Notes sur l’anatomie de la NSA : eh oui, “tout ça pour ça”

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Notes sur l’anatomie de la NSA : eh oui, “tout ça pour ça”

6 novembre 2013 – Deux articles dans le New York Times (NYT, le 2 novembre 2013) et l’Observer (le Guardian, le 3 novembre 2013), à partir de matériels du fonds Snowden, donnent une image générale du fonctionnement et de la puissance de la NSA. L’usine à gaz est encore plus gargantuesque qu’on ne pouvait imaginer, certes. Cela n’étonnera personne, mais cela suscitera, – cela sera notre cas, – quelques réflexions supplémentaires. Ces Notes d’analyse sont là pour ça.

Mais d’abord, on fera quelques remarques d’ordre chronologique et historique, qui situent notre artefact monstrueux par rapport aux événements, et expliquent sa situation actuelle. Il s’agit ici d’un extrait de l’article de l’Observer/Guardian qui expose la situation de la NSA à la fin de la Guerre froide, jusqu’à 9/11, avec une période de sinistre glaciation entre les deux, entre 1989-1991 et 9/11.

«When the NSA was founded in 1952, its task was primarily to target the Soviet Union. And so it did, decade after decade, until the fall of the Berlin Wall in 1989 and the end of the cold war soon afterwards. With the collape of the Soviet Union, the NSA entered a decade of uncertainty. Morale slumped. The mood is caught in a document dated February 2001, only a few months before 9/11. In it, the agency admitted its capacity for intercepting electronic communications had been eroded during the 90s.

»“NSA's workforce has been graying and shrinking. The operational tools have become antiquated and unable to handle the emerging signal structure,” it says. “Ten years ago we had a highly skilled workforce with intimate knowledge of the target and the tools to analyse the data.” “We have now reached the point of having a workforce where the majority of analysts have little-to-no experience.” Tellingly, in the light of the attacks on New York and Washington six months later, the document complained about a lack of linguists and analysts covering Afghanistan. The same pool of experts covering Afghanistan as a whole were the same that “assist NSA's Office of Counter-terrorism in following the Taleban-Usama bin Laden relationship”, it said.

»The attacks on New York and Washington ended the NSA's decade of torpor. Suddenly, it found funding, and staff recruitment was no longer a problem. Since 9/11, expansion has been rapid. The NSA was one of the main beneficiaries of the doubling of the intelligence budget since 9/11. Its proposed budget allocation for 2013 is $10.8bn, with 35,000 staff and bases in Georgia, Texas, Colorado, Hawaii and Utah adding to its headquarters at Fort Meade, Maryland. Its antennae can be found on the rooftops of 80 American embassies around the world...» Etc., etc.

... On a ici une affirmation circonstanciée du fait que la NSA a littéralement “explosé” dans ses activités avec 9/11. Si l’on va, et par respectueuse référence à l'estimable GW Bush, on dirait que la NSA est une sorte de monstre born-again avec 9/11. Elle est donc cette créature extraordinaire née de cet événement extraordinaire, pour figurer dans cette époque extraordinaire où nous nous trouvons, exactement comme elle doit être. Il s’agit alors, le plus exactement du monde, d’une créature-Système puisque cette époque est celle du Système dans toute son extension, dans toute son expansion, mais aussi dans la dynamique double et intégrée de son inéluctable équation surpuissance-autodestruction. La courbe de destinée de la NSA duplique celle du système, l’accompagne, voire, sans doute, la précède comme une sorte d'avant-garde.

Tout le monde est content de tout le monde

Encore dans l’Observer (le Guardian), toujours dans cet article exploitant les documents du fonds Snowden nous présentant l’anatomie de la NSA à partir des propres documents internes de l'agence d’appréciation d’elle-même, on trouve ce passage où sont résumés les motifs de satisfaction de l’agence d’elle-même pour elle-même. Il s’agit de documents datant de 2007, réunissant des témoignages d’occurrences où son intervention auprès d’agence ou d’unités opérationnelles a suscité des appréciations de grande satisfaction. (Il y est question surtout de l’Irak et de l’Afghanistan, donc dans des occurrences opérationnelles distinctes de la tendance générale de Global Surveillance qui est le principal objet de la crise Snowden/NSA.)

Là aussi, les exemples donnés nous plongent souvent dans le détail le plus dérisoire (la NSA a permis d’identifier et de localise un sniper opérant dans la Green Zone de Bagdad contre les forces d’occupation du bloc BAO), ou bien dans le détail le plus conformiste jusqu’à la naïveté (une lettre officielle de remerciement des forces de l’OTAN en Afghanistan à la NSA pour son aide)... Tout cela, semble-t-il, à partir de démarches internes dont le but est manifeste : faire savoir aux milliers d’employés de la NSA que, oui, ils sont très utiles à la grande bataille pour la liberté entreprise par le Système.

«The most valuable service the NSA has provided for America and its allies since 9/11 is in support of the military in Iraq and Afghanistan. A 2007 NSA file, called 'State of the Enterprise', is typical of many of the spy agency's documents which list wartime successes. “Specific results included the identification and location of a sniper targeting personnel inside the Baghdad Green Zone; the confirmation that a CIA asset was operating as a potential 'bad actor'."

»Other intelligence agencies such as the CIA complain privately about the degree of co-operation from the NSA in sharing intelligence, but in the end, like most other intelligence agencies, it is generally thankful for it. There are complaints, too, from soldiers in the field that live information is not always transferred to them fast enough, but they, too, express gratitude for snippets passed on about potential Taliban attacks.

»The NSA, according to one document, overheard a Taliban figure, Mullah Rahimullah Akhund, known on the US military's kill-or-capture list by the codename Objective Squiz Incinerator, instructing an associate to buy and organize components for a roadside bomb, suicide vests and a Japanese motorbike. The appreciation of Americans and their allies in Afghanistan for such information is summed up in this letter back to headquarters: “You guys/gals probably have no idea how much we rely on your tool for enabling our CT (counter-terrorism) capture operations in Afghanistan. It really does help us get our enemies off the playing field, so to speak.”»

Satisfaction réciproque en mouvement perpétuel

Ce témoignage de satisfaction de l’OTAN à la NSA, notamment avec ses remerciements pour sa contribution dans la guerre en Afghanistan, dégage une étrange ironie. («You guys/gals probably have no idea how much we rely on your tool for enabling our CT (counter-terrorism) capture operations in Afghanistan. It really does help us get our enemies off the playing field, so to speak.») Si la NSA a tant contribué à l’action opérationnelle en Irak, en Afghanistan et le reste, on en conclura que la NSA est un remarquable contributeur aux défaites que le bloc BAO subit depuis 9/11 avec une régularité remarquable.

Poussant un peu l’observation, on y verrait même une sorte de complicité active entre tous les composants des pays du bloc BAO (ceux de l’OTAN, en l’occurrence) pour interpréter de concert la symphonies des joies de la narrative de la victoire. Cette lettre de satisfaction de l’OTAN pour l’action de la NSA, témoigne aussi bien de la victoire de l’OTAN en Afghanistan, dans tous les cas de la bonne marche des opérations qui ne peut être que la marche vers la victoire. C’est “embrassons-nous Folleville” au royaume de la narrative partagée. Il y a une tromperie (deception) de soi-même, de chacun pour chacun et de chacun avec la complicité de chacun, tous s’imaginant bénéficier d’une sorte de certitude commune : “Mais c'est bien sûr, si tout le monde le dit, vous comme nous et nous comme vous, c’est que nous sommes effectivement en train de gagner...”

Rengaine : “tout ça pour ça...”

Cela nous conduit à une citation assez longue d’un article de Mark Seibel, de McClatchy, le 4 novembre 2013. Après avoir consacré une partie de son article à la description de la NSA selon l’article du NYT (même teneur que celui de l’Observer/Guardian, notamment dans les citations déjà faites), Seibel enfourche l’essentiel de son propos qui pourrait se résumer à l’expression connue, qui fut même utilisée par Claude Lelouch pour un de ses films : «Tout ça ... pour ça !».

Cela devrait effectivement être la devise de la NSA, et qui revient à une remarque très basique, faite ici et là, tellement évidente qu’on n’ose trop la développer, – mais qui nous venait déjà sous la plume dans un texte du 13 juin 2013, avec d’ores et déjà la même expression en guise d’intertitre et que nous avons reprise pour ce passage («La NSA contre la Terreur : tout ça pour ça ?») :

»Quelle énorme affaire ! dirait-on. Et pourtant... Et pour quoi, finalement ? On veut dire : tout ça pour ça ? En effet, le Guardian, toujours lui, nous entretient des résultats obtenus par les voies et moyens du monstre américaniste, NSA-CIA et le reste, et leur super technologies. Après tout, la première cause fondamentale de ce développement monstrueux des moyens de surveillance, l’a été pour stopper et anéantir le terrorisme. Certains contesteront ce schéma, mais cela n’importe pas ici. D’abord, nous parlons de ce qui doit être, de la narrative officielle, de ce qui importe au Congrès ; ensuite, nous croyons que, même s’il y a des arrière-pensées, le but de tout le processus de renforcement de la Stasi-of-America fut bien, d’abord, et reste malgré tout, de lutter contre le terrorisme, contre la Terreur... Et le résultat est simple dans sa netteté, presque la netteté du rien.

»Le Guardian, donc, détaille cela, ce 12 juin 2013. Il apparaît que les quelques résultats obtenus, dans telle ou telle affaire de complot terroriste déjoué, le furent, non pas du fait, pour l’essentiel, de la NSA & Cie avec leurs super-technologies de surveillance mais par l’action d’équipes des SR US et britanniques opérant selon les bonnes vieilles recettes du renseignement… Par renseignement humain (HumInt), infiltration, etc.»

Encore ne parlions-nous que de la “guerre contre la Terreur”. Depuis, il nous a été révélé, – surprise, surprise, – que la NSA ne s’en occupait que fort accessoirement, que nombre d’autres domaines étaient également de ses préoccupation puisque rien n'échappe à sa sagacité universelle, comme les talking point du secrétaire général de l’ONU où la préparation de ses week-end par Angela Merkel, développée sur son portable personnel. De ce point de vue, l’extrait de l’article de Seibel, écrit sur un rythme endiablé et avec divers exemples croustillants qui viennent de nous être servis tout chaud, est intéressant à lire. Par ailleurs, il met en scène la situation au Congrès, où se déroule désormais la bataille de la NSA, et l’on découvre que l’opposition critique à l’agence est pleine d’alacrité, jusqu’à être dévastatrice, contre la médiocrité conformiste de ses défenseurs (les fameux 1% du Congrès [voir le 21 juin 2013], également signalés dans un jugement méprisant dans l'article sur Justin Amash [le 5 novembre 2013]).

Beaucoup, beaucoup, beaucoup de bruit (de data) pour rien

«...The story, in the way newspaper articles often do, succeeds in indirectly raising, if not answering, what now ought to be the big question on the minds of members of Congress who are considering legislation to reform the way the NSA operates: What really is the value of all of this collection effort?

»The story points out that for all the billions of dollars the NSA spends, it was unable to stop the chemical weapons attack outside Damascus and has been unable to ensure that Afghanistan won’t descend into utter chaos when the U.S. withdraws its combat forces. We may know what Karzai is going to tell the Iranians from eavesdropping on his aides, but that hasn’t made us any more successful at dealing with him. The successful capture of Ban Ki-moon’s talking points ahead of his meeting with Obama might not even have been shared with the president – who, one hopes, wouldn’t have needed them anyway to prepare himself for a meeting where the likely topics would have been obvious to anyone who reads a newspaper or listens to NPR (a TV-only news consumer might have needed the help).

»A German legislator, Hans-Christian Stroebele, asked the other day, “What terrorists did the NSA hope to find on the chancellor’s cellphone?” Director of National Intelligence James Clapper gave a kind of answer last week when he testified before the House Permanent Select Committee on Intelligence. Lecturing on the importance of divining “leadership intentions,” he used as an example knowing in advance what the Germans planned to do about keeping their troops in Afghanistan. That required eavesdropping on a telephone? The debate was broadly engaged in the German press, and, of course, Obama could have asked Merkel, back when their relationship was said to be quite cordial.

»Now, however, that might be a rather cool conversation – a cost that obviously was not factored into the decision to tap her phone – and I use the word “tap” here intentionally because it seems increasingly likely that the actual content of her communications was recorded. Clearly, little thought was given to the potential repercussions as the NSA engaged in that effort – apparently for 10 years. And while it seems incredible that Obama didn’t know of something so sensitive, it also is quite possible – this from no less an authority than retired Air Force Gen. Michael Hayden, who ran the NSA and the CIA. Appearing on CBS’s Face the Nation Sunday morning, Hayden wouldn’t say whether the president knew or not, but he implied that he wouldn’t be surprised if Obama hadn’t been informed – “This wasn’t exceptional,” he explained.

»Which brings us back to the question of whether there’s a point in spending billions of dollars collecting information that in the end doesn’t actually prove terribly useful. Officials are full of numbers that show that the vast stores of cellphone metadata, the collection of which is the real issue that has animated people in the United States, isn’t really that big a deal. One emerged at last week’s House intel hearing: the vast database has been queried fewer than 300 times. Really? So much trouble for so little. The number of terrorist plots officials claim to have been thwarted keeps dropping, too. When the NSA documents first emerged in June, it was 54. Last Tuesday, it was 13.

»And there are members of Congress who think even that is an exaggeration and who fear that the NSA’s unceasing collection of phone records – to build a haystack where they can search for a needle, to use the NSA folks’ description – actually helps make those needles more difficult to find. That’s the tack James Sensenbrenner took last week in an interview with Judy Woodruff on PBS's NewsHour. Sensenbrenner, the chairman of the House Judiciary Committee and the author of the USA Patriot Act, under which the cellphone records are collected, pointedly noted that “the NSA has not ever come up with how many terrorist conspiracies that they have actually been able to solve in doing this. And, you know, I can say that two teenagers talking about who they're taking to the prom is not going to lead to somebody who wants to blow up Chicago.”

»He got even more direct by bringing up the bombing of the Boston Marathon in response to a question Woodruff asked about the NSA officials’ assertion that they rarely look at the phone records. “Well, so what?” Sensenbrenner said. “The fact that the calls took place and they get trillions of these calls makes the haystack so big that they can't find the needle in it. And even though Tsarnaev brothers were in the U.S. legally, one was a citizen, when the Russians told us they were bad guys, they weren't able to track down who they were . . . before the Boston Marathon bombing.” Later, he revisited the point: “And I don't know how you can put the pieces of a trillion-piece puzzle together in time to stop a terrorist strike. They sure didn't do it with the Boston Marathon bombing, and they haven't been specific on any terrorist strike that they have stopped, except one, by using this metadata.”

»Unfortunately, Sensenbrenner wasn’t among the guests on “Face the Nation” Sunday. It would have been interesting to see him face off with fellow Republican Mike Rogers, the chairman of the House intel committee, who was. Sensenbrenner, in his NewsHour interview, had shown he had little respect for the members of the House intel committee, who he said were little more than shills for the NSA. “What you heard from some of the people on the Intelligence Committee is that they're cheerleaders for the NSA, rather than doing oversight,” Sensenbrenner said shortly after the House hearing ended. “They ought to be doing oversight, which means asking the tough questions, getting to the bottom of the issues.”

»Sensenbrenner didn’t mention Rogers by name. But Rogers made it clear he finds nothing wrong with what the NSA has done. Preventing terrorist attacks in the United States is the point of the massive NSA expansion since 9/11, he said Sunday. “We should use every means . . . that gets the job done,” he said. Of course, getting the job done may be the operative part of that sentence. Dianne Feinstein, the chair of the Senate Intelligence Committee, in her portion this morning’s Face the Nation, delineated the priorities that form the framework for the NSA’s work. They are combating terrorism, supporting the U.S. military overseas, nuclear counter proliferation, tracking hard targets, and cyber security. The question for Congress and the administration now is which of the NSA’s many programs actually contribute to these.

»Which gets back to what ought to be the takeaway from this morning’s New York Times story: The NSA is able to do amazing things. But which of all those trillions spent have really made any difference?»

La réforme impossible ?

La conclusion de ces différentes appréciations sur cette anatomie considérable de ce qu’est la NSA peut être divisée en plusieurs parties. D’abord, la conclusion évidente sur la nature même de la chose, ou de “la Bête” comme on voit surnommée cette agence dans l’extrait ci-après. Conclusion désormais qui va de soi, sans l'ombre d'une hésitation possible, qui rejoint le constat général que dans cette contre-civilisation, et dans le domaine dit de la “Sécurité Nationale”, ou mieux encore de la “Surveillance Globale”, ces agences et départements, et singulièrement la NSA, sont des entités incontrôlées dont la structure et l’impulsion sont proches de l’autonomie dans toutes ses dimensions, et dont le but n’est que d’exister énormément, de survivre en vivant au-dessus et au-delà du contrôle de leurs soi-disant créateurs, de proliférer, de grossir, etc., sans autre argument nécessaire. Dans Antiwar.com du 30 octobre 2013, John Glaser citait Jay Stanley, de l’organisation de défense des droits civiques ACLU, citant lui-même ce qu’il écrivait le 5 mai 2013, avant que n’éclate la crise Snowden/NSA.

«The evidence seems clear: national security is the justification for our security establishment’s existence and powers, but self-preservation, defense of prerogatives and reputation, and expansion of powers is truly mission number one. In fact, as I argued recently, the most useful way to think about the national security state is as a gigantic beast with impulses that need to be carefully controlled. Naïve understandings of our security agencies will lead to inadequate checks and balances. Reforms aimed at reining in these out-of-control agencies must be predicated on a sophisticated understanding of their true character.»

Pour le cas plus immédiat de l’article rendant compte de l’anatomie de la NSA, l’Observer/Guardian décrit son appréciation de ce que devrait être le confort de la “pensée” de la “Bête” face aux tentatives de réforme actuellement lancée ... Cela est vraiment sans aucune originalité, dans le cadre de l'ontologie de la NSA telle que décrite, – un “cliché”, justement, selon le mot employé par un des documents de la NSA.

«In spite of the furore, reforms may prove modest. The agency is hardly likely to easily relinquish its new-found capability of snooping almost everywhere. In one of the leaked ‘State of the Enterprise’ documents from 2007, an NSA staff member says: “The constant change in the world provides fertile ground for discovering new targets, technologies and networks that enable production of Sigint.” The official happily embraces this: “It's becoming a cliché that a permanent state of change is the new standard. It is the world we live in – navigating through continuous whitewater.” It's an environment in which the NSA thrives, the official says. And adds: “Lucky for us.”»

Cela, c’est la pensée-Système en régime turbo, dont le vide de toutes considérations des nuances infinies naissant d’événements inattendues (pour la NSA), tels la défection de Snowden et les effets de la distillation permanent du fonds Snowden, est la marque la plus remarquable. D’où l’optimisme robotisé ci-dessus : «Lucky for us».

La crise qui venait “à son heure”

Nous, nous pensons différemment pour ce qui est de l’avenir de la NSA, pas si «Lucky for us» que cela. La crise Snowden/NSA a montré, par sa résilience extraordinaire depuis le 6 juin, par l’ampleur et la diversité totalement imprévues de ses effets, qu’elle est venue absolument à son heure. Aussi, il y a d’autres considérations sur le destin de la NSA et les réformes nécessaires, qui ne sont pas très enthousiasmantes pour l’agence.

Dans cet extrait de l’article du NYT du 2 novembre 2013 qui soutient le propos général, on retiendra l’avis de l’amiral Bobby Inman, qui dirigea la NSA de 1977 à 1981 et redressa le moral de l’agence qui avait été dévastée par les enquêtes de la commission Church du Sénat. Inman propose la fameuse technique du “contre-feu”  : pour stopper l’incendie-Snowden, qui ne cesse de s’étendre grâce à sa tactique de diffusion distillée avec habileté du fonds Snowden dans le système de la communication, faire un contre-feu massif en rendant public d’un coup, de l’initiative de la NSA, tout ce que Snowden possède.

En fait de réforme, d’ailleurs, ce serait plutôt une formule de sauvegarde ultime d’une agence aux abois, ce qui est le cas, pour tenter ensuite de “se reconstruire” encore plus que de se réformer, ce qui implique que la NSA est en ruines, – ce qui est le cas (bis). Encore faudrait-il, au reste, que la NSA sache en quoi consiste le fonds Snowden, ce qui a toutes les chances (plutôt que “malchances”) de n'être pas le cas (voir le 26 août 2013) ... Il n’empêche, cette intervention d’un “du bâtiment” nous informe bien sur l’état des choses régnant, bien plus que les banalités absolument trompeuses sur la “puissance” de la NSA (“règne de la quantité”, voir plus loin).

«William E. Binney, a former senior N.S.A. official who has become an outspoken critic, says he has no problem with spying on foreign targets like Brazil’s president or the German chancellor, Angela Merkel. “That’s pretty much what every government does,” he said. “It’s the foundation of diplomacy.” But Mr. Binney said that without new leadership, new laws and top-to-bottom reform, the agency will represent a threat of “turnkey totalitarianism” — the capability to turn its awesome power, now directed mainly against other countries, on the American public. “I think it’s already starting to happen,” he said. “That’s what we have to stop.”

»Whatever reforms may come, Bobby R. Inman, who weathered his own turbulent period as N.S.A. director from 1977 to 1981, offers his hyper-secret former agency a radical suggestion for right now. “My advice would be to take everything you think Snowden has and get it out yourself,” he said. “It would certainly be a shock to the agency. But bad news doesn’t get better with age. The sooner they get it out and put it behind them, the faster they can begin to rebuild.”»

Le “règne de la quantité”

Les Russes, qui ont développé à un degré appréciable de qualité et avec autant de minutie que celui des échecs l’art de l’espionnage, c’est-à-dire en vérité l’art du renseignement, les Russes ont toujours insisté sur le fait que le domaine le plus complexe, le plus vital, le plus fondamental, est celui de la méthodologie de documentation, de classement, d’identification, etc., des informations recueillies. Nous autres, journalistes-commentateurs, connaissons le même problème, – déjà bien réel dans l’ère-papier d’avant-internet, écrasant depuis l’internet. Comment et où classer telle simple information basique qui, objectivement, concerne deux, trois ou quatre sujets, et qui, considérée subjectivement, par tel et tel esprit (l’agent de renseignement qui veut y avoir accès), en concerne vingt, trente, quarante, etc. (Imaginez lorsque l’information est complexe, en ayant à l’esprit que la véritable originalité, la véritable valeur cachée d’une information vient souvent d’un esprit original ou non-conformiste pour lequel il est extrêmement rare qu’on indique une documentation spécifique.) Cela représente l’aspect qualitatif de la chose.

Mais c’est le règne de la quantité qui étouffe et pervertit la qualité, alors que le renseignement, par l’évidence de son sujet qui est d’embrasser et de comprendre la complexité infinie du monde et nullement le volume brut de la masse du monde, doit nécessairement être appréhendé comme une activité absolument et fondamentalement qualitative. De millions de tonnes de vil plomb (les hyper-metadata) jetés en pâture à la documentation, vous ne ferez pas les très précieuses deux ou trois tonnes d’or qui sont nécessaires à l’esprit pour emprunter la voie de cette compréhension ; à moins d’être alchimiste, mais nous pouvons vous le confier comme un “Secret Défense, section ésotérique”, – non, Alexander n’est pas un alchimiste, – au contraire de certains esprits rares, de certains agents de renseignement qui ne sont pas du genre à fréquenter la NSA. Si les $milliards affectés annuellement à la NSA l’avaient été à un HumInt (“renseignement humain”) correct et faisant bien son métier, et si possible non-américaniste par conséquent, on n’aurait pas eu besoin de la NSA pour localiser et identifier le sniper solitaire de la Green Zone parce que, voyez-vous, on aurait été assez avisé pour ne pas se lancer dans la folie de stupidité que fut l’aventure irakienne, – et donc, point de sniper solitaire ni de Green Zone.

... Quant à la perspective de faire effectuer le classement méthodologique par les robots de notre monde nouveau, alors oui, le diable en est déjà mort de rire parce que vous pourrez alors apprécier la dévastation de la bêtise synthétique que nous sommes arrivés à enfanter. (En cela, les robots “intelligents” encore supérieurs au sapiens ... Un de ces jours, il faudra une fois de plus s’expliquer sur ce qu’est l’intelligence et s’attacher à une notion qui est pure invention de la science extrême de la modernité, qu’on pourrait nommer l’“intelligence stupide”, – plus on est intelligent, plus on est bête, sorte d’axiome oxymorique du “règne de la quantité”.)

Une bonne illustration opérationnelle de la tyrannie du “règne de la quantité”, tyrannie à la fois inéluctable et irréfragable dans ce contexte du Système, est donnée par ces remarques d'un whistleblower de plus (il en apparaît chaque jour de nouveaux sur la scène publique), Mike German qui vient du FBI, dans une réponse qu’il donne dans une interview du Daily Caller, le 5 novembre 2013. (Et dans ce cas, on mettra les “policy makers” mentionnés au début de la réponse comme représentants et courroies de transmission du Système, exigeant et suscitant toujours plus de données, de programmes, etc., pour la cause principale de toujours renforcer le poids de l'agence ou du service dont ils sont les exécutants.) : « It is clear that there is a disconnect between the policy makers and the agents and analysts that actually do the work. The latest Washington Post story about the NSA intercepting content transfers between Google and Yahoo data centers includes a document in which the analysts complain that the volume of useless data from this program is overwhelming them, and request termination of the program. Similarly the [Director of National Intelligence] and FBI continue to try to expand “suspicious activity reporting” programs, even though a George Washington University survey found analysts at the fusion centers that review this material call it “white noise” that impedes their intelligence analysis. In explaining how Umar Farouk Abdulmutaliab slipped through the cracks and almost blew up a plane, [National Counterterrorism Center] NCTC Director Michael Leiter complained that the NCTC receives 5,000 pieces of information a day, and the Webster Commission that reviewed the FBI’s investigation of Maj. Nidal Hasan before the Fort Hood shooting said the investigation was hampered by workload issues caused by a “data explosion” within the FBI. Yet, rather than admit that the collection programs aren’t helping, they continue to argue to expand their agencies’ powers.»

Le “point d’or” de l’alchimiste

Les rapports entre quantité et qualité ne sont pas complémentaires du tout ; ils sont un (un seul rapport), exceptionnel et infiniment délicat, réduit à un point infinitésimal d’équilibre... Il existe un point d’équilibre extraordinairement réduit et extraordinairement instable, nous dirions une sorte de point d’or comme il existe un “nombre d’or”, où il y a juste assez de quantité pour alimenter et nourrir la qualité sans pervertir la vertu fondamentale de la qualité ; et ce point varie constamment selon l’exigence variable du qualitatif, qui est nécessairement la référence dominante. Mais si vous dépassez ce point dans le sens de grandir et d’amasser trop dans l’apport du quantitatif, vous noyez irrémédiablement le qualitatif et dégradez sa vertu ; plus vous alimentez le quantitatif, plus le qualitatif est entraîné vers le fond, jusqu’à disparaître complètement. C’est dire qu’avec la NSA, le qualitatif est en-dessous de l’en-dessous du fond des abysses, inaccessible, définitivement perdu.

Plutôt que se demander, comme il est naturel de faire et comme le fait Seibel in fine, comment il est possible que la NSA ait tant fonctionné, aussi massivement, avec tant de budgets, alors que les USA accumulaient les faux-pas, les erreurs, les déroutes, il faut se répondre à soi-même : parce que ceci explique cela ... C’est parce que la NSA (et d’autres dans le même sens puisqu’il s’agit du Système qui nous unit tous) a fonctionné “aussi massivement, avec tant de budgets” que les USA ont accumulé “les faux-pas, les erreurs, les déroutes”.

A partir de ces constats, il est manifeste que la NSA est une institution entièrement caractérisée par le système du technologisme tel qu’il constitue l’un des fondements du Système (voir notre Glossaire.dde, le 8 juillet 2013), dans le cadre du développement poursuivi dans le cadre de modernité et selon ses conceptions. Notre appréciation est que le système du technologisme est dans sa phase de crise ultime (voir notre Glossaire.dde, le 14 décembre 2012), comme on le voit dans d’autres aspects de ses manifestations (par exemple, le cas du JSF). Cette phase ultime est cette situation où le point d’une hypothétique efficacité (disons le “point de plaqué or”, caricature de l'autre) du technologisme a atteint et dépassé depuis longtemps son pic dans la partie quantitative où il opère, où il est sur la pente descendante, irrésistiblement de plus en plus descendante, où les effets négatifs sont supérieurs aux effets positifs, où ils ne cessent de s’accumuler et d’étouffer, de dissoudre, les effets positifs de plus en plus rares, de plus en plus inexistants à force de ne plus pouvoir se manifester, à force de ne même plus pouvoir exister. La NSA elle-même se trouve dans cette phase, peut-être plus qu’aucun autre artefact du technologisme, sous le poids de l’accumulation du facteur quantitatif.

La crise Snowden/NSA, toute ponctuelle qu’elle soit dans ses péripéties, est une fatalité structurelle de la NSA dans l’évolution qu’elle a connue depuis 9/11, avec l’exposition publique de son effondrement. Les article du NYT/Guardian, à partir du fonds Snowden, constituent une belle somme, une sorte de nécrologie avant l’heure, qui nous permet de savoir ce qui est en train de mourir.

Le moment de vérité, ou “moment Watergate”

Jusqu’ici, et logiquement puisque nous parlons d’une entité autonome qui a sa propre histoire et sa propre responsabilité, il n’a été question que de la NSA et d’un passage de sa crise qui ressemblerait à un “moment de vérité”, — chose si rare pour l’agence, la vérité. Un Post Scriptum nécessaire est de constater qu’il s’agit aussi d’un “moment de vérité” pour la communauté-sapiens, et pour Saint-Obama précisément.

Un constat général est d’admettre qu’avec les événements de ces deux dernières semaines, et les révélations qui ont évidemment accompagné, suivi et commenté la période autant qu’elles l'ont suscitée, la crise a atteint une nouvelle étape et que cette étape est d’une importance primordiale. Il s’agit du moment où cette “crise première” qui ne cesse d’enfanter diverses crises secondaires et diverses, est sur le point d’enfanter une crise nationale pour la direction politique américaniste, et spécifiquement pour le président. C’est le “moment Watergate”, par analogie avec la crise du même nom, où la responsabilité directe de la crise parvient à terme, c’est-à-dire à la plus haute autorité. C’est la thèse que défend John Prados, un Senior Fellow de la prestigieuse National Security Archives et spécialiste des questions du renseignement dans un contexte historique (le 4 novembre 2013 dans History News Network et le 5 novembre 2013 dans Antiwar.com...

«President Barack Obama faces a dilemma of leadership. If he does not now take strong, aggressive action to demonstrate his command, Obama will be saddled with culpability for these excesses. Moreover the White House will completely lose control of the situation. At the outset of Spygate, when generals Clapper and Alexander were caught in lies about NSA activities aimed at Americans, President Obama could have demonstrated his leadership decisively, forcing the resignations of both officers, terminating the program, and ordering a deep review of these activities. Instead Obama resorted to a milquetoast reassessment by the perpetrators themselves, designed to identify cosmetic reforms, and he disciplined no one. As a result he put the White House in danger. Obama’s political vulnerability increases with each new revelation. The old Watergate questions of “what did he know” and “when did he know it” assert themselves. Obama has reached a point where only public action can restore confidence.»