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263228 février 2018 – Pardonnez-moi de paraître un instant après d’autres à court de sujet alors que le monde s’écroule autour de nous, – mais qu’importe, je reviens, – ou plutôt j’en viens puisque je n’ai rien dit là-dessus, à une affaire déjà vieille d’un petit peu plus d’un mois, du 25 janvier 2018 , – une éternité, par les temps qui courent, – et dont il ne fut d’ailleurs pas fait état sur ce site.
Cela se passe de la sorte : « Une véritable “catastrophe“, affirment les employés de différents supermarchés Intermarché de la Loire. L’enseigne proposait ce matin des pots de Nutella de 950 grammes à 1,41 euro seulement, soit près de 70 % de réduction. Une baisse de prix qui a créé l’émeute, comme le rapporte Le Progrès.
» Dans le magasin de L’Horme, tout est parti en un quart d’heure. “On essayait de se mettre entre les clients, mais ils nous poussaient”, se plaint une employée qui assure qu’un client a eu un œil au beurre noir dans la cohue. Même chose pour celui Saint-Chamond. “Ça se battait. On a vendu ce qu’on vend en trois mois. Sur les tapis des caisses, il n’y avait que du Nutella”, témoigne une salariée, qui assure n’avoir jamais connu ça en seize ans.
» A Rive-de-Gier, les portables étaient de sortie pour filmer l’émeute : “Ils se sont acharnés comme des animaux. Une femme s’est fait tirer les cheveux, une dame âgée a pris un carton sur la tête, une autre avait la main en sang. C’était horrible”, témoigne une cliente qui a assisté à la scène. “Certains clients sont venus la veille au soir des promotions pour planquer les pots de Nutella à d’autres endroits, et ainsi éviter que d’autres puissent les prendre”, raconte Jean-Marie Daragon, de l’Intermarché de Montbrison. Ce directeur a décidé de prendre des dispositions en limitant le nombre de pots à trois par personne. En vain. Les gens “faisaient des allers-retours”.
» Mais malgré cela, l’opération de réduction se poursuivra demain et samedi. »
Comment penser autrement que dans des directions extrêmes et désespérée devant ce déchaînement absurde, barbare et insupportable, pour obtenir de si médiocres avantages, pour un produit typique d'une époque dont l’ignominie n’est plus à démontrer. D’autre part, ces pauvres gens, chômeurs ou bien retraités, que sais-je, allant jusqu’à monter des tactiques de dissimulation pour pouvoir mieux profiter de cette manne spirituelle... « Certains clients sont venus la veille au soir des promotions pour planquer les pots de Nutella à d’autres endroits, et ainsi éviter que d’autres puissent les prendre ».
Il y a beaucoup à dire pour parvenir à un commentaire acceptable, sur la vénalité, la sottise ou la médiocrité humaine, sur le malheur et la souffrance des gens, sur l’horreur absolument monstrueuse où nous plonge ce Système érigé en un tortionnaire globalisé, une peste monstrueuse, une vérole des plus bas instincts qui nous conduisent à de tels comportements. D’ailleurs, la France n’innove pas, on voit cela partout, et surtout, dans les pays où il n’y a pas (pas encore) d’“émeutes de la faim”, mais des “émeutes de la consommation”, – comme les Black Fridays de chaque fin-novembre américaniste, les jours de super-soldes avant les fêtes...
Faut-il dire, mettant bourreaux et victimes dans le même sac après tout, que nous avons atteint enfin, ou plutôt “à la fin”, le « dernier homme » de Nietzsche ? Qui est-il ? Un mouton qui se laisse doucement conduire à l’abattoir, béat, fasciné par Cyril machin et ses jeux télévisés ? Ou bien un barbare postmoderne, prêt à piétiner sa mère pour 70% de réduction sur 5 ou 10 pots de Nutella couleur-chocolat, comme autant de shitholes ? Ou bien les “citoyens-en-colère” qui se manifestent dans un nombre respectable de pays “avancés”, qui votent pour des tendances décrites comme non-respectables, non conformes quels que soit leur valeur précise et leur utilité (notamment les divers “populistes“ ou approchants au sein du bloc-BAO) ? Ou bien un djihadiste, ou un Nord-Coréen saluant Kim, ou un Ukrainien un peu nazi, ou une brute abrupte des forces spéciales US, ou un pilote de Su-25 russe, ou un polémiste antiSystème passant sur RT, ou un Trump en train de tweeter ?
Il est difficile d’avancer une réponse claire car, effectivement, le sentiment est souvent partagé dans ces temps extraordinaires, de dégoût désespéré devant ce qu’on estime être la lâcheté moutonnière et sans retour des individus fascinés par le démon, d’une soudaine espérance compassionnelle devant ce qu’on juge être une réaction de colère et d’héroïsme de ces mêmes gens, d’indifférence méprisante devant la vanité de ceux qui en appellent à la raison pour éclairer le crépuscule abyssal de notre destinée, d’indifférence sarcastique devant les chamailleries furieuses entre eux de ceux qui débattent de la formule opérationnelle de ce bonheur sans fin. Alors, le jugement principal qui vient à l’esprit est l’instabilité, la problématique et dangereuse instabilité.
(A ce point, je précise l’évidence tout de même, précisant que je laisse de côté pour n’en rien dire dans ce constat, de mes thèmes habituels, de ce qu’on nommerait “les grands enjeux” ; de l’antiSystème versus le Système, de la Grande Crise de l’Effondrement du Système [GCES]. Ils restent, ces “grands enjeux”, omniprésents, écrasants, etc., selon mon jugement incorruptible. Mais dans ce cas, je m’extrais de ce point de vue pour explorer le point de vue de l’intérieur du Système, celui d’où, selon ce que j'en perçois, ils n’ont pas une perception consciente des “grands enjeux”.)
Le Système lui-même a sa part de responsabilité dans cette dangereuse situation d’instabilité, à cause de la surpuissance (comme tout ce qu’il fait et touche) de son irresponsabilité stupide et cupide à la fois. J’y songeai en regardant une chaîne-info standard, LCI par exemple et bon exemple. Il y a un prodigieux déséquilibre entre l’incroyable carpet bombing des pubs qui déversent en boucle, souvent répétés deux, sinon trois fois dans les mêmes segments, un amoncellement d’arguments tous développés selon le même standard (optimisme, technologie de pointe, bonheur aujourd’hui et demain-qui-est-aujourd’hui, multiculturalisme, diversité sociétale, féminisme, famille exaltée dans la libération des liens familiaux, décomposée-recomposée, 4x4 et sports extrême, globalisation-mondialisation, “bling-bling” sublime-étincelant de l’esthétique postmoderne, égalité uniforme et bonheur sans-frontières, bonheur, bonheur, bonheur...) ; et le “programme” du réseau, standard lui aussi, d’une suite de débats sur les micro-problèmes à prétention politique de la démocratie “en marche” et réformiste d’elle-même et sans fin, chamaillerie furieuse d’avis contraires également standards, donnant une image à la fois éclatée et dramatisée, complètement localisée (ici franco-français), pathétique d’absence de substance par comparaison aux vrais enjeux, et pourtant dramatisée à l’extrême par l’excès lui-même, comme si les vrais enjeux pesaient sur eux, à leur insu.
Je ne veux surtout pas parler d’un jugement de qualité, la médiocrité abyssale est évidemment dominante, avec parfois un éclair de jugement juste, etc. Peu m’importe pour le cas cette question de la qualité, ce qui importe là encore c’est l’instabilité de la tendance et de la forme générales de l’argumentation, passant du sommet grandiose de l’extase à propos de tout et de rien à la comptabilité furieuse de la polémique à propos de tout et de rien... L’instabilité, toujours elle, et le fait brutal qu’elle est le produit de nécessités complètement divergentes sinon antagonistes : la pub doit être cet investissement sans fin, cette conquête permanente de la propagande du conditionnement au bonheur et à la consommation, à l’entente parfaite réalisée, à l’avenir radieux qui chante dès aujourd’hui dans notre aujourd’hui permanent ; le programme politique doit être cette chamaillerie permanente de l’affrontement polémique qui est la recherche de l’éveil de l’intérêt par l’effet, la critique, l’agression, le mépris, etc. Et les deux se nourrissent l’un de l’autre : plus la pub grossit en s’appuyant sur l’audience suscitée par la chamaillerie furieuse, plus la chamaillerie est furieuse pour susciter l’intérêt, plus l’audience est accrochée, plus la pub grossit, et ainsi de suite, – Full Circle là aussi.
« Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait pas se mépriser lui-même… », écrit Nietzsche dans une de ses ouvertures d’Ainsi parlait Zarathoustra, consacrée au « dernier homme ». C’est à la fois juste pour notre époque, mais aussi incomplet et très instable comme jugement, – je veux dire à chaque instant proche d’être démenti. Ce serait totalement juste si nous étions dans Le Meilleur des Mondes ou bien dans 1984, avec chacun dans notre proche notre exemplaire de La Servitude volontaire de l’ami La Boétie, tout cela établissant et institutionnalisant ce « dernier homme » de Nietzsche. (« “Nous avons inventé le bonheur”, – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil. ») Cette situation n’est nullement une description complète de notre époque ; certes, époque d’une seule idéologie, d’une seule non-pensée réduite à la narrative de l’inversion, d’un seul jugement élevé à la vanité de l’accomplissement de la médiocrité abyssale maquillée en “bonheur” ; et pourtant époque complètement éclatée, agitée furieusement, chamaillerie perpétuelle à l’intérieur même d’elle-même, grondante d’insatisfaction contestatrice... Époque totalement instable, à la fois acceptant ce destin avec l’empressement du zombie satisfait de sa servilité aveugle, à la fois le contestant rageusement et furieusement, et sans perspective d’en être satisfait.
Tous ces grands anciens, avec tant d’autres de cette cohorte puissante qui a distingué la perspective catastrophique de la modernité, ne se sont pas trompés sur la monstruosité formelle de l’évolution, mais ils ne savaient pas tout parce que nul ne pouvait tout savoir. Le grand perturbateur de ce destin épouvantable, le joker qui peut faire basculer la partie qui semblait impossible à faire basculer, qui ménage ainsi une si grande part d’inconnu, c’est le système de la communication et la multiplicité extraordinaire de son effet-Janus...
« Aujourd’hui, le système de la communication est entré dans des convulsions révolutionnaires et dans une formidable phase d’inversion vertueuse. C’est ce que nous nommons le “modèle-Janus” avec son opérationnalisation qui est l'“effet-Janus”, auquel nous nous sommes déjà souvent référé sur ce site, à l’occasion de tel ou tel événement.
» Le système de la communication est plus puissant qu’il n’a jamais été, grâce à l’apport massif de nouveaux moyens et de nouvelles possibilités d’arrangement du matériel diversité/complexité. Il a démontré dans son histoire son savoir-faire, son extraordinaire capacité à donner le “crédit de la vérité” à l’univers dont il pénètre ceux qu’ils touchent, en faisant en sorte que tout se passe comme si ces “élus” y pénétraient à leur façon et en toute liberté. Mais cet univers est changeant, selon les circonstances et la puissance des sources qui alimentent ce système, c’est-à-dire que le système ne détermine des univers qu’en fonction des impulsions qu’il reçoit, sans se soucier du sens des choses. Ainsi le système de la communication est-il par-delà le Bien et le Mal, notamment par rapport à l’échelle de valeurs du Système dont il devrait être pourtant la créature ; il se révèle, au bout du compte, pour le Système, trompeur et déloyal dans des occasions importantes (tout en restant nécessaire au Système) ... » (14 décembre 2012, Glossaire.dde.)
Le texte sur « le dernier homme » est admirable d’équilibre et de stabilité dans sa critique de la médiocrité moderniste. Mais Nietzsche ne pouvait pas savoir qu’il y aurait le système de la communication et son sublime effet-Janus. Ce texte est toujours à relire et j’ai réalisé qu’il a nécessairement sa place dans nos archives... Il s’agit, cette idée-là, d’un emprunt de l’idée de l’excellentissime revue Eléments (laisser le “minimum-syndical” [facho-réac’-etc.] aux gardiens du temple de carton bouilli) ; cette revue a publié dans son n°170 un article sur « le dernier homme » et l’a accompagné d’une reprise du texte de Nietzsche. Il en est fait de même sur ce site, après avoir rendu grâce aux inspirateurs : une publication en Ouverture libre de l’extrait dit « le dernier homme » du Prologue de la Première Partie d’Ainsi parlait Zarathoustra.
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