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1479La chose, la décision d’Obama d’abandon du BMDE, date de quelques jours. On peut sans hésitation la qualifier d’événement de grande politique – ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit d’un événement signalant, dans sa complète réalisation et dans ses effets, “une” grande politique (celle des USA en l’occurrence). Cela, justement, est une partie fort importante du débat.
Techniquement et opérationnellement, l’événement est ouvert aux interprétations. On en dira un mot, essentiellement pour situer l’importance de ce débat spécifique, qui est assez basse. Politiquement, l’événement considéré d’un point de vue objectif est d’une considérable importance. Il reste à être autopsié, interprété, voire même simplement identifié pour mieux envisager ses effets.
Finalement, il s’agit de la première grande décision de politique extérieure et de sécurité nationale d’Obama et de son gouvernement. Mais les caractères de cette “grande décision” sont mélangés; sa grandeur réelle est contrecarrée par sa pusillanimité d’exécution. Une grande décision peut s’avérer pour celui qui l’a prise une occasion insuffisamment exploitée, et, au bout du compte, ratée – dans ce cas, du point de vue US, ou plutôt du point de vue d’Obama.
Par conséquent, une grande décision parfaitement à l’image de nos temps eschatologiques et maistriens. Elle est prise par un parti d’un débat ou d’une crise en cours et, aussitôt prise, vit de sa propre vie, pour sortir des conséquences qui s’analysent d’une façon autonome, dont certaines, et pas des moindres, peuvent n’avoir aucun rapport avec celui qui l’a prise, avec sa politique. Mieux encore, pour la correspondance entre la décision et les temps où elle est prise, on peut admettre que la décision a été “forcée” par la pression des grands courants dynamiques en cours.
Comme toutes les “grandes décisions” dans cette époque qui en manque singulièrement à cause de l’absence de capacités de décision des directions politiques, elle est singulièrement libératrice. Elle porte sur une situation caractérisée par le virtualisme, l’approche faussaire, la présentation dissimulatrice; encore plus que l’objet sur lequel elle porte, elle libère l’esprit, pour le cas, de toutes ces chaînes. Ce qui sera fait de cette liberté nouvelle est une autre affaire, qui nous conduit dans le domaine de conjecture hypothétique.
Ce sont tous ces thèmes qu’on trouvera, croisés ou confrontés, isolés ou intégrés, dans cette note d’analyse.
@PAYANT “Arrière-plan”, certes, et nullement chronologie ou histoire minutieuse de ce qui conduisit à ce système notamment baptisé, entre autres acronymes, Ballistic Missile Defense in Europe (BMDE), avant d’être remplacé par un autre. Nous l’avons retenu parce qu’il nous importe pas d’être mené par la sémantique acronymique du Pentagone, et que BMDE faisait l’affaire.
A l’arrivée, le BMDE était concrètement composé d’une base terrestre fixe comprenant dix batteries anti-missiles en Pologne et d’une station de repérage et de guidage radar en Tchéquie. C’est cela qui est liquidé. Les traités signés avec la Pologne (14 août 2008) et la Tchéquie (février 2009) sont caducs.
Au départ, le BMDE, branche annexe du système global US Ballistic Missile Defense (en fait, troisième emplacement du système global BMD), est, dans sa phase de réactivation du début de l’administration GW Bush, le résultat d’un effort de lobbying privé réunissant des forces du complexe militaro-industriel (CMI), des groupes idéologiques et de relations publiques. On trouve aussi bien Lockheed Martin, Boeing et Raytheon que des groupes néo-conservateurs et diverses autres personnalités des mêmes milieux “durs” de la sécurité nationale. Le plus actif de ceux-ci, et d’ailleurs l’une des personnalités neocon les plus extrémistes, est Frank Gaffney (fondateur du Center of Public Policy), propagandiste infatigable des anti-missiles, à partir d’un effort d’influence collectif dans les années 1990 où l’on retrouve les “usual suspects” (Rumsfeld, les néo-conservateurs, une brochette de généraux à la retraite, les rescapés de la SDI de Reagan, etc.) Plus tard, le groupe lobbyiste initial sera renforcé par une branche moins idéologique, tel la Missile Defense Adocacy Alliance, de Riki Ellison, ex-star du football américain.
Nous situerions l’origine de l’offensive pour le BMDE à un voyage, au printemps 2002, de Paul Wolfowitz, n°2 du Pentagone, et de John Bolton en Europe pour sonder les Européens pour l’installation du BMDE. Le caractère extraordinaire de cette mission était que, si Wolfowitz était accrédité, Bolton, qui dirigeait les services de désarmement au département d’Etat, ne l’était pas explicitement (les anti-missiles n’étaient pas vraiment de sa compétence), et qu’il effectuait le périple, si l’on veut, “à titre privé”. D’ailleurs, l’équipe comprenait l’un ou l’autre neocon de l’expertise indépendante, dont, dit-on, Gaffney, qui n’avait aucun mandat officiel. D’ores et déjà se confirme le caractère extraordinaire du programme, semi-officiel, semi-privé, et cela donne une image instructive du charmant désordre qui régna dans l’administration Bush, du temps de l’influence prépondérante des néoconservateurs…
De même, l’argument stratégique est extraordinairement ambigu. C’est déjà la menace iranienne qui était présentée comme argument, ne reposant essentiellement que sur des évaluations privées, notamment du Centre de Gaffney. Aucun contact ne fut pris avec des organisations type-OTAN, qui n’étaient pas en théorie concernées. A côté de cela, et sous l’impulsion très ferme de lobbyistes du CMI très orientés sur l’Europe de l’Est, comme Bruce K. Jackson (ancien du G-2 [renseignement U.S. Army] et vice-président de Lockheed Martin [LM] jusqu’en 2001, détaché ensuite pour ses activités de lobbying idéologico-industriel pour LM, notamment pour vendre des F-16 à la Pologne), la recherche de participants au BMD devenant BMDE portait sur les pays d’Europe de l’Est, nouveaux piliers de l’OTAN, notamment la Pologne, selon une logique anti-russe marquée.
Il y a donc deux arguments:
• Le BMDE est destiné à contrer la menace iranienne contre l’Europe. C’est l’argument officiel, la narrative unique de la communication officieuse-officielle puis officielle tout court.
• Son déploiement, spécifiquement en Europe de l’Est, doit servir de garantie US très ferme face à la Russie, et même devenir un moyen de pression contre la Russie. Le BMDE est d’abord et essentiellement destiné à l’Europe de l’Est. C’est un argument non-dit, banni de la communication officielle. Il fut pourtant omniprésent, à un point que Washington ne s’intéressa même pas à une proposition de l’inévitable Tony Blair, pour baser quelque chose du BMDE au Royaume-Uni.
Le problème de la confrontation de ces deux arguments, courant dans cette époque de manipulation de l’information selon les exigences de la communication, aboutit à une situation de virtualisme qu’on peut désormais qualifier de “classique”. Les arguments sont tordus, renversés, inversés, saucissonnés selon les nécessités de la narrative réclamée. Ainsi le BMDE s’installe-t-il dès l’origine comme un artefact stratégique, relevant plus de la communication, de la distorsion idéologique de relations publiques. L’artefact stratégique n’est “stratégique” que de nom; bien que présenté continuellement comme lié à la situation iranienne, il n’acquerra d’importance qu’en fonction de la situation russe. Le BMDE flotte dans un éther incertain.
Dans les années 2006-2007, les plans d’installation du BMDE lancés officiellement en 2004 avec la Pologne et la Tchéquie provoquèrent une crise majeure qui fit craindre une deuxième version de la crise des euromissiles de 1977-1987. Les Russes parlèrent de révoquer le traité FNI entre l’URSS et les USA de décembre 1987, qui tient la sécurité européenne dans une entente de type condominium, dont les Européens sont curieusement absents. L’OTAN fut convoquée pour soutenir le BMDE, ce qu’elle fit évidemment sans coup férir. Bien entendu, la crise du BMDE était intimement liée jusqu’à ne faire qu’une à la crise des projets d’élargissement de l’OTAN vers la Géorgie et l’Ukraine, qui suivaient les diverses “révolutions de couleur”. Tout cela fait partie du même “package”, comme on dit dans les milieux bureaucratiques et industriels.
Pendant cette période de crise, la tension fut grande en Europe. Néanmoins, elle côtoyait d’autres rapports assez normaux, notamment entre certains pays d’Europe (Allemagne, France, Italie) et la Russie, qui donnaient à cette crise et à cette tension un étrange aspect d’irréalité; les seules réalités étaient l’action des réseaux d’influence US et l’excitation anti-russe continuelle des directions d’Europe de l’Est contrôlées par ces réseaux. Pour faire un peu sérieux, les éditoriaux de la presse londonienne, experts en la matière, parlaient avec une frayeur calculée d’une “nouvelle Guerre froide”. On a les arguments qu’on peut et le stéréotype a l’avantage d’éviter la fatigue cérébrale si dommageable aux esprits qui ont tant sacrifié aux vertus moralistes.
La crise géorgienne (août 2008) fut révélatrice de l’artificialité de la situation en immergeant soudain la situation dans la réalité d’un affrontement militaire. Les USA exposèrent leur impuissance. Ils ne firent rien, du point de vue pratique, pour renforcer militairement la Géorgie attaquée, bien que ce pays avec sa politique de “la souris qui rugissait” fut leur création, du simple soldat de l’armée au président Saakachvili. L’OTAN ne fit rien non plus, à l’image de son inspirateur de Washington. L’Occident, dans sa partie belliciste et interventionniste, assista, impuissante, à la chose, et écrivit ses éditoriaux londoniens.
La crise démontra que toute la rhétorique belliqueuse de l’Ouest à l’encontre de la Russie, notamment par les divers réseaux décrits ci-dessus et relayés par des directions est-européennes largement contrôlées, affirmait une puissance qui n’avait aucune réalité. Dans ce contexte, le BMDE perdit son pouvoir de polarisation d’affrontement pour gagner un statut d’anomalie stratégique à la fois dangereuse et grotesque qui, en fait, lui restituait sa véritable nature. Dans l’entre temps, la signature de l’accord Pologne-USA sur la base anti-missiles, le 14 août 2008, présentée comme une “riposte” (!) à la crise géorgienne, avait achevé d’inscrire le MBDE dans la crise européenne alors que sa destination officielle restait de contrer l’épouvantable “menace” iranienne.
Le 9 juillet 2009, le Lieutenant General Patrick O'Reilly, de l’U.S. Army, chef de la Missile Defense Agency du Pentagone dont dépend le BMDE, rencontrait Reuters en marge du sommet Medevedev-Obama de Moscou et faisait diverses déclarations. L’une d’elles portait sur l’évaluation de la “menace” iranienne. «O'Reilly said it would take up to five years for a missile field to be built in Poland and 4-1/2 years for the radar in the Czech Republic. These timelines are important because U.S. intelligence estimates Iran may be able to fire a long-range missile possibly tipped with a chemical, biological or nuclear warhead by 2015 or so.» (A noter, comme on le voit par ailleurs, qu’aujourd’hui Gates situe à 2017 la mise en service effective du BMDE défunt.)
Deux mois plus tard, lorsqu’Obama puis Gates annoncent l’abandon du BMDE dans sa forme “dure” initiale (bases en Pologne et Tchéquie), l’idée de “long-range missile” (équivalent par certains aspects d'un ICBM) a disparu au profit de missiles à courte et moyenne portées, toujours selon les évaluations des services de renseignement. Ce remarquable changement d’évaluation justifia ce qu’on nomma “a strategic shift”. Au reste, on voit, ce même 21 septembre 2009 ce qu’il faut penser de ces évaluations, selon l’aveu même de Robert Gates qui ne manque pas de candeur («Having spent most of my career at the C.I.A., I am all too familiar with the pitfalls of over-reliance on intelligence assessments that can become outdated»). On n’oubliera pas cette phrase avant longtemps, pour ceux qui ont la mémoire fine, lorsqu’un spectre nouveau d’une menace apocalyptique surgira.
Bien, l’assessment du renseignement a fait l’affaire et a justifié la décision, camouflant la signification politique de l’événement sous le mot sonnant et trébuchant à l’oreille des experts de “réajustement” (de la défense anti-missiles). L’argument est imparable et a emporté l’adhésion générale de ceux qui n’attendaient que cette occasion pour pousser un “ouf” de soulagement (surtout en Europe, cela); il a facilité la tâche des “experts assermentés” de Washington dont la tâche est de justifier rationnellement toutes les décisions de la direction politique.
Il y a des ambitions, sans aucun doute, dans le chef de Barack Obama, pour l’une ou l’autre “grande” politique, et certainement pour une “grande politique russe”. On a déjà avancé l’idée, et on la développe encore plus par ailleurs, toujours ce même 21 septembre 2009, que cette ambition se heurte à une erreur fondamentale qui est la “militarisation” du dossier BMDE dans son règlement; l’orientation vers l’argument faussaire sur le fond d’une réaction défensive face à l’Iran; la réduction de la chose à son aspect “technique”, donc la réduction à mesure de cette soi-disant “grande politique russe”. Encore faut-il comprendre la cause de cette démarche.
Obama a commis une faute qui compromet décisivement ce qui aurait pu être un superbe succès de politique extérieure, mais “toute la faute” de sa faute n’est pas de sa responsabilité. Au-delà de l’ambition de l’une ou l’autre “grande” politique, il y a, pesant sur Obama, le poids des nécessités intérieures. La situation intérieure, aujourd’hui aux USA, d’une façon extraordinairement subreptice mais de plus en plus appuyée, de crise en crise, voire de polémique en polémique, et l’une s’ajoutant à la précédente au lieu de la remplacer, est en train de se transformer en un étrange désordre postmoderne, à la non moins étrange capacité paralysante. La politique extérieure en subit les conséquence; Hillary Clinton devient quasiment invisible; Joseph Biden a été prié de mettre sa “big mouth” au service de la cause des soins de santé. Tout cela repose sur l’effondrement de la perception de la puissance US, depuis l’Irak et la crise du 15 septembre 2008. C’est cette situation que nous désignons comme la faiblesse US, et la cause principale, de la part d’Obama, de son comportement à rechercher un arrangement avec la Russie.
Il y a, bien sûr, d’autres raisons dans la démarche d’Obama vis-à-vis de la Russie, et sur le point même de l’abandon du BMDE. Toute cause d’une démarche semblable est sans aucun doute multiple. Il y a la recherche d’un accord START-II, ce qui fait partie des ambitions nucléaires d’Obama. Il y a également la question iranienne, où Obama voudrait le soutien des Russes, et, surtout, l’Afghanistan, pour lequel les USA ont un accord essentiel de transit pour leurs forces en Russie. D’ailleurs, certaines de ces autres causes probables, et particulièrement l’Afghanistan, relèvent de la faiblesse US dont nous parlons, directement ou indirectement. Tout cela se rassemble dans une faiblesse générale du pouvoir US, qui se caractérise d’autre part par sa position défensive devant cette agitation intérieure constante, cette sorte d’agitation paralysée où est contraint le gouvernement, l’extraordinaire difficulté d’un président appuyé sur une solide majorité de faire avancer son “agenda”. C’est cela, la faiblesse US qui s’est extraordinairement accentuée depuis la crise financière du 15 septembre 2008 – et nous parlons plus, finalement, de la faiblesse du pouvoir US dans son sens structurel que de la faiblesse intrinsèque de la position d’Obama.
Il faut peser l’importance de cette situation. Elles sont rarissimes, voire inexistantes, les occasions où l’on put dire que la “grande politique” US (les relations avec la Russie, puissance nucléaire, en font partie), et cela hors des conflits guerriers qui ont un effet direct sur la population (Vietnam), fut affectée par la situation intérieure d’une façon si incontrôlée, d’une façon subie. C’était une des grandes vertus de la puissance US – hors des conflits polémiques, répétons-le – que sa grande politique de sécurité nationale fût conduite imperturbablement, sans relation avec la situation intérieure de la Grande République. Nous pensons que, dans cette affaire du BMDE mis dans le cadre des relations avec la Russie, le cas exceptionnel a effectivement joué à plein… Plus de complications avec la Russie, estime le président Obama, parce que les USA n’ont plus les moyens, la volonté, la stabilité interne, pour se fourvoyer dans, ou laisser perdurer une situation de tension avec les risques qui vont avec, avec une puissance nucléaire comme la Russie.
Si elle joue bien le jeu qui s’ouvre à elle, la Russie pourrait tenir un rôle prépondérant dans une dynamique de rangement de la sécurité européenne qui s’impose désormais, avec la fin de l’abcès de fixation paralysant que fut le BMDE. Ils devraient y être préparés, depuis la proposition Medvedev de la fin du printemps 2008.
Les USA ne seront pas un partenaire difficile parce que, encore une fois, ce qu’a montré cette affaire et la façon dont Obama l’a traitée, c’est le peu d’intérêt que les USA portent à la situation européenne per se. Les USA sont, comme d’habitude, murés dans leurs obsessions, notamment l’Afghanistan et leurs tropisme moyen-oriental, et, d’une façon exceptionnelle, entravés très gravement par cette situation intérieure (aux USA même) de plus en plus incontrôlable, avec, comme toile de fond, une puissance militaire en constante dégradation. Même l’OTAN, avec un secrétaire général qui serait tenté par un jeu personnel, pourrait faciliter les choses avec la Russie, tandis que l’Europe de l’Est anti-russes devraient très vite s’adapter à la nouvelle situation – si ce n’est déjà fait.
Est-ce la chance des Européens? Les Européens ne méritent aucune chance, si l’on se réfère à leur politique et à ce qu’elle dit de leur bassesse de pensée et de leur indignité. D’ailleurs, ne parlons pas “des Européens”, cette chose n’existe pas. Par contre, oui, les événements risquent de s’imposer à l’Europe, concernant l’arrangement de sa sécurité, en l’y impliquant par la force des choses. Dans ce cas, l’opportunisme exacerbé et l’activisme d’un Sarkozy pourraient jouer son rôle; d’autant que Sarko, dont on dit qu’il a des projets explosifs de coopération avec les Russes, ne devrait pas rater un coup pareil.
L’affaire de la mort du BMDE s’inscrit dans un mouvement général de réarrangement du monde après les folies bushistes/blairistes de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”. Curieusement, ou bien au contraire d’une façon très révélatrice quant à l’état de décrépitude de l’“empire”, les USA ne se mettent pas précisément en position d’en profiter. Ils sont harassés, épuisés par leurs innombrables revers enfantés par une politique caractérisée par la vanité, l’arrogance et l’ignorance – autre façon de décrire “la politique de l’idéologie et de l’instinct”.
L’enjeu principal de l’Europe post-BMDE, c’est celui de la forme de relations entre les principales forces du continent. Le BMDE, avec ce qui l’accompagnait (“révolutions de couleur” et extension de l’OTAN), avaient imposé à une Europe qui croyait avoir trouvé la recette du “monde meilleur” (l’UE et sa “bonne gouvernance”) une tension totalement artificielle, évidemment d’autant plus déstabilisante. Personne, parmi les Européens, y compris les “bons gouvernants”, n’avaient osé le remarquer, parce que la fascination et l’allégeance pour les USA brouillent la vue et interdisent à l’intelligence une certaine sagesse, sans parler de la liberté de l’esprit. L’Europe type-“bonne gouvernance”, pour ne pas impliquer les USA, en avait déduit que les Russes étaient les coupables. Aujourd’hui, la mort du BMDE déstructure ce schéma né lui-même d’une déstabilisation. Sont ainsi discrédités, à la fois l’activisme de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” circa-Bush et la “bonne gouvernance” type-UE qui n’a rien fait contre cette déstabilisation-là.
Reste donc un retour à un schéma classique de relations internationales impliquant les nations capables d’avoir une politique, mais selon une conception apaisée, débarrassée de l’activisme idéologique et du dogmatisme de la “bonne gouvenance”, tous deux discrédités dans l’affaire. Ce mouvement fait partie d’un plus vaste ensemble de réarrangement en cours, déclenché par les chocs successifs de la crise géorgienne et de l’effondrement du 15 septembre 2008. (On pourrait aussi bien placer dans ce mouvement, par exemple, l’émergence du BRIC ou l’affirmation de l’Organisation de Coopération de Shanghaï.)
Tout cela pourrait sonner optimiste, mais ce ne l’est pas du tout sur le fond. C’est évidemment un pas dans la marche vers un rangement, voire un certain apaisement des relations internationales, mais par effet relatif qui réduit l’acquis, par rapport au chaos des politiques depuis 9/11, imposées par une vision pathologique du monde dont on sait où se trouve la responsabilité. Ce n’est en aucun cas l’amorce d’une ère de paix du monde et de prospérité des sociétés. C’est un réarrangement des relations vers la réalité des choses, alors que nous entrons au cœur des crises systémiques et de la crise eschatologique du système occidentaliste. Il s’agit d’une contribution non négligeable du passage de l’accessoire, qui est cette sorte de composé chaotiques des ambitions grotesques des stratèges hollywoodiens de Washington, à l’essentiel – l’affrontement des conditions et des effets de la crise de civilisation de l’Occident qui entre dans sa phase active.