Nos mondes parallèles et nos crises concurrentes

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L’un des phénomènes intellectuels le plus remarquable de notre temps historique est sans doute le cloisonnement des événements, et, plus particulièrement, le cloisonnement des crises qu'opèrent nos psychologies. On trouve de plus en plus cette sorte de remarque qui rend compte, — comme un constat, sans plus élaborer sur le phénomène psychologique de perception à l’œuvre, — de cette démarche du cloisonnement.

Nous vous en donnons deux exemples récents :

• L’analyste Sascha Matuszak notait le 18 septembre, dans un article posté sur Antiwar.com, concernant le “Grand Jeu” de l’infrastructure pétrolièe et gazière dans la région du Moyen-Orient et du Caucase (souligné en gras par nous, là où nous voulons attirer votre attention):

«...At the same time, both Russia and China have announced that long-delayed energy-development projects with Iran are finally on the move, while the “Peace Pipeline” from Iran through Pakistan to India is lurching into its final stages. Throw in the Bush administration’s ever more aggressive stance toward Pakistan’s President Pervez Musharraf and its more favorable approach to Tajikistan, and the picture becomes altogether unclear and surreal. While hawks in the West clamor for war with Iran, the energy conglomerates of the world proceed as if the region is in perfect order.»

• Le 25 septembre, sur OnLine Journal, Adam Parsons, éditeur de Share the World’s Resources (STWR), trace un tableau impressionnant (remarquable analyse à lire) de la crise climatique et de ses perspectives. Il ne manque pas de souligner l’absence de mesures fondamentales de notre société, au niveau des modifications éventuelles de ce système qui a directement créé les conditions de cette catastrophe. Il note (toujours notre souligné en gras):

«The collective government response to date, however, makes it seem like the countless thousands of lives being destroyed by flash floods, famines and desertification are living in a parallel world to the business-as-usual dealings of multinational corporations.»

On ne peut parler pour autant de désinformation, c’est-à-dire d’une réaction visant à dissimuler ou à ignorer une crise pour proclamer que tout va bien. On notera que l’ignorance de la crise iranienne par les pétroliers en bagarre dans le Caucase n'empêche pas ces derniers de clamer pour leur compte qu’ils sont plongés dans une grave crise qui est l’affrontement des intérêts pétroliers dans la région. L’ignorance par nos dirigeants de la dimension universelle de mise en cause de notre système par la crise climatique, leur refus d’envisager une seconde de modifier le système, ne les empêchent pas de proclamer les dangers terribles de la crise financière en cours, ou de l’affrontement commercial entre les grands centres économiques (ou de la crise de la lutte contre le réchauffement climatique...).

Cette réaction de cloisonnement se retrouve au niveau des crises, ce qui ne signifie nullement, là encore, que nous dissimulions la gravité de la situation. Nous nous trouvons dans un monde de multiplicité des crises, celles-ci sous une forme endémique avec des paroxysmes apparaissant de façon périodique. Cela permet à notre perception, aidée en cela par les réactions des systèmes de communication, de considérer chaque crise isolément selon ses apparitions successives, sans nécessairement établir de connexions. Il y a presque concurrence entre les crises (entre les commentateurs des crises) pour réclamer la primauté sinon l’exclusivité pour “sa” crise. Ainsi avons-nous vécu le mois d’août au rythme de la crise financière; puis une partie du mois de septembre (à partir du 27 août et du discours de Sarko) au rythme de la crise iranienne; Londres, pendant ce temps, replongeait dans la crise financière avec le crash de la banque Northern Report tandis que Washington en restait au rythme irakien avec le rapport du général Petraeus; septembre se termine au rythme de la crise climatique, avec les perspectives catastrophiques qui sont désormais de plus en plus évoqués, notament en marge des réunions de l’ONU sur la question.

Tout cela n’est-il que le théâtre humain de notre pathétique défense pour écarter la vision générale et intégrée d’une civilisation agonisante? Oui et non. Ce phénomène est très intéressant parce qu’il n’est pas pour autant réducteur; là non plus, là encore, on ne peut parler d’un “complot” pour tenter de voiler la gravité de la situation. Chaque crise, en même temps qu’elle prend l’exclusivité temporaire de l’attention mondiale, semble aussitôt affirmer qu’elle est la plus grave et la plus catastrophique, — ce qui implique évidemment qu’il y a catastrophe. On dirait que tout ce qu’il nous reste d’ambition dans cette situation étrange, c’est de réclamer l’étrange honneur de tenir notre crise favorite pour la cause centrale du collapsus inévitable.


Mis en ligne le 29 septembre 2007 à 12H18