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771Ils disent d’Homère qu’il a été aveugle.
Sûrement, le poète, ce voyant, est plongé dans les ténèbres de la cécité à ce qui est visible pour l’œil.
Plus sûrement encore, ce qu’il a dit de la tragédie des Atrides, le meurtre d’Agamemnon par sa femme Clytemnestre, puis de celle-ci par Oreste son fils n’est qu’un travestissement très romancé d’une règle successorale qui avait cours dans les sociétés antiques parmi les lignées royales.
Lorsque les circonstances l’exigeaient, et sans doute à intervalle régulier, le roi était soumis à une épreuve physique et parfois intellectuelle. La communauté des régis vérifiait si la puissance royale était bien incarnée et dans le cas contraire élisait à la fonction royale un autre de ses membres, fort et intelligent. Au terme d’un combat singulier, le vaincu périssait. Le vainqueur devait alors épouser une femme détentrice d’une puissance mystique d’origine divine. Il s’unit alors plutôt qu’à la fille du roi, à la fille de la femme du roi qui est dotée de cette mystérieuse puissance. La succession se fait de beau-père à gendre qui devient le meurtrier du roi déchu, “l’autorité spirituelle” est transmise sur le mode matrilinéaire.
Des facteurs de stabilité politique mais plus encore d’ambition et d’égoïsme sont venus perturber cette tradition d’importation régulière de nouveaux prétendants étrangers au noyau familial royal. Deux branches d’une même famille passent une entente pour se maintenir sur le trône en alternance. La tragédie des Atrides transmise par Homère et retranscrite par Eschyle n’est rien d’autre qu’une histoire de détournement d’une règle, dilatée à la dimension d’un mythe, c’est en quelque sorte de l’historiographie hagiographique.
Atrée et Thyeste sont frères.
Egisthe fils de Thyeste est apte à remplacer Agamemnon.
Oreste fils d’Agamemnon à son tour peut remplacer Thyeste.
Les fins funestes des rois parvenus au terme de leur carrière restent en cohérence avec les règles successorales. Mais elles sont déjà faussées par le trafic symbolique opéré par une famille qui s’arroge la perpétuation d’une délégation transformée en une domination qui perd la traces de ses origines dans la nuit homérique.
La tradition de la détention du pouvoir politique par un petit nombre de familles se retrouve plus tard à l’époque des monarchies européennes. Les différentes dynasties européennes au travers de leurs alliances matrimoniales croisées et enchevêtrées n’en constituaient plus qu’une seule. L’institution britannique a été mise en péril par l’exubérante frivolité d’un Charles Ier, insensible aux remontrances de son Parlement révolté par des taxes abusives et des guerres dispendieuses conseillées par son amant le duc de Buckingham. L’émergence d’une classe industrieuse capitaliste fit le reste.
Une monarchie constitutionnelle fut adoptée en 1716 et déjà s’installait le système du bipartisme. Même considérée de droit divin, la monarchie se devait de fonctionner avec un assentiment en principe populaire, celui du ou des Parlements. L’abolition de la monarchie en 1789 en France est aussi le terme d’un long processus. La mise à mort d’un roi défectueux et inapte eut lieu à nouveau en revivifiant un principe archaïque. Car guerroyer pour occuper une aristocratie d'origine et de légitimité chevaleresques dont l’arme était le métier et la justification a trop lourdement endetté le pays. Ceux qui détenaient le pouvoir économique en eurent assez que 20 millions entretinssent deux mille oisifs. Comme par un phénomène naturel de scissiparité, naquirent alors les Montagnards et les Girondins, préfiguration de la Droite et de la Gauche.
Les Démocratures occidentales et leurs copies fonctionnent ainsi.
Les élections sont des épreuves de force et de rouerie avec des mises à mort symboliques, quelquefois sanglantes et déloyales, au décours d’assassinats, quand le chef a démérité aux yeux de ses affidés. Le pouvoir reste aux mains du même groupe avec des alternances de deux branches dont l’individuation devient de plus en plus difficile à démêler tant les relations idéologiques incestueuses qu’elles cultivent les a rendues indiscernables.
Les mêmes règnent mais sous régime d'alternance sans alternative pour éviter les effets de résistance. L’actuel monarque de la province européenne France, affairé par ses scooters autant que l’était Louis XVI par ses serrures, a jugé inutile de faire concourir les prétendants qui n’étaient admis que pour le nuage de poussière émis quand on la leur faisait mordre. Le Parlement n’est plus consulté, ses membres sont absents et donc consentants.
Le Peuple ?
Ce truc informe tant qu’il n’est pas structuré pour se constituer en force politique, on lui sert des légendes. De celles qui forgent la conscience commune, l’adhésion à la représentation du monde et la pleine acceptation du rôle distribué à chacun.
Il n’a qu’à bien se tenir.
Le pays n’est-il donc pas en guerre ?
Le Peuple ne s’en est pas aperçu, mais il en pleut comme à Gravelotte. Pas moins de onze attentats auraient été déjoués en 2015. Avec une telle périodicité, il deviendra judicieux de s’enquérir des lieux à éviter comme se consulte presque négligemment le bulletin météorologique avant de décider de la mise vestimentaire du jour. La répétition induit la mithridatisation des esprits face au spectacle des corps déchiquetés. Les bombes n’explosent plus dans des contrées éloignées où la ‘chose terroriste’ est admissible mais dans l’ici même occidental.
L’ici même est à peine sorti de sa longue congélation de la Guerre Froide d’où était guettée de ce côté du rideau les chars de l’Armée Rouge. Ils ne venaient jamais. Ils ne pouvaient venir car cette menace est une des escroqueries et machinations politiques les plus abouties de l’histoire. Dès 1943, et plus encore en 1944, les USA et Churchill savaient que l’URSS avait été rendue exsangue par le combat qu‘elle avait menée contre les centaines de divisions nazies, quand il y en avait quelques dizaines seulement sur le front de l’Ouest. Jusqu’à la dissolution de l’Union, en raison de l’équilibre des armes nucléaires dissuasives, de part et d’autre, aucune tentative de franchissement des lignes de démarcation entre les deux zones d’influence n’a été envisagée.
Maintenant, le feu est porté au sein des démocraties de représentation jusque là à peu près épargnées des flammes qu’elles dispensent partout où leurs intérêts les plus triviaux et les plus nécessaires les ont dirigées. Pourtant, il ne s’agit que des effets en retour à peine lointains du grand piège dressé en Afghanistan dès 1979 et qui devait revenir au Pakistan comme province du Nord en trophée de sa participation. La partition jouée par le pays des Purs sous la houlette des princes Séoud soucieux de complaire à un clergé wahabbite dont une partie apprécie peu la présence occidentale en Arabie et l’adoption de son mode de vie et de consommation. L’expression de la contestation du pouvoir corrompu des Séoud culmina lors de l’occupation de la grande mosquée de la Mecque durant deux semaines en novembre et décembre 1979 par un groupe issu de la mouvance salafiste réprimée dans les années 1930 al Jamaa Salafia al Mouhtasiba mené par Juhaima ai Outaybi. 1979, c'est aussi l’année de la Révolution iranienne qui a installé un régime théocratique musulman. Son mode d’installation résultant d’un formidable élan populaire est doué d’un potentiel séducteur pour les peuples musulmans, et combattre les communistes en Afghanistan aurait réduit alors son attractivité. Les Séoud redorèrent néanmoins en Afghanistan aux yeux des plus myopes des musulmans leur blason de hérauts de l’Islam contre les impies marxistes et se débarrassèrent de fanatiques et de jeunes lumpen prêts à s’engager militairement.
Mais les « Afghans » venus d’Algérie et de plusieurs pays européens n’y ont pas tous perdu la vie. Une fois les dernières troupes soviétiques parties et la désagrégation du Parti populaire démocratique afghan accomplie, ils ont reflué pour certains dans leurs pays d’origine. Les maquis islamistes takfiri dans les montagnes algériennes des années 90 en ont été les escarboucles sanglantes. Ils allaient viser un à un tous les Etats plus ou moins non alignés. Et le Pakistan encore à ce jour traîne cet héritage comme encore hier sous forme de meurtres de masse. De plus, le transit du commerce des dérivés opiacés afghans repris à grande échelle par les Talibans sur son territoire appartient à la série des contrecoups qu’il subit. Mais l'Iran puis la Russie constituent la première destination de cette drogue. Les guerres de l'opium de l'époque coloniale anglaise en Chine reviennent quasi-automatiquement en mémoire.
Si l’on s’en tient aux résultats de son activité, al Qaïda est encore un objet de la CIA.
A aucun moment, elle n’a porté atteinte aux intérêts de l’empire anglo-saxon pas plus qu'à ceux de l'entité sioniste. C’est après le départ du gros des troupes étasuniennes d’Irak en 2011 qu’elle refait parler d’elle en terme d’organisation qui ambitionne d’ériger un proto-état théocratique. Les proclamations et les attentat-suicides émanant de cette nébuleuse étaient dirigés contre les chiites, processions, lieux de pèlerinage, mosquées et marchés des quartiers essentiellement chiites.
Où donc se terrent les terroristes dormants ou éveillés ?
Une veille systématique de plusieurs dizaines de lieux de culte musulman a été mise en place depuis la refonte des services de Renseignements instituée sous l’impulsion du gouvernement Sarkozy en 2008. Tous les vendredi soir, une cellule spécialisée du DCRI dispose des prêches énoncés dans des mosquées et en analyse les thématiques. Ils sont analysés pour y rechercher des propos ‘de nature à troubler l’ordre public’ en particulier l’évocation de la colonisation de la Palestine. Entre 2005 et 2010, dix-huit prédicateurs « prêcheurs de haine » ont été expulsés. Certains dénoncent une insuffisance des moyens attribués à la surveillance de l’ « Islam de France » quand les Imams eux-mêmes sont mis à contribution et renseignent la police en lui signalant les fidèles qu’ils soupçonnent de radicalisation.
Les dispositifs de surveillance, selon l’expression foucaldienne, existent et sont fonctionnels. Au début du siècle dernier, les cafetiers maures se voyaient octroyer leur licence en échange d’un certain encadrement de la population immigrée. Il semble loisible d’imaginer que le permis d‘imamat se négocie selon les mêmes modalités. Observons à cette occasion que la vraie règle islamique est que la conduite de la prière du vendredi est traditionnellement attribuée de façon consensuelle par la communauté des fidèles au plus méritant et/ou savant parmi eux. Elle n’était pas considérée comme un métier, n’était pas rétribuée et ne s’exerçait pas toute une vie, jusqu’à l’ingérence récente du pouvoir politique dans la plupart des pays musulmans.
L’efficacité du renseignement par un tel quadrillage n’est pas à mettre en doute.
Les volontaires pour le « Jihad » en Syrie (il est à noter que le surgeon d’Al Qaïda tant qu’il fut cantonné à l’Irak n’a pas suscité de vocations en externe) se seraient fait recruter selon deux voies, dans les mosquées ou par des filières sur Internet. Des milliers de Français ont été séduits par la propagande wahhabite, attirés par une aventure plus exaltante que les jeux vidéo où les guerres et l’hémoglobine ne sont que virtuelles ou par des salaires alléchants ou enfin les deux. Mais Fabius y était aussi allé de sa « fatwa » en déclarant que « Bachar ne méritait pas de vivre sur terre ». Quoi de plus rassurant que d'avoir l'appui et des maîtres de La Mecque et du serviteur de Sion ?
Les dispositifs veilleurs ont colligé des noms et des trajectoires.
Pourtant, le portrait des jeunes gens tel qu’il est donné par la presse qui construit les nouvelles légendes populaires à usage « pédagogique » puis les donne à absorber sous forme d’opinion n’est pas congruent avec le profil de musulmans radicalisés. Des délinquants, fêtards volontiers flambeurs avec souvent des addictions à des substances psychotropes. Les séjours par la prison ne sont pas systématiques, aussi, leur endoctrinement et leur recrutement ne se serait pas effectués en milieu pénitencier de façon élective.
Un mouvement sectaire et messianique qui rappelle plus le néo-évangélisme puritain d'outre-Atlantique a persuadés ces jeunes lumpenisés par la désindustralisation de quitter l'enfer terrestre dans lequel ils se meuvent sans perspective pour atteindre un paradis matériel au-delà, au point d’obtenir d’eux le sacrifice suprême. Le suicide pour la Cause les anéantira mais exaltera une image d’eux-mêmes bien ternie pas le deal du cannabis et le proxénétisme. Le souvenir toujours prégnant des traditions sociales du lieu d’émigration familiale est ravivé par le prêche des agents recruteurs et permet le court-circuit de la ‘conversion’, de la table rase de l’effacement des péchés.
La globalisation des techniques policières et les relations de dépendance en matière de sécurité et de renseignement des provinces européennes vis-à-vis des USA conduiraient à extrapoler que le modus operandi du FBI est étendu au vieux continent. On se souvient des escadrons de la mort d'Amérique latine, de « l'école des Amériques » de Panama, du terrorisme Gladio en Europe et des méthodes du FBI pour liquider aux « States » les mouvements d'émancipation noirs, amérindiens et estudiantins au moment de la guerre du Viet-nam. On pourrait affecter chacun des appelés européens au « Djihadisme » d’un coefficient Merah. Cet indice résulterait d’une combinaison pondérée faite de leur niveau de délinquance et criminalité, elle-même proportionnelle à leur susceptibilité à la pression policière pour devenir indicateur. La durée et l’âge d’initiation à la consommation de drogues psychotropes rend compte de l’appauvrissement neuronal et de l’aptitude à l’endoctrinement peur servir de deuxième paramètre. Le troisième facteur pourrait être figuré par le mélange entre le niveau de scolarité acquis et le niveau de ‘compétence’ religieuse familial légué au candidat, la faiblesse de la formation intellectuelle est proportionnelle au carré du risque d’embrigadement. Sans en être l’ultime facteur, la combinatoire doit tenir compte de la présence de l’aspirant sur les registres de police, en particulier, la tolérance de la force publique vis-à-vis de leurs voyages répertoriés au Pakistan, Yémen et autres foyers connus d’entraînement. Et pour Merah en Israël même.
Car il est des laisser-faire très éloquents
Les Prendre au mot, oui, la France est en guerre. Elle participe de façon explicite au démantèlement de l’entité nationale syrienne qu’elle avait contribuée à former lors des accords de dessins frontaliers de Sykes-Picot en 1916 de l’Orient arabe, une fois dépecé le Grand Malade ottoman. Juppé puis à sa suite Fabius, ministres de la Guerre déguisés en sinistres des Affaires étrangères, l’ont assumé urbi et orbi. Armes et formation militaire furent fournies aux opposants et mercenaires venus d'une centaine de pays sans aucun rapport avec la Syrie, même avant les manifestations populaires infiltrées d’éléments armés qui ont tiré à la fois sur les civils et les forces de police et de l’armée.
Les budgets nationaux de la guerre directe s’étant rétrécis sous les effets conjugués et synergiques de la « crise » économique et des programmes d’austérité publique européens, c’est la manipulation des mal nommées ONG et autres entités qaïdesques qui servirent d’outils moins onéreux. L’opinion publique occidentale allait être ralliée à peu de frais sous la bannière droidelhomiste. Les dictatures non agréées par les démocratures occidentales sont à abattre, contrairement à certaines africaines assistées sans fausse honte par les armées françaises au Tchad comme à Djibouti, au Gabon ou au Congo. Les filières de recrutement de l’Internationale Djihadiste ont fait leurs emplettes dans les banlieues des grandes villes européennes essentiellement francophones, Paris et Bruxelles. Au vu et au su des instances exécutives.
C’est dans ce vivier qu’ont été prélevés les tueurs du 13 novembre et du 22 mars. Pour punir les démocratures qui ont abandonné les opposants ? Il semble que les USA reprennent de plus belle la formation de ‘rebelles’ pendant que des ONG poursuivent la livraison d’armes en Syrie. Pour renforcer la surveillance des populations indigènes européennes et perpétuer un état de tension et l’état d’urgence associé ?
Les étudiants qui manifestent contre la nouvelle architecture du Droit du Travail durement réprimés ne désarment pas. L’interdiction des rassemblements publics qui est la marque de l’état d’urgence est largement bafouée, des places sont prises d’assaut par une jeunesse qui enfin regimbe contre une absence d’avenir décent promis et constitutionnalisé par les commissaires européens et leurs délégués au gouvernement français. La France est en guerre pour morceler les pays qui résistent pourtant faiblement aux lois de l’Empire. Elle revêt ses allures martiales pour prendre des décrets Macron et El Khomri contre les intérêts de sa population précarisée.
Dans les deux cas, il n’est pas sûr qu’elle gagne.
Homère, s’il fut, a peut-être été aveugle pour constituer un récit fait de trous qui ont établi un socle de croyances congruent avec les pouvoirs royaux qui se mirent à défendre des cités, des réserves de grain pour les besoins de la division du travail. Dans notre ici, pas de souffle épique qui anime les discours chaotiques et hésitants d’un binoclard à scooter ou d’un homme à talonnettes ‘casse toi pôv con’. Et trop de trous évidents dans le récit qui est produit livré à des esprits immunisés par la tragédie de Bologne d’août 1980.
De plus, il est parfaitement su que l’Iliade avec ses Atrides et son Iphigénie et son Antigone n’est qu’une mascarade, par delà le rapt d’une Hélène consentante, pour se saisir du grain de l’autre côté de la mer.
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