Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
21307 septembre 2024 (15H55) – Je me rappelle mes premiers contacts avec Nietzsche à partir de cette photo en gros plan de lui malade, la très forte impression que m’avaient laissé ce visage, ces yeux rentrés surmontés de sourcils broussailleux, cette moustache absolument terrible. C’est ainsi que j’ai abordé sa philosophie, par une image et sans croire une seconde avoir affaire à un philosophe comme on les conçoit. Je n’ai jamais pu comprendre Nietzsche d’une façon rationnelle, ordonnée, voire idéologique. Je n’ai évolué avec lui que sous l’empire de l’intuition, mais toujours tenant dur comme fer que je tenais là un initié. Je ne parle nullement d’un initié à des secrets extraordinaires, ce serait plutôt un initié de la méthode impérative de la pensée, – le “philosophe au marteau” comme il se désignait lui-même.
Cela est écrit pour expliquer que j’ai la plus vague idée du monde pour expliquer ce qu’est pour moi la “pensée de Nietzsche”, et s’il y a seulement une pensée qui me soit destinée. Hormis cela, il est mon compagnon qui ne m’a jamais, ni trahi, ni abandonné. J’en ai même fait un personnage d’un roman ignoré des foules et des grandes villes, que je préfère situer sur les plus hautes cimes où l’on rencontre fort peu de monde. Cela sauve les apparences et permet à l’auteur de converser avec son héros sans être dérangé.
Aussi me suis-je arrêté, d’abord avec curiosité puis avec l’assurance d’une certitude presque complète, à un texte de ce Constantin von Hoffmeister dont l’on parle beaucoupen ce moment, dans ces colonnes. Ce texte d’une admirable brièveté résume dans un espace incroyablement court, deux simples paragraphes, qui est Nietzsche pour Hoffmeister. Il se trouve que son analyse extrêmement rapide me restitue l’essentiel de ce que je ressens intuitivement pour et par Nietzsche comme héros intempestif perdu dans l’univers kafkaïen de “Joseph K”.
Von Hoffmeister le situe hors de son temps, d’une façon intemporelle, ou bien “inactuelle” comme lui-même disait jusqu’à faire figurer le mot dans un de ces titres. Alors, il ressort d’une façon étonnante, frappante, combien Nietzsche devient absolument un personnage de notre temps et de notre GrandeCrise ; pour moi, comme un grand frère miséricordieux et une école d’énergie, – « Frédéric Nietzsche perdu et retrouvé »
_________________________
A l’image de Joseph K. dans Le Procès de Kafka, Nietzsche s’est retrouvé empêtré dans un monde de systèmes insondables et de significations changeantes, et a trébuché sur le concept alambiqué de “valeur” comme s’il avait été convoqué de manière inattendue devant un tribunal absurde et sans visage. Il a pris ce concept – extrait de ses racines historiques – et, à l’instar des tentatives vaines de Joseph K. pour comprendre les accusations portées contre lui, il l’a utilisé contre les traditions rigides de la société, cherchant à remettre en question et à effacer les valeurs acceptées de son époque. Ces valeurs, autrefois intouchables et absolues, n’étaient plus que des marchandises, comme les règles arbitraires du tribunal qui piégeaient Joseph K., manipulées pour satisfaire aux caprices du pouvoir. Alors que Nietzsche enquêtait plus profondément sur le déclin spirituel de la modernité, il est devenu évident que les valeurs défendues par la société étaient aussi creuses et fragiles que le système juridique incompréhensible qui opprimait Joseph K., s’effondrant au moindre examen. Pourtant, Nietzsche reconnaissait, avec le même désespoir que Joseph K. éprouvait alors qu’il errait dans les couloirs sombres et oppressifs de la justice, que la science moderne – promettant objectivité et rationalité – était elle-même une nouvelle farce, une structure dogmatique déguisée en raison, un peu comme la loi qui a finalement détruit K., n’offrant ni clarté ni salut réels.
Mais Nietzsche n’était pas un observateur passif ; c’était un rebelle dans l’âme. Sa rébellion n’était pas seulement contre Dieu ou l’Église ; elle était contre l’édifice tout entier de la pensée occidentale. Nietzsche commença par déclarer : « Dieu est mort. » Ce n’était pas un acte d’orgueil, comme le suggéraient certains de ses critiques chrétiens ; Nietzsche ne prétendait pas avoir tué Dieu. Il reconnaissait simplement la dure réalité que Dieu était déjà mort dans l’âme de ses contemporains. Le vide laissé par cette mort était profond, et Nietzsche le comprenait avec une clarté que peu d’autres pouvaient égaler. Ce n’était pas seulement une perte de foi ; c’était l’effondrement d’une vision entière du monde. Dans un monde où Dieu n’existe plus, tout est à prendre et, si cette rébellion contre le divin n’est pas soigneusement menée, elle s’enlisera dans le chaos. Nietzsche ne veut pas se noyer dans ce chaos, il veut le guider. Le regret et la complaisance sont des condamnations à mort qui ne mènent qu’à l’apocalypse. Au lieu de cela, Nietzsche cherche à construire une nouvelle philosophie sur les cendres de l’ancienne, une philosophie fondée sur la rébellion mais orientée vers un nouveau type de transcendance.