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1384Cette “Note d’analyse” est la première d’une formule spécifique que nous voudrions généraliser, qui est de présenter de façon succincte et très résumée mais significative le contenu de la principale rubrique (de defensa) de notre Lettre d’Analyse dde.crisis. Dans ce numéro de dde.crisis du 25 mai 2010, nous analysons les conditions et les conséquences des élections britanniques du 6 mai 2010.
Nous nous en tenons aux grandes lignes du propos, sans dévoiler l’argumentation et l’appréciation des fondements, pour n’en pas déflorer la substance et ne pas léser les abonnés à la Lettre. Nous espérons intéresser de nouveaux lecteurs à dde.crisis, qui est spécialisée dans l’analyse des diverses crises de la structure crisique caractérisant notre époque. (Voir aussi notre Bloc-Notes de ce 27 mai 2010.)
Nous tentons d’abord de définir l’alliance entre Cameron et Clegg. C’est une alliance forcée mais aussi une alliance inévitable. La situation électorale, ou post-électorale, ne laisse pas de choix…
Le grand événement est que l’électorat a parlé, comme si sa parole avait été organisée supérieurement. «La main de Dieu, en l’occurrence, se trouve dans l’organisation étrange des résultats de cette élection où les trois partis furent chacun les dupes d’eux-mêmes, où chacun obtint des résultats différents de ceux qu’ils attendaient et qui leur étaient promis. Dès lors, l’entente était nécessaire et comme elle était en réalité forcée, elle devait apparaître enthousiaste, comme si Dieu avait ordonné cela...»
Le deuxième aspect de la nécessité de l’entente, c’est l’état du système, structurellement et conjoncturellement. Il était impossible de présenter une solution de raccord, temporaire, qui aurait été nécessairement perçue comme la crise du système à peine postposée.
Nous interprétons l’alliance Cameron-Clegg d’une façon paradoxale et radicale : «un coup de force, voire un coup d’Etat contre le parti et le système.» On verra ce qu’il en restera et combien de temps la chose durera. Les temps sont réellement exceptionnels et nécessitent des initiatives exceptionnelles. Ce fut le cas.
Nous employons l’image de la “Bataille d’Angleterre” pour caractériser l’alliance Cameron-Clegg. Le caractère unique de cette alliance, le caractère exceptionnel des difficultés à vaincre justifient cette image.
Une crise budgétaire, économique et sociale sans précédent, un malaise structurel général affectent le Royaume-Uni (une crise de l’identité nationale et une tension constante contre l’unité nationale, avec la question écossaise). On y ajoutera les tensions probables entre conservateurs et libéraux démocrates, commençant par l’exigence des seconds d’une réforme du système électoral que les premiers voudraient bien conserver en l'état. Pour une telle tâche, il fallait bien quelque chose qui ressemblât à une rupture avec le système.
Une remarque que nous avons déjà relevée, du chroniqueur US John Woodward, explique que l’un des événements majeurs de l’élection, – et, selon nous, l’acte essentiel, et d’ailleurs forcé, de rupture avec le système, – est la fin du système de communication de l’ère blairiste. Il s’agit de la fin de la dictature des spin doctors.
Cette dictature a largement précédé le 11 septembre 2001. Elle est une création exclusive du seul Blair, assisté d’Alastair Campbell, et elle répond aux injonctions du système de la communication qui est un des deux grands courants du système général avec le système du technologisme. Elle était déjà en plein fonctionnement pour la guerre du Kosovo en 1999, dont elle assura la mise en scène selon une narrative virtualiste sans rapport avec la réalité. Cette “dictature”, à laquelle Brown ne changea rien de fondamental, a duré jusqu’au 6 mai 2010.
La dictature de la communication blairiste dépassa largement le Royaume-Uni. Supérieure au système américaniste de ce point de vue, c’est elle qui forgea les lignes essentielles de la “réalité virtualiste” de 9/11 jusqu’à nous sur des événements comme l’Irak, l’Afghanistan, la Guerre contre la Terreur et tout ce qui s’ensuivit.
Le point essentiel pour la fin de cette dictature est qu’il ne s’agit nullement d’un acte de vertu mais d’un acte de nécessité (différences et concurrences entre les deux alliés du gouvernement, interdisant la mise au point d’une narrative unitaire de la puissance de celle du système blairiste). «Puisqu’il y a minorité partout, puisqu’il y a coalition dans la solution finalement choisie, les conditions ne sont plus réunies pour la dictature des “spin doctors” qui nécessite une complète liberté d’action du corps des dirigeants politiques qui leur ont délégués son pouvoir. C’est une des grandes beautés du scrutin britannique du 6 mai 2010 d’avoir créé cette impasse pour la poursuite d’une structure dictatoriale du système (quelle que soit la couleur politique, – cela n’a aucune importance puisqu’ils sont tous prisonniers du système).»
Ainsi le Royaume-Uni de Cameron-Clegg vit-il une expérience originale : le retour à la réalité. D’abord les réalités des concurrences internes dans le gouvernement, ensuite celles des concurrences entre des conceptions opposées sur tel ou tel problème.
Un exemple est celui de la crise iranienne, où les conservateurs suivent la ligne dure de Washington, à laquelle s’opposent à toute force les libéraux-démocrates. Il est quasiment assuré qu’une menace concrète d’attaque contre l’Iran ferait éclater le gouvernement. Le Royaume-Uni devient ainsi le principal “homme malade” de la coalition américaniste-occidentaliste dans ses diverses tentatives de déstabilisation, alors qu’il en était le pilier principal.
Il est certain que des partenaires du Royaume-Uni sentent vaguement l’importance de l’événement, même s’ils sont incapables de l’identifier. C’est le cas des USA, qui profitent tant des special relationships. La venue à Washington du nouveau secrétaire au Foreign Office William Hague, sur convocation d’Hillary Clinton et deux jours après son entrée en fonction, ressemble plus à la marque de l’inquiétude US qu’à un renouveau spontané de chaleur.
La nouvelle situation britannique nous invite à considérer le destin des special relationships dans ce cadre nouveau.
Il est aujourd’hui admis d’une façon générale que la nouvelle équipe Cameron-Clegg va soumettre les special relationships à un examen sévère. Il existe plusieurs raisons objectives et réalistes à cela. Il existe aussi une cause fondamentale de communication.
Les deux partenaires du nouveau gouvernement ont adopté une attitude assez proche sur ce point. Cette attitude est résumée par la phrase devenue une sorte de slogan, selon laquelle les special relationships doivent être, du point de vue britannique, “solid but not slavish”. Notre appréciation est qu’il s’agit d’un problème d’“image” (de communication) perçu comme très important : le public britannique, ainsi s’en sont convaincus les dirigeants actuels, ne veut plus que le Royaume-Uni paraisse l’“esclave” des USA.
Depuis 9/11, les special relationships avaient pris un tour nouveau, sous l’action de la dictature blairiste du système de la communication. L’alignement UK sur les USA a été jusqu’à une identité et une soumission totales, l’idée étant que la puissance US et la victoire hégémonique qui s’ensuivrait rejailliraient sur le Royaume-Uni d’une façon très bénéfique.
Il n’y a eu ni victoire, ni hégémonie des USA, mais exactement le contraire. Mais le système de communication blairiste a continué à diffuser l’image de l’alignement complet. L’idée de gloire et d’habileté s’est transformée en idée de soumission jusqu’à une attitude d’“esclave” du Royaume-Uni. Cette perception est devenue insupportable.
A l’inverse, du côté US, la suggestion selon laquelle les Britanniques, sous la direction de Blair, auraient pu jamais être alignés comme des “esclaves” est insupportable, les USA jugeant les relations avec le Royaume-Uni comme “équilibrées”. Cette querelle dérisoire porte pourtant son potentiel de crise. Les liens traditionnels entre USA et UK n’ayant pas varié, c’est en effet sur la représentation du système de la communication qu’on a mesuré l’intensité supposée des special relationships avec Blair-Bush, et qu’on mesure leur dégradation supposée aujourd’hui… Et l’effet est celui d’une crise.
«Le système de la communication installée durant l’ère blairiste a instauré les propres règles de sa dictature. Voulant représenter la puissance et la profondeur des relations spéciales, il en est devenu l’expression même. S’il n’y a pas de représentation de communication aussi intense que celles qu’il y eut durant l’époque Blair-Bush, la conclusion aussitôt tirée est qu’il y a crise de ces relations... Ce qui est le cas désormais.»
Ce type de crise, qui semble dérisoire à la décrire, contient les germes de la discorde profonde. Sur tous les liens de coopération existe une tension très grande à cause de la crise et il suffirait d’une pression négative du système de la communication pour faire basculer une décision. Une telle pression négative est possible, sinon probable.
Il existe un dossier sur lequel une telle rupture est possible, entraînant, à ce point, des conséquences politiques profondes qui n’auraient plus rien à voir avec le système de communication. Il s’agit de l’engagement vacillant des Britanniques dans le programme JSF. Le récent vote du Parlement hollandais dans la voie de l’abandon du programme par la Hollande devrait agir comme un incitatif, pour les Britanniques, à réexaminer leur propre engagement. Au-delà, un retrait britannique serait considéré aux USA comme une décision hostile de rupture, qui mettrait en cause les special relationships.
Il existe de nombreux liens entre USA et UK. Mais cette situation est de plus en plus répandue, à l’heure de la globalisation. Tous ces liens sont soumis à des tensions extrêmes et ne forment plus un ciment suffisant pour des alliances contractées en des temps plus apaisés.
La rupture du système blairiste, la fin de la dictature de son système de communication, constituent par contre un événement de réelle rupture les deux pays, d’ores et déjà acquis. Désormais les special relationships sont soumis à des incertitudes et des menaces de déséquilibre que la crise générale peut précipiter en quelques jours.
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