Note sur un simulacre maquillé en sommet

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Note sur un simulacre maquillé en sommet

• “Enfin”, dit-on ici et là, surtout chez les Européens décidément de plus en plus vides et de plus en plus vains dans leurs jugements, et particulièrement dans le chef de la chancelière Merkel qui exprime avec soulagement et avec NordStream 2 dans la poche : “Enfin, Russie et USA se rencontrent au sommet, les choses vont mieux”. • Nous avons choisi comme référence de ces Notes d’analyse un texte de Fiodor Loukianov dressant le tableau des choses et des esprits pour ce sommet Poutine-Biden du 16 juin. • L’intérêt de son texte est son constat d’une impuissance et d’une paralysie partagées, et sa prévision qu’on n’en obtiendra absolument rien de ce sommet. • Ce n’est pas à cause d’un antagonisme Russie-USA dont on ne sait l’intérêt, ni à cause d’une incompatibilité d’objectifs, – même si l’un et l’autre existent, – mais à cause de la situation du monde (Grande Crise) : « Le manque de confiance en soi et le malaise face à l’avenir se font sentir partout. Cela est compréhensible, compte tenu de la nature chaotique des récents développements dans le monde. ». • Au cœur de la tempête, on rentre la tête dans les épaules en attendant qu’elle s’apaise.

 

26 mai 2021 – Nous prenons comme fil rouge très solide et comme guide particulièrement informé un observateur russe que nous jugeons d’état d’esprit et de point de vue assez proche de ceux de Poutine, si possible sur son côté centriste et “libéral”, et nullement dépourvu de réalisme bien au contraire. Si nous choisissons le côté de Poutine et de la Russie pour projeter un point de vue qui servira à nos commentaires, c’est parce qu’en face le vide de l’anathème est abyssal alors que la Russie a une vision très structurée des causes immédiates et des conséquences inévitables de la situation actuelle. Il reste qu’il y a un sommet (le 16 juin à Genève) et qu’il y a des faits et des situations objectives.

Donc, le guide que nous suivons, c’est le Russe Fiodor Loukianov avec son article du 20 mai 2021. Ce choix est justifié également par le fait que Loukianov est une personnalité influente, un “semi-officiel” si l’on veut, avec des liens et des activités qui pourraient conduire certains à le cataloguer comme un globaliste. Il y a peut-être de cela dans l’esprit de la chose, mais placé sur le côté modéré presque-globaliste dont certains chargent parfois Poutine, Loukianov reste un Russe et bien russe, comme Poutine lui-même. Ses observations objectivement réalistes le prouvent, alors qu’on peine à trouver l’équivalent (“objectivement réaliste”) du côté US ; c’est la différence entre “le vide de l’anathème” et la “vision très structurée”.

Le titre de l’article de Loukianov est le suivant : « Le sommet entre Poutine et Biden emplira de ravissement  les médias, mais ne changera rien... les relations entre la Russie et les États-Unis sont discrètement en cours de démantèlement. » Assez juste, mais nous aurions plutôt insisté sur ce démantèlement, d’une façon plus brutale...

C’est un sommet qui devrait acter l’achèvement du complet et brutal démantèlement des relations entre les USA et la Russie ; il n’y a rien de spécifique à proposer de plus ni à envisager en plus puisqu’il s’agit simplement de laisser aller à son terme la dynamique en cours. Cela justifie ce jugement de départ de l’article, en écartant la conditionnalité (“si le sommet a lieu”) puisque, depuis le 20 mai de la date de parution, le sommet est effectivement décidé pour le 16 juin ; et nous penserions même que le “coup de pouce de relations publiques” annoncé pour les deux hommes sera finalement très éphémère et illusoire :
« Si le sommet proposé entre le président américain Joe Biden et son homologue russe Vladimir Poutine a lieu, il attirera l'attention des médias du monde entier et donnera aux deux hommes un coup de pouce en termes de relations publiques. Mais rien ne changera fondamentalement. »

Etat des lieux incertains & insaisissables

Loukianov procède selon la bonne logique, en proposant une vue d’ensemble sur l’état des relations russo-américaines. Il montre combien ces relations (et les relations internationales d’ailleurs et d’une façon générale) sont bloquées dans un épisode fondamental de paralysie et d’impuissance politiques dans un univers fondamentalement chaotique que personne ne comprend vraiment.

Loukianov tente d’expliquer cette situation mais il expose plus la manifestation (les effets) de ce chaos qu’il ne tente de nous donner son explication. Et pour la manifestation de ce chaos, on avancera ceci qui semble affleurer à plus d’une reprise chez Loukianov : si les relations USA-Russie achève de se démanteler, si l’un et l’autre pays font face à des “problèmes intérieurs complexes”, c’est à cause du chaos et nullement une des causes de ce chaos...
 

« Les relations russo-américaines ont connu récemment quelques cahots intéressants, laissant fort perplexes de nombreux commentateurs. Des avertissements sévères, une épreuve de force militaire, des projets de déploiement de l’US Navy en Mer Noire (apparemment annulés par la suite), un appel du président Biden à son homologue russe Poutine pour lui proposer un sommet en tête-à-tête, suivi de l’annonce d’une nouvelle série de sanctions qui auraient pu être pires mais font l’affaire pour le moment.
» Vint ensuite le décret de Joe Biden, axé sur la “menace” croissante que représente la Russie, puis une nouvelle invitation à discuter dans un discours que Washington a considéré comme un geste de réconciliation.
» Tout cela, et en si peu de temps, semble chaotique. Cependant, nous proposerions quelque modeste lumière en considérant essentiellement deux facteurs. Premièrement, ce à quoi nous assistons actuellement est la dernière étape du processus de démantèlement des relations entre la Russie et les États-Unis telles qu’elles existaient depuis plusieurs décennies.
» Deuxièmement, les actions de la plupart des acteurs internationaux sont motivées par des problèmes domestiques complexes. La réaction aux défis auxquels ils sont confrontés sur le front intérieur a toujours la priorité, tandis que la politique étrangère est soit une question secondaire, soit, si l’on a à faire à une grande puissance qui ne veut pas se retirer de l’arène internationale, un instrument pour résoudre des problèmes internes. »

Premier facteur

Le “premier facteur” déterminé par Loukianov concerne l’espèce de gel glacial où sont entrées les relations diplomatiques entre les deux puissances. Loukianov rappelle que les relations entre les USA et la Russie (l’URSS) tenaient la première place durant la Guerre Froide et conditionnaient tout le reste. Même si ces relations étaient conflictuelles, des arrangements permettaient de leur donner presque un aspect de coopération tant le risque de confrontation était dangereux, jusqu’à “l’impensable”. Dans ce cadre, il y avait même une sorte de respect mutuel entre les deux, et dans tous les cas des contacts suivis. Tout cela s’est désintégré dans les années 1990 et rien n’a été rebâti sur ce champ de ruines.
 

« ...Aujourd'hui, la Russie et les États-Unis ne se considèrent pas comme des partenaires clés, même dans le cadre d’un engagement conflictuel. Chaque pays considère l'autre comme une nuisance qui l’empêche d’exécuter sa stratégie. Durant la Guerre Froide, il existait un certain respect mutuel entre l’Union soviétique et l’Amérique, car chaque pays reconnaissait la légitimité idéologique et politique de son adversaire. Cela n’existe plus.
» Tous deux considèrent désormais l'autre partie comme une nation qui se dirige vers sa chute, pour des raisons différentes. Moscou considère Washington comme un empire en déclin, qui ne domine plus de la même manière que ces dernières décennies. Les Américains, quant à eux, pensent que l’État russe lui-même est voué à l’insignifiance.
» Cela signifie que chacun a perdu aux yeux de l’autre le droit moral et politique de se comporter comme il le faisait [du temps de la Guerre Froide]. Ces conditions radicalement nouvelles font qu’une discussion sur des intérêts mutuels, même dans des domaines spécifiques, n’a plus aucun sens. »

Second facteur

Le “second facteur” est la  situation intérieure des deux partenaires. Cette situation est de loin la plus importante de toutes les préoccupations, – et, à notre sens, elle vaut beaucoup plus pour les USA que pour la Russie. D’autre part, ce “malaise” qui paralyse l’évolution des relations extérieures est général et, par conséquent, on notera que cette remarque vaut quasiment pour tous les pays importants du monde...

Curieusement (?), de ce point de vue les deux puissances dont les relations reflétaient le sort du monde pendant la Guerre Froide, témoignent toutes deux et à elles deux, à partir de leurs situations internes qui sont nécessairement délicates, du sort du monde aujourd’hui dans son état stupéfié alors que grondent des événements incompréhensibles. Ainsi la Grande Crise trouve-t-elle une interprétation inattendue.
 

« Le deuxième facteur est la dynamique interne. Le manque de confiance en soi et le malaise face à l’avenir se font sentir partout. Cela est compréhensible, compte tenu de la nature chaotique des récents développements dans le monde. À l’heure actuelle, aucun pays ne peut se targuer d’avoir une stratégie de développement claire ou équilibrée ; les politiques sont élaborées sur le tas, et souvent de manière impulsive.
» Par conséquent, les mouvements névrotiques sont nombreux. Le monde étant beaucoup plus intégré qu’à l’époque de la Guerre Froide, ce névrosisme se propage rapidement.
» En conséquence, le comportement de chacun est déterminé par sa conception très étroite de l'auto-préservation. Pas dans un contexte général, comme dans la crainte qu'une guerre froide puisse se transformer en une véritable guerre, mais dans le sens où l’incertitude oblige les nations à donner la priorité aux questions intérieures, à se concentrer sur la stabilité interne et à faire en sorte que la politique étrangère serve cet objectif. Les réactions extérieures ne sont pas prises en compte. »

Description de paysage figé

Loukianov sacrifie alors quelques paragraphes à nous décrire la façon dont les choses procèdent, ou plutôt ne procèdent pas entre Washington et Moscou. Les propositions voulues comme constructives, lancées ici et là, sont aussitôt contredites par des décisions négative. Les diplomates en poste ne servent à rien, sinon à tenter d’espionner ou d’influencer négativement les pays où ils sont en poste. De ce côté, les Russes sont les plus clairs lorsqu’ils demandent fermement à l’ambassadeur US à Moscou de rentrer consulter son gouvernement, pour le plus longtemps possible.

Bon prince cherchant à jouer au sage objectif, Loukianov prend bien garde de préciser que tout cela se passe dans les deux sens : le “rien” voyage vers Moscou comme il voyage vers Washington D.C.
 

« Cela affecte clairement les relations entre Washington et Moscou. Et nous voyons un certain nombre de mesures qui ne peuvent pas être facilement interprétées dans un sens ou dans l’autre. Les experts américains considèrent le discours prononcé par Joseph Biden jeudi dernier comme une démarche constructive. Selon eux, Biden devait terminer ce que l'administration précédente avait commencé ; il devait tourner la page et punir la Russie pour certains de ses actes tels que perçus par les USA.
» Et maintenant que tout est terminé, Biden propose de commencer une nouvelle page. Cependant, il a également signé un décret qui facilite l'introduction de nouvelles sanctions, afin que la prochaine fois, l'Amérique puisse économiser du temps et des ressources. Naturellement, Moscou y voit le signal que la même chose sera écrite sur la nouvelle page, – mais cette fois, avec plus d’encre et de mots. Lorsque la Russie réagit, les États-Unis appellent cela une escalade ; ce n'est pas une réponse, c’est un nouveau round.
» Lorsque le ministre russe des affaires étrangères recommande à l'ambassadeur américain de rentrer volontairement et de tenir des consultations à Washington, nous pouvons supposer que le mécontentement est profond et que l'ambassadeur est considéré comme persona non grata à ce stade.
» D’autres limitations du travail des diplomates, – tant quantitatives que qualitatives, – reflètent également l'état d’esprit d’une guerre froide. Si les liens politiques sont pratiquement inexistants alors que la coopération économique n’a jamais été très forte, pourquoi avoir besoin d’autant de personnel dans les ambassades ? D'autant plus que leurs efforts pour représenter leur nation dans le pays où ils sont en poste suscitent la méfiance et sont souvent interprétés comme des tentatives illégitimes d’influencer quelque chose.
» Cela fonctionne dans les deux sens : les diplomates russes en Amérique et les diplomates américains en Russie se retrouvent dans la même situation. Par conséquent, les mesures diplomatiques ne font que suivre l’atmosphère politique générale. »

Il faut faire avec (rien)

Dans ce cadre général qui est à la fois composé et formé de “rien”, il s’agit donc de déterminer ce qu’on peut attendre du sommet : “rien”, bien entendu. C’est une étrange variation autour d’un thème inaudible, invisible et insaisissable. La seule façon de “travailler” serait de s’engager sur une voie tracée par les États-Unis, bornée par les États-Unis, orienté par les États-Unis puisque ce pays est incapable de se penser autrement qu’en tant que “nation indispensable” (Albright) et “exceptionnelle” (Obama). C’est dire qu’il s’agit d’une impasse où les Russes, sans aucun doute, ne s’engageront pas.
 

« Dans ce contexte, il est étrange de voir des journalistes et des experts spéculer sur la tenue ou non du sommet proposé par Biden. Il semble que beaucoup de gens croient qu'un sommet entre deux poids lourds va résoudre quelque chose comme par magie. Même à l’époque où les politiques étaient plus structurées, une réunion de haut niveau nécessitait une longue préparation et n’était organisée que lorsqu'elle pouvait donner des résultats.
» À ce stade, la Russie et les États-Unis n’ont pratiquement rien à discuter, à l'exception de ce que l'on appelle joliment la “déconflictuation” (c'est-à-dire la Syrie et l'Ukraine) [et qui était nommé auparavant “désescalade”], qui est en fait le domaine des responsables militaires, – et ils y travaillent d’eux-mêmes, de toutes les façons. Même le sujet de prédilection des deux puissances, – la stabilité stratégique, – est maintenant dans les limbes, parce que le cadre précédent a disparu et que l'élaboration d’un nouveau cadre nécessiterait un sérieux effort intellectuel et l’union des forces pour créer quelque chose qui reflète les réalités internationales et technologiques actuelles. Pour faire ce genre de travail, il faut de l’enthousiasme et au moins une confiance de base, et nous n’avons ni l'un ni l'autre.
» Nous avons déjà vu des sommets où les participants se regardent dans les yeux pour déchiffrer un sens caché ; il n’en sort jamais rien. D’ailleurs, les dirigeants actuels de la Russie et des États-Unis n'ont pas besoin d'apprendre à se connaître puisqu'ils se connaissent depuis longtemps.
» D'un point de vue conceptuel, le cadre de nos relations a été fixé par les États-Unis et il suit la formule de Biden “marcher et mâcher du chewing-gum en même temps”. Cela signifie travailler ensemble avec la Russie lorsque cela convient aux États-Unis, et l’ignorer ou la dissuader dans le cas contraire. Washington estime que, pour tout pays, la coopération avec les États-Unis l'emporte sur toute autre préoccupation. Ainsi, quelles que soient les conditions et les restrictions imposées par les États-Unis, leur partenaire devrait continuer à coopérer avec eux sur les questions sur lesquelles les États-Unis suggèrent de travailler.
» C'est l'idée de la “nation indispensable”, comme disait Madeleine Albright dans les années 1990. Jusqu’à présent, c'est à peu près ce qui s'est passé. La Russie doit maintenant décider si elle souhaite ou non continuer à travailler dans ce cadre d'un “engagement sélectif”, qui n'est bien sûr pas une création de Biden et qui a été en place pendant une grande partie de la période post-soviétique. L’état actuel de nos relations prouve que dans ce cas, cela mène à une impasse.

Le déclin (l’effondrement ?) américain

Pour terminer, il y a bien entendu l’évidence qui est dans l’esprit de tout le monde. Cette évidence, c’est la formidable crise du système de l’américanisme qui constitue un énorme soubresaut marquant le déclin des États-Unis, qui est peut-être, sans doute, un effondrement après tout. Les USA ont perdu nombre d’instruments de leur hégémonie et ne dominent plus le monde ; tout juste, leur hégémonie dans le domaine financier et monétaire leur permet-elle de “se battre” à coup de sanctions, mais là aussi on arrive au bout des munitions disponibles.
 

« Outre les raisons liées au prestige et à l'amour-propre, il y a un autre facteur. Pendant longtemps, cette approche que les États-Unis ont maintenue [la “nation indispensable”] pouvait être justifiée par le fait qu’ils avaient une influence mondiale décisive jusqu’à l’hégémonie. Aujourd'hui, cependant, le leadership américain est en crise, tant sur le plan politique que, surtout, sur le plan éthique, tandis qu'en termes d'économie, la croissance de la Chine est beaucoup plus impressionnante. Washington jouit évidemment d'un grand avantage technologique et d'un monopole dans le secteur financier, mais il s'en sert de plus en plus pour dissuader et punir ses concurrents, tant sur le plan géopolitique que commercial. Sa réputation n'en sort pas grandie, mais stimule au contraire la recherche de nouveaux moyens d'éviter les obstacles créés par les États-Unis.
» Les relations russo-américaines sont actuellement en crise profonde, et si l'on peut en chercher les raisons dans telle ou telle action, ce n'est pas là que se trouvent les racines du problème. Le cadre précédent était le produit de la Guerre Froide, et sous sa forme déclinante, il a perduré pendant trois autres décennies.
» Cependant, ramener l'esprit de la Guerre Froide ne fera pas revenir ses paramètres. Le monde a changé et l’architecture de ses relations n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était à l'époque, même si certains éléments du passé subsistent.
» Les tentatives de l'administration de Biden de recréer le vieux schéma du “monde libre” contre les “tyrannies agressives” sont vouées à l'échec, car ni l’un ni l’autre n'existe sous son ancienne forme claire et nette antérieure. En un sens, nous devrions aider Washington en développant des liens plus étroits et plus sophistiqués entre la Russie et la Chine, d’autant plus que cette dernière est choquée par la manière dont Biden et son équipe ont choisi de gérer les relations américaines avec Pékin.
» Minimiser les risques de confrontations inutiles et s’efforcer de résister à toute forme de pression est la principale voie à suivre pour les relations russo-américaines dans un avenir proche. La collaboration devrait se limiter à des préoccupations très spécifiques et pratiques, si elles se présentent. À un moment donné, il y aura une demande pour un nouveau type de relation. C’est à ce moment-là que nous devrions commencer à parler, pas avant.

Le sommet de l’homme dépassé

Il s’agit finalement d’une curieuse analyse, même si elle est structurée, cohérente et logique. Le problème est bien entendu qu’un supposé “grand événement” (selon les critères de la deuxième partie du XXe siècle) est finalement tout juste une opération de communication américaniste à laquelle les Russes veulent bien se prêter pour entretenir leur image de puissance raisonnable. A part cela, rien, et décrire le “rien” est bien difficile. Le passage essentiel à ce propos est celui-ci :
« Le deuxième facteur est la dynamique interne. Le manque de confiance en soi et le malaise face à l'avenir se font sentir partout. Cela est compréhensible, compte tenu de la nature chaotique des récents développements dans le monde. À l'heure actuelle, aucun pays ne peut se targuer d'avoir une stratégie de développement claire ou équilibrée ; les politiques sont élaborées sur le tas, et souvent de manière impulsive. »

Effectivement partout règne le même désordre, la même “nature chaotique”. Qui plus est, en cette matière les États-Unis règnent en maître : un immense pays d’une complexité considérable, du fait du chevauchement d’innombrables pouvoirs avec un centre en crise absolue et des États plus ou moins ouverts à la tentation sécessionniste, et du fait également d’un système législatif et judiciaire d’une non moins extraordinaire complexité et traversé lui aussi par les affrontements politiques.

Là-dessus, on trouve une tentative extraordinaire d’une minorité pour imposer un système de type extrémiste et totalitaire digne de l’URSS ou de la Chine de Mao (bien avant Xi), cherchant à imposer une culture qu’on pourrait qualifier de suicidaire, et dans tous les cas révolutionnaire dans la mesure où son but est d’imposer un changement radical de l’être lui-même au travers d’un bouleversement de ses mœurs.

Comment parler de façon constructive avec une telle situation chez l’un des interlocuteurs ? La Russie se tient absolument sur ses gardes, tributaire elle aussi de conditions qui, si elles ne sont pas en crise à l’image de celles des USA, restent nécessairement fragiles et vulnérables. Plus que jamais la Russie a besoin d’une situation unificatrice, et elle ne peut l’avoir qu’en restant fermement sur ses positions. On voit mal comment, dans de telles conditions, les Russes pourraient prendre le risque d’une esquisse de coopération avec un tel partenaire. Loukianov le dit fort justement, répétons-le :
« Le manque de confiance en soi et le malaise face à l'avenir se font sentir partout. »

Cette phrase ne concerne pas le seul sommet Biden-Poutine mais bien la situation globale et globaliste du monde. Dans ce cas, le sommet reste anecdotique, mais il devient symbolique. Il devrait donc être une illustration de la situation crisique, de la Grande Crise qui nous dévore avec une puissance extraordinaire. Il faudra attendre quelques heures, un ou deux jours disons, une semaine tout au plus, pour que se dissipent les habituelles exclamations médiatiques et de pure communication, pour que nous puissions dire : effectivement, il s’agissait d’un sommet pour acter l’impossibilité absolue de rompre les rythme et la puissance des événements du monde, – un sommet sur l’inutilité des sommets, – “l’insoutenable légèreté des rencontres au sommet”.

Curieuse situation, formidable vérité-de-situation : jamais le sapiens (“l’homo zappiens”, écrit justement Philippe de Villiers) n’a disposé de tels instruments de puissances, de telles technologies, de, tels amoncellements de $dollars, de telles ambitions philosophico-bouffe et d’un tel hybris pour croire à toute cette ferraille, et jamais il n’est apparu si isolé, si impuissant, si dépassé par de formidables événements qui ébranlent le monde.

Finalement, ce sommet aura un intérêt, certes. Il nous montrera que la folie washingtonienne, avec ses anathèmes et  le brandissement de ses armes absolues par un canonnier transgenre et “racisé”, face à la prudence russe, ne représentent pas un réel risque d’affrontement. Les puissances humaines, leurs folies diverses, la crise épouvantable des USA et la désintégration de l’American Dream, tout cela n’est en soi qu’accessoire. Ce qui compte, c’est que ces manifestations furieuses n’apparaissent nulle part comme cause de rien du tout, mais essentiellement et fondamentalement comme conséquences et effets d’événements qui nous dépassent et se jouent de nous. Le Russe, sans doute, se doutera de quelque chose dans ce genre ; l’American Crook du Delaware, lui, n’y verra que du feu, occupé à soigner son sourire à mille dents. Mais tous, nous devrons tirer cette leçon du sommet.

« À un moment donné, il y aura une demande pour un nouveau type de relation, conclut Loukianov. C’est à ce moment-là que nous devrions commencer à parler, et pas avant. » Soit ! Eh bien, c’est alors que nous parlerons de l’événement de la fin de cette civilisation, à bout de souffle, usée, épuisée, réduite à l’ombre de son ombre ; c’est alors que nous visiterons, comme d’autres vont à Pompéi, les ruines de Système qui l’a portée jusqu’à ce terme-bouffe, définitivement passé de la surpuissance à l’autodestruction.