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1528Frankenstorm est passé, il a vu et, semble-t-il, il a vaincu d’une certaine façon… Mais justement, c’est tout le piment tragique du débat : qu’est-ce que Frankenstorm nous a vraiment montré, ou démontré ? Qu’est-ce donc que “vaincre d’une certaine façon” ?
On ne peut éviter cette sorte de question parce que l’ouragan fut et reste énorme (son périple n’est pas fini) ; parce que notre contre-civilisation évolue sous l’empire du Système et que la réaction du système de la communication a été par conséquent à mesure, c’est-à-dire énorme, essentiellement aux USA... (Le 30 octobre, on décomptait, aux USA, plusieurs millions de messages tweetés à propos de Frankenstorm et déjà plus d’un millier d’articles originaux, de presse écrite et de l’Internet, sur le sujet. Cela s’est fait sur deux-trois jours à peu près, le sujet s’étant imposé à, partir du 27 octobre, alors qu’il s’agissait d’un domaine, – le climat, les accidents météorologiques, – complètement hors des préoccupations en cours.) Frankenstorm a été énorme et sa représentation l’a été au centuple.
…Plus encore, à cause de l’énormité de la chose, parce qu’il s’agit des USA, et parce que l’ouragan survenait au milieu de la campagne des présidentielles : Frankenstorm est devenu un enjeu idéologique. De ce point de vue, le champ reste ouvert, de même que les constats et bilans de l’événement, lorsqu’il sera achevé… Le dossier Frankenstorm est ouvert, il le restera longtemps, à mesure que les pièces s’ajouteront, et ne sera pas bouclé avant plus longtemps encore… L’on pourrait même faire l’hypothèse qu’à partir de lui, d’autres dossiers, oubliés depuis un certain temps, ont toutes les chances d’être rouverts.
Ce qui est remarquable, c’est la vitesse avec laquelle certains commentateurs ont pris la plume pour venir au secours du Système. En effet, un monstrueux ouragan contre (employons ce mot comme s’il y avait une attaque) la côte Ouest des USA, et particulièrement contre New York (avec Wall Street et le reste), c’est comme si la puissance et la santé du cœur du Système étaient mises à l’épreuve suprême. Katrina et New Orleans (septembre 2005), cela pouvait encore passer, avec cette ville encore un peu frenchie dans une atmosphère paresseuse où les blacks passent leur temps à jouer du jazz, – mais le drame avait tout de même laissé des traces profondes, impliquant la mise en cause de l’efficacité et de la puissance du système de l’américanisme, dito, le Système tout court. Mais il s'agit de New York…
C’est ainsi que fut vécu Sandy-Frankenstorm, qui prit tout le monde par surprise, et ne laissa à personne le temps de s’y préparer, notamment de préparer une argumentation : un défi brutal lancé au Système. New York ne s’étant pas désintégré dans l’immédiat, comme dans un blockbuster d'anticipation catastrophique, on cria aussitôt victoire.
…C’est le cas de Hamish McRae. Ce journaliste-vedette de The Independent, star du milieu très fermé des journalistes financiers de la City, trouve beaucoup de charme à ce Sandy-Frankenstorm. Avant même que l'ouragan et ses conséquences aient quitté vraiment New York, le bilan en est tiré, et il est formidablement positif. Pour lui,McRae, New York, les USA, la modernité, le Système, ont formidablement résisté à Frankenstorm ; pour lui, le Système est résilient, il résiste aux chocs. Il trouve même, McRae, le moyen de faire briller la lumière de la “destruction créatrice”, aussi vieille que le monde, consistant à dire : tout ce qui a été démoli devra être reconstruit, donc l’économie marchera… McRae mérite bien de l’américanisme, lui le Britannique de la City, puisque les USA font cela (la “création destructrice”) chez les autres depuis bien plus d’un siècle… Et d’ailleurs, cela coûtera si bon marché que l’on gagnera de l’argent. (Dans The Independent du 1er novembre 2012.)
«Sandy has passed, the skies are blue, and Washington, at least, is pretty much back to normal. It is of course different in New York. It is too early to do more that make the roughest tally of the costs of the hurricane, but not too early, I think, to appreciate how extraordinarily resilient our complex modern world is to really big blows.
»There are many way of looking at a disaster such as this, and none of us in trying to make an economic assessment should forget the human costs. But I think the narrow – what does it do to growth or GDP? – approach is much less interesting than what it tells about the way we live now.
»The first distinction to make is between economic activity and human wellbeing. We take GDP per head as a proxy for living standards, and by and large it is not a bad one. But an event such as this demonstrates the difference. There will be some loss of economic activity because of the disruption, but fixing things generates economic activity that would not otherwise have happened. In the coming months there will be a wave of investment in the infrastructure of the north-eastern states. There will be some short-term loss of output and estimates of the hit to GDP suggest it may knock 0.25 per cent off US growth. But it is quite possible that measured GDP will eventually end up higher, not just because of the reconstruction but also because the new kit put in will be better than the old kit that has been damaged. As for the crude numbers, current estimates of the cost at some $20bn (£12.39bn) should be seen in context of the costs of Hurricane Katrina at $100bn and the Japanese earthquake of more than $200bn. Even if that proves an underestimate, the costs are manageable. It is a huge blow; but it is a huge economy.
»I find this comforting. The 60 million people in the north-east generate about a quarter of US GDP. They produce more, in terms of economic output, than any other similar-sized region on earth. More important still, if you take national and international business together, New York remains the largest single centre in financial activity in the world. It will not always be so, for while London remains the main rival at the moment, power is shifting to Asia. But we know now that the New York Stock Exchange can shut for two days, the longest weather-related stoppage since 1888, and the world gets along fine. What can devastate the world economy is not a blow to its physical fabric by a hurricane or a tsunami, but rather a blow to its financial fabric and its economic self-confidence from a badly handled banking crisis. You can see the impact of the collapse of Lehmann Brothers on US GDP in the graph, but also the steadiness of growth in 2005 when Katrina hit New Orleans.
»There is a huge amount of concern about the way the world has become so interconnected that one small event on one side of it can cause havoc on the other side, but the lesson here seems to me to be quite the reverse. We can manage with flights grounded for two or three days. We can manage with power going down, notwithstanding the fact that computer systems are down as a result. Indeed the communications revolution, giving people a much greater freedom to work from wherever they happen to be, seems to have made for a more robust world economy, not a more vulnerable one.»
Laissons là McRae. On reparlera plus tard, si le temps le permet («Sandy has passed, the skies are blue…»), de toutes ces conclusions d’avant la fin de l’histoire… (Par exemple, cette prévision de $20 milliards de coût, – «Even if that proves an underestimate, the costs are manageable…», – contre les $100 milliards de Katrina et les $200 milliards du tremblement de terre japonais, l’un et l’autre estimés à $5 milliards et à $10 milliards quatre jours après le début de la chose.)
Car, bien entendu, il y a l’option exactement inverse, qui est de dire, quasiment le même jour, à la même heure : “c’est une catastrophe” dont on ne peut, encore, mesurer les effets… Les arguments ne manquent pas, avec, les coiffant tous, l’argument de l’expérience montrant que les effets de ce type d’événement sont, d’une part toujours sous-estimés, d’autre part jamais appréciés et toujours inappréciables en termes de souffrance et d’affaiblissement psychologique, de distorsion sociale, de vulnérabilité économique, etc.
Bien entendu, WSWS.org grogne et ronchonne, de 2 novembre 2012, à propos de la colère populaire qui gronde et monte… «There is growing popular anger in New York, New Jersey and throughout the US Northeast, amidst widespread power outages and gasoline shortages in the wake of Hurricane Sandy. […] Tens of millions of people in the Northeast confront traffic gridlock, long lines at gas stations, and public transit that is nonexistent or patchy at best. People are struggling to find a means to get to work, while others remain at home with no electricity, heat, refrigeration or elevator service. Some residents are still trapped in their homes, surrounded by fetid floodwaters.»
“Michael”, du site The Economic Collapse, voit dans les paysages désolés post-Frankenstorm les images de l’effondrement, notamment économique et social, des USA, à venir très vite sans le moindre doute. Tout cela nous est confié le 1er novembre 2012.
«Hurricane Sandy is another reminder of just how incredibly fragile the thin veneer of civilization that we all take for granted on a daily basis really is. Many of the hardest hit areas along the Jersey shore and the coast of Long Island have descended into a state of anarchy. More than 7 million people live on Long Island, and millions more live along the Jersey shore and right now they are getting a taste of what life would be like during a total economic meltdown. At the moment, there are still approximately 4.7 million homes and businesses that do not have power. Officials say that some of those homes and businesses may not have their power restored until the weekend of November 10th and 11th. Meanwhile, it is getting very cold at night. This weekend the low temperatures on Long Island are supposed to dip into the upper thirties. There have been reports of people diving into dumpsters behind supermarkets in a desperate search for food, and there have been other reports of roaming gangs of criminals posing as officials from FEMA or Con Edison and then robbing families at gunpoint once they have gained entrance into their homes. If people will behave like this during a temporary emergency that lasts only a few days, what would they do during a total economic collapse? That is a frightening thing to think about.
»Most gas stations along the Jersey shore and on Long Island are either totally out of gasoline or they don't have any power to operate the gas pumps. It is estimated that more than half of all gas stations in New York City are closed at the moment, and officials say that more than 80 percent of all gas stations in New Jersey are not able to sell gas right now. So needless to say, the lines at the gas stations that remain open are horrific.»
Mais il faut aller au-delà, monter un cran plus haut. Il est vrai que Frankenstorm a rouvert, in extremis dans la campagne électorale, un débat qui ne semblait plus intéresser personne aux USA ; les uns (plutôt républicains, certes), parce qu’ils le trouvent infondé, et le fruit d’un complot “globaliste”, à la fois antiaméricaniste, anticapitaliste, éventuellement socialo-communiste ; les autres (plutôt démocrates, sans doute), parce qu’ils craignent trop les retombées capricieuses du rôle de “gauchistes” (!) que leur place dans le “parti unique” (à gauche, à peine) les pousserait à tenir, et qu’ils s’abstiennent donc d’argumenter sur des thèses qui pourraient paraître un peu trop de coloration dite de gauche (classification si arbitraire !). Du coup, tout le monde s’entendait, ces dernières années, certainement depuis l’élection d’Obama, à en dire le moins possible sur la crise climatique. Selon sa tactique habituelle, Obama, qui avait la crise climatique à son programme, s’était fait un devoir civique de surtout n’en pas dire un mot. Survint, avec le bruit qu’on sait, Sandy-Frankenstorm.
Il ne fait aucun doute pour personne que Sandy-Frankenstorm est le résultat de la crise climatique, du global warming… Nous posons là une affirmation grossière, infondée, biaisée, manipulée ? Peut-être, et le contraire également, peut-être ; mais cela n’a aucune importance. Il est évident que le courant de pensée que favorise le système de la communication, pour le meilleur ou pour le pire, courant peut-être antisystème ou peut-être pas antisystème, – il est évident que ce courant de pensée favorise la thèse de Sandy-Frankenstorm comme effet de la crise climatique. C’est là un effet inévitable, presque un “effet d’annonce” impératif, aussi irrésistible qu’un super-ouragan…
Qu’importe donc la véracité ou pas de la chose, reste qu’elle s’est imposée et qu’elle est devenue le cheval de bataille du maire de New York, Michael Bloomberg. Observant que New York, ce n’est pas n’importe quoi, ni une ville du Japon, ni une ville européenne, ni une vulgaire ville pakistanaise, on en conclut que si son maire choisit ce cheval de bataille il y a de fortes chances que le cheval fasse du tintouin. Du coup, Bloomberg annonce qu’il votera pour Obama, parce qu’Obama est “le meilleur” dans le dossier de la crise climatique.
Ainsi le Guardian, grand partisan des thèses sur la crise climatique (et d'Obama), ne se tient-il plus de joie, le 1er novembre 2012… Pour autant, il ne se dissimule pas que la question reste de savoir si Obama, à cet égard, sortira du bois. L’actuel président est tellement fin tacticien qu’on dirait parfois un président républicain, tant il manœuvre avec virtuosité pour ne pas paraître “trop-démocrate” et ne pas trop choquer les électeurs et les élus de droite ; et si fin tacticien, Obama, qu’une question comme celle du climat ne peut, pour lui, être envisagée selon ses termes spécifiques (voir comment, au printemps 2009, Obama décida que la question climatique n’était pas électoralement payante).
«New York City's mayor Michael Bloomberg took climate change out of the closet on Thursday by invoking the issue in his endorsement of Barack Obama. “This November, vote for a president who will lead on climate change,” Bloomberg wrote on Twitter. The stunning snub to Mitt Romney, in the wake of Hurricane Sandy, at a stroke turned climate change from liability into a potentially winning political issue in this presidential election. It might even embolden other Republicans, who do support action on climate change, to come out of the closet as well. At least, that seems to be partly Bloomberg's intention. […]
»“The devastation that Hurricane Sandy brought to New York City and much of the north-east – in lost lives, lost homes and lost business – brought the stakes of next Tuesday's presidential election into sharp relief,” Bloomberg wrote. “Our climate is changing. And while the increase in extreme weather we have experienced in New York City and around the world may or may not be the result of it, the risk that it may be — given the devastation it is wreaking — should be enough to compel all elected leaders to take immediate action.”
»‘Business Week’, which is owned by Bloomberg, made the point even more trenchantly with a cover reading: “It's global warming, stupid.” […]
»In the aftermath of Sandy, a number of Democrats including Bill Clinton, Al Gore, and New York's governor Andrew Cuomo have begun talking publicly about climate change. The mention comes after an election season in which climate change has been strangely absent – to the frustration of campaigners and the bewilderment of European observers. For Obama, the silence was strategic. The White House saw climate change as a vulnerability for Obama…»
Mais les effets de Frankenstorm ne s’arrêtent pas là, ce qui conduit à observer que les pressions pour faire revenir la question climatique au premier plan aux USA vont s’accentuer. Il s’agit d’un plan de “défense” de New York contre les attaques des ouragans post--Frankenstorm. Cela implique une véritable mobilisation, des fonds importants, une stratégie de durée, – et, pour Bloomberg, un cheval de bataille de réélection, qui entretiendra son zèle pour la cause, et le poussera à poursuivre ses pressions sur la Maison-Blanche.
Les Russes de Russia Today publient un article détaillant les plans et projets pour faire de New York une “forteresse”, ce 1er novembre 2012. On parle d’ores et déjà de coûts atteignant $6 milliards, ce qui n’est qu’une estimation de départ.
« Now that this week’s storm has proven that Manhattan and the other boroughs of New York aren’t impermeable to Mother Nature, scientists are looking to find solutions that could keep another Sandy from shutting down the city. The answer, some say, might be a system of barriers jetting into the bodies of water surrounding New York that could help stop any future frankenstorms. “With the kind of protection that has been considered so far, you cannot protect a multimillion-inhabitant city that runs part of the world economy,” Piet Dirck of the Dutch engineering firm Arcadis tells the Associated Press.
»Oceanography professor Malcolm J. Bowman from Long Island's Stony Brook University tells the AP that he has warned what could happen to New York for years if a storm such as Sandy moved up the East Coast. He’s also advocated for a barrier and implies now that the time is finally right for officials to start heeding his call. “The time has come. The city is finally going to have to face this,” he says. “This is not far-out science or engineering,” Bowman tells AP. “This is easy to do.” Even still, though, Sandy’s damage might not be enough to convince bureaucrats that a solution is possible but for a pretty hefty sum…»
…Encore une facette, pour mieux définir Frankenstorm. A nouveau la politique, mais la plus échevelée possible… Il s’agit de trancher sur la question de savoir dans quelle mesure Fankenstorm n’est pas l’œuvre de Dieu, pour punir l’Amrique. Dirait-on que la réponse est évidente ? Après tout, cela n’engage à rien.
Dans tous les cas, voici que des précheurs musulmans ont rejoint des prêcheurs chrétiens dans le registre des interprétations de “Fankenstorm œuvre de Dieu”, dans The Independent du 2 novembre 2012
«A group of Muslim clerics have joined some Christian preachers in blaming the superstorm which has devastated areas of America, Haiti and Cuba on the wrath of God. Anti-American Muslim clerics said Sandy was a divine punishment for a film which mocks the Prophet Mohammad or for other perceived ills of American society. The film caused widespread protest in September as some Muslims demanded its removal from websites.
»“Some people wonder about the hurricane in America and its causes,” Egyptian hardline cleric Wagdi Ghoneim wrote in two messages on Twitter this week in the aftermath of the storm. “In my opinion, it is revenge from God for the beloved prophet,” he added, alluding to the film, Reuters reported. And, in Saudi Arabia, the cleric Salman al-Audah said the storm, which has killed more than 140 people and rising, was a wake-up call for Americans to convert to Islam…»
Le tour d’horizon est bref mais déjà fourni, et il nous dit dans combien de directions, nombreuses et solliciteuses, les effets de l’ouragan nous emportent. Ce n’est pas le premier ouragan que subit New York, mais c’est le premier de l’époque du changement climatique pour cette ville, – c’est-à-dire le premier que le système de la communication fait admettre, impose comme tel (ouragan de l’époque du changement climatique), pour une région, un lieu, une ville, d’une telle importance à la fois stratégico-financière et symbolique. On observe dans ce cadre, comment et avec quelle rapidité des événements qui, il y a 50 ans, n’auraient eu aucune portée politique, en acquièrent aujourd’hui aussitôt une, et qui devient très vite complètement centrale et essentielle.
Que cela rencontre, en vérité, la psychologie qui prédomine désormais ne fait aucun doute ; cette psychologie qu’on qualifierait d’apocalyptique ou d’eschatologique au choix, mais nous-même préférant “eschatologique”. Lorsqu’une marque prestigieuse de parfum base sa publicité non moins prestigieuse en lançant un nouveau parfum vedette à partir du nom/du slogan de ce produit, «Happy End of the World», vous comprenez que le système de la communication et tout son versant-Système (publicité, promotion et RP, show-biz, cinéma, etc.) sont “preneurs” de l’eschatologie comme d’un thème “qui marche”... Cela ne signifie pas que c’est le Fin des Temps, du moins là n’est pas l’indication s’il y a une indication ; cela ne signifie pas que cela est sérieux, du moins là n’est pas l’indication que cela est sérieux si cela l'est effectivement ; mais cet accident dérisoire, de la valeur de l’écume des jours quand les jours n’ont plus qu’une valeur d’apparence, rencontre, accidentellement, par effet de mode et rien d’autre, les grands courants déstabilisateurs de la crise terminale. Tout ce qui est bon à prendre doit être pris pour mettre en évidence la crise ; par conséquent, il faut prendre...
Il y a donc une formidable réaction qui pousse vers une appréciation de cette sorte, eschatologique, qui pousse à apprécier les évènements à cette aune. C’est-à-dire que, à cause de la puissance supposée et appréciée symboliquement de Frankenstorm, à cause de la même sorte supposée et tout aussi symbolique, et avec quelle puissance, de New York, l’événement a cette dimension et ces caractères, quoi qu’il en soit de sa réalité. Cela se voit aussi à des réactions de certains… Qu’est-ce qu’il prend donc à McRae de nous dire que “le système marche”, avec presque un soupir de soulagement d’une tonne, parce que le Système semble avoir marché (c'est à voir et revoir) pendant au moins trois-quatre jours (depuis que l’existence de Frankenstorm était acquise) ? Cela voudrait-il dire que monsieur Hammish McRae doutait que le Système pût tenir ? Cela signifie-t-il que les promoteurs et défenseurs religieux du Système en sont à ce degré d’inquiétude, et si fortement sur la défensive, qu’ils doivent manifester, de la sorte, un soulagement un peu rapide, avec un autosatisfecit qui en dit long sur l’anxiété face à la position de crise profonde et terminale du susdit Système ?
On ne dira jamais assez l’importance fondamentale de New York dans cette affaire. La puissance de cette ville dans le système de la communication, son poids symbolique, entraînent tout le reste, et, notamment, les polémiques sur le fait de savoir si l'ouragan mérite ou non une mobilisation par rapport au climat climatique. Puisqu’il s’agit de New York, il s’agit de faire plus grand, plus fort, plus dramatique que tout le reste, et l’hypothèse la plus dramatique, dans ce cas, devient vérité intangible. L’image qui reste est donc que la ville-phare du Système, au niveau financier, au niveau de l’américanisme, au niveau de l’esprit même de la chose lorsqu’il se prétend culture, que cette ville est soumise à l’attaque du dérèglement du monde, et, désormais vulnérable devant lui, et désormais mise nécessairement en posture de mobilisation défensive contre lui.
A cet égard, ce qui touche New York concerne le reste, et même touche le reste à mesure. Ce n’est pas une question de fonctionnement du Système, où les bons esprits bien tournés trouvent toutes les raisons de se rassurer («But we know now that the New York Stock Exchange can shut for two days, the longest weather-related stoppage since 1888, and the world gets along fine…»). C’est une question de symbole, une fois de plus, et New York est leur symbole à eux tous…
Tout cela fait que, selon l’hypothèse courante du système de la communication et de son penchant irrésistible, mécanique, etc., pour le plus spectaculaire, New York est désormais under siege, assiégée par la crise climatique, les ouragans monstrueux, la menace hollywoodienne (perçue selon l’hollywoodisme de la chose) de la destruction. Ainsi en va la perception…
Ainsi, par conséquent, la question de la crise climatique, avec tous ses aspects les plus spectaculaires, est également de retour parmi nous, elle qui avait été été chassée par la crise financière et qui n’avait été rétablie que dans les pays de la périphérie du Système, ces pays membres de ces groupes gardant un peu de raison et d’équilibre dans leurs jugements des priorités politiques (cas de la Russie en 2010, et d'autres). Voici quelques remarques dans ce sens, pour situer l'importance désormais de la question de la crise climatique.
• L'événement (l'ouragan, New York, etc.) dépasse l’élection présidentielle elle-même, l’on pourrait même dire que le rapport ou non établi avec cette élection est en soi une question secondaire. Dès lors qu’une ville comme New York est mobilisée dans le sens de la lutte contre des manifestations naturelles perçues comme des manifestations de la crise climatique, cette crise climatique devient une question totalement d'actualité, et une question d'actualité de plus grande importance. Ainsi en décide le système de la communication.
• L'événement concerne le Système, commue McRae l’a si imprudemment (à notre sens) montré dans sa réaction de soulagement et d’autosatisfaction. Cette réaction est révélatrice, 1) parce qu'elle est notablement prématurée et 2) parce qu'elle montre dans quelle mesure le Système est sur la défensive, se percevant comme mis en cause dès qu’un accident naturel de cette sorte se produit.
• Mieux encore, ou pire, la réaction de McRae, qui doit être perçue comme exemplaire des milieux pro-Système plus qu’exceptionnelle, implique effectivement un lien direct entre le Système et les dérèglements climatiques éventuels, attribués à la crise climatique… A partir de là, l’enchaînement est irrésistible, et l’on en vient très vite, dans le chef de certaines réactions qui ne manqueront pas (qui ne manquent pas) de se manifester, au lien entre le fonctionnement et le développement du Système d'une part, et la dégradation de l’environnement qui alimente directement la crise climatique d'autre part. C’est l’opérationnalité du Système, donc le Système lui-même, qui deviennent vulnérables, puisque perçus comme nourrissant ce qui constitue, selon la perception, un dérèglement catastrophique de l’environnement. (Notez qu’on retrouve dans cette description implicite du Système l’habituelle équation surpuissance-autodestruction. Tout s'enchaîne et se confirme.)
Ainsi serait achevé ce phénomène majeur : l’eschatologisation de la crise dans sa deuxième phase (automne 2008), jusqu’ici contenue dans le bloc BAO aux domaines financiers et économiques (et sociaux). Cette eschatologisation, en route depuis l’automne 2010, serait ainsi achevée et perçue comme marque désormais universelle de la crise du Système. Cela constituerait un événement de première importance, peut-être décisif, dans la transformation de la situation du monde, vers la maturation explosive, ou implosive, de la crise terminale du Système.
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