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1318Dans une grosse décade, autour du 5 mars, le président Obama reçoit son “ami”, le Premier ministre Benjamin Bibi Netanyahou. Il s’agit d’une nouvelle passe d’armes entre les deux amis, unis dans leur opposition à l’Iran par une querelle épouvantable et quasiment sanglante.
Il y a déjà eu plusieurs épisodes remarquables dans la séquence actuelle (depuis décembre 2011, que la “crise iranienne” a commencé à se transformer en crise haute”). Celui-ci est particulièrement gratiné et s’est concrétisé autour du jugement de Netanyahou, “fuité” vers Haaretz, que le général Dempsey, président du comité des chefs d’état-major US, est un “serviteur de l’Iran” (ou “un valet de l’Iran”).
(Le terrain était bien préparé par l’échec de la nième mission US pour tenter de modérer Netanyahou, par le directeur du NSC et conseiller d’Obama pour la sécurité nationale Tom Donilon, en visite en Israël. Selon DEBKAFGiles du 20 février 2012 : «White House National Security Adviser Tom Donilon faced an acrimonious Prime Minister Binyamin Netanyahu in two hours of stormy conversation in Jerusalem Sunday, Feb. 19, according to updates reaching senior US sources in Washington.»)
Cette attaque contre Dempsey est bien plus qu’un fait symbolique ou périphérique dans ce nouvel épisode de la querelle USA-Israël. Il a une dimension opérationnelle précise et renvoie à un aspect fondamental du problème du nucléaire iranien.
Apprécions, à l’avantage de la diffusion et de l’influence du site russe, que c’est par la reprise de l’information d’Haaretz par Russia Today, le 21 février 2012, que la nouvelle s’est le mieux diffusée, y compris aux USA…
«US Joint Chiefs of Staff Chairman General Martin Dempsey made news over this week by calling an Israeli-led attack on Iran foolish if attempted anytime soon. […] Gen. Dempsey denounced a strike on Iran in the near future as “destabilizing” and “not prudent” over the weekend while speaking to CNN in regards to America and Israel’s effort to prevent Tehran from developing a nuclear warhead. Israel Prime Minister Binyamin Netanyahu has now addressed that statement himself, calling into question the US official’s intentions.
»Netanyahu is now suggesting that the US is adopting policies that will favor Iran, and not their historical ally: Israel. Israeli newspaper Haaretz (“The Land”) is reporting that PM Netanyahu had harsh words for the JCOS commander, saying that his on-the-record comments over postponing any strike are remarks that “served the Iranians.” […] “The Iranians see there’s controversy between the United States and Israel, and that the Americans object to a military act. That reduces the pressure on them,” a senior Israeli official adds to the paper.»
Nous serions de l’avis que la phrase de Dempsey, lors de son interview à CNN, qui a le plus irrité Netanyahou et provoqué son jugement de “serviteur de l’Iran” (“valet de l’Iran”), est celle où le président du JCS qualifie l’Iran d’“acteur rationnel” («…[W]e are of the opinion that the Iranian regime is a rational actor. And it’s for that reason, I think, that we think the current path we’re on is the most prudent path at this point»).
Qualifier l’Iran de “rationnel”, c’est réduire en charpie le fond même de l’argumentation de Netanyahou et de sa faction, qui est de présenter l’Iran comme une puissance irresponsable qui fabrique une arme nucléaire pour s’en servir pour anéantir Israël, et que c’est même cette volonté folle et maléfique d'anéantissement d'Israël qui est la cause essentielle de la fabrication de la bombe iranienne. Cette argumentation, où la part de l’émotionnel est considérable, est une sorte de théorie de l’“Holocauste-II”.
Cette irrationalité de l’Iran comme argument péremptoire ressort d’une vision manichéenne, maniaque et donc exaltée, du Premier ministre israélien. Netanyahou évolue, dans cette affaire, selon une tactique retorse mais, d’abord, fondamentalement, selon une “stratégie” qui est le fruit d’une vision manichéenne d’essence religieuse. La propension est alors irrésistible pour lui, selon cette logique, d’appliquer le même comportement, dans le sens négatif, à son adversaire… Cela ne garantit plus pour autant le succès, car la foi, aujourd’hui, dans ce cas de Netanyahou, ne semble plus suffire plus à soulever les montagnes.
Mais il faut aller plus loin, avec audace, car l’audace paie (voir Danton)… Ce jugement d’un chef US (Dempsey)sur les Iraniens “rationnels” est d’autant plus important qu’il n’est pas nouveau. Le précédent à cet égard est effrayant pour Netanyahou parce qu’il ouvre une logique qui conduit à la conclusion qu’après tout, on peut bien “vivre avec un Iran nucléaire”… Cela fut déjà dit.
En septembre 2007, le général Abizaid, à la retraite après quatre ans de commandement à Central Command jusque début 2007, donna une conférence. Il y affirma que les dirigeants iraniens n’étaient pas “irrationnels” pour l’essentiel, et que, en fonction de ce constat, on pourrait s’arranger d’un Iran nucléaire puisque la logique de la dissuasion nucléaire jouerait son rôle. (Voir le 19 septembre 2007 et le 20 septembre 2007.) :
«Every effort should be made to stop Iran from obtaining nuclear weapons, but failing that, the world could live with a nuclear-armed regime in Tehran, a recently retired commander of U.S. forces in the Middle East said Monday.
»John Abizaid, the retired Army general who headed Central Command for nearly four years, said he was confident that if Iran gained nuclear arms, the United States could deter it from using them. “Iran is not a suicide nation,” he said. “I mean, they may have some people in charge that don't appear to be rational, but I doubt that the Iranians intend to attack us with a nuclear weapon.”»
Abizaid était de l’U.S. Army, comme Dempsey, et tous deux en service dans la zone comprenant l’Irak et l’Iran pendant la guerre en Irak. On comprend aisément que ce jugement sur l’“Iran rationnel” est une analyse générale de ce service (l’U.S. Army) et, sans doute, du Pentagone en général (l’U.S. Navy, dans tous les cas, a déjà montré, avec les amiraux Fallon et Mullen, qu’elle y souscrivait). Ainsi l’affirmation de Dempsey-2012 rejoint-elle, dans sa logique, l’exposé de Abizaid-2007.
Rien de pire pour Netanyahou, parce que cette logique de la dissuasion nucléaire (d’autant plus valable avec les 200 têtes nucléaires israéliennes) est imparable si les acteurs sont jugés comme y souscrivant (cas de l’“Iran rationnel”). C’est elle qui a tenu l’“équilibre de la terreur” durant toute la Guerre froide ; elle tend à impliquer, justement, que l’absence du nucléaire chez l’un des acteurs du théâtre de confrontation est un facteur de déséquilibre nourrissant la tentation de l’agression et la possibilité, voire la probabilité de la guerre.
De ce point de vue rapidement exposé, la “fureur” de Netanyahou se comprend encore plus. C’est DEBKAFiles qui parle de “fureur” à propos de Bibi. Le site israélien, qui nous donne une sorte de “Radio-Mossad” souvent intéressante, explique à sa façon, le 18 février 2012, la querelle Israël-USA, du point de vue israélien.
L’état d’esprit “optimiste” d’Obama enrage Netanyahou, parce que cet “optimisme” est fondé sur la conviction que les sanctions marcheront, et même que les Iraniens s’arrangeront avec Washington. Pire encore ! Un Dennis Ross, relais privilégié de Tel Aviv et de l’AIPAC auprès de plusieurs administrations mais désormais dégagé des cadres, Ross lui-même semble passé de l’autre côté, qui nous annonce que l’Iran est “prêt à parler”…
«There were better times…
»US President Barack Obama is convinced that the resumed international nuclear negotiations he has worked hard to set up will not only avert war but lay to rest once and for all the problem of Iran’s nuclear bomb program. He was led to this belief in secret back channel exchanges at the highest level between US and Turkish representatives and emissaries of the Supreme Leader Ayatollah Ali Khamenei which paved the way for the formal talks.
»Our Washington sources describe the White House mood as one of high optimism. They think they have the silver bullet for success: The US will match Iran’s concession on its nuclear weapon program with the staged whittling down of sanctions. They will drop to zero for a successful accord. No confirmation of this assumption is to be found from any Iranian sources. However, Obama’s well-informed former senior adviser Dennis Ross was confident enough that talks were just around the corner to publish an article in the New York Times Thursday, Feb. 16 under the caption “Iran Is Ready to Talk.”
»The furious response to the news in Jerusalem is in direct contrast to the rosy optimism in Washington and a measure of the gaping rift between the two administrations on the nuclear issue.»
La “fureur“ est partout, y compris en Israël, mais aussi contre Netanyahou. Le “groupe Dagan” est actif et milite sans se dissimuler contre les projets d’attaque prêtées à Netanyahou. Cette opposition va jusqu’aux démarches les plus extrêmes. On est tout de même peu habitué à lire, même dans Haaretz, un commentateur recommander aux pilotes de la force aérienne israélienne de désobéir aux ordres et de ne pas monter dans leurs F-15 et dans leurs F-16 si l’ordre d’attaquer l’Iran leur était donné.
Sefi Rachlevsky, qui donne cette recommandation, ne le fait pas au nom d’un pacifisme extrémiste, ou d’autres “déviations” de cette sorte, mais bien au nom d’une appréciation réaliste : il faut sauver l’alliance stratégique avec les USA que Netanyahou est en train de détruire (dans Haaretz le 21 février 2012). C’est donc quasiment un homme qui pourrait être proche du “Groupe Dagan” qui donne cette sorte de conseil aux pilotes israéliens : “désobéissez…”
«In the face of this failure, the Israeli officer corps must all become Eli Geva, who refused to order his brigade into Beirut during the 1982 Lebanon War. Coming from a government that has betrayed its most basic obligations, an order for the planes to take off would be a patently illegal order. It can be implemented – perhaps – only by privates: The rank tabs must be left on the table.
»When Netanyahu binds Tel Aviv on the altar by demolishing the strategic alliance with the United States, perhaps he sees the sunken Irgun ship Altalena there rather than his son. But no heavenly hand will descend to prevent this madness, the way an angel prevented Abraham from sacrificing Isaac. An Israeli hand must therefore be the one to refuse the order and stop the madness.»
Aux USA, également, il y a des réactions emportées. La plus remarquable, à notre sens, est celle de Juan Cole, qui défend avec alacrité le général Dempsey contre Netanyahou, le 21 février 2012… Il n’y va pas de main-morte puisqu’il demande une sorte de réprimande publique de Netanyahou par l’administration Obama. (Certes, il peut toujours attendre et il le sait, Cole, mais c’est pour mesurer l’intensité de la polémique.)
«Israeli Prime Minister Binyamin Netanyahu and Defense Minister Ehud Barak have launched a vicious attack on US Chairman of the Joint Chiefs of Staff Gen. Martin Dempsey, an American war hero, saying his recent statements “served Iran.”… […] Netanyahu’s charge that Dempsey is “serving Iran” is completely unacceptable and deserves a stern rebuke from the Obama administration if it is not going to make itself look like a complete set of wusses…»
Julian Cole et son Informed Comment eut son heure de gloire comme “commentateur libre et indépendant” le plus avisé et le mieux document, notamment lors de la guerre en Irak. Nul ne mettait en doute, alors, son indépendance vis-à-vis des autorités du Système et ses engagements de dissident. Depuis, les choses se sont nuancées, il est apparu que Cole, qui semble s’être réconcilié avec le Système depuis qu’Obama est à la Maison Blanche, a été au centre de certaines polémiques (voir le 18 juin 2011).
Dans ce cas, Cole dénonce l’attitude de Netanyahou, rappelle l’aide US énorme (essentiellement militaire) à Israël, qu’il présente sans en critiquer le principe mais en critiquant l’usage qu’en fait Netanyahou en menaçant l’Iran selon une politique que n’approuve pas l’administration Obama. Quant à Dempsey, Cole substantive sa défense en en faisant un héros de la guerre en Irak, ce qui contraste avec la crique constante qu’il fit, dans les années 2003-2007, de cette même guerre.
«Dempsey served in the Gulf War and deployed twice to Iraq during the Iraq War. “General Dempsey’s awards and decorations include the Defense Distinguished Service Medal with Oak Leaf Cluster, the Distinguished Service Medal with three Oak Leaf Clusters, the Defense Superior Service Medal, the Legion of Merit with two Oak Leaf Clusters, the Bronze Star with “V” Device and Oak Leaf Cluster, the Combat Action Badge, and the Parachutist Badge.”…»
Tout cela nous en confirme beaucoup sur Cole et ne nous en dit pas moins sur les réactions souterraines de l’establishment washingtonien, essentiellement militaire dans ce cas, aux propos de Netanyahou. En effet, dans ce cas, Cole s’en fait, plus ou moins inconsciemment (mais pas si “moins” que ça), le porte-parole. La circonstance (Cole porte-parole) est assez judicieuse, parce que Cole est largement lu dans les milieux qu’il faut et garde, chez les lecteurs peu informés de Informed Comment, une aura d’indépendance.
Il faut apprécier, dans ce contexte, cette intervention de Juan Cole selon les règles du monde discret et fortement codé des échanges israélo-américanistes (tout ce qui est trop public tombe immédiatement sous le tir de barrage l’AIPAC, des neocons et du Congrès qui suit aveuglément). Décodée et débarrassée de sa discrétion, l’intervention de Juan Cole nous informe de l’extrême mécontentement des milieux militaires et du Pentagone de l’attaque de Netanyahou. C’est le signe, via Juan Cole et Sefi Rachlevsky, d’une sorte d’“alliance objective” entre Dempsey et le “groupe Dagan”, contre les projets de Netanyahou.
Il s’agit d’une situation inédite d’une extrême gravité pour le Système. Il y a déjà eu des signes évidents de désaccords entre le Pentagone et la politique extrémiste de la direction israélienne, essentiellement avec Netanyahou. Mais jamais la situation n’est apparue, à la fois si tranchée et si antagoniste, et si porteuse de confusion dans ses effets par conséquent, à l’intérieur même du Système, à l’intérieur même de l’“axe sacré” Washington-Israël.
• D’une part, la querelle intervient à un moment où la “crise iranienne” a pris le tour qu’on lui voit, en s’“internationalisant” en crise haute, en devenant le relais explosif et direct de toutes les explosions et manigances du “printemps arabe” (Syrie, notamment). A un moment, aussi, où l’attaque directe contre l’Iran est exposée comme d’une brûlante actualité, en même temps qu’elle est liée directement, avant même qu’elle ait eu lieu, si elle a lieu, à la situation du détroit d’Ormouz, au prix du pétrole, à un déséquilibre supplémentaire du déséquilibre économique de la crise générale du Système. Tout se passe donc comme si elle avait commencé à avoir lieu avant même qu’elle ait lieu, si elle a lieu… Et l’on en arrive, pour la question d’une aggravation dramatique si l’attaque a réellement lieu, à l’état des lieux psychologiques de la clique Netanyahou ; il n’est pas brillant…
• Or, la “clique Netanyahou”, ce n’est plus qu’une partie de la partie israélienne de l’“axe sacré”. Netanyahou a pour lui le puissant appareil de propagande et de pression gangstéro-idéologique de l’AIPAC et des neocons, avec derrière lui le Congrès suivant en troupeau. Mais il a contre lui le Pentagone et un très puissant groupe israélien de dirigeants politiques et militaires de la sécurité nationale (“groupe Dagan”), insoupçonnables “faucons” défenseurs de la puissance d’Israël. (Et puis, des ralliements inattendus, comme celui d’un Dennis Ross, jusqu’ici impeccable agent de Netanyahou.) Cette rupture interne dans le Système est extrêmement dommageable pour le Système, parce qu’indémêlable selon les habituelles manœuvres de communication, à l’aide des habituels anathèmes sur les thèmes éculés qu’on connaît (terrorisme, antisémisme, etc.). A cet égard, traiter Dempsey de “laquais de l’Iran”, cela représente pour Netanyahou un pas de clerc, une maladresse témoignant de l’emportement du caractère et de l’atmosphère passionnelle qui règne dans cette affaire. La gravité de l’affrontement est mesurée, à l’inverse, par la suggestion d’un Sefi Rachlevsky faite aux officiers pilotes de la force aérienne d’Israël de refuser l’ordre d’attaque.
• Dans ces circonstances, Obama est un acteur secondaire. Il en est réduit à ses obsessions de sa réélection, à son auto-désinformation par son propre système et sa psychologie, à son intelligence si brillante qui produit une impuissance complète à figurer comme un acteur héroïque dans la pièce en cours. Obama suivra les normes de ses intérêts personnels, dans une situation où il dispose d’un certain choix grâce à cette division si effrayante pour le Système de l’“axe sacré”.
Ainsi l’évolution de la “crise iranienne” en “crise haute”, telle qu’on la décrit depuis quelques temps, l’est bien dans toutes les situations et dans toutes les positions. Une dimension nouvelle s’impose avec cette affaire Bibi-Dempsey.
L’évolution en crise haute se fait, comme on l’a vu souvent, dans l’élargissement du domaine vers d'autres acteurs et d’autres crises, dans une mesure telle que la crise embrasse effectivement toutes les puissances. Elle se fait désormais, aussi, comme on le voit aujourd’hui, dans le sens d’un approfondissement dramatique au cœur même du Système dans cette occurrence, en aggravant jusqu’au point de fusion des antagonismes fondamentaux entre factions dont la cohésion et la coopération furent et sont plus que jamais la condition sine qua non de l’efficacité du Système. La thèse fameuse de “la discorde chez l’ennemi” est aujourd’hui en mode de surpuissance, ayant pris à son compte cette dynamique ; cette situation alimente largement la transformation de cette dynamique de surpuissance en dynamique d’autodestruction.
Dans ce cadre, nous conclurons que nous ne sommes plus au stade où il faut tout faire pour réduire cette influence obscène d'Israël aux USA, et dénoncer la présence d'un tel caractère déséquilibré que celui de Netanyahou à la tête d'Israël. Au contraire, ces facteurs contribuent objectivement et puissamment au phénomène de “discorde chez l'ennemi”. Ils sont donc devenus paradoxalement vertueux dans leur effet, en contribuant à la transformation de la surpuissance du Système en son autodestruction. Il ne s'agit en aucune façon d'embrasser ou d'approuver l'esprit de la chose, qui est et reste détestable, obscène et immonde ; il s'agit d'en observer la paradoxale efficacité antiSystème et de souhaiter, et de faire en sorte, que cet effet se poursuive et prolifère.
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