Notes sur la crise à l’électro-encéphalogramme plat

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Notes sur la crise à l’électro-encéphalogramme plat

21 juin 2015 – Quoi qu’on fasse et quelque analyse qu’on développe, la crise ukrainienne revient sans cesse sur le devant de la scène crisique du monde, comme incontestable vedette. Elle s’est constituée en crise centrale du monde, aussi bien par ses caractères opérationnels (influence et communication surtout avec le déterminisme-narrativiste, constituants géopolitiques, militaires, économiques et commerciaux, etc.) que par ses caractères hors du standard, que nous tendrions à qualifier de “métahistoriques”. Elle constitue sans aucun doute un événement exceptionnel, sans précédent ni équivalent.

Il est très difficile de parler à son propos de “phases” d’une façon rationnelle, tant elle constitue un phénomène propre, un phénomène per se, qui répond à sa propre logique et nullement à une logique politique générale ; pour autant nous soupçonnons que cette “propre logique” de la crise ukrainienne constitue, autant par ses caractères “logiques propres” que par ses incohérences apparentes, un miroir complètement acceptable de la Grande Crise d’effondrement du Système. Plus qu’un “modèle” de crise, on peut dire qu’elle est la crise par définition, – définition complètement postmoderne, cela va de soi. C’est bien entendu en cela que cette crise est à la fois centrale, fondamentale et qu’elle est “la crise haute” par excellence... La crise ukrainienne “oppose” les forces principales de la situation internationale mais d’une façon très spécifique, en les plaçant en position de Système-versus-antiSystème quoi qu’il en soit de leurs positions objectives, et ainsi représentant le mieux et de la façon la plus satisfaisante la Crise Générale.

Le mois dernier, il y a eu le déplacement de John Kerry à Sotchi (voir notamment les 14 mai 2015 et 21 mai 2015). On pouvait raisonnablement concevoir que ce serait un tournant. Ce ne le fut pas, et il y a là un fait remarquable qui renforce en le confirmant le caractère d’exceptionnalité de la crise ukrainienne. Aujourd’hui, on peut dire que la crise ukrainienne est revenue à sa situation naturelle et normale d’exceptionnalité, avec des caractères remarquables que nous détaillerons en fin d’analyse. La normalité de l’exceptionnalisme est le trait, – complètement oxymorique et paradoxal, et pourtant nullement contradictoire, – absolument, sinon exclusivement caractéristique de cette situation.

Nous allons introduire plusieurs interventions (trois) de source américaniste, chacune sous la forme du type-interview (questions-réponses), auxquelles nous accorderons une place importante. On verra que la forme de ces interventions (d’où leur longueur pour mieux se pénétrer du “ton”) importe au moins autant, et sans doute plus, que le fond. Nous pensons que ces interventions, qui nous paraissent toutes fondées et raisonnables sinon justes, constituent une illustration acceptable de la situation de la crise, et cette situation suffisamment riche pour que nous puissions en extraire des vérités importantes (des “vérités de situation”).

Sept ans plus tard, “still a mystery

La première de ces interventions est celle du journaliste John Parry, éditeur du site ConsortiumNews. Inutile d’insister à propos de cette personnalité, que nos lecteurs connaissent bien, autant pour ses capacités professionnelles, ses réseaux d’information (“sources”), que pour ses positions de critique politique.

Pour autant, il ne s’agit pas, comme à l’habitude, d’un texte d’analyse de Parry, mais d’un Parry dans un rôle inversé. Il est ici effectivement dans la position de la personne interviewée, par Dennis J. Bernstein, qui anime son émission FlashPoint sur la station de radio Pacifico connue pour être de tendance libérale-progressiste, mais suffisamment critique de la politique officielle pour être considérée comme antiSystème. Le verbatim de l’interview radiodiffusée de Parry est publié sur le site de l’interviewé, ConsortiumNews, le 19 juin 2015.

L’extrait publié ci-dessous explicite l’appréciation de Parry de la position d’Obama, et notamment la façon dont le président a envoyé Kerry à Sotchi, a obtenu des résultats, puis a entrepris de compromettre voire de saboter ces résultats. Cette observation renforce l’avis que Maureen Dowd a recueilli de l’ambassadeur de France à Washington (Arrow-Araud, voir le 19 juin 2015), pourtant neocon reconnu dans le corps diplomatique français : si Obama fut “un second Messie” puisqu’il succéda à GW, il est resté “un mystère” («Even though [Araud] still finds President Obama “a mystery,” he said “for us, he was a second messiah. After George W., it was easy.”»)... Un tel constat d’ailleurs rapporté de façon accessoire, comme “en passant”, de la part d’un diplomate qui est en poste aux USA depuis 2010 et qui a des contacts privilégiés avec les milieux d’influence US, particulièrement les neocons qui doivent en savoir long sur Obama, en dit encore plus long sur le caractère élusif et insaisissable du président US. Dans ce cas, ces remarques cadrent parfaitement avec son comportement autour du voyage de Kerry à Sotchi, sans pourtant en donner une explication rationnelle et satisfaisante, – mais parce que, justement, il n’y a peut-être pas d’“explication rationnelle et satisfaisante”...

Parry, inside the Beltway

Voici donc quelques extraits de l’interview de Parry par Bernstein, choisis en rapport avec la position, l’attitude d’Obama, d’une façon générale et plus précisément autour du voyage de Kerry à Sotchi.

Dennis J. Bernstein : «Let’s talk about the origins of this cold war rhetoric. First, we have Barack Obama leading the charge. He has become a real cold warrior, hasn’t he?»

Robert Parry: «He’s certainly allowed some of his underlings to use very aggressive rhetoric against the Russians, particularly Assistant Secretary of State Victoria Nuland, who led the charge in supporting the coup in Ukraine in early 2014...» [...]

Dennis J. Bernstein : «You have previously said the U.S. played an active role in this [Kiev February 2014’] “coup.”»

Robert Parry: «There’s no question...» [...] «There were all the markings of a coup d’état. More neutral observers, who have looked at this, including the head of the Stratfor think tank (George Friedman), have called it the most obvious coup he’s ever seen. That was the reality, but the U.S. news media and U.S. government chose to present it in a very different way. The Yanukovych government just left the scene, or something, is how the New York Times presented it. That wasn’t real, but that’s how they sold it to the American people.

»We have two very distinct ways of looking at this. One is the ethnic Russians of Ukraine who saw their president violently overthrown, and the other is the western Ukrainians, backed by the U.S., and in some degree the European Union, saying they got rid of a corrupt leader, through a revolution, if you will. That became the core problem between the U.S. and Russians. Instead of finding common factual points to agree on, there are these two distinctly different narratives about what went on there.»

Dennis J. Bernstein : «In Germany, recently, Obama himself carried this forward.»

Robert Parry: «Obama has been all over the map on this. In May, he sent Secretary of State Kerry to meet with President Putin and Foreign Minister Lavrov in Sochi, Russia. Those meetings, by all accounts, went very well in that Kerry was looking for Russian help on a variety of international problems, including Syria, Libya, the Iranian nuclear talks, and so forth. These are areas where Putin has been very helpful in the past in terms of U.S. policy. There was a general meeting of the minds, it seemed.

»But after Kerry returned, Obama seemed to swing back, to go more with his hard-liners. That was followed by the recent G7 Summit in Bavaria, at which Obama pushed for a continuation of economic sanctions against Russia. He continued to blame Russia for all the problems of Ukraine. He pretended that the Russians were the problem for why the Minsk 2 Peace Accord had not been going forward, even though the accord was essentially Putin’s idea that he sold to the Germans and the French. It’s really the Kiev regime that has tried to derail the Minsk 2 agreement from the very time it was signed.

»Yet Obama took aggressive positions in Bavaria, including personal insults directed at Putin. Now we are back into this idea that we must have a confrontation with Russia. We’re seeing this play out not just at the government level, but now also at the media level. At the more popular level, the New York Times and other major news organizations essentially are acting as propaganda agents for the U.S. government, by simply conveying whatever the government says as fact, and not something to be checked out.»

Dennis J. Bernstein : «You are saying this as somebody who is based outside the Beltway, correct?»

Robert Parry: «No, I’m actually inside the Beltway.»

Dennis J. Bernstein : «Good, I feel better now that you’re in there...»

Les ambiguïtés incertaines de John Kerry

Nous avons laissé volontairement cette question à Parry concernant the Beltway (expression qui désigne l’establishment, les élites-Système de Washington). Ce passage semble accessoire, sauf qu’il revient tout de même à demander à Parry s’il parle comme quelqu’un d’en-dehors du Système (en “dissident” si l’on veut par rapport à la situation US), ce à quoi Parry répond par la négative. Cela signifie d’une part qu’il se considère comme un journaliste disons “accrédité-Système”, et cela peut aussi signifier qu’il parle en se référant à des sources du Système faisant partie de son réseau d’informateurs, comme tout journaliste “accrédité-Système”. (Parry est fameux pour la qualité de ses sources, notamment au sein de la communauté de la sécurité nationale, notamment des services et agences de renseignement.) Il y a aussi son indication, à sa première réponse, qu’Obama “a laissé certains de ses hauts fonctionnaires utiliser une rhétorique extrêmement agressive contre les Russes, notamment Victoria Nuland...”

Réunies pour introduire ce qui va suivre, ces indications peuvent signifier que Parry, qui a ses sources dans le Beltway, a parlé ou parle régulièrement à des gens proches de Kerry, sinon et plutôt à Kerry lui-même ; et que la position et la rhétorique de Nuland sont couvertes par Obama lui-même, peut-être pas avec l’agrément enthousiaste de Kerry. La nomination de Nuland à son poste d’adjointe au secrétaire d’État pour les affaires européennes reste une question assez mystérieuse. Des précisions données par Lavrov sur la façon dont Kerry lui avait annoncé la nouvelle laissent ouvertes toutes les hypothèses sur les circonstances de cette nomination : fut-elle décidée par Kerry ou imposée à Kerry ? Les remarques que nous faisions le 21 avril 2014 à cet égard peuvent être interprétées différemment à la lumière des évènements récents, avec Kerry montrant une attitude ambiguë pour dissimuler ce qu’il pense de cette nomination ...

«Le Russe Lavrov a raconté comment, lors d’une de ses premières rencontres avec le nouveau secrétaire d’État au printemps 2013, il avait félicité Kerry pour avoir “liquidé” Victoria Nuland de sa position de porte-parole du département où l’avait installée Clinton ; Kerry lui avait répondu qu’il l’avait au contraire promue (comme adjointe au secrétaire d’État pour les affaires européennes et asiatiques), ajoutant qu’il aurait ainsi, à ses côtés, une diplomate expérimentée pour conduire une politique d’entente, notamment et précisément avec la Russie. Lavrov avait considéré Kerry pour tenter de distinguer dans ses paroles quelque ironie ou sarcasme, pour n’y trouver qu’un sérieux ingénu et désespérément naïf, – et peut-être, même, volontairement naïf. La question se pose en effet, dans ce cas de Kerry comme dans tant d’autres, et dans le cas d’Obama comme dans celui de Kerry, s’il existe une conscience réelle de la signification des actes ainsi posés, par rapport à ce que tout homme normalement informé doit en savoir, à la lumière de la personnalité et de l’activisme bien connues d’une Nuland. Lavrov rapporte que Kerry ne semblait pas vraiment comprendre ce que signifiait, en termes de perspectives politiques, la nomination de Nuland à un tel poste, – non plus que, dans un autre contexte, celle de Power à la tête de la délégation diplomatique US aux Nations-Unies.»

Le contre-amiral au département d’État

Parlons donc maintenant de John Kerry, blessé assez sérieusement (fracture sérieuse de la jambe) lors d’une chute de vélo il y a trois semaines. Bien entendu, Kerry s’est montré très discret depuis, puisqu’immobilisé par ce problème de santé qui l’affecte d’autant plus qu’il a déjà subi des interventions dans ce domaine. Pendant ce laps de temps, des rumeurs diverses ont nourri quelques spéculations un tantinet complotistes concernant les circonstances de l’accident. Quoi qu’il en soit, on a la sensation très pressante d’un affrontement, où les effacements, même temporaires et même accidentels, du théâtre de la communication, ont des effets rapides sur l’orientation de la politique. (Mais certes, ces “affrontements” peuvent aussi bien être des reclassements automatiques, selon les circonstances, sous la pression du Système pris comme force autonome.)

D’une certaine façon, Kerry a confirmé a contrario ces impressions en intervenant d’une façon très inhabituelle lors de la conférence de presse quotidienne du département d’État, mardi dernier. Les conditions de cette intervention peuvent également être considérées avec intérêt ... Cela s’est fait dans des conditions également fort inhabituelles pour cette sorte d’intervention, si formaliste aux USA. Le 16 juin, le contre-amiral John Kirby étrennait devant la presse ses fonctions de nouveau porte-parole du département. Kirby remplace la fameuse Jennifer Psaki, partie à la Maison-Blanche le 1er avril, et qui n’est pas remplacée par son adjointe Mary Harf (en état de grossesse, nous semble-t-il). Kirby, contre-amiral, vient du Pentagone et on l’a déjà entendu et vu en action au département d’État, au cours d’une fameuse empoignade avec le journaliste d’AP Matt Lee (voir le 18 octobre 2015)

Ainsi donc, l’amiral Kirby devenu “Mr. Kirby”, explique à ses auditeurs de la presse accréditée que, tout nouveau intervenant à cette fonction difficile, il sollicite l’aide d’un intervenant du département, pour ce 16 juin 2015, qui n’avère n’être rien de moins que le secrétaire d’État lui-même, en audioconférence depuis sa résidence de Boston ; Kirby, lui, se contentant finalement d’être le modérateur...

«... Listen, so it’s my first day at the podium and I kind of figured that I might need some help, so I have asked Secretary Kerry to help join me today and so we have him remotely from Boston. Could we bring the Secretary up, please? There he is.

»Now, obviously, this is a live remote situation, so the Secretary can’t see you. He’s going to have a few comments to kick this off, and then we’re going to go to questions. The Secretary also has a plane to catch, so we’re not going to be able to take a lot of questions today. I will be moderating. I’ll choose those who are going to – I’ll call on you. I’d ask you to just please, as you ask your question, identify yourself and who you’re with so the Secretary knows who... [inaudible].

»Okay. Mr. Secretary, can you hear me okay?»

Jambe cassée, Kerry-Lavrov va bien, merci...

... Kerry entendant Kirby okay, la conférence de presse improvisée put commencer. Kerry fut le seul à parler et il y eut un tour de table général concernant les grandes questions en cours. Matt Lee intervint mais se garda bien de chercher la confrontation comme il fait d’habitude avec le (la) porte-parole. Enfin, Kerry termina par deux questions concernant l’Ukraine/la Russie, ou d’une façon générale la “nouvelle Guerre froide”. (Première question sur l’Ukraine et l’application de Minsk2, deuxième question sur l’annonce par la Russie de l’addition de quarante missiles stratégiques intercontinentaux à leur arsenal en 2015.)

Justement, Kerry ne veut pas entendre parler d’une “nouvelle Guerre froide”. Ses interventions sont extrêmement prudentes, mesurées au millimètre pour montrer le côté le plus conciliant possible avec la Russie. Kerry écarte les affirmations accusatrices, les suggestions antagonistes, etc., – comme il ne s’est jamais empêché de faire souvent de façon agressive, bien au contraire, avant Sotchi... Le ton, la forme des phrases, la tendance constante de parler, quand c’est possible, d’une façon collective qui inclut les Russes comme s’il s’agissait d’une intervention Kerry-Lavrov, est évidente, parfois jusqu’à des lieux communs stupéfiants d’évidence énoncés d’un ton très ferme pour montrer indirectement le bon climat Kerry-Lavrov, – par exemple, lorsqu’il indique qu’il y accord entre Lavrov et lui (ils se sont parlés au téléphone plusieurs fois depuis l’accident, dont le 15 juin) pour que les incidents sur le terrain diminuent et le rythme des négociations augmente («And I made it very, very clear, and he [Lavrov] accepted the idea, that there needs to be less fighting and more negotiating, and more movement with respect to the Minsk implementation process»). Voici l’extrait, certes un peu longuet, mais il nous semble bien, encore une fois, que c’est surtout le ton et la forme du langage qu’il faut apprécier, beaucoup plus que le fond qui est extrêmement pauvre...

Question: «Thank you, Mr. Secretary. Elise Labott... [...] You spoke about your conversation with Foreign Minister Lavrov. Could you talk about your discussions about Ukraine? There are many reports that the Russians are moving heavy weaponry in – across the border into Ukraine, there have been numerous violations of the Minsk agreement, and there has been some talk that the U.S. is preparing additional sanctions along with the Europeans. It seems as if President Putin has decided that he can absorb the costs of the current status quo, so how do you change and get the Russians to withdraw their troops, withdraw their support for the Russian-backed separatists, or are you planning additional punitive measures? Thank you.»

Secretary Kerry: «... Look, the – we discussed this at some length yesterday, of course, and I made it very clear that the United States and European capacity to try to move forward with respect to sanctions relief is fully dependent on the implementation of the Minsk agreements. Now, there have been several meetings in the last days of the working groups and the trilateral group which have been a little bit more productive than meetings heretofore, and a little bit of discipline has entered into the elections discussion with respect to the separatists. And I made it very clear to Foreign Minister Lavrov, and I think – it wasn’t – I – really it was my emphasizing it, because I think he understands and accepts the idea that the working groups are the key to making Minsk happen.

»Now, the Russians always raise counter initiatives by the Ukrainians, which they suggest are causing the separatists to shell and to engage in further military activity, and frankly you just sort of get trapped in a rabbit’s hole if you start discussing who did what when and how. And so we really tried to focus on how do we move from here forward. And I made it very, very clear, and he accepted the idea, that there needs to be less fighting and more negotiating, and more movement with respect to the Minsk implementation process.

»Victoria Nuland will be over visiting some folks in the region shortly – today, tomorrow, and the next days. We are going to continue to be putting pressure on the process of the working groups to be able to more fully implement Minsk. And I made it as clear as I possibly can that in the absence of a reduction in the hostilities, and in the absence of further progress of the implementation, Europe and the United States are going to be united in a rollover of the current level of sanctions, certainly, and whether or not more comes depends on what happens on the ground.

»Foreign Minister Lavrov indicated to me that they want the Minsk implementation, that they do believe that is the way to resolve this; but obviously, even as we’ve heard that before, we’ve also seen Russian activities that further support the separatists in ways that are not productive. I called that to his attention, and we’ll see whether or not in the next days there can be progress made, and whether or not the Minsk process actually takes greater hold through the working groups and the OSCE presence and oversight, and ultimately through the political pieces that need to be achieved on both sides in order to have an election and begin to get the autonomy – the individual autonomy steps in place that have been at the heart of the separatist demands and of the Ukrainian proffers with respect to a resolution.

»So if those things happen, there’s a way forward. If they don’t happen, if President Putin chooses to play a double game and continues to allow the separatists to press forward, then obviously we have a very big challenge ahead of us.»

Mr. Kirby: «Okay, this will have to be the last question. Lesley...»

Question: «Mr. Secretary, Lesley Wroughton from Reuters. [...] Also coming – remaining with President Putin, today he said he would add more than 40 new intercontinental ballistic missiles in its nuclear arsenal this year. Does that concern you, or do you think it’s saber rattling, as NATO has indicated?»

Secretary Kerry: «Well, it does concern me. Of course it concerns me. We have the START agreement. We’re trying to move in the opposite direction. We’ve had enormous cooperation from the 1990s forward with respect to the destruction of nuclear weapons that were in former territories of the Soviet Union, and nobody wants to see us step backwards. Nobody wants to, I think, go back to a kind of Cold War status. It could well be posturing with respect to negotiations because of their concerns about military moves being made by NATO itself, the assurance program that’s in place for the forward states, as well as potentially the missile defense deployment plan. So it’s really hard to tell, but nobody should hear that kind of announcement from the leader of a powerful country and not be concerned about what the implications are.»

Cette extraordinaire agitation d’une situation paralysée

Ces commentaires somme toute étranges, qui soulignent une situation extrêmement insaisissable et indéfinissable dans l’administration US, à l’image du président, se reflètent dans la situation opérationnelle, notamment des relations du bloc BAO et de la Russie. Ces relations sont engluées dans la plus complète infécondité, notamment avec la fermeture totale vers une évolution décisive qu’impose la narrative exigée par le Système et le déterminisme-narrativisme qui s'en déduit. Ces relations complètement engluées, paralysées, quasiment immobiles, sont pourtant agitées, frénétiquement agitées par des mouvements divers, souvent décrits comme dangereux, frisant l’incident du point de vue de la perception de communication, par des affirmations stupéfiantes qui devraient soulever une incrédulité considérable, etc.

On a un exemple de ces constats par la voix de James Carden, journaliste, auteur et activiste qui est un des promoteurs de l’American Committee for East-West Accord, qui est aussi un fréquent contributeur de The Nation. Il est interviewé dans l’émission In the Now de RT, le 18 juin 2015. (On pourrait aussi bien citer Stephen F. Cohen, compagnon de lutte de Carden puisque lui aussi contributeur à The Nation, le 20 juin 2015, également sur RT. Cohen ne fait que dresser le même constat de cette poussée irrépressible, constante, similaire depuis février 2014 en Ukraine, de ce qu’il nomme comme Carden “the War Party”, et poussée renouvelée depuis la rencontre de Sotchi.)

RT: «After President Putin announced Russia's strategic forces will get over 40 new intercontinental ballistic missiles in 2015, NATO warned Russia is playing with fire. Is it really that hard to see that NATO is on Russia's border and not the other way round?»

James Carden: «It seems that it is very difficult for some people to understand. In this country and particularly in the administration we are seeing a war party form, it’s bipartisan in nature and it seeks to obviously expand NATO to Russia’s border and to incorporate many of the republics of the former Soviet Union. And the fact that Russia is reacting to this plan seems to have taken many of them by surprise.»

RT: «Reports say British RAF planes have been scrambled three times in the last 24 hours to intercept Russian jets flying close to NATO military exercises in the Baltic. How far can the rhetoric go?»

James Carden: «Unfortunately, this could be just the beginning. We’ve seen since the beginning of the Ukraine crisis NATO has increased its air patrols in and around Russian air space, we’ve seen the Russians respond in kind. What I would hope would dawn upon a lot of these policy makers is that something terrible; it could happen by accident. If something happens involving these flights or with some of the US trainers that are in Ukraine now, we could be well on our way unfortunately to a shooting war in Europe. That’s something we really ought to be thinking about and that ought to inform our policy response to the Ukraine crisis in particular.»

RT: «What can Russia do to convince NATO that expansion is not the way to cooperation or to cooling down some of this rhetoric?»

James Carden: «I think a focus on effects on the ground is the place to begin. Right now we have an unfolding humanitarian catastrophe in the Donbass, where over 6,000 people have lost their lives and over a million displaced. The blame for that in this country falls squarely upon the shoulders of Mr. Putin. I saw something kind of extraordinary yesterday on Capitol Hill. Samantha Power [US Ambassador to the UN] was testifying there and she was asked, “How many of the separatists and their families are among these 6,000 people who have been killed?” She said that she didn’t know. And the point of the question was how many of these victims have been killed by the force coming out of Kiev, and she claimed ignorance of it. So we need to get straight what’s going on in the Donbass in order to have an informed policy response.»

RT: «How much does media coverage play in the heated rhetoric between the US and Russia?»

James Carden: «That’s an interesting question. In the US, we hear a lot about Russian propaganda, particularly with regard to RT and Sputnik, the internet news organization sponsored by the Russian government. So news that comes out of Russia that explains Russia’s point of view is 'propaganda,' but the incessant coverage coming out of the Washington Post and the New York Times, among others, that continues to religiously hew to the neoconservative line is not propaganda at all. It plays an enormous role, particularly within the Beltway.

RT: «If the US understands Russia's reaction to encroachment and Kerry’s statements prove that why not try a different policy?»

James Carden: «That’s a good question. Why not? Because the current policy hasn’t worked. I think to Mr. Kerry’s credit he did try to begin to institute a thaw in this new Cold War when he travelled to Sochi with President Putin and Foreign Minister Lavrov in May. That was a very good sign, but it was very telling that between his meeting in Sochi and the G7 that the people who are for a very hard-line response to the Ukraine crisis responded and they basically denounced and undercut Kerry’s move towards a détente.»

Faut-il parler de “crise” ?

A ce point d’entamer notre commentaire général sur les pièces substantielles exposées jusqu’ici, et portant toutes témoignage d’une situation à la fois extraordinairement bloquée et paralysée dans son opérationnalité, extraordinairement monotone et répétitive dans son argument, extrêmement agitée et mystérieuse dans ses péripéties, extraordinairement tendue et explosive dans sa psychologie, nous voulons nous référer à la dernière Chronique du 19 courant... de Philippe Grasset (le 19 juin 2015), et également à l’intervention d’un lecteur, monsieur Alain Vité, dans le Forum du même texte, du même 19 juin 2015. Notre lecteur juge contestable l’emploi du concept de “crise” pour décrire la situation et lui préfère les concepts de “dégénérescence profonde”.

(A noter que notre chroniqueur n’avait pas choisi comme sujet “la crise” mais l’évolution de la psychologie à cause de “la crise”, jusqu'à la formation d'une “psychologie crisique”. L’observation est mineure puisque nous développons ici, effectivement, une appréciation du phénomène crisique lui-même, mais elle doit être retenue parce que le susdit chroniqueur, s’il avait traité du sujet de “la crise”, aurait écrit un texte tout à fait différent, – nous en sommes convaincus. Il est vrai qu’il nous paraît préférable que les excellents commentaires de nos lecteurs portent sur le sujet traité, et non pas sur un sujet qu’ils choisissent eux-mêmes et que le texte qu’ils considèrent ne traite évidemment pas.)

Il est certain, il est évident, il est éclatant que le concept de “crise” que nous employons nécessite au moins un complet réexamen, une définition entièrement bouleversée par rapport à la situation que nous connaissons. Pour autant, nous ne voulons pas l’abandonner pour définir cette situation, au contraire ; nous voulons même avancer que, effectivement “au contraire”, ce n’est pas le concept de “crise” qui est en cause ici, mais le concept de “temps historique”, c’est-à-dire le temps opérationnel qui conditionne toute “crise”. Ce concept de “temps historique” a, à notre sens, subi des transformations extraordinaires jusqu’à la contraction la plus extrême, en même temps qu’un affrontement s’est établi entre l’histoire courante, l’“histoire-tout-court” qu’on (que le Système) voudrait paralyser dans son état présent, et la métahistoire qui, elle, échappe complètement aux manigances des sapiens-Système et se trouve dans le cours d’une accélération absolument fantastique. Il est évident que nous plaçons le phénomène de “crise” nécessairement revisité dans le plan métahistorique et rien que cela. Si vous écoutez les acteurs de l’“histoire-tout-court”, les Hollande, BHL, neocons et Cie, il n’y a pas de Grande Crise d’effondrement du Système mais, au contraire, un Système triomphant grâce aux “valeurs” et, à part un petit avatar ici ou là, une voie sublime ouverte sur l’avenue des Valeurs Postmodernes découchant avec une sorte d’Arc de Triomphe inverti qui serait comme un symbole de l’Art Contemporain... Cette basse-cour ne nous intéresse pas puisque seul nous intéresse le Système et qu’elle n’en est que la défécation permanente qu’un peu d’eau de la chasse efface. (Il faudrait soigner cette diarrhée, les gars.)

Quant aux arguments que nous oppose notre lecteur, nous croyons qu’il confond certains aspects de la maladie (cancer, métastase, etc., ce qu’on veut) avec les symptômes de la maladie. Les symptômes, ce sont les crises, justement. Ce sont ces symptômes qui nous intéressent puisque nous ne doutons pas un instant de la maladie, mais que la forme des symptômes, elle, nous donne une précieuse indication de l’avancement de la maladie, et par conséquent de l’effondrement. Il s’agit donc bien des “crises”.

Le paroxysme à encéphalogramme plat mais très haut

Ce que nous constatons d’une façon générale, disons jusqu’à faire une théorie de l’expérience accumulée ces dernières années et formidablement, – décisivement confirmée par la crise ukrainienne, – c’est que “la crise” n’est plus une crise selon la forme courante de ce phénomène. Il y a toujours une montée vers un paroxysme, puis un paroxysme, – mais, ô surprise, ce paroxysme ne veut plus cesser d’être paroxystique. La crise devient celle d’un encéphalogramme plat, mais au plus haut niveau possible de la tension, comme figée dans une tension permanente, sans qu’il soit nécessaire que des “évènements de paroxysme de crise” existent pour l’entretien de la chose, et parfois même sans événement du tout, “par le fait même” (curieuse formule, n’est-ce-pas, qui renvoie à ce qui suit...).

Pour entretenir cette situation inédite, il y a d’abord et surtout, et même exclusivement le système de la communication et, avec lui, les psychologies en crise à l’image du Système, et selon les tendances imposées par le Système. (Comme on le voit dans la Chronique du19 courant..., “psychologie en crise” n’est pas “psychologie crisique”, et cela d’une façon décisive  : «Elle abandonne son statut de “psychologie de crise” (psychologie en crise à cause des crises qu’on distinguerait encore) pour devenir “psychologie crisique“ (psychologie qui a absorbé la permanence du mouvement que lui impose l’infrastructure crisique du monde, et toutes les crises incessantes, s’additionnant, organisant un “tremblement de crise” sans interruption)»)

On voit bien ces “psychologies en crise”, surtout les plus faibles, celle des excité(e)s, des “fous/folles de guerre” au nom de l’humanité, exsudant la russophobie comme l’on vomit, toujours relancées vers le haut par l'impitoyable déterminisme-narrativiste ; cette force implacable pour se conformer à la narrative du Système nourrissant l'épisode maniaque sans fin de ces psychologie affaiblies ; comme celle de cette furieusement sympathique Samantha Power, ès-qualité d’ambassadeur US aux Nation-Unies, en visite en Ukraine (“what else?”), qui est interviewée (voir le 18 juin 2015) par des amis ukrainiens, et qui dit à propos de la mission de l’OSCE de contrôle de l’application du cessez-le feu : «I think what we have done is found ways outside of the UN to demonstrate the Russian aggression, continued sponsoring the OSCE, a human rights organisation, which is documenting what Russia is doing, its army, violations of ceasefire». Certes, en arriver à dire que la mission de l’OSCE dans le Donbass, de contrôle du cessez-le-feu entre forces ukrainiennes et forces séparatistes, c’est de trouver les violations du cessez-le-feu par les Russes, c’est vraiment témoigner, ô Samantha, d’une psychologie vraiment très, très fatiguée... Même un membre du Politburo du temps de Brejnev n’aurait pas fait cette bourde, se contentant de parler avec la fougue qu’on imagine de la grande amitié indéfectible et internationaliste, et socialiste (pourquoi pas ?), entre les États-Unis d’Amérique et la République nationale-socialiste (pourquoi pas ?) d’Ukraine.

Voici donc une crise, un temps crisique, une infrastructure crisique, ayant atteint le paroxysme de sa composition habituelle, et ne parvenant plus ni à le dépasse, ni à s’en libérer. Kerry allant à Sotchi, c’est comme le prisonnier d’un trou de dix mètres de profondeiur tentant de grimper, en alpiniste consommé, la paroi verticale vers la sortie de la crise, puis retombant finalement, en alpiniste pas assez consommé (et se cassant la jambe, tiens...). C’est comme si le temps historique en se concentrant, en se contractant au gré de l’accélération de l’Histoire qui est aujourd’hui formidable, enfermait effectivement la crise dans son paroxysme, se réduisant lui-même au paroxysme de ce qui serait devenu un temps crisique. Le paradoxe est alors que le paroxysme, qui est mouvement et dynamisme par définition, devient absence de mouvement et statisme. (Et lorsqu’il lui faut bouger tout de même, tant il étouffe d’énergie non consommée, il le fait en tourbillon avec un point central fixe comme l’œil du cyclone, ce qui revient à ne pas bouger, – un peu comme c’est le cas au Moyen-Orient où l’ensemble Syrie, ou “Syrak”, est ce point central.) Ce n’est rien de moins qu’une inversion, ce qui revient, finalement très logiquement, à une figure qui nous est chère parce qu’elle est la figure favorite du déchaînement de la Matière et du Système. Tout s’emboîte puisque l’inversion est la figure même de la postmodernité, avec la fonction même de la postmodernité d’être immobile dans son processus de dissolution sous l’apparence d’une extrême mobilité évidemment “progressiste”, – situation parfaitement rencontrée dans le paroxysme paralysé.

Le président qui se sabotait lui-même

En effet, notre analyse courante, et renouvelée dans la Chronique du 19 courant..., n’est certainement pas que nous tombons à court de crises, mais que nous ne sommes plus que des crises. Ce que montre superbement l’Ukraine, c’est un phénomène extrêmement caractéristique et original, qui est l’incapacité de sortir du paroxysme de la crise, donc d’en arriver à une crise paralysée dans sa phase paroxystique et impuissante à sortir d’elle-même. La séquence de Kerry à Sotchi, sans événement violent particulier et paroxystique justement à cet égard, est particulièrement révélatrice pour toutes les raisons qu'on connaît et c’est bien pourquoi nous y attardons : Kerry n’a pu aller à Sotchi qu’avec des instructions précises d’Obama, et tout montre qu’il les a appliquées et qu’elles ont rencontré un complet assentiment des Russes.

Les diverses observations de nos commentateurs pourtant impeccablement antiSystème sont similaires sur la séquence depuis Sotchi, – elles sont marquées par le vague et l’incompréhension de ce qui s’est passé... Parry : “A Sotchi, il semble qu’il y eut une véritable rencontre des esprits. Mais après que Kerry soit revenu, Obama sembla changer de position, pour se retrouver du côté des durs ...” ; Carven : “La rencontre de Sotchi était ainsi un très bon signe. Mais il est significatif qu’entre Sotchi et le G7 ceux qui sont pour une politique très dure réagirent et qu’ils dénoncèrent et anéantirent la démarche de Kerry vers la détente” ; Cohen, dans l’article référencé ci-dessus : “Nous avons pu penser pour un bref moment que la rencontre de Sotchi avec Kerry pouvait être le début d’un débat [sur la politique US en Ukraine] ou au moins la mise en place d’une position alternative de Washington, mais il [Kerry] fut attaqué, il se cassa la jambe et il disparut. Et maintenant, vous voyez ce qui est arrivé en Europe, au G7, il y a quelques jours, et ce qu’Obama a dit là-bas, – et Sotchi a été oublié” («We thought for a brief moment that what Kerry did in Sochi was the beginning of a debate, or at least an alternative position in Washington, but he was attacked, he broke his leg, he disappeared. And now as you see what happened in Europe at the G7 a couple of days ago, and what Obama said there – Sochi has been forgotten.»)

... Effectivement, les explications sont vagues et inconsistantes. Il n’est pas juste de dire que Kerry fut attaqué, nous dirions plutôt que sa visite fut occultée, qu’elle fut très peu commentée parce qu’elle contredisait la narrative-Système mais personne parmi les adversaires de la Russie n’a eu vraiment de quoi alimenter aucune critique fondamentale. Aucun événement dramatique sensationnel (type-destruction du MH-17) n’est venu brutalement dramatiser la situation, – au détriment des Russes immondes-barbares, cela va de soi. Certes, on parla d’une recrudescence des violations du cessez-le-feu, voire d’une reprise des combats, – mais sans concrétisation, et nous-mêmes observant à cet égard, à cette occasion, que le mythe d’une reprise des combats depuis Minsk2 est désormais une affirmation récurrente, comme l’“invasion russe” de l’Ukraine, dont l’effet de communication est de plus en plus réduit. On peut même dire que les “durs”, les hawks, furent pris de court et mis sur la défensive par la visite de Kerry à Sotchi... La vérité de cette situation est plutôt, pour nous, que rien de concret, de mesurable, d’opérationnel, ne justifie la “disparition” de Kerry et le passage de Sotchi à la trappe, – au point que Cohen en arrive à mettre l’accident à la jambe de Kerry comme une des causes de la disparition de l’intermède-Sotchi et de Kerry ! Lequel n’a pas vraiment disparu, d’ailleurs, puisqu’il revient...

Nous-mêmes observions, dès le 14 mai 2015, et sans que rien, depuis, ne soit venu changer ces grandes orientations, ni dans un sens (pro-Sotchi), mais ni dans l’autre (anti-Sotchi) non plus, – simplement, comme si Sotchi n’avait pas existé, point final : «... Effectivement, l’on ne peut dire que la rencontre de Sotchi ait été saluée par un enthousiasme excessif de la part de la presse-Système. Au contraire, l’abomination russe reste toujours d’actualité puisqu’elle écrase et recouvre tout le reste, et le commentaire s’est surtout cantonné à un silence glacial, à la simple description de la rencontre, au constat du climat cordial largement compensée dans le sens négatif par l’absence de “percée” (voir les titres du “Washington Post” du 13 mai 2015 et du “New York Times” du 13 mai 2015). La reconnaissance quasi-enthousiaste par Kerry de l’accord Minsk2 jusqu’alors considéré avec méfiance et mépris ne peut en effet en aucun cas être reconnue comme une “percée” de quoi que ce soit pour cette population-là...»

Le seul changement (?) qu’on a pu constater, ou plutôt le seul mouvement en forme d’anomalie, c’est qu’Obama a envoyé son secrétaire d’État à Sotchi pour ensuite, tout seul, sans véritable pression spécifique du Système puisque cette pression est constante et existait avant Sotchi, saboter lui-même ce qu’il avait lui-même élaboré. Et cependant, rien dans ce que Kerry a dit le 16 juin, pour sa réapparition officielle, rien ne vient contredire ce qu’il disait à Sotchi, – Kerry, lui, n’a pas disparu, contrairement à ce qu’observe Cohen, il n’est pas disgracié, il tient encore ferme les rênes de son département puisqu’il prend en main la communication, puisqu’il confirme Sotchi ; au contraire de ce qu’a dit son président au G7 mais selon les instructions de son président avant qu’il ne parte à Sotchi ... Comme dit Araud, Obama est “still a mystery”, – sacré “mystère”, après plus de sept ans au pouvoir...

La crédulité de notre incrédulité devant le mystère

Décidément, nous ne nous attardons pas aux habituelles hypothèses des manœuvres secrètes (complot, pression contre Obama, pression des faucons, voire menaces contre sa vie, à-la-Martin-Luther-King, évoquées publiquement par le président, etc.). Si tout cela existe, tout cela existait avant Sotchi et Obama n’aurait pas envoyé Kerry à Sotchi dire à Poutine, Lavrov & Cie ce qu’il leur a dit, et puis répétant tout cela en conférence de presse... Et puis enfin, le quasi-désaveu anti-Sotchi d’Obama au G7 aurait du aboutir à la démission de Kerry, – tiens, à l’occasion de son accident de vélo, si bienvenu, si handicapant pour un homme de son âge, qui nous aurait permis de nous débarrasser de lui pour la bonne cause (humanitaire) ... Mais non, revoilà notre Kerry, presque frais et rose, reprenant d’autorité le poste vital de la communication le 16 juin, réaffirmant que “nous (Sergei et moi) continuons plus que jamais à travailler pour l’application de Minsk2, – car Sergei est d’accord, il est préférable de ralentir les combats et d’accélérer les négociations, n’est-ce pas Sergei ?” Dans cette déclaration, Kerry ne se croit même pas obligé de reprendre la fable des Russes transportant (à nouveau, bien entendu) des armes lourdes vers les séparatistes, il l’expédie lestement d’un “on ne va pas s’emmerder à chercher qui fait quoi” («...and frankly you just sort of get trapped in a rabbit’s hole if you start discussing who did what when and how.») qui ne doit pas vraiment enchanter Porochenko.

Ainsi notre conclusion sera-t-elle, aussi audacieuse et étrange qu’elle puisse paraître, que la crise ne veut pas abandonner sa phase paroxystique, – cela, la crise ainsi personnalisée en une entité active, une égrégore, avec l’aide, volontaire ou pas qui sait ?, d’un homme étrange, à la psychologie peut-être sensible aux “mauvais esprits”, n’est-ce pas, – car Obama avait bien montré, durant sa campagne de 2008 qu’il avait parfois, dans sa dialectique, des accents qui furent comparés à ceux d’un vaudou célébrant un culte... Vous riez ? Nous aussi, frankly speaking, et pourtant ce n’est pas de la seule dérision d’une telle hypothèse que nous rions ; peut-être rions-nous aussi bien de notre crédulité à nous, que constitue peut-être, paradoxalement, notre incrédulité devant certaines explications de faits inexplicables par la seule raison et aisément gommés par les mémoires courtes et la passion d’une raison qui ne veut jamais se laisser mettre en minorité dans le processus de l’intelligence de la perception des évènements du monde. Et il est de fait que nous avons tout lieu de nous méfier de cette raison-là pour la cause qu’elle pourrait bien être une raison-subvertie.

Bref, nous sommes, devant Sotchi-Kerry-Obama, devant la crise ukrainienne et l’impossibilité de sortir de son paroxysme, devant la situation crisique du monde, nous sommes devant un mystère. C’est toujours le même, dans cette ère métahistorique exceptionnelle où la chose la plus difficile n’est pas d’agir pour faire en sorte que ce qui doit se passer se passe mais bien de comprendre pourquoi et par quelle(s) force(s) supérieure(s) ce qui doit se passer se passe. C’est un tournant de l’histoire du monde et la raison avec son incrédulité, la raison-subvertie, devrait commencer à prendre ses dispositions pour écarter la subversion qu'elle a subie et tenter d’appréhender tout ce qu’elle a écarté jusqu’ici avec mépris et une certitude un peut trop suffisante.