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14 juillet 2005 — L’attitude américaine en matière de transfert de technologies commence à semer une véritable panique chez les Britanniques. On en a déjà vu plusieurs exemples (encore récemment: Mike Turner, de BAE aussi), en voici un nouveau: une intervention publique de Dick Olver, président de BAE Systems, largement engagé aux USA, tant par le rachat de sociétés US importantes que par des coopérations importantes. La principale est évidemment celle du JSF.
La caractéristique de ce discours important, qui s’appuie sur la situation de BAE Systems, est de passer en revue tous les aspects de la situation de soi-disant “coopération” entre les Britanniques et les Américains. (Circonstance accentuant cette importance: Olver parlait à des Américains, le 12 juillet, au Woodrow Wilson Center à Washington.) Le résultat est impressionnant. Ce que fait Olver, c’est le procès du simulacre de “coopération” existant entre les USA et le Royaume-Uni, et il met en évidence combien cette situation est dommageable au Royaume-Uni et aux États-Unis eux-mêmes. C’est la thèse habituelle des atlantistes-internationalistes : une ouverture plus grande des USA profiterait aussi bien aux USA qu’à ses alliés. Cette thèse, rationnelle, logique, juste du point de vue américaniste, est pourtant considérée comme complètement éculée par les nouveaux courants durs US (nationalistes, neocons) et par nombre de parlementaires à Washington. Elle ne vaut littéralement plus rien, — et Olver, Turner & compagnie feraient bien de s’en aviser. (Nous sommes persuadés, par ailleurs, que cela restera encore un voeu pieux pendant un certain temps, jusqu’à ce que les Américains deviennent totalement insupportables.)
Les remarques de Olver portent essentiellement sur les points suivants, qui sont connus mais dont la répétition sur un mode dramatique constitue certainement un fait politique et industriel très significatif:
• les règles strictes de contrôle imposées par le State Department rendent quasiment impossible une coopération normale sur les grands programmes, notamment, bien sûr, le JSF. Notamment, cela rend impossible ce qu’Olver nomme la “data fusion” des technologies (US et non-US), c’est-à-dire l’intégration et la rentabilisation de la coopération technologique. Olver insiste sur le fait que même une compagnie comme BAE, déjà fortement intégrée dans le marché US par le rachat de nombreuses sociétés US, est complètement contrôlée à cet égard et n’a aucune autonomie en la matière: tout ce qui est d’origine américaine dans BAE reste totalement contrôlé du côté américain.
La situation confine au paradoxe et à l’absurde. Ainsi, BAE et les Britanniques sont chargés par les Américains de conduire l’effort de promotion et de direction du JSF dans sa version à décollage vertical mais ils ne disposent pas, à cause des restrictions US, de tous les moyens et technologies pour le faire. Olver:
« We have been asked to lead the testing of this technology and to carry out operational modeling of mixed short takeoff and conventional takeoff options. But we can only do this if we receive the right approvals, »
(Il nous paraît également significatif que Olver mentionne le State Department et non le DoD comme obstacle principal au transfert des technologies. Cela signifie que l’attitude de restriction sur le transfert des technologies affecte aujourd’hui tout le gouvernement américain, et plus seulement la défense. Il s’agit d’un durcissement significatif, montrant que l’arrivée de Rice n’a nullement apporté d’amélioration à cet égard. Aujourd’hui, le State Department de Rice est aussi dur que le DoD de Rumsfeld sur les questions de transfert de technologies.)
• Il y a une attaque en règle contre l’attitude du Congrès, essentiellement la Chambre, contre les attitudes inspirées par le député Hunter, de type Buy American Act : « “Buy American” sentiment in the House of Representatives in recent years threatens to further limit the ability of foreign companies to sell to the U.S. military », explique Olver. Cette critique n’est pas nouvelle mais elle est ici particulièrement incisive et virulente, — et publique bien entendu, ce qui lui donne toute sa gravité. Cela, surtout, situe le niveau d’exaspération et de panique des Britanniques devant l’attitude des Américains.
• Olver développe un troisième point, qui est nouveau, qui est une approche beaucoup plus politique: les Américains sont en train de s’isoler complètement à cause de leur politique restrictive de transferts de technologies. « Combined with U.S. capability, we believe we would be cutting-edge. But we are waiting for approval to contribute what we know in order to develop more capable, interoperable solutions. […] One of the big losers because of U.S. export controls is the United States. » L’attitude des législateurs américains est évidemment mentionnée comme l’une des principales causes de cette espère d’‘isolationnisme technologique’ vers lequel tendent les Américains: « If buy American legislation prevails, it “would impair the United States’ defense capabilities because it would prevent the U.S. taking full advantage of the global market. »
Élargissons le débat: ce que nous dit Olver n’est ni nouveau, ni surprenant. Le sentiment isolationniste est aujourd’hui très fort aux USA (même si on le camoufle sous le nom d’unilatéralisme). Il est normal qu’il porte sur le transfert des technologies essentiellement, les technologies étant considérées comme le fondement de la puissance US. L’Amérique est isolée du reste du monde pour sa sécurité, essentiellement conçue par une vision paranoïaque du reste du monde ; en conséquence elle exige de ses alliés les plus dociles, les Britanniques en premier, d’agir d’une part en alliés fidèles, en coopérant, en choisissant les programmes US, etc., tout en les traitant avec la plus complète défiance qui caractérise sa vision du reste du monde.
Pour les Britanniques (et les autres coopérants des USA), la situation est dramatique. Ils sont enfermés dans une situation paranoïaque: considérés comme les coopérants majeurs par les Américains, ils sont chargés de tâches importantes dans des aspects majeurs des grands programmes mais les moyens de ces tâches leur sont déniés. Et cela, dans un contexte où l’essentiel de leur avenir technologique et militaire s’appuie sur la coopération avec les USA. On comprend la panique du président Olver.