Notes sur la “guerre des ouragans”

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Notes sur la “guerre des ouragans”

21 septembre 2017 – Il ne fait aucun doute que l’excellent Tom Engelhardt n’est pas un ami de Trump ni des climatosceptiques. Cela fixé et sans qu’on se prononce en quelque manière sur la justesse ou la valeur de ces choix, il est indubitable que c’est un excellent analyste, menant avec pugnacité et dans l’honneur de la profession son site, TomDispatch.com, reconnu également pour la qualité de ses contributeurs. Michael Klare, chez Engelhardt, s’occupe essentiellement des questions d’énergie et toutes autres références proches, et notamment les questions climatiques. Professeur des questions de paix et de sécurité au Hampshire College et auteur de 14 livres, Klare est également un adversaire des thèses des eurosceptiques mais surtout un remarquable analyste des liens à établir entre les questions énergétiques et climatiques d’une part, la situation stratégique générale, et au-delà la situation crisique du Système d’autre part.

Le thème du dernier texte de Klare sur le site d’Engelhardt, en date du 18 septembre 2017, est consacré à une question que nous jugeons depuis longtemps particulièrement intéressante : le rôle joué par les forces armées US dans les interventions de secours d’urgence et de rétablissement de l’ordre dans le cas de catastrophes naturelles, et pour ce cas dans les circonstances qui ont suivi les ouragans Harvey et Irma. C’est un point important, notamment à la lumière de ce qui avait été une polémique de première dimension lors des opérations de secours suivant l’ouragan Katrina, en août-septembre 2005. C’est un point important plus précisément parce que cette intervention a été massive durant les deux événements climatiques Harvey et Irma qui se sont succédés.

L’intervention a impliqués les Gardes Nationales de plusieurs États et tous les services armés fédéraux (les trois forces, le Corps des Marines, les Garde-Côtes, etc.), tout cela avec des équipements considérables, y compris un avion de commandement et de contrôle AWACS et le porte-avions d’attaque USS Abraham-Lincoln transformé en porte-hélicoptères lourd et station navale de premier secours lors de l’ouragan Irma. En fait, la mobilisation et l’engagement opérationnel constituent à deux reprises, en mobilisation du personnel, des équipements et de la gestion, l’équivalent d’une intervention armée dans ce qu’on désigne comme une “petite guerre” (du type de l’opération Just Cause au Panama de décembre 1989-janvier 1990).

AWACS et porte-avions

Voici comment s’est déroulée cette “bataille contre les ouragans” selon le relevé minutieux qu’en a fait Michael Klare...

« When it came to emergency operations in Texas and Florida, the media understandably put its spotlight on moving tales of rescue efforts by ordinary folks.  As a result, the military’s role in these operations was easy to miss, but it took place on a massive scale.  Every branch of the armed services – the Army, Navy, Air Force, Marine Corps, and Coast Guard – deployed significant contingents to the Houston area, in some cases sending along the sort of specialized equipment normally used in major combat operations.  The combined response represented an extraordinary commitment of military assets to that desperate, massively flooded region: tens of thousands of National Guard and active-duty troops, thousands of Humvees and other military vehicles, hundreds of helicopters, dozens of cargo planes, and an assortment of naval vessels.  And just as operations in Texas began to wind down, the Pentagon commenced a similarly vast mobilization for Hurricane Irma.

» The military’s response to Harvey began with front-line troops: the National Guard, the U.S. Coast Guard, and units of the U.S. Northern Command (USNORTHCOM), the joint-service force responsible for homeland defense.  Texas Governor Greg Abbott mobilized the entire Texas National Guard, about 10,000 strong, and guard contingents were deployed from other states as well.  The Texas Guard came equipped with its own complement of helicopters, Humvees, and other all-terrain vehicles; the Coast Guard supplied 46 helicopters and dozens of shallow-water vessels, while USNORTHCOM provided 87 helicopters, four C-130 Hercules cargo aircraft, and 100 high-water vehicles.

» Still more aircraft were provided by the Air Force, including seven C-17 cargo planes and, in a highly unusual move, an E-3A Sentry airborne warning and control system, or AWACS.  This super-sophisticated aircraft was originally designed to oversee air combat operations in Europe in the event of an all-out war with the Soviet Union.  Instead, this particular AWACS conducted air traffic control and surveillance around Houston, gathering data on flooded areas, and providing “situational awareness” to military units involved in the relief operation.

» For its part, the Navy deployed two major surface vessels, the USS Kearsarge, an amphibious assault ship, and the USS Oak Hill, a dock landing ship. “These ships,” the Navy reported, “are capable of providing medical support, maritime civil affairs, maritime security, expeditionary logistic support, [and] medium and heavy lift air support.”  Accompanying them were several hundred Marines from the 26th Marine Expeditionary Unit based at Camp Lejeune, North Carolina, along with their amphibious assault vehicles and a dozen or so helicopters and MV-22 Osprey tilt-rotor aircraft.

» When Irma struck, the Pentagon ordered a similar mobilization of troops and equipment.  The Kearsarge and the Oak Hill, with their embarked Marines and helicopters, were redirected from Houston to waters off Puerto Rico and the Virgin Islands.  At the same time, the Navy dispatched a much larger flotilla, including the USS Abraham Lincoln (the aircraft carrier on which President George W. Bush had his infamous “mission accomplished” moment), the missile destroyer USS Farragut, the amphibious assault ship USS Iwo Jima, and the amphibious transport dock USS New York.  Instead of its usual complement of fighter jets, the Abraham Lincoln set sail from its base in Norfolk, Virginia, with heavy-lift helicopters; the Iwo Jima and New York also carried a range of helicopters for relief operations.  Another amphibious vessel, the USS Wasp, was already off the Virgin Islands, providing supplies and evacuating those in need of emergency medical care.

» This represents the sort of mobilization you would expect for a small war and is characteristic of how, in the past, the U.S. military has responded to major domestic disasters like hurricanes Katrina (2003) and Sandy (2012).  Such events were once rarities and so weren’t viewed as major impediments to the carrying out of the military’s “normal” function: fighting the nation’s foreign wars.  However, thanks to the way climate change is intensifying the weather, disasters of this magnitude are starting to occur more frequently and on an ever-larger scale.  As a result, the previously peripheral mission of disaster relief is threatening to become a primary one for an already overstretched Pentagon and, as top military officials are aware, the future only holds promise of far more of the same. Think of this as the new face of “war,” American-style. »

Lorsque l’exception devient la règle

Ce déploiement considérable de forces conduit nécessairement la réflexion à l’interrogation de savoir comment les USA vont pouvoir faire face à ces phénomènes catastrophiques naturels d’une fréquence et d’une puissance inédites si, comme cela sembler s’avérer être le cas, ils deviennent la norme dans la “saison des ouragans” annuelle. Du temps de Katrina, où la mobilisation avait été de ce type d’ampleur que décrit Michal Klare (intervention des forces, de la Garde Nationale, etc.), on avait évoqué le problème mais d’une façon théorique.

En effet, d’ores et déjà, en 2005, les moyens militaires mis en œuvre faisaient une redoutable concurrences aux forces engagées outre-mer dans diverses “guerres” extérieures du type et de l’abondance qu’on connaît qu’on connaît depuis l’attaque 9/11. Mais, avec Katrina, puis avec Sandy quelques années plus tard, l’esprit acceptait encore la facilité de penser qu’il s’agissait d’un accident exceptionnel, et nullement l’annonce d’une nouvelle climatologie. La situation actuelle, avec « Harvey, Irma, et Jose et les autres », semble suggérer que ce n’est pas (plus) le cas : si l’exception (Katrina et Sandy) devient la règle (« Harvey, Irma, et Jose et les autres »), se pose avec une force terrible, de l’ordre de celle de ces ouragans, la question des moyens à disposer quasiment en permanence. On a déjà eu deux catastrophes en l’espace de deux semaines et si, par exemple, la nouvelle tendance de l’ouragan Maria se confirme, – atteignant brusquement la “Catégorie 5” selon ce “processus d’aggravation reconnu comme ‘complètement inédit et imprévisible’” jusqu’ici par les spécialistes du genre, – il y en aurait eu trois en un mois.

La “question des moyens”, c’est tout simplement la question de savoir comment les USA, qui entendent donc se reposer pour l’essentiel de la gestion de ces catastrophes sur leurs forces armées, vont pouvoir s’y prendre alors que les moyens actuels suffisent à peine à tenir à bout de bras les divers conflits de basse intensité menés par cette puissance partout à travers le vaste monde. C’est-à-dire qu’au rythme où vont les choses et si les conditions climatologiques continuent à suivre la tendance nouvelle mais qui était envisagée comme possible depuis un certain temps, va se poser la question fondamentale du choix. Le Pentagone ne pourra pas poursuivre sa politique de présence expansionniste, ou d’“impuissance hégémonique” dans le monde comme nous la caractérisons, et mettre en place les dispositifs, orientations et processus nécessaires à la “guerre des ouragans” sur le territoire US (laquelle guerre peut et doit devenir plus largement la “guerre des catastrophes naturelles”).

Les esprits courts diraient qu’il suffit d’augmenter le budget pour augmenter les forces, mais la réalité bien plus complexe est que le gigantesque et gargantuesque budget du Pentagone nourrit un organisme qui a atteint et largement dépassé son pic d’incompétence et ne parvient plus désormais qu’à régresser dans le volume et l’organisation des forces, notamment grâce au fait paradoxal que l’augmentation de son budget accompagné de choix technologiques catastrophiques ne fait qu’aggraver cette tendance régressive de l’incompétence, du gaspillage, de la corruption plongés dans l’impasse du technologisme. De toutes les façons, il faudrait du temps, beaucoup de temps, pour augmenter les forces dans la mesure voulue, et l’on sait que les ouragans n’attendent plus désormais, – ce qui explique la remarque de Klare : « [...L]es forces armées et la nation au sens le plus large se trouvent face à une menace existentielle. »

La question du choix

Nous empruntons à nouveau un extrait du travail de Michael Klare pour illustrer cet aspect des choses, essentiel pour notre propre propos.

« ... In short, as the planet continues to heat up, the armed forces and the nation at large face an existential crisis.  On the one hand, President Trump and his generals, including Secretary of Defense Mattis, are once again fully focused on the increased use of military force (and the threat of more of the same) abroad. This includes not only the wars against the Taliban, ISIS, al-Qaeda, and their numerous spin-offs, but also preparations for possible military strikes on North Korea and perhaps even, at some future date, on Chinese installations in the South China Sea.

» As global warming intensifies, instability and chaos, including massive flows of refugees, will only grow, undoubtedly inviting yet more military interventions abroad.  Meanwhile, climate change will increase chaos and devastation at home and there, too, it seems that Washington will often see the military as America’s sole reliable response mechanism.  As a result, decisions will have to be made about ending American conflicts abroad and refocusing domestically or that overstretched military will simply swallow even more of the government’s dollars and gain yet more power in Washington.  And yet, whatever else the armed forces might (or might not) be capable of, they are not capable of defeating climate change, which, at its essence, is anything but a military problem. While there are potential solutions to it, those, too, are in no way military.

» Despite their reluctance to speak publicly about such environmental matters right now, top officials in the Pentagon are painfully aware of the problem at hand.  They know that global warming, as it progresses, will generate new challenges at home and abroad, potentially stretching their capabilities to the breaking point and leaving this country ever more exposed to the ravages of climate change without offering any solutions to the problem.  As a result, the generals face a fundamental choice.  They can continue to self-censor their sophisticated analysis of climate change and its likely effects, and so remain complicit with the administration’s headlong rush into national catastrophe, or they can speak out forcefully on its threat to homeland security, and the resulting need for a new, largely non-military strategic posture that puts climate action at the top of the nation’s priorities. »

1988 : Discriminate Deterrence

Il faut aussitôt observer que ces projections et ces spéculations de Michael Klare sur ce qu’Engelhardt nomme « The New Face of “War” at Home » s’inscrivent dans une réflexion déjà très ancienne en termes d’actualité stratégique et de fonction bureaucratique et opérationnelle. Il est intéressant d’explorer ce que nous savons précisément de cette antériorité, puis d’en examiner quels sont les effets, en termes opérationnels mais aussi conceptuels, politiques, et surtout sans aucun doute psychologiques.

(Bien entendu, si ces analyses sont de sources US c’est parce que la question des ouragans concerne particulièrement les USA et qu’elle est une occurrence régulière [annuelle] affectant une partie importante de ce pays. Il va de soi que le concept même de cette réflexion, – “la guerre contre les ouragans” étant un sous-concept du concept plus vaste qui pourrait être baptisé la “guerre contre les catastrophes naturelles”, – est valable pour toute la situation stratégique et concerne tous les éléments infrastructurels, et toutes les nations dépendant dans ce domaine des humeurs de la météorologie. C’est dire enfin si cette question concerne la situation stratégique globale, et pour le cas général qui nous intéresse la situation crisique globale. Simplement, les USA en sont évidemment le pilier principal et par conséquent l’indicateur le plus significatif, d’autant plus qu’avec eux seuls se pose la “question du choix” puisqu’ils sont la seule puissance à pratiquer à une échelle globale aussi systématique une politique militaire hégémonique tant passive [bases et installations] qu’active [divers conflits et ingérences].)

C’est en 1988 que le Pentagone réalisa un premier rapport stratégique majeur prenant en compte les “nouveaux types de menace”, et notamment les menaces issues de ce qu’on pouvait déjà désigner comme “la crise climatique” (laquelle est proche sinon lié au concept plus général de “crise de m’environnement”). A cette époque, la “crise climatique” était d’ores et déjà liée à ce qu’on nommait “l’effet de serre”, – cela quoi qu’il en soit des observations, polémiques, décisions, etc. développées depuis cette date. A cette époque par conséquent, nous nous étions intéressés, dans nos publications (*), à ce rapport nommé “Discriminate Deterrence”, qu’accompagnait un autre rapport, plus “technique”, rédigé sous la direction de Fred C. Iklé, du Pentagone également : Competitive Strategies. Nous avons publié des extraits de ces articles dans un texte en date du 5 mars 2004, où nous écrivions notamment :

« ... L’article est extrait du numéro 18, novembre 1988 de la revue et sa présentation résumée disait ceci : La stratégie est dans l'impasse. L'illusion dispersée, elle raisonne dans le vide. A côté, de nouveaux problèmes surgissent. Vite. La stratégie doit s'en aviser.”

» Ces deux textes examinent le nouveau contexte créé en 1988 par la publication du rapport Discriminate Deterrence, parrainé par le Pentagone. Le rapport (subdivisé en plusieurs sous-rapports) proposait une nouvelle approche de la question des menaces, au moment où la menace soviétique était en train de se réduire très rapidement.

» L’intérêt de ce rappel est que Discriminate Deterrence faisait une large place aux menaces de chaos et de troubles, découlant notamment de nouvelles situations de déstabilisation créées par la crise climatique consécutive à l’effet de serre, qui commençait alors à être considérée avec le plus grand sérieux... »

Depuis cette publication qui marquait pour le Pentagone la fin de la Guerre Froide et de la menace qui avait jusqu’alors accaparé tous ses besoins et ses ambitions, et la recherche d’autres menaces pour justifier son existence et son statut, furent lancées plusieurs alertes concernant les menaces stratégiques issues de la crise de l’environnement (catastrophes naturelles et tout ce qui s’ensuit, notamment les migrations massives), surtout à partir du début du siècle. On en trouvera l’écho dans divers textes sur ce site : nous mentionnons comme exemple le 9 février 2004 et le 22 février 2004, le 27 octobre 2006, le 11 août 2009, le 20 août 2010, etc.

La crise du Progrès

Dès l’abord, nous avions établi les grandes lignes de notre position devant une question qui allait devenir très polémique dans une de ses dimensions (l’action humaine sur les émissions de gaz CO2), mais qui s’inscrivait pour nous, prise d’une façon très générale, dans le contexte beaucoup plus large et universel, et indubitable celui-là, de la “crise de l’environnement”, ou “crise de la destruction du monde”. Notre position fut donc aussitôt qu’il s’agissait d’un élément fondamental dans notre attaque constante contre la “contre-civilisation” issue du “déchaînement de la Matière”.

(Les textes sur cette position abondent dans le site, en même temps qu’ils forment l’une des poutres-maîtresse du Tome-I de La Grâce de l’Histoire.)

Nous résumions cette position par exemple le 11 octobre 2007, à l’occasion de l’annonce de la formation d’African Command par le Pentagone. Certains jugeaient ce nouveau commandement comme lié aux entreprises hégémoniques US, d’autres aux questions et crise liées à la crise de l’environnement ; les deux approches pouvaient être acceptées, mais, pour nous, la crise de l’environnement dominait l’ensemble de toute sa puissance. Nous écrivions alors à ce propos :

« Résumons la situation par quelques points qui sont des constats et des supputations pour l’avenir, autant de voies et de voix de réflexion.

» • Prise dans son sens le plus large, d’une façon ou d’une autre, quels que soient les arguments contournés autour des responsabilités directes, la crise climatique [crise de l’environnement] est la crise du Progrès, ou la crise de la civilisation occidentale. Il y a une collision évidente entre [d’une part] nos besoins exponentiellement et artificiellement suscités par les exigences de notre production globalisée (notre « économie de force » [selon le mot de Robert Aron et Arnaud Dandieu en 1931], otage du machinisme et de la technologie) ; et [d’autre part] l’exploitation de ressources finies par définition et à un moment ou l’autre, et de plus en plus rapidement. La crise climatique dans son sens le plus large, y compris le saccage de l’environnement qui pèse autant sur nos corps que sur nos psychologies, que sur notre équilibre spirituel, cette crise est le produit indiscutable de notre modernité, par toutes les voies possibles. Ce “dégât collatéral” du Progrès est en train de prendre le devant de la scène.

» • Le principal artisan de la chose, c’est l’américanisme en tant qu’avancée extrême de la modernité, – dont nous (Européens) sommes partie prenante malgré des aspects subversifs en plus propres à l’aventure américaniste, qui distinguent les USA. (Nous sommes à la fois moins et plus coupables que les USA, — moins parce que c’est l’évidence de notre psychologie et de notre esthétique et que nous avons une vision critique plus ou moins forte de l’américanisme et de sa folie ; plus parce que cette vision critique montre que nous nous doutons de quelque chose et que nous n’avons rien fait.)

» • Ce sont donc ces mêmes américanistes qui sonnent l’alarme des “guerres de survie” à naître de la crise climatique, dont ils portent in fine la responsabilité. Ils confondent déjà cette alarme avec celle qu’ils ont sonnée le 11 septembre 2001, à la suite d’une attaque aux modalités bien incertaines, de toutes les façons née par ses racines diverses dans les tréfonds d’une politique impérialiste ayant connu plusieurs versions successives mais en action d’une façon continue depuis 1847 (l’invasion du Mexique et la proclamation de “The Manifest Destiny”). »

Le Pentagone y croit

Les observations et la description que donne Michael Klare de l’engagement militaire US dans la “guerre contre les ouragans” ne relèvent pas de la querelle sur le réchauffement climatique dont nous avons déjà dit et répété le peu d’intérêt qu’elle présentait pour notre propos en général. Elles relèvent de l’orientation, du fonctionnement, des capacités et des priorités stratégiques du Pentagone, notamment dans ce cadre stratégique nouveau des guerres postmodernes qui constituent l’opérationnalisation de la politiqueSystème et des menaces et tensions crisiques d’une nouvelle forme que nous rencontrons. Nous irions même jusqu’à envisager l’hypothèse que cette sorte de “conflit” est le seul type de possibilité évolutive, – mis à part l’accident décisif d’une défaite militaire, même partielle mais à très fort écho de communication, –  capable de desserrer l’étau bureaucratique, systémique, technologique et de communication, qui enchaîne les USA aux guerres extérieures de la politiqueSystème.

Ce que nous dit Klare également (et Engelhardt), et que nous avons pu constater depuis au moins un quart de siècle, c’est que les chefs militaires US “croient” à la crise climatique. Là aussi, qu’on doute ou non de cette position, qu’on y voit une manœuvre ou une analyse sérieuse, tout cela n’a aucune importance pour notre propos. Ce qui compte, c’est que le Pentagone planifie effectivement ces événements et cette crise, et qu’il n’aurait, qu’il n’a aucune hésitation à s’y impliquer d’une manière massive. Le résultat est alors effectivement que les USA, par rapport à leurs moyens disponibles qui constituent le maximum de leurs capacités au rythme actuel, sont engagés sur la voie d’un choix délicat qui déterminera leur stratégie et leur politique de sécurité nationale, – à moins certes, que d’ici là les ouragans s’arrêtent et se transforment en une aimable brise.

… Mais bon gré mal gré, ce n’est pas la tendance, et les ouragans énormes de cette année existent bien, ainsi que le déploiement des forces armées US. Cela fait partie d’un “climat”, – autre crise climatique, – de la psychologie collective. Que la polémique déjà citée se poursuive ou non, l’idée inconsciente de la crise climatique et environnementale s’est installée dans les psychologies et transforment toutes les catastrophes naturelles en avatars de cette crise, rendant les cas encore plus politiques, et poussant encore plus les militaires à s’y impliquer parce qu’ainsi ils rencontrent un courant populaire et de communication qui les soutient et assure leur influence et leur position budgétaire.

Cette idée et ces observations sont présentes pour notre compte depuis longtemps. Ainsi écrivions-nous le 20 août 2010 : « Au contraire […] de plus en plus de catastrophes climatiques, et bientôt toutes les catastrophes climatiques vont être portées “au crédit” de la crise climatique. Qu'effectivement la chose soit justifiée ou non, notre raison humaine peut jacasser là-dessus ; d’une façon générale et irrésistible qui nous importe, cette même chose rend compte d’une réalité, qui est l’échec catastrophique du [Système] responsable de l’attaque générale contre l’équilibre du monde (crise environnementale et de pollution générale dans son sens le plus large), de ce système engendré par cette même raison humaine subvertie par le “déchaînement de la matière” depuis deux siècles. De plus en plus le corollaire de la perception de chaque catastrophe climatique liée à la crise aura une dimension eschatologique et renverra à ce constat de l’échec également eschatologique du [Système].

» C’est dire que la crise climatique [insérée absolument dans le contexte de la gigantesque crise de l’environnement] est un biais formidable, irrésistible et vertueux pour la mise en cause décisive du Système, et non pas selon des arguments rationnels, mais selon une symbolique sur-rationnelle liée à la dimension métaphysique nécessairement incluse dans l’acte monstrueux de la destruction du monde. Cela nous importe bien plus que toutes les polémiques du monde et le degré de responsabilité d'un sapiens si attentif à sa vertu. Nous espérons qu’on comprendra que l’évidence de cette position n’a pas besoin d’une démonstration rationnelle. »

Il importe de se détacher d’une part de l’horreur et de l’angoisse des événements catastrophiques, d’autre part de l’intérêt futile et accessoire de démontrer la réalité de telle ou telle thèse (disons pour faire court, “entre climatosceptiques et climatocrisiques”). Tout cela existe, et jusqu’à la polémique qu’on sait, mais n’interdit en aucune façon au contraire, l’ampleur de la pensée et la réflexion fondamentale pour ce qui concerne le Système. Il apparaît évident que sa responsabilité (celle du Système) est écrasante dans tous les cas, dans tous les événements fondamentaux, dans tout ce que ces événements ont d’imprévu et d’involontairement favorisé, dans la façon qu’ils ont de correspondre parfaitement à la perception et les enseignements tout autant qu’il importe d’en tirer. Pour nous, quels que soient la cause et l’ampleur de la cris climatique, quoi qu’il en soit de la “crise climatique” que nous préférons désigner comme la “crise environnementale”, il s’agit d’abord d’un redoutable outil psychologique puis dialectique pour mettre le Système en accusation. C’est l’essentiel.

 

Note

(*) La Lettre d’Analyse de defensa et la revue Eurostratégie, plus tard fusionnées en de defensa & eurostratégie, ou dd&e, avant le nouveau titre dde.crisis puis la complète intégration de ces publications-papier dans le site dedefensa.org.