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12237• La crise ukrainienne n’en finit pas de rebondir et de rebondir, à la mesure exactement de la Grande Crise qui dévaste le bloc-BAO. • Alors qu’on juge d’une part que Biden cherche par un empilement de simulacres à se sortir de cette crise en donnant l’impression qu’il a battu les Russes, des échos intérieurs (à Washington “D.C.-l’hyperfolle”) montrent que tous ne l’entendent pas de cette oreille. • Il en est même, et de hauts placés, et de hautes responsabilités, qui suggèrent qu’il faudrait envisager d’y déployer (en Ukraine) des armes nucléaires avec comme doctrine un emploi “en première frappe” si les Russes osent lancer leur nième “invasion” du pays. • Là-dessus intervient le nouveau gouvernement allemand, auprès duquel la Merkel paraît bien pâle et bien arrangeante avec Poutine. • L’idée est de lier très solidement l’ouverture de NordStream2 à une complète capitulation des Russes des nombreuses actions agressives qu’ils ne mènent aucunement en Ukraine. • On mesure le défi lancé au délire de ces temps-devenus-fous : “Arrêtez donc, Russes, de faire ce que vous ne faites pas !”.
14 décembre 2021 – La politique étrangère ne cesse de devenir plus chaotique chaque jour, et l’Ukraine en est, pour l’instant, l’exemple le plus roboratif et le plus remarquable. Ce chaos englobe tous les acteurs, dès lors qu’“un côté” (on sait lequel) développe une “politique“ qui s’inspire de ce que nous nommons “politiqueSystème”, mais celle-ci étant d’abord, désormais, nécessairement passée au tamis tumultueux des situations internes crisiques qui dominent tout le reste. C’est une sorte de “révolution” au sens où l’entendait Anna Arendt, comme figure circulaire spatiale : la politiqueSystème avait défini d’abord la “politique” extérieure de déstructuration (2001-2009), puis elle s’étendit et imprégna de plus en plus le domaine de la situation intérieure comme elle le fait aujourd’hui presqu’entièrement (Covid, wokenisme). Ainsi accouche-t-elle, par rebonds successifs, d’une politiqueSystème étrangère de type indirect comme une sorte de faux retour aux sources dont les composants irrationnels et narrativistes se sont entretemps infiniment multipliés jusqu’à devenir un simulacre à plusieurs tiroirs fermés sur la voie d’un inextricable labyrinthe.
Répétons-le, dans cette évolution, l’Ukraine tient une place à part, alors qu’il importe absolument d’abandonner le moindre espoir de définition et de compréhension de la politique US/OTAN/bloc-BAO, – donc ukrainienne par conséquent. Les Russes, eux, sont contraints à ne pouvoir faire qu’une seule chose : suivre, contenir tous les excès en verrouillant le maximum de voies, sans le moindre espoir de prévoir quoi que ce soit et en se préparant à tous les possibles, même au pire.
La tension est constante, constamment entretenue, dans certains cas semble-t-il artificiellement forcée pour pouvoir ménager des détentes complètement artificielles, dont l’un ou l’autre centre de pouvoir occidental, – essentiellement Biden, d’une extraordinaire faiblesse interne, – peut prétendre bénéficier pour quelques jours. Scott Ritter, dont on va citer plus loin des extraits plus longs de son texte, explique bien “la manœuvre” qui est d’accumuler plusieurs actions aux fondements et aux réalités complètement inexistantes...
« Cependant, en fabriquant une menace inexistante (c’est-à-dire une invasion russe de l'Ukraine), puis en menaçant d'envoyer des troupes inexistantes en Europe de l’Est en cas d’invasion russe, Biden peut maintenant s'attribuer le mérite d’être fort face à l’agression russe. De plus, lorsque la Russie n’envahira pas l'Ukraine (et elle ne le fera pas, à moins de répondre à une provocation militaire à grande échelle de la part de l’Ukraine), Biden pourra s'attribuer le mérite d'avoir fait reculer Poutine. »
L’analyse de Scott Ritter du 9 décembre vaut en effet d’être développée par un plus long extrait, maintenant qu’on en connaît le ressort qui est effectivement d’empiler plusieurs simulacres pour parvenir au simulacre ultime (pour quelques jours) d’une “victoire“ de Biden sur Poutine. La manœuvre, de pure communication, est ici de se saisir de la crise ukrainienne, endémique et sans fin, pour en faire un succès de politique étrangère de Biden qui rachèterait en (petite) partie le désastre d’Afghanistan dans sa composante d’impopularité du président. Celle-ci (l’impopularité), toutes causes confondues, est d’une façon générale plus basse qu’aucun autre président à ce moment de son mandat.
« Tout d'abord, la menace américaine de renforcer le flanc oriental de l'OTAN est sans la moindre substance, et tout le monde le sait. L'armée américaine est déjà mise à rude épreuve en maintenant la rotation actuelle d'une seule brigade blindée lourde, soit quelque 5 000 hommes, en Europe. [...]
» La réponse réside dans le besoin politique de Biden de façonner la perception, tant au niveau national qu'international. Ses alliés démocrates s'attendent à ce qu'il soit plus dur envers la Russie que l'ancien président Trump. Cette prise de position publique l'a considérablement enfermé dans un carcan, en particulier lorsque les options politiques de bon sens doivent être mises de côté au profit de la posture. En avril dernier, Biden a été pris au dépourvu lorsque la Russie a mobilisé 100 000 soldats le long de sa frontière avec l'Ukraine, en particulier lorsque ses dirigeants militaires l'ont informé que les États-Unis ne pouvaient pas y faire grand-chose.
» Le principal problème auquel l'équipe de sécurité nationale de Biden a été confrontée concernant la nécessité d'engager la Russie était le fait que tout engagement tenant compte des préoccupations russes serait considéré comme une concession. Biden devait être perçu comme opérant en position de force. Ainsi, lorsque la Russie a effectué ses manœuvres militaires de l'automne, les États-Unis ont délibérément exagéré ce qui n'était guère plus que des mouvements de troupes internes en réponse à des exercices similaires de l'OTAN en Pologne et dans les pays baltes, et à l'action musclée des Ukrainiens sur le front du Donbass, pour en faire une menace imminente qui a déclenché la crise actuelle.
» La menace de Biden de déployer des forces américaines supplémentaires a maintenant du sens. Tout d'abord, il ne va pas le faire. Deuxièmement, la Russie ne se prépare pas à envahir l'Ukraine, et Biden le sait. La crise actuelle est due au refus persistant de l'Ukraine de mettre en œuvre les accords de Minsk en ce qui concerne la reconnaissance de l'autonomie de la région du Donbass, et à sa posture militaire continue comme mécanisme pour obtenir le soutien de l'OTAN dans son ambition de reconquérir le Donbass et la Crimée.
» La Russie insiste pour que les États-Unis fassent pression sur le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, afin qu'il adhère à l'accord de Minsk, et pour que les États-Unis donnent l'assurance que l'OTAN arrêtera son expansion vers l'est. Toute action des États-Unis, sans condition préalable supplémentaire, serait perçue à la fois par le public américain et par les alliés de l'OTAN comme un signe de faiblesse. Cependant, en fabriquant une menace inexistante (c'est-à-dire une invasion russe de l'Ukraine), puis en menaçant d'envoyer des troupes inexistantes en Europe de l'Est en cas d'invasion russe, Biden peut maintenant s'attribuer le mérite d'être fort face à l’agression russe. De plus, lorsque la Russie n’envahira pas l'Ukraine (et elle ne le fera pas, à moins de répondre à une provocation militaire à grande échelle de la part de l’Ukraine), Biden pourra s'attribuer le mérite d'avoir fait reculer Poutine.
» Dans ce contexte, l'annonce de Jake Sullivan selon laquelle l'administration Biden est ouverte à de larges discussions avec la Russie sur l'avenir de la sécurité européenne, associée à l'annonce de Biden selon laquelle les États-Unis ne viendraient pas en aide à l'Ukraine en cas d'invasion russe, et à une annonce similaire de Biden selon laquelle les États-Unis ne soutiendraient pas l'adhésion de l’Ukraine à l’OTAN pendant au moins 10 ans, peut être présentée comme une action responsable prise en position de force, au lieu d'être la réponse logique à la realpolitik. »
La description faite par Ritter est admirable de précision, mais également de complexité. Il n’est pas assuré qu’une telle complexité, qui mélange l’extraordinaire irrationalité d’une situation inventée de toutes pièces (l’“invasion russe” en cours incessamment-sous-peu depuis 2014) et la rationalité d’un montage aussi précis répondent à une quelconque vérité-de-situation.
Les mêmes caractéristiques peuvent être relevée dans un extrait d’un texte de l’interview d’un ambassadeur français ; ce texte montre à peu près le même travers, pris d’une autre façon... D’une part, l’on signale l’irrationalité de certains faits, en les tenant à notre avis bien imprudemment comme négligeables (nous y revenons plus loin) ; pour, d’autre part, appeler à une attitude constructive réglant le problème ukrainien, évidente pour un jugement de raison et totalement hors de saison pour nos temps-devenus-fous. L’analyse rationnelle est du type classique selon une diplomatie créatrice, c’est-à-dire qu’elle est, elle aussi, complètement hors de saison et n’a strictement aucune chance de s’appliquer.
On pourrait même faire un cas d’école en détaillant tout ce qui s’est passé depuis 2014, les caractères de la situation présente, l’impossibilité de faire cohabiter deux mondes radicalement différents, – celui du simulacre et celui de la vérité-de-situation, – pour mesurer l’abîme extraordinaire qui nous sépare aujourd’hui de la situation d’“avant” (du “monde d’avant”, de l’ère pré-“modernité-tardive”), remontant à peu près à la Guerre Froide. L’arrangement envisagé est en effet du type de ceux que l’on pouvait envisager à cette époque.
« Quant à l’idée de couper la Russie du système interbancaire Swift, “pour l’instant, on ne l’évoque pas”, tranche auprès de Sputnik Eugène Berg, ancien ambassadeur de France. Et ce, bien que “certains sénateurs extrémistes” à Washington souhaiteraient recourir à cette “arme nucléaire” économique.
» “Tout cela, c’est ce que l’on appelle des gesticulations, parce qu’il y a malheureusement des opinions publiques. L’homme politique doit plaire à tout le monde, surtout son aile droite”, déplore l’ancien diplomate. “Il y a eu des échanges d’amabilités et d’anecdotes, selon Vladimir Poutine, cela montre que les deux Présidents ne se sont pas pris à la gorge”, ajoute-t-il.
» N’en déplaise à la presse, pour l’auteur de ‘La Russie pour les nuls’ (Éd. First, 2016), une nouvelle phase de désescalade s’est amorcée à l’Est du continent européen. Comme pour les précédents épisodes de redoux, reste à savoir si celui-ci sera durable. Regrettant une énième situation “gelée” dans l’Est européen, Eugène Berg estime qu’Occidentaux et Russes doivent sortir de leur “tête-à-tête mortifère”. Un chemin vers une paix durable qui ne sera pas sans “concessions” de part et d’autre, ajoute-t-il.
» “Il faut débloquer la situation ! On a une guerre qui dure, où l’on alimente le feu. Nous sommes dans un théâtre où l’on se fait peur et où l’on esquive les problèmes de fond […] C’est le moment de lancer des idées nouvelles, provocantes, il faut susciter un débat.”
» Des problèmes de fond tels que l’appartenance de la Crimée à la Russie ou de l’intégration de l’Ukraine et même de la Géorgie à l’UE. Pour l’ex-diplomate, toutes ces problématiques qui minent les relations au sein de la “maison commune” européenne doivent être négociées simultanément. Un “package global” en somme, qui s’inscrirait dans un processus diplomatique étalé sur une quinzaine d’années visant à faire retomber les tensions. »
Il y a deux remarques dans ce qui vient d’être exposé, qui correspondent à un épisode précis, qui s’est déroulé parallèlement et qui mesure les difficultés que le simulacre installe dans la réalité, essentiellement à cause de deux perceptions, deux visions, deux mondes irréconciliables. Il y est question de “nucléaire”, mais ne s’appliquant nullement à une sanction, et il y est également question des “opinions publiques”.
Il s’agit d’une remarque “nucléaire” d’un sénateur républicain expliquant qu’il était parfaitement envisageable, si besoin était, d’envisager de déployer des armes nucléaires en Ukraine et de les utiliser si besoin était, en première frappe si besoin était, contre les Russes (en cas d’“invasion”, peut-on imaginer) même avant que “si besoin était”. Voici le rapport qu’en fait l’analyste Taryk Cyril Amar, le 12 décembre 2021 sur RT.com :
« ... Dans ce contexte, cependant, un sénateur américain influent s'est fait remarquer comme brusquement une marmotte sort de son hibernation. Le sénateur Roger Wicker (Républicain du Mississippi) a fait une sortie publique il y a quelques jours [ le 8 décembre] pour conseiller au président Joe Biden de garder ouvertes toutes les options en ce qui concerne l'Ukraine. Il a suggéré de ne pas se contenter d'envisager le recours à la force militaire conventionnelle, mais de déployer potentiellement [pour les utiliser en première frappe] des armes nucléaires.
» Son intervention a suscité des objections, notamment de la part de l'ambassade de Russie à Washington, DC. Wicker, cependant, n'a pas retiré ses paroles. Il a simplement fait un peu marche arrière, essayant clairement d'atténuer l'impact de ses déclarations tout en restant fidèle à leur sens. Nous pourrions considérer sa tentative bizarre comme une énième tentative des libéraux et des conservateurs américains de séduire un public national dont l’appétit pour une rhétorique agressive envers la Russie semble insatiable.
» Pourtant, il y a deux raisons pour lesquelles cette affaire ne doit pas être prise à la légère. Tout d’abord, Wicker n'est pas un acteur mineur ou un outsider. Il est le sénateur le plus ancien du Mississippi et le deuxième membre le plus important de la commission des forces armées du Sénat. Deuxièmement, il ne s’est pas limité à des généralités mais a été précis sur deux suggestions extrêmement inquiétantes. La première est que les États-Unis devraient être prêts à lancer des armes nucléaires contre la Russie, et la seconde est qu’ils devraient être prêts à les utiliser en premier. »
Cette intervention du sénateur Wicker a donc été prise au sérieux, comme Amar l’indique, notamment du fait du rang qu’occupe ce parlementaire, comme chef de la minorité à la Commission des Forces Armées (n°2 de la Commission, certes et donc), et comme n°2 du parti républicain au Sénat. Sa déclaration n’est pas loin d’engager le parti républicain au Sénat, alors qu’on trouve également chez les démocrates une bonne mesure de sénateurs extrêmement agressifs envers la Russie. Pour nous encourager encore plus, il faut signaler qu’à une récente audition de chefs militaires US en Europe, l’évocation de l’utilisation d’une arme nucléaire en premier (“première frappe”) a été faite comme figurant dans les plans de guerre. (Le SACEUR Tod Wolters devant une commission du Sénat : « Senator, I’m a friend of a nuke first-strike policy ».)
Il s’agit donc d’une posture officielle, qui a un soutien majoritaire dans la direction US, même si l’on ignore si Biden est au courant (et Biden lui-même ignorant qu’il n’est pas au courant, non ?). Cette posture officielle pourrait être considérée comme simple posture dans un jeu de pressions de communication, mais elle correspond tout de même à une option envisageable pour des “jusqu’auboutistes” s’il y avait un conflit conventionnel, pour éviter une défaite de l’OTAN qui serait extrêmement probable.
Qui plus est, l’hypothèse d’Amar d’une posture simplement démagogique (« séduire un public national dont l’appétit pour une rhétorique agressive envers la Russie semble insatiable ») est très contestable, simplement en raison de l’attitude du public. Dans une enquête récemment de l’Institut Ronald Reagan effectuée (novembre 2021) et citée (le 7 décembre 2021, via RT.com), la question de la perception d’une menace du public US était abordée et l’on constatait que l’identification de la Russie à cet égard avait considérablement chutée en trois ans (de 30% à 14%) :
« La Chine a été identifiée à une écrasante majorité comme la plus grande menace étrangère pour les États-Unis, à 52%, contre seulement 21% il y a trois ans. Plus de sept Américains sur dix (72%) interrogés ont déclaré croire que le virus Covid-19 a fui d'un laboratoire chinois et que Pékin a menti pour le dissimuler. Les craintes à l'égard de la Russie ont fortement diminué, 14% des personnes interrogées la considérant comme la plus grande menace, contre 30% en 2018. »
A l’appui de cette position du public US, cette intervention de Tucker Carlson reprise à 15’25” dans cette vidéo de ‘StratPol’ du 11 décembre 2021. Carlson reprend le sentiment public, qui était également la stratégie de Trump jamais appliquée, Russiagate oblige, de chercher à se rapprocher, – non pas de l’Ukraine mais de la Russie ! Et contre la Chine !
(Même si cette stratégie est quasi-absolument et co-absurdement vouée à l’échec, elle fait plus de sens que cette étrange et incompréhensible proximité de l’Ukraine qui alimente tous les phantasmes complotistes puisque tout ce qui est étrange et incompréhensible dans notre époque, – qui est d’une façon écrasante étrange et incompréhensible, – est compris par le biais de l’insaisissable complot, fût-ce celui de l’esprit des complotistes qui se jugent être des dissidents, fût-ce celui des neocons-R2P qui ne laissent leur place à personne.)
Mais ce n’est pas tout, tant s’en faut...
A cette intervention “nucléaire” qui fait penser aux libertariens du type-Ron-Paul au ‘Doctor Strangelove’ de Kubrick, s’ajoute celle, plus indirecte mais notablement remarquable, de la nouvelle ministre des affaires étrangères allemande Baerbock. Celle-là, fleurie de l’écologisme au pas de l’oie, n’a sans doute pas fini de nous faire voguer sur les flots déchaînés de la crise climatique appliquée à la Russie ainsi devenue franchement diabolique.
Confirmée par des déclaration du nouveau chancelier à Varsovie, elle présente toute la politique du nouveau gouvernement allemand concernant le gazoduc NordStream2 et l’Ukraine selon un lien direct et idéologique entre les deux affaires crisiques, selon un engagement de pure forme (alors que crise ukrainienne était en état de veille) du gouvernement Merkel. L’ouverture du gazoduc avait été temporairement bloqué pour une question juridique de pure forme ; il l’est maintenant directement selon la situation de la crise ukrainienne à nouveau en plein paroxysme et toujours selon le simulacre qu’on sait, la rendant manipulable à souhait.
« Le gazoduc Nord Stream 2 ne peut pas être certifié en l'état car il n'est pas conforme à la réglementation de l'Union européenne en matière d'énergie. C'est ce qu'a fait savoir le 12 décembre le nouveau chef de la diplomatie allemande Annalena Baerbock.
“En l’état actuel des choses, ce gazoduc ne peut pas être approuvé car il ne répond pas aux exigences de la législation européenne sur l'énergie, et que les questions de sécurité restent ouvertes”, a déclaré la ministre fédérale des Affaires étrangères. Pour ces raisons, “il avait été convenu entre les Américains et l'ancien gouvernement allemand” d'Angela Merkel “qu’en cas de nouvelle escalade [en Ukraine] ce gazoduc ne pourrait entrer en service”, a-t-elle précisé sur la chaîne de télévision allemande ZDF, au moment où les Occidentaux disent craindre une invasion de l'Ukraine par les troupes russes. »
Tout cela est enrobé de phrases convenues mais ferme sur la législation européenne et sur la situation en Ukraine (“invasion russe” comme si c’était fait) qui montrent que ce nouveau gouvernement fait totalement dépendre NordStream2 de la situation ukrainienne, allant jusqu’à affirmer qu’il s’agit là de la protection des justes revenus économiques de l’Ukraine (ce qui implique que les Russes, envahisseurs impénitents de l’Ukraine, doivent continuer à faire aller leur gaz au travers de l’Ukraine et pour le bien de l’Ukraine, sous les menaces et quolibets du bloc-BAO) :
« “Nous continuons à nous sentir responsables de veiller à ce que l'activité de transit de gaz par l’Ukraine reste fructueuse. Il en va de même pour les opportunités futures”, a déclaré [le nouveau chancelier allemand] Olaf Scholz lors d'une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. »
Tout en étant plus grotesque-bouffe que jamais, la situation devient donc beaucoup plus complexe et paralysée dans la montée de l’intensité crisique du fait du nouveau gouvernement allemand et de sa ministre des affaires étrangères, écologiste de tous temps adversaire du gazoduc NordStream et des Russes qui vont avec.
• NordStream2, opérationnellement prêt à fonctionner mais temporairement retardé pour des raisons juridiques, est désormais bloqué en fonction de la situation ukrainienne dont toute la faute est rejetée sur la Russie, contre toutes les évidences, – mais vraiment, qu’avons-nous donc à faire de l’embarras des “évidences” ?
• Le ‘War Party’ à Washington a désormais un argument de plus dans la crise ukrainienne : tant qu’elle au paroxysme, NordStream2 est bloqué, ce qui est un objectif US capital.
• Toute la faute de cette situation est rejetée sur la Russie, qui ne cesse avec une régularité lancinante d’envahir l’Ukraine depuis 2014 et qui refuse de rendre la Crimée, – bref, qui refuse de se rendre tout court, au moins à l’évidence du dsimulacre.
• Par conséquent, même les partisans d’une désescalade de la crise ukrainienne (Biden, suppose-t-on) doivent être conduits et sommés de cesser leurs basses manœuvres de capitulation devant la barbarie russe. La brillante démonstration de Ritter ne vaut plus tripette.
• Toutes les cartes du simulacre sont dans les mains des manipulateurs, grâce au coup de main, divine surprise, d’un nouveau gouvernement allemand “de gauche“ et donc d’une super-moraline écologique et d’un bellicisme ultra-dur. Pour ce gouvernement allemand, la Pologne leader des hyper-antirusses de l’Est et amie intime de l’Ukraine est au moins aussi importante qu’une France encalminée dans ses élections (le nouveau chancelier a enchaîné directement une visite à Paris et une visite à Varsovie).
• Plus que jamais, les Russes sont coupables de tout et de beaucoup-beaucoup d’autres choses encore ; notamment, on le rappelle sévèrement, d’envahir l’Ukraine incessamment-sous-peu depuis 2014 et sans discontinuer.
Le président Poutine, le diable que l’on sait, a, lui, fêté le nostalgique trentième anniversaire de la fin de l’URSS avec plusieurs interventions. Toutes tendent à rappeler ce que devint la Russie immédiatement après la désintégration de la chose, c’est-à-dire une annexe directe de la CIA...
• Le 9 décembre, il s’était exprimé devant le Conseil pour la société civile et les droits de l’homme. Le texte de RT.com (traduction de Sakerfrancophone) précise qu’il s’agissait pour le président russe de « montrer de quelle façon des pays étrangers », et particulièrement sinon massivement les USA certes, s’ingèrent grossièrement sinon scandaleusement dans les affaires intérieures du pays.
« “Au début des années 2000, j’avais déjà nettoyé tout le monde, mais au milieu des années 1990, nous avions, comme il s’est avéré par la suite, des cadres de la Central Intelligence Agency américaine siégeant comme conseillers et même employés officiels du gouvernement russe”, a expliqué Poutine.
» “Ils ont ensuite été poursuivis aux États-Unis pour avoir violé la loi américaine et pris part à des privatisations alors qu’ils étaient des employés de la CIA travaillant pour nous [pour le gouvernement Eltsine]”, a affirmé le président.
» Selon Poutine, certains spécialistes américains étaient stationnés dans les installations d’armement nucléaire russes et étaient même assis à leur bureau avec un drapeau américain. “Ils vivaient et travaillaient là-bas. Ils n’avaient pas besoin d’instruments aussi subtils d’ingérence dans notre vie politique, car ils contrôlaient tout de toute façon”, a-t-il poursuivi. »
• Il y a aussi de longues interventions de Poutine dans un documentaire de la chaîne de TV ‘Rossiya 1’, sous le titre « La Russie : l’histoire moderne ». Le sujet de l’URSS (re)devenue Russie dans les années 1990 est abordé d’une façon très appuyée et très détaillée.
« “La situation était très difficile, et elle avait à voir avec la situation interne de l’État tout entier, de toutes ses composantes. Elle concernait l'économie, l'application de la loi et les forces armées. [...] Il s’agissait du fait que, par essence, le pays était en guerre civile”, se rappelle le Président russe.
» Le chef d’État a expliqué qu'il percevait la chute de l'URSS comme une tragédie, comme une désintégration de la Russie historique. » “Après tout, qu’est-ce que la chute de l'Union soviétique ? C’est la chute de la Russie historique appelée Union soviétique”, a répondu Poutine à une question portant sur ce que la chute de l’Union soviétique représentait pour lui personnellement
» Poutine a affirmé que l’Occident était à l’époque convaincu que la Russie allait bientôt s’effondrer. Il a dit qu’il avait vu des cartes sur lesquelles le pays avait été divisé en plusieurs États indépendants. Le Président d’un des pays d’Europe de l'Est lui en avait parlé lors d’une conversation privée, a-t-il ajouté.
» Son interlocuteur lui avait dit sans ambages qu’“en Europe, la question de savoir si la Russie allait s'effondrer ou non ne se posait pas”, ils étaient convaincus qu'une telle évolution était inévitable, selon Poutine. “La seule question était de savoir quand cela se produirait et quelles seraient les conséquences pour la Russie elle-même, pour ses régions et pour ceux qui l’entourent, sachant que la Russie était une grande puissance nucléaire”, a ajouté le dirigeant russe.
» Il a également rappelé qu'au cours de ces années certaines régions russes avaient déclaré leur indépendance, ce qui ne pouvait pas être ignoré. “La Russie dépendait de divers types d'instruments et de mécanismes financiers, de mécanismes politiques internes. En ce sens, nous pouvons dire avec regret que la Russie avait perdu une grande partie de sa souveraineté à cette époque”, a-t-il observé.
» “Quand j'étais directeur du Service fédéral de sécurité (FSB) de la Fédération de Russie, je l’ai vu. Certaines forces de l’Occident ont simplement cherché la chute de la Russie. Elles soutenaient directement les séparatistes, les bandits et les terroristes, qui faisaient tout pour ébranler la Russie. Et pour moi, c'était un fait absolu”, a conclu le Président russe dans le documentaire. »
On notera la franchise, voire la brutalité de ces réflexions et souvenirs de Poutine, qui n’épargne aucun détail ni précision concernant l’attitude des Occidentaux et surtout des USA. Tout cela correspond parfaitement à ce que l’on pouvait savoir des événements en Russie dans ces années-là, sous l’occupation des affairistes, des gangs, de la corruption, du désordre et des cohorte d’agents de la CIA et des économistes ultra-libéraux de Wall Street, de délégations de fonctionnaires de l’OTAN et de l’UE. Manifestement, la président russe veut montrer combien il a été marqué par cette période de honte, de désordre et de dévastation pour la Russie.
Pour nous, ces séquences du souvenir et de l’humiliation ont un rapport avec l’actualité crisique, et notamment la crise ukrainienne. Elles disent “Plus jamais ça”, à n’importe quel prix et “quoi qu'il en coûte” ! Par conséquent...
• Elles soulignent et renforce le discours de Poutine contre toute tentative de subvertir la Russie, de tenter de la déstabiliser, y compris par des manœuvres de provocation.
• Elles disent combien la notion de “ligne rouge” a de signification pour Poutine et la Russie. Elles disent plus simplement qu’au-delà de certains agissements, il est hors de question que la Russie ne riposte pas et qu’elle le fera comme si son existence était en jeu. Les rodomontades US sur le nucléaire, si elles semblaient devoir se concrétiser, provoqueraient une riposte dévastatrice avec toutes les conséquences, pour tous, qu’on imagine : il faut savoir à quel jeu l’on joue...
• Elles peuvent également apparaître comme une sorte d’incitation à la mobilisation morale des Russes devant quelque chose qui peut devenir un danger imminent.
C’est dire que nous entrons à nouveau dans un chapitre paroxystique de l’interminable crise ukrainienne. Ce qui semblait devoir être maîtrisé par les simples jeux des maladresses et des montages des acteurs du bloc-BAO nous laisse voir qu’il pourrait y avoir un raidissement qui comprendrait de multiples dangers. C’est au niveau de la perception bien entendu qu’évolue la crise ukrainienne, mais s’impose toujours le même constat : comment une crise à la fois aussi grotesque et aussi facile à dénouer, et aussi potentiellement dangereuse si elle n’est pas dénouée, ne parvient-elle pas à être dénouée ? L’absence de conscience, sauf chez les Russes, des risques encourues si l’évidence de l’apaisement et de la maîtrise n’est pas réalisée mesure la médiocrité et l’absence complète de réalisme chez la plupart des acteurs.
Comme d’habitude, on trouvera dans cette médiocrité et cette absence de réalisme la seule voie qui tempère le pessimisme auquel on aboutit. Ces travers jouent également dans les situations intérieures de ces acteurs, et peuvent conduire aussi bien à des développements (intérieurs) accentuant leurs diverses crises intérieures et les mettant dans des situations d’impuissance et de paralysie par rapport à la confusion ukrainienne qu’ils entretiennent, jusqu’à soudainement leur faire prendre au sérieux ce qui doit l’être : la résolution de la Russie de ne plus rien admettre au-delà de la ligne rouge. Même les imbéciles et les fous ont parfois peur du bruit qu’ils provoquent.
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