et, dans ce cas, il s’agit beaucoup plus d’émissaires travaillistes que de conservateurs, et alors on en déduit effectivement la potentialité d'un accord entre les deux partis dans ce domaine.
Ainsi en revenons-nous à ce spectacle étrange de l’embrassade entre Gordon Sarko et Nicolas Brown, deux dirigeants politiques secoués, chacun à sa façon, par des contingences impressionnantes de futilité ou par des comportements politiques sans consistance. Pourtant, leur rencontre, ou, plus largement, la visite de Sarkozy à Londres, épousent nécessairement des lignes de forces et des forces de contrainte qui dépassent ces deux destins. Encore une fois, on peut mesurer la perte de poids de ces hommes politiques entièrement phagocytés par le système de communication, et, par ailleurs, plus aisément emportés par des courants de force politique qui ont manifestement plus d’esprits qu’eux.
Mis en ligne le 12 mars 2010 à 10H54