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1497Est-ce l’homonymie accidentelle qui attire notre attention sur l’U.S. Navy et son rôle dans un éventuel affrontement avec l’Iran et, surtout, dans sa mission autour du détroit d’Ormouz ? D’une part, il y eut l’amiral William Fox Fallon (Fox, pour “renard”, comme surnom), nommé chef de Central Command en janvier 2007 ; d’autre part, il y a le vice amiral Mark Fox, actuel commandant de la Vème Flotte de l’U.S. Navy, basée à Bahreïn.
Dimanche dernier, le second Fox, Mark Fox, faisait quelques déclarations martiales dans son quartier-général de Bahreïn. (Selon PresssTV.com, le 13 février 2012 et le 14 février 2012.)
«“We have built a wide range of options to give the president and we are ready... We are ready today,” Vice Admiral Mark Fox said at the headquarters of the 5th Fleet in Manama on Sunday. Fox said he took Iran's military capabilities seriously as it is “capable of striking a Blow” to American forces in the Persian Gulf. […]
»“We have watched with interest their development of long range rockets and short, medium and long range ballistic missiles and of course... the development of their nuclear program.” […] “They have increased the number of submarines... they increased the number of fast attack craft,”
Ce nom de Fox rappelle donc l’amiral Fallon, dit Fox pour les amis (et ses ennemis bureaucratiques qui le jugèrent bien vite aussi insaisissable qu’un renard). Le 17 janvier 2007, Fox Fallon, nommé à Central Command, était présenté comme un indiscutable fauteur de guerre, amis des neocons, partisan d’une attaque contre l’Iran. Sa nomination ne faisait aucun doute : elle annonçait une attaque contre l’Iran… Le 17 mai 2007, Fox Fallon était absolument catalogué comme adversaire d’une attaque contre l’Iran. Il s’employa effectivement, à plusieurs reprises, à sécuriser son dispositif pour rendre quasi impossible une telle attaque, jusqu’à faire manœuvrer ses porte-avions dans le Golfe (et en dehors du Golfe) pour empêcher une telle attaque.
Quelle différence avec le vice-amiral Mark Fox ! Fallon apparaît comme un chef à la vision nuancée et personnelle, mais en accord avec les autres chefs de son service (l’amiral Mullen, alors président du Joint Chief of Staff) pour sa démarche ; il était même d’accord avec les Iraniens... Il avait un objectif, soutenu donc par Mullen et même le secrétaire à la défense Gates : éviter à tout prix une attaque de l’Iran qu’une manigance neocon, menée par Cheney, pourrait provoquer.
Au contraire, le vice amiral Mark Fox parle comme le porte-parole d’une machine de guerre, et plus précisément de la puissante et prestigieuse U.S. Navy. Il semble donc que la puissante U.S. Navy ait aujourd’hui besoin d’un porte-parole pour expliquer que, face à la marine iranienne, elle est effectivement toute-puissante. On ne s’en serait pas douté.
Depuis deux mois, l’U.S. Navy amasse des unités dans le Golfe Persique et en Mer d’Oman, passé le détroit d’Ormouz. Les puissantes unités, surtout les porte-avions (le USS Abraham Lincoln et le USS Carl Vinson, en attendant le USS Enterprise), ne cessent de se montrer ostensiblement. Le USS Abraham Lincoln a franchi une seconde fois le détroit d’Ormouz depuis son arrivée au sein de la Vème Flotte, début janvier.
Antiwar.com du 15 février 2012 signale le caractère de “provocation” des mouvements de la flotte. Parlant de certaines démonstrations iraniennes de diverses vedettes rapides, décrites comme autant de “menaces” contre la civilisation du bloc BAO, John Glaser précise :
«The threat was mainly a response to U.S. aggression and militarism, which is rarely addressed in the domestic news media. But onboard the USS Abraham Lincoln in the Gulf’s Strait of Hormuz, BBC reporter Jonathan Beale explained, “This carrier and these [fighter] jets are more than just a show of force, they’re here to send a clear message to Iran as to who really controls these waters.” Similarly, Rear Admiral Roy Shoemaker admitted to the BBC, “The presence of this ship is provocative”.»
D’un autre côté, l’attitude de l’Iran apparaît bien plus contrastée, bien plus variée, dans ses ripostes possibles, que ce que l’U.S. Navy laisse clairement considérer. Certes, il y a des nuées de vedettes rapides qu’on identifie aussitôt, à la fortune du pot, comme des “vedettes-suicides”.
Mais l’essentiel est ailleurs. Des rapports de Standard & Poors envisagent-ils une situation où de simples mesures d’inspection, de contrôle, etc., par les autorités iraniennes dans leurs eaux territoriales, pourraient faire monter le prix du pétrole à $150 le baril, avec les effets subséquents sur l’économie mondiale d’une spirale récessionniste, voire dépressionniste. (Selon PressTV.com, le 14 février 2012) :
«Three reports published by the Standard & Poor's warn about the likelihood of severe disruption of oil supplied via the Strait, through which 20 percent of the world’s oil flows, stressing that the act may boost oil prices to USD 150 a barrel and push global economies into a recession. The reports discussed the impact of tensions in the Persian Gulf on the economy of the Middle Eastern states, the risks that closure of Hormuz would pose for companies looking for credit, and the threats to global economic growth rate due to an oil shock.
»“Iranian authorities can disrupt supplies of oil from the Persian Gulf by imposing tanker inspections or boarding merchant ships in their territorial waters,” the institute added. The reports stated that in case of such disruption, oil prices will increase “because markets would increasingly view armed conflict as a real, if remote, possibility.” According to the reports’ authors, which includes Paris-based Jean-Michel Six, S&P’s chief economist for Europe, “Iran might respond to sanctions with ‘low-level provocation’ such as slowing shipping through the Strait of Hormuz to keep oil prices at a high level.”»
Une telle volatilité du prix du pétrole est admise, sinon comme une évidence même de ce domaine, accentuée encore plus par la spéculation et les manœuvres de livraisons différenciées et modifiées effectuées d’une façon routinière. Cette volatilité du prix du pétrole est accentuée par celle de l’information (la “volatilité” de l’information sur le “contre-embargo préventif” de l’Iran contre l’UE est un bon exemple). Divers autres facteurs, certains indirects, peuvent jouer un rôle dans cette volatilité. La moindre menace, réelle ou supposée, contre la sécurité du détroit d’Ormouz, conduirait les compagnies d’assurance à instantanément doubler ou tripler leurs primes, conduisant nombre d’armateurs à l’abandon temporaire de leurs croisières.
Toutes ces occurrences se placent dans des situations dont on a déjà eu un exemple en grandeur nature à la fin décembre, où il apparaît que des simples manœuvres de communication peuvent conduire à une alerte générale qui conduit le trafic du détroit à s’interrompre de lui-même… C’est ce que décrivait DEBKAFiles, que nous citions le 12 janvier 2012 :
«By a media trick, Tehran proved its claim that closing the Strait of Hormuz is as “easy as drinking water,” DEBKAfile reports. First thing Saturday morning, Saturday, Dec. 31, Iran's state agencies “reported” long-range and other missiles had been test-fired as part of its ongoing naval drill around the Strait of Hormuz. Ahead of the test, Tehran closed its territorial waters. […] Instead, around 0900 local time, a senior Iranian navy commander Mahmoud Moussavi informed Iran's English language Press TV that no missiles had been fired after all. […] For five hours therefore, world shipping obeyed Tehran's warning and gave the narrow waterway through which one-fifth of the world's oil passes, a wide berth…»
Les stratèges sont prompts à tirer leurs conclusions générales. Lundi, on pouvait entendre celles de Brzezinski (dans lesquelles le terme “ablaze” ne signifie pas nécessairement un embrasement absolument réel, mais d’abord un embrasement des perceptions, des jugements, etc.) : «It would set the Persian Gulf ablaze; increase the price of oil three or fourfold. Americans, already paying almost $4 a gallon, would see this quickly escalate to $12 or more. Europe would become even more dependent on Russian oil than it already is. So what would be the benefit for the United States?»)
Comme l’on commence à le distinguer, l’U.S. Navy et l’Iran ne semblent pas mener la même guerre, car l’U.S. Navy, elle, a changé de guerre. Devant elle se dresse la plus immédiate, la plus essentielle des missions, pour la stabilité générale et pour sa réputation ; il s’agit du monumental défi de garder le passage du détroit d’Ormouz ouvert, alors que tant d’interférences, y compris les plus insaisissables, comme celles de la communication, peuvent conduire à sa fermeture.
L’U.S. Navy du vice-amiral Mark Fox est dans une position complètement différente de celle de l’amiral William Fox Fallon. Aujourd’hui, elle se bat contre ce qu’elle croit être un défi formidable lancé contre ce qu’elle juge être le fondement de sa puissance : le contrôle des mers du globe, et particulièrement des verrous stratégiques, – et Dieu sait si le détroit d’Ormouz en est un. Cette situation est complètement différente de celle qu’affrontait l’amiral William Fox Fallon, – qui était la menace du désordre d’une attaque contre l’Iran. Aujourd’hui, ce que veut l’U.S. Navy, c’est protéger l’ordre qu’elle fait régner, ou croit faire régner sur les mers du globe. Cette idée s’est imposée durant les huit dernières semaines de “tension figée” dans le Golfe.
Les Iraniens, eux, semblent engagés dans un affrontement complètement différent, qui consiste dans son opérationnalité en une addition de tactiques relevant d’une catégorie de la guerre de 4ème génération (G4G), où la communication joue un rôle important, où les moyens sont très divers et souvent sans connotation militaire particulière. Comme l’observe le rapport S&P, on voit que certaines de ces tactiques relèvent de rien d’autre que de la fameuse “grève du zèle” des douaniers appliquée au contrôle du trafic naval p^trolier.
Le but des Iraniens, manifestement, c’est de répandre le désordre par tous les moyens pour construire une situation qui dégénèrerait à leur avantage, soit par la division de leurs adversaires (certains abandonnant le front de l’embargo), soit par leur affaiblissement (crises intérieures accentuées par l’embargo). Il n’est de meilleur moyen à cet égard que de faire régner le désordre autour du détroit d’Ormouz, où le passage peut être bloquée par simple intimidation psychologique, les victimes (les tankers transportant le pétrole décidant eux-mêmes de ne pas prendre le risque du passage).
Ordre contre désordre, par conséquent, et, dans ce cas, l’ordre en position défensive parce que si l’U.S. Navy a éventuellement la puissance de l’assurer, elle en a de moins en moins la légitimité. Cela suit la pente continue de la chute de la légitimité américaniste à imposer son ordre au monde. Même les parades provocatrices du USS Abraham Lincoln ont l’aspect de l’acte forcé en alimentant involontairement le désordre, de la part d’une flotte dont la seule présence, si elle était légitime, devrait suffire à calmer les esprits.
Insensiblement, l’affrontement prend une tournure différente. On notera que cette évolution est permise par l’expansion des domaines et de l’intensité de ces domaines qui s’agglomèrent de plus en plus nombreux dans le cadre de la crise iranienne, orientant celle-ci vers ce que nous nommons “crise haute”. La diversité de ces domaines et leur intensité sont considérables, comme on le voit avec la question des rapports entre la politique indienne, l’achat du Rafale et la politique française.
L’enjeu de la “crise iranienne” devenant crise haute n’est plus une victoire donnée, et une défaite par conséquent, une affirmation hégémonique ou pas, le contrôle ou non des sources énergétiques, ou du Moyen-Orient, voire l’hystérie maniaco-dépressive de certains dirigeants et la réélection de certains autres. Tout cela a un peu sa place, mais rien de tout cela n’est suffisant, et toutes ces choses considérées par les uns et les autres comme des objectifs deviennent des moyens et des outils en prenant leur place dans le nouvel et inédit affrontement. De plus en plus, la crise, évoluant dans son étrange “tension figée”, se transforme en crise haute par le biais de cet enjeu nouveau de la collision de deux phénomènes de forme ; entre une structure d’ordre imposée par le Système en crise, et elle-même en crise, et dont l’U.S. Navy est ici la représentante illégitimement agressive ; et un phénomène devenu par simple logique antagoniste de type antiSystème et s’exprimant par le désordre, et conduit par nécessité par l’Iran. Le détroit d’Ormouz fait l’affaire pour le lieu de l’affrontement. La stratégie répond bien plus aux impératifs d’une guerre de communication et de représentation qu’au diktat dépassé de la géopolitique.
Ainsi se confirme le phénomène, également étrange, de ce qui était jusqu’alors le cœur du sujet : l’attaque contre l’Iran, qui était le centre de la crise, après en avoir été le seul facteur, est de plus en plus repoussée vers les marges. L’U.S. Navy, déployée pour préparer, ou soutenir, ou contenir cette attaque (c’est selon), est aujourd’hui engagée, malgré elle mais selon sa logique de puissance, dans un exercice de réaffirmation de sa supériorité navale, dans le contrôle des voies de communication et des verrous stratégiques. Il ne fait pas de doute que cette réaffirmation, selon toutes les normes et apparences de la chose, semble pour l’instant éclatante ; mais la “crise iranienne” n’a pas été développée pour nous démontrer que l’U.S. Navy est maîtresse des mers, à la manière classique de la grosse quincaillerie. Nous sommes complètement hors sujet…
On a déjà vu l’élaboration de cet étrange “renversement stratégique” à partir de l’affaire du RQ-170. Il s’agit évidemment d’une “victoire” de perception de l’Iran, par un renversement des priorités, un déplacement du centre de gravité stratégique de la crise, un bouleversement dans la perception de l’échelle des menaces, des pressions, des priorités, etc. Mais on répétera qu’on ne peut dire que cette “victoire” est élaborée, fut préparée et pensée, mais qu’elle est le produit des nouvelles forces qui constituent la puissance, – essentiellement celles du système de la communication.
L’attaque contre l’Iran elle-même se dissout de plus en plus dans des facteurs de plus en plus nombreux, dont on sait qu’ils contribuent également et puissamment à former une “crise haute” ; qu’il s’agisse de la question de l’embargo et annexes (le cas du système SWIFT), qui pourraient devenir un casus belli et aussi bien entraîner, dans l’autre sens, des discordes graves entre des puissances extérieures que l’aggravation des crises internes dans certaines de ces puissances ; les hypothèses de provocation pour fournir par une sorte de fraude ou une sorte de simulacre (hypothèse false flag, très en vogue, à l’image de l’expression qui fait fortune) un “prétexte” pour une attaque dont on prétendait jusqu’ici qu’elle n’en avait besoin d’aucun tant elle semblait inéluctable ; les querelles chez les protagonistes et entre eux (au sein même de la direction israélienne, entre le “groupe Dagan” et Netanyahou-Barak, entre Israël et les USA), et ainsi de suite…
D’un autre côté, cette “marginalisation” de l’attaque contre l’Iran a comme effet de lui ôter sa netteté, sa pureté initiale, sa “légitimité” dont le système de la communication nous avait convaincus, ou qu’il nous avait forcés à accepter. L’effet de cette “délégitimation” se trouve dans des interférences grandissantes, notamment celle de la Russie, voire de la Chine et de la Turquie, en opposition marquée à cette attaque. Les déclarations du chef d’état-major russe, le 16 février 2012, expliquant que la direction militaire russe a établi un “centre de crise ” pour suivre avec attention l’évolution de la crise iranienne, indique que les Russes voient dans cette crise, pour leur compte, une dimension militaire évebntuelle qui les concerne ; d’où l’hypothèse désormais à envisager que les Russes pourraient le pas rester militairement inactifs en cas d’attaque...
Il s’agit bien d’une sorte de “délégitimation” de l’attaque à cause de sa marginalisation paradoxale. Il faut désormais envisager qu’un tel acte (l’attaque de l’Iran) serait perçu, non plus comme une riposte “naturelle” mais comme un coup de force brutal impliquant la possibilité de riposte d’autres pays que l’Iran. Le mot seul de “possibilité” est lourd de menaces, indiquant que le projet, outre ses risques inhérents, comportent ceux d’une internationalisation. Le paradoxe de la marginalisation du projet de l’attaque de l’Iran est qu’il rend cette attaque bien plus vulnérable à des risques d’extension catastrophique qu’il n’en comportait jusqu’ici, avec des répercussions dans tous les domaines. Là aussi, c’est déboucher sur le territoire de la crise haute, qui n’est rien moins que la crise du Système.
…En général, devant de telles perspectives, les commentateurs sauteraient sur l’hypothèse de la “troisième guerre mondiale”, qui a l’avantage du cliché facile à comprendre. Ce n’est pas du tout notre appréciation : plus que jamais, la perspective est celle du désordre