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1405Dans notre numéro du 10 novembre 2010 de notre Lettre d’Analyse dde.crisis, la rubrique principale de defensa est consacrée à la situation de l’Amérique (des USA) à l’heure des élections mid-term du 2 novembre 2010. L’énoncé du titre est important : il s’agit bien de “la crise américaine” (ou crise de l’Amérique), qui inclus mais ne se résume pas à la “crise de l’américanisme” (ou crise du système de l’américanisme).
Nous avions décidé de rédiger cette analyse générale de la situation des USA en tant que telle, – situation intérieure exclusivement, et situation psychologique essentiellement, – avant que ne soient connus les résultats dés élections. Il s’agissait de bien marquer combien il existe une situation fondamentale que les événements du mécanisme du système illustrent plus qu’ils ne la modifient. Effectivement, les élections du 2 novembre (analysés dans la rubrique Perspective du numéro) n’ont été qu’une illustration de cette situation générale.
Nous apprécions d’abord la profondeur de la crise interne de l’Amérique comme archétypique de la crise centrale du système général de l’américanisme et du système général de notre civilisation occidentaliste et américaniste. C’est-à-dire que la situation de l’Amérique est aujourd’hui l’archétype de la crise d’effondrement de la modernité, et que cela est devenu évident pour la psychologie américaniste. «L’état du système politique US, dans ce temps historique, suscite la colère, le mépris, le dégoût. Ces sentiments viennent autant des populations que des membres eux-mêmes de l’establishment. Telle fut la couleur de cette année électorale 2010.»
C’est principalement entre 2008 et 2010 qu’est apparu ce sentiment de dégoût de soi qui commence à être exprimé même par des plumes particulièrement renommée pour leur rôle de protection de l’establishment (voir Thomas Friedman). Cette période, commencée par l’envolée extraordinaire de l’illusion Obama, le jour de son élection, au milieu des ruines du système financier, bascula quasi instantanément dans la logique de l’effondrement. Ce fut la création de Tea Party, la destruction systématique de l’image et de la stature d’Obama, les campagnes échevelées autour du système de santé, l’opposition furieuse et hystérique du parti républicain… L’Amérique transformée en une caricature d’elle-même, – ou bien, en une caricature de l’illusion qu’elle s’est faite d’elle-même, et découvrant sa vérité.
«Aujourd’hui se pose la question de savoir si l’Amérique se supporte encore d’être aussi radicalement la caricature monstrueuse de ce que promettait l’American Dream. Comment veut-on que ce pays, construit sur des chimères dissimulant la pérennisation d’un état de fait oligarchique et le fondement d’une inégalité née de la rapine, de la puissance de l’argent et du mensonge institué, puisse supporter la mise à jour de sa vérité? L’inégalité, quand elle entérine des valeurs de noblesse et de dignité, est la chose la plus naturelle du monde. Quand on découvre au contraire qu’elle dissimule l’infamie, elle devient insupportable. Ainsi en est-il de l’Amérique.»
En effet, nous présentons la crise de la psychologie américaine comme une pandémie… Outre des chiffres étonnants sur l’état psychologique de la population américaine, il existe un aspect pathologique dans la situation générale de cette psychologie, au point que l’on peut parler d’une situation d’une pathologie collective. Notre hypothèse est que cette situation, bien plus que les orientations idéologiques diverses, en général extrêmes, est la cause de la confusion, du désordre, de l’extrémisme antagoniste de ce qui est désignée comme la “situation politique”, qui n’a de “politique” que le nom en vérité.
Il faut rechercher les vrais fondements de cette crise psychologique. Les causes, elles, sont connues : les pressions du système sous toutes leurs formes, cette espèce d’exigence de “la matière déchaînée” qui exprime les pressions et contraintes insupportables d’une “contre-civilisation” déguisée sous les oripeaux de l’American Dream. Les véritables fondements de la crise psychologique sont, à notre sens, la volonté inconsciente des Américains d’écarter, par l’exacerbation de leurs psychologies et les excès qui en résultent, à la fois la vérité fondamentale de la crise de l’Amérique, et leurs responsabilités dans cette crise. Le résultat est paradoxal, puisqu’en s’exerçant de la sorte, cette crise de la psychologie s’attaque directement à l’équilibre et à l’efficacité du système de l’américanisme qui constitue le principal moteur de la puissance américaine et de l’existence même de l’Amérique.
On jugera le résultat net favorable, puisque nous tenons le système de l’américanisme pour une réalité indiscutablement destructrice et mauvaise au sens le plus fort. Mais, pour l’apparence, les Américains gardent la conviction que ce système constitue la structure de leur pays. Ainsi, plus la crise de leur psychologie s’exacerbe, plus ils voient ce système sombrer dans la paralysie et l’impuissance, plus la crise de leur psychologie se renforce d’une intense frustration, plus elle s’aggrave.
La crise de la psychologie est la seule voie pour écarter leur responsabilité de la crise, mais elle met en cause le système. Tant qu’ils n’auront pas accepté l’idée que le système représente le mal fondamental puisqu’il reflète le “déchaînement de la matière” qui est “la source de tous les maux”, la crise perdurera. D’un autre côté, lorsqu’ils en viendront à la vérité de la situation (le système comme “source de tous les maux”), sans doute, et même assurément, cela sonnera-t-il le glas de leur pays, – et, avec lui, de la modernité et de notre civilisation..
On a déjà vu un extrait important du passage de notre rubrique de defensa de ce numéro de dde.crisis, dans notre F&C du 1er novembre 2010. Il concerne le phénomène de Tea Party. Nous rappelons les principaux points de ce passage.
Le mouvement Tea Party représente parfaitement ce paradoxe, dont on a vu la description plus haut, d’une révolte au nom des “valeurs” de l’Amérique et de son système, qui met en cause le système de l’américanisme dont dépend l’Amérique et ses “valeurs”, et l’Amérique elle-même par conséquent. Minoritaire et incompréhensible politiquement, et caractérisé par le désordre le plus complet, Tea Party est par contre l’expression absolument majoritaire de la crise psychologique de l’Amérique.
Cette situation de “majorité psychologique” de Tea Party, avec l’absence d’orientation et de définition politiques comme principal caractère, et le désordre comme principal effet, permet à ce phénomène de rendre compte de la situation métaphysique de la crise américaine. Ainsi Tea Party n’a-t-il rien à voir, ni avec la politique, ni avec le populisme, ni avec quelque tendance politique que ce soit, et tout à voir avec le rôle d’éclaireur et de révélateur de la crise. De ce point de vue, il est un “moment” essentiel de la crise de l’américanisme, dont rien n’assure ni qu’il durera, ni qu’il disparaîtra.
«Tous ces caractères étranges de ce mouvement qui ne l’est pas moins, – à côté de toutes les manœuvres, de toutes les interprétations, “humaines, trop humaines”, – font de lui un événement de révélation métaphysique de la situation de l’Amérique. Quel est son avenir? Survivra-t-il à ces élections? Sera-t-il un objet de manipulation ou un objet manipulé lui-même? On verra... Mais qu’importent en vérité ces questions, alors qu’il suffit de comprendre qu’il a déjà réalisé ce pourquoi il s’est formé presque comme une génération spontanée. Il a servi à aligner le destin de l’Amérique sur le destin de la crise générale, donnant à cette crise générale tout son sens et toute sa puissance.»
Un aspect remarquable de la situation actuelle, qui touche particulièrement la situation américaine et la situation du système de l’américanisme, c’est la rapidité et le rythme des événements, précisément avec une accélération entre 2008 et 2010 (alors qu’on espérait, qu’on attendait au contraire un ralentissement de cette rapidité et de ce rythme, pour une reprise en main du contrôle des choses, avec l’arrivée d’Obama). Ces caractères empêchent toutes réactions de défense efficace du système contre une dynamique qui le met directement en cause. Le résultat de cette situation dynamique est de transformer une crise structurelle profonde (celle de l’Amérique) en une crise eschatologique. C’est un fait fondamental, et certainement inédit dans la phase actuelle pour une situation de cette importance puisque la crise de l’Amérique est perçue comme la crise d’une organisation humaine par définition et que la définition d’une crise eschatologique implique la perte de contrôle par les êtres humains avec l’introduction d’éléments incontrôlables par définition. (Pour rappel, la définition temporelle, qui nous va, du mot “eschatologie” par Roger Garaudy: «L’eschatologie ne consiste pas à dire: voilà où l’on va aboutir, mais à dire: demain peut être différent, c’est-à-dire: tout ne peut pas être réduit à ce qui existe aujourd’hui.»)
Cette transformation de la crise américaine, dans les conditions décrites, implique d’autre part un fait fondamental qui est un changement de substance. La substance de la crise étant passée du politique au psychologique, la forme de la crise étant passée dans le domaine eschatologique, les conditions de la crise révélant des situations métaphysiques, nous passons d’une situation historique à une situation métahistorique.
Plus que jamais, comme elle le fut pendant trois-quarts de siècle, l’Amérique est le centre du monde. Cette fois, elle l’est pour le pire, car elle représente à la fois le modèle, l’image et le moteur de la crise d’effondrement du système général. Elle nous permet de voir d’une façon presque quotidienne, selon une circonstance exceptionnelle de rétraction des grands phénomènes qui échappent habituellement à notre perception directe, la métahistoire de notre effondrement se faire sous nos yeux.
Bien entendu, il ne s’agit pas seulement de l’Amérique, même si l’Amérique est le centre de la chose. Il s’agit de l’effondrement de l’American Dream, qui est la cause symbolique et métaphysique essentielle de la crise de notre psychologie ; il s’agit aussi de l’effondrement de la modernité elle-même, qui fonde notre civilisation, qui est en réalité la “seconde civilisation occidentale” ou la “contre-civilisation” qui caractérise les derniers siècles passées de notre existence.
«La puissance de cette nouvelle situation qui nous fait parler d’une “situation métaphysique” fait que nous allons réellement voir l’Histoire, et même la métahistoire, se faire sous nos yeux, d’une façon presque quotidienne... Cela, bien entendu, pour ceux qui veulent bien faire l’effort de regarder vers le haut et de s’appuyer sur l’intuition haute. […]
«Dès l’origine, l’American Dream a tenu ce rôle de mystification fondamentale, comme une version douce, une variation hollywoodienne et moderniste du “serpent qui persiflait” qui emporta les psychologies du XVIIIème siècle vers la Révolution. L’enjeu du bouleversement des psychologies que les événements sont en train de provoquer est effectivement la destruction de l’American Dream... Pour reprendre cet exemple qui est dans tous les esprits, Tea Party constitue une convulsion des souffrances par lesquelles doivent passer nos psychologies pour progresser dans cette œuvre salvatrice de destruction. De là cette confusion, ce désordre des esprits, cette incompréhension angoissée de la chose, – parce que, effectivement, selon les normes de notre raisonnement habituel qui fut mis au plus bas possible par la modernité, l’événement est absolument incompréhensible... Enfin, l’on s’en doute, ce n’est qu’une étape. Mais que les choses vont vite, combien leur rythme est puissant et marqué !»
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