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255211 janvier 2018 – Tout honnête homme et tout homme curieux connaissent et ont à l’esprit, parfaitement dessinées grâce au prodigieux talent du trait et du détail, les peintures de Dali baignées de leur prodigieuse envolée ésotéique. Je veux surtout parler de cette mollesse élastique, de cette dilution des formes permettant les transformations les plus audacieuses et si ésotériques, de cette exceptionnelle description de la nature déstructurée du monde de la modernité, comme l’est déjà son époque... Les fameuses montres molles de Dali décrivent assez bien l’état informe et gluant en quoi se sont transformés le Temps et avec lui l’histoire et les événements. (Voir notamment La persistance de la mémoire et La désintégration de la persistance de la mémoire.)
Œuvre prémonitoire, en fait, et rien de moins après tout...
La peinture de Dali est faite comme si elle décrivait parfaitement notre temps, entre cette informité devenue difformité sans fin, en un constant mouvement fou mais paradoxalement immobile, et tout cela se faisant sans réelle brutalité après tout, sans détonation, sans rupture cosmique, mais aussi dans la fulgurance d’une seconde des éclairs de transmutation surgissant ici ou là pour nous rendre un instant, le temps d’un bref instant l’image d’une sublime structuration que pourrait devenir le monde si l’Esprit le saisissait à nouveau et le fixait enfin dans son équilibre, son harmonie et son ordre. Nous n’en sommes pas là, pas encore veux-je dire...
Je veux dire en effet, au contraire mais d’une façon parfaitement logique, que c’est à cette étrange dynamique molle et insaisissable, comme paraissant immobile, que me fait penser le monde d’aujourd’hui, et notamment la politique du monde. Molle et insaisissable en effet, au point où n’importe quoi devient politique, entre le laisser-aller et le laisser-faire. Certes, ce n’est pas une affirmation brutale, autoritaire et presque totalitaire : “Tout est politique !”. Non et tout à l'extrême contraire, c’est un immense marécage qui se forme et se déforme, dans lequel tout et n’importe quoi s’emportent mollement, entrent et s’engluent, s’uniformisent dans un langage commun, mâchouillé, bredouillé selon quelques thèmes aussi mous que du caoutchouc qui serait aussitôt étiqueté “bienpensant”, dans une action sporadique et spasmodique, tremblotante, sans direction ni orientation, complètement embourbée dans les orientations satisfaites des audaces du conformisme, avec l’argument de l’arrogance de nuées de mouches du coche hystériques qui bourdonnent et vrombissent sans fin au nom de causes étranges dont elles font dépendre le sort de l’humanité et la recette du bonheur éternel.
Effectivement, je songeai à du Dali avec ses montres molles en appréciant cette nuée médiatique proclamant la présentatrice de TV, productrice-milliardaire Oprah Winfrey, nouvelle idole du Nouveau-Monde libéré, elle-même désormais assurée de l’emporter pour la Maison-Blanche en 2020 pour faire jaillir du marécage mou de la montre molle, outre sa montre-Cartier, une superbe tour-horloge, une Big-Ben postmoderne aussi dure et ferme que l’image du phallus désormais sous surveillance de la gent féministe et hollywoodienne pour figurer la symbolique de l’Egalité-à-jamais ; ou bien, même songerie en lisant l’article de l’historien Eric Zuesse, Trump Is Fading Into The Irrelevance, comme si Trump c’était déjà du passé et que les Trump Towers se fussent avérées aussi molles que les montres-Dali, une présidence réduite à son entrée en matière directement reprise en dernières phrases de sa conclusion, et rien du tout, absolument rien entre...
Il n’y a rien dans tout cela qui mérite d’être retenu, sauf bien entendu les peintures de Dali. J’entends dire par là que nos Temps-Présents, avec cette consistance caoutchouteuse, qui n’adhèrent à rien et ne retiennent rien, qui vivent au jour le jour et tout juste jour après jour, ce sont des temps de circonstance. Malgré leur prétention à l’énormité, la considérable force de la destinée humaine, la toute-puissance de la communication, la maîtrise de l’univers par les technologies, la vertueuse arrogance de la moraline universaliste, etc., ces Temps ne cessent de se montrer dans une difformité insupportable qui les réduisent à une sorte de moins-que-rien qui ne provoque chez vous, malgré l’intensité du contraste, aucune surprise et même vous laisse un petit goût de dérision joyeuse. La joie, dans notre Temps-Présent, ne peut naître que de la destruction de la chose.
Il est vrai que cette masse énorme manque totalement de poutre-maîtresse, de colonne vertébrale, jusqu’à haïr littéralement tout ce qui pourrait se rapprocher d’une structure, tout ce qui fait cohérence et harmonie, tout ce qui s’équilibre, tout ce qui peut “se tenir droit” (mise à part l’image du phallus sous surveillance féministe, cela va sans dire). La politique qu’ils produisent, nos Temps-Présents, sont à cette image et à cette mesure : aussi molle que des montre-Dali, malgré la splendeur et la précision autant du dessin que des couleurs, malgré la cruauté et la méchanceté stupide de leur propension à jeter des bombes, et même des “bombes intelligentes” (smart bombs). (Même cette cruauté et cette méchanceté sont molles et vides.)
La différence est que Dali peint pour se moquer du dérisoire, et tout dans son personnage, dans le jeu que fut sa vie, en témoigne ; il savait bien qu’il ne faisait qu’illustrer une marche satanique vers des abîmes et des abysses ; sa peinture était comme un iceberg, elle ne montrait qu’une toute petite partie de la tragédie-bouffe et ne prétendait à rien d’autre. (Il ignorait, ou feignait de l’être, qu’il était prémonitoire.) Au contraire, la monstrueuse montre-Dali que nous sommes rassemble dans son incroyable mollesse tout ce qui lui reste d’énergie faussaire pour se croire et se faire croire, pour affirmer qu’elle se maintient, qu’elle a un cap et qu’elle le tient... Je crois bien que Dali n’a jamais peint ce fameux tableau que je lui aurais bien recommandé, nommé “Le Titanic en train de couler, avec les 9/10èm de sa masse déjà sous eau”, qui aurait été commenté par sa fameuse phrase de référence (« La peinture est la face visible de l’iceberg de ma pensée »). Il se méfiait, sachant bien que la partie immergée de l’iceberg était encore à venir, et à subir, comme le lui suggérait sa pensée.
Il est sans doute minuit moins quatre, ou moins deux qui sait, à l’horloge-Dali de nos Temps-Présents de notre effondrement : mais comment s’en aviser vraiment, comment le réaliser, lorsque la mollesse de l’objet interdit la lecture de son cadran ? Il ne vous reste qu’à me croire sur parole et vous en tenir à ma dernière phrase qui sera la conclusion de ce propos sans intention vraiment conceptuelle. Lorsque nous nous trouvons entre Trump et Winfrey comme entre l’enclume visqueuse et le marteau flasque, il est assuré que nous arrivons au bout de la mollesse caoutchouteuse que Salvador Dali nous promettait en roulant autant ses moustaches effilées que ses “rrrrrrrr” bien connus, et qu’alors il faut s’attendre à tout...
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