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7052De plus en plus précisément se pose la question de l’avenir des USA. C’est une spéculation récurrente depuis 4 à 5 ans, après que la présidence Bush se soit engagée résolument dans sa phase catastrophique, une fois qu’il fut devenu avéré que l’expédition irakienne était effectivement catastrophique. L’événement irakien montrait, bien plus qu’un revers, une impuissance systémique pour cette puissance à accomplir le destin auquel elle s’estime destinée, et sans lequel, sent-on confusément, elle se trouverait devant des perspectives d’inaccomplissement et de frustration impliquant des perspectives d’effondrement. Il va sans dire que la catastrophe du 15 septembre 2008 (9/15) a donné à cette intuition une force et un relief saisissants.
Il faut donc observer l’abondance peu ordinaire, depuis ces événements, de spéculations sur le sort même des USA. Internet en fait circuler en abondance mais le thème n’est pas resté au seul domaine de ce qui est encore désigné comme l’“information alternative” – mais qui l’est, de moins en moins, au regard de la pauvreté grandissante de l’“information officielle”, discréditée par l’effondrement de la soi-disant objectivité de l’information “officielle”, venant des centres de pouvoir. Un homme comme Gerald Celente, dont nous avons encore parlé le 12 octobre 2009, ne se garde pas, sur son site, de diffuser une vidéo et des citations montrant ou détaillant diverses interventions, interviews, citations courantes de lui-même sur les grands réseaux nationaux US (CNN, CNBC, FoxNews, CBS, Wall Street journal, New York Times, USA Today, etc.). Il ne se garde pas, au cours de ces interventions, de signaler ce qu’il juge être l’avenir catastrophique des USA. On ne parle pas ici du talent de prévisionniste de Celente mais bien de la pénétration sur les réseaux “officiels” de thèses catastrophiques sur l’avenir des USA.
Il s’agit, si l’on y réfléchit, d’un phénomène remarquable que cette publicité faite à une prospective aussi catastrophique, qu’on ne retrouve dans aucun autre pays. Certes, la puissance de la communication et l’attrait du sensationnel, qui sont si forts aux USA, y ont leur rôle. Mais il s’agit également, à l’inverse, d’un pays cadenassé dans des normes autoritaires du système, impliquant une autocensure presque unanimement suivie dans la “presse officielle”; on l’a vu et on le voit dans nombre de cas, avec l’étouffement “en toute liberté de la presse”, par simple non-publication, de nouvelles pourtant importantes, mais déplorables pour le système, voire jugées dangereuses pour lui. Est-ce à dire que des prévisions de troubles révolutionnaires conduisant à des perspectives d’effondrement, voire de dislocation, ne font pas partie de ces nouvelles “déplorables pour le système, voire jugées dangereuses pour lui ”? C’est un phénomène singulier, qui donne une bonne ouverture pour une esquisse d’analyse d’une prospective sur l’avenir des USA.
…En effet, cette tendance surprenante à ne pas autocensurer de telles observations, alors que l’autocensure fonctionne si bien dans la Grande République, est en soi un élément de poids à considérer, et un élément de la prospective que l’on peut faire de l’avenir des USA. Il y a une fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique et cette fascination tient une place dans notre analyse – une place importante parce qu’il s’agit du facteur psychologique, auquel nous attachons une si grande importance comme le savent nos lecteurs. Cette prospective n’est pas vraiment la première du genre de notre part (voyez notamment notre texte sur cette “fascination” du système pour son propre anéantissement, le 22 mai 2007, encore loin de la catastrophe 9/15). Elle n’est certainement pas la dernière.
Il y a donc le cas Celente, que nous avons déjà cité. Celente axe sa prospective sur des prévisions économiques qui, elles, ne diffèrent pas fondamentalement d’autres prévisionnistes catastrophiques du genre. On peut même dire qu’à ce propos, son originalité est faible, même dans la justesse de certaines de ses prévisions qui a été partagée par d’autres.
La prévision économique catastrophique est aujourd’hui, aux USA, et ailleurs également, un sport couramment pratiqué. La différence, avec Celente, est qu’il élargit les conséquences de son propos aux facteurs politiques et sociaux et, à partir de là, diverge de la plupart des autres prévisionnistes catastrophiques. Au lieu de poursuivre le raisonnement en crises dramatiques, d’effondrement, etc., suivies de réflexions sur la difficulté d’en sortir et de s’en relever, Celente passe au social et au politique et prévoit une rupture fondamentale de la société, du pays lui-même.
Un autre “croisé de l’Apocalypse” qui a une certaine notoriété aux USA, et assez étonnante du fait de sa nationalité, est le Russe Panarine, ancien officier du KGB/FSB passé au centre d’analyse du ministère des affaires étrangères. Nous en avons parlé notamment le 26 novembre 2008. Panarine a un calendrier très précis de l’éclatement des USA, que nous commencerions à expérimenter dès l’année prochaine. Les grands réseaux US, parfois avec ironie, parfois même d’une façon plus sérieuse, ont relayé les conceptions de Panarine, qui est ainsi devenu un acteur à part entière de la prospective catastrophique aux USA. Panarine est une référence de Paul Starobin, avocat sans masque ni sans honte de la “dévolution” des USA, qu’il cite dans un article qu’il publie dans le Wall Street Journal en juin 2009 (voir notre Bloc-Notes du 22 juin 2009).
Nous avons cité des exemples, rien d’autre, sans prétendre donner un catalogue précis de la prospective catastrophique. Il nous importe simplement de substantiver notre affirmation de départ, de cette liberté paradoxale laissée à la diffusion de ces idées définitives sur les USA, donc confirmer cette “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique”. Nous confirmons ainsi l’importance que nous accordons à cet aspect psychologique.
Il y a, dans cette “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique” une cause évidente, qui découle de la structure de ce pays qui n’est pas une nation, de cette fausse nation qui a prétendu se faire par la puissance, le fer, le feu et le sang – malgré la cause avancée rapidement fagotée, en 1862-1863, pour éviter la désintégration du Nord – et la plus grande Cause qui soit pour nos petits esprits postmodernistes, qui est celle de la liberté, qui produit en général, à terme, son contraire comme nous le montre le “système” lui-même aujourd’hui. Là-dessus, nous comprenons parfaitement que Lincoln, cet incontestable très grand homme, ait traîné toute sa terrible vie ce tragique tædium vitae qui est la dépression que les psychologies individuelles, jusqu’aux plus hautes, retirent de la décadence de civilisation qu’elles vivent.
(L’action de Lincoln est un peu comme le panégyrique extrêmement contraint de la démocratie par Tocqueville, vue par Sainte-Beuve, avec quel brio: «Tocqueville m'a tout l'air de s'attacher à la démocratie comme Pascal à la Croix: en enrageant. C'est bien pour le talent, qui n'est qu'une belle lutte; mais pour la vérité et la plénitude de conviction cela donne à penser.»)
Oui, les USA sont absolument fragiles, parce qu’ils n’ont jamais été adoubés par l’Histoire, qu’ils se sont construits contre elle, par le fer, le feu et le sang, puis par la spéculation, la corruption, la rapine et le virtualisme de la création fictionnelle. Le seul remède à cette fragilité, confusément mais fortement devinée, c’est l’expansion – non pas la conquête, mais l’expansion de l’américanisme, jusqu’à ce que tout devienne américanisme et qu’il s’avérerait alors que l’Histoire est vaincue. Ces dernières années ont montré, avec quelle vitesse vertigineuse, quelle ivresse de la défaite, du revers et de la catastrophe, que l’expansion politique et économique de l’américanisme est dans une impasse, que c’est même le contraire qui se passe. Ainsi s’impose soudain, comme une fascination pour son propre destin, la “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique”… Dito, la fragilité de la chose, soudain exposée dans toute sa béance, et contre laquelle plus rien de solide ne semble pouvoir être construit.
Plus encore, cette fragilité a été immensément accrue par le fait même qui devait en avoir raison, un renforcement absolument colossal du “centre”, de ce monstre qui se nomme Washington D.C., avec ses appendices hollywoodien et de Wall Street. Ce renforcement (argent, armement, puissance militaire, communication jusqu’au virtualisme, bureaucratie, lobbying, avec le Big Government en prime) devait assurer l’expansion du système et donc écarter le spectre de la fragilité. Aujourd’hui, l’énorme centre déséquilibre cette construction artefactuelle bâtie sur un équilibre si précaire.
Comme on l’a bien vu ces deux ou trois dernières années, voire même depuis la guerre d’Irak et depuis Katrina en 2005, toutes les contestations, tous les mécontentements, se traduisent par une protestation centrifuge, d’autant que le centre, pressé par ses ambitions excessives et handicapé par un désordre interne sans mesure, ne cesse de prêter le flanc à la critique. Des Etats ont protesté contre l’utilisation de leurs Gardes Nationales en Irak. L’action de la FEMA fédérale durant l’ouragan Katrina a été si catastrophique que certains Etats refusent désormais son intervention en cas de catastrophe. Même un gouverneur du Texas sans grande vertu, emporté par le feu d’une des premières réunions de Tea Party, ne trouve de meilleur argument pour obtenir son petit succès de foule que de menacer le centre de la sécession du Texas. Cela fit bien rire, dans les jours qui suivirent, mais qu’on nous pardonne si nous lui trouvâmes, à ce rire-là, un teint un peu jaunâtre.
D’une façon inéluctable, toutes les colères, toutes les frustrations, se tournent contre le centre, vers ce Washington D.C. qui devient l’objet de toutes les détestations. Un nombre notable d’Etats ont, ces derniers mois, renforcé leur législation interne portant sur l’affirmation de la souveraineté de l’Etat dans l’Union.
Bien sûr, il y a l’exemple du mouvement Tea Party. Ce mouvement est né (en janvier-février 2009) d’une façon si discrète, si anodine, qu’il a ressemblé plutôt à une sorte de génération spontanée. Personne n’a rien vu venir, d’abord jusqu’à la série de manifestation du 15 avril, puis, d’une façon beaucoup plus éclatante, lors de la grande manifestation de Washington du 12 septembre 2009.
Le processus habituel a été enclenché: dénonciation d’un mouvement d’extrême droite, voire raciste, par une gauche (y compris anti-guerre) qui ne parvient pas à se débarrasser de ses oripeaux idéologiques. De l’autre côté, un soutien abusif d’un parti républicain à la dérive, aussitôt marqué par des tentatives d’annexion et de réupération, pour disposer d’une solide base populaire pour les élections mid-term de 2010. On voit (notre Bloc-Notes du 13 octobre 2009) que Tea Party, non seulement ne se laisse pas faire, mais contre-attaque avec alacrité. On a vu ici et là que nous tenons ce mouvement comme un phénomène particulièrement important et intéressant.
De plus en plus, la confusion marquant Tea Party se décante pour se synthétiser en une attitude commune: la résistance et l’hostilité au centre, au Big Government, à Washington D.C. Lorsque Dick Armey, ancien représentant républicain à la Chambre, lui-même de tendance libertarienne et l’un des organisateurs de tea Party, déclare: «We will be a headache for anyone who believes the Constitution of the United States … isn’t to be protected.», on peut comprendre qu’il puisse également parler des droits des Etats de l’Union tels qu’ils sont spécifiés dans, ou impliqués par la Constitution.
Toute cette agitation n’est pas réduite à elle-même. Elle est le produit d’une pression générale, qui est la situation actuelle des USA. On connaît les crises innombrables qui affectent ce pays, et on mettra au-dessus de tout la crise du chômage qui touche au moins 20% de la population. On se demande ce qu’il y a dans l’esprit d’Obama pour ne pas tenter de résorber avec plus de vigueur cette lèpre qui, en même temps, constitue une crise formant un cimier explosif pour toutes les tensions qu’on observe actuellement. L'expression de “permanent depression” pour ce qui concerne l’emploi, utilisée par le commentateur “Spengler” que nous citions le 8 octobre 2009, montre que l’administration Obama a choisi de favoriser les structures du centre (Wall Street) aux dépens de l’organisation sociale générale. Ce choix est bien risqué.
Cette tendance est évidemment ressentie dans le sens qu’on imagine. Elle exacerbe plus encore, s’il n’était besoin, les tendances centrifuges qu’on décrit. Mais Washington D.C. (le centre, avec ses appendices new yorkais et hollywoodien) ne semble plus capable d’appréhender la crise US pour ce qu’elle est, dans “le pays profond”, mais pour la façon dont elle se manifeste dans les organes qui, justement, constituent ce “centre”.
Notre appréciation est que l’extrême complexité de la situation US se résume à deux questions ou constats paradoxalement très simples.
• Nous serions tentés d’accepter l’hypothèse du “quand” plutôt que du “si”: “quand une explosion aura lieu aux USA” – plutôt que “si une explosion a lieu aux USA” – entraînant une véritable situation de désordre civil, que se passera-t-il? (La caractérisation d’une telle “explosion” est quasiment impossible, en raison de la variété des situations et de leur volatilité, à cause de la puissance de la communication.) A cause de la parcellisation du pouvoir, de la paralysie bureaucratique, d’un certain caractère d’indécision d’Obama, notre appréciation est que les premières réactions pour le rétablissement de l’ordre (expression prise dans son sens le plus large) seraient très faibles et inefficaces. Une intervention militaire nous paraît complètement hors de propos, aussi bien pour des raisons d’état d’esprit que pour des raisons de moyens limités. De même, une réaction internationale d’agression catastrophique du centre (emploi du nucléaire) nous paraît également très improbable, toujours à cause des facteurs paralysants, bureaucratiques et autres, affectant le système. On doit mesurer cette paralysie au très faible niveau d’intervention militaire massive de l’ère Bush, malgré une dialectique si agressive, notamment avec les menaces d’attaque de l’Iran jamais concrétisées ; ou, aujourd’hui, la lenteur du processus pour simplement décider d’envoie de renforts effectivement combattants en Afghanistan. (Le système favorise des mesures passives ou dissimulées, telles la recherche de bases nouvelles et des actions clandestines, qui n’ont aucun effet catastrophique ou décisif comme celui qu’on envisage.)
• Lorsque l’explosion aura eu lieu et qu’une situation de désordre existera, deux forces s’exerceront en faveur d’un système de partition, ou de “dévolution” (comme dit Starobin), mais plutôt brutalement que dans l’apaisement. Ces deux forces sont d’une part les tensions populaires qui sont nettement centrifuges, d’autre part les réactions de certains centres de pouvoir du centre général qui, imbus de leur pouvoir et refusant tout compromis, pousseront vers des situations de résistance très forte sans moyens réels pour en contenir les effets. Dans ce cas où une situation d’affrontement aura été créée, il sera de plus en plus difficile de parvenir à des situations de compromis qui permettraient de résorber la crise. On fera encore monter la tension (“‘montée aux extrêmes”) sans résultat décisif en faveur du centre qui sera la principale cause de cette montée de la tension.
C’est en ceci que la crise US potentielle est spécifique. Si elle éclate, les forces déclenchées tendraient à son aggravation, alors que dans nombre de cas, une crise peut au contraire libérer des forces dont la confluence tend à chercher la solution de problèmes jusqu’alors écartés. Cela situe toute l’ampleur de la distance qui s’est établi, du gouffre qui s’est creusé entre Washington et le “pays réel”.
Nous l'avons déjà écrit et nous le répétons avec force : il ne peut y avoir, aujourd’hui, d’événements plus important pour la situation du monde qu’une dynamique de dislocation des USA. Nous pensons que la crise actuelle est à la fois, et contradictoirement, formidablement amplifiée et formidablement bloquée dans sa compréhension par la puissance de la communication. Ce phénomène ne cesse de dramatiser et d’attiser les conditions de la crise tout en renforçant la pression du conformisme de la pensée dominante pour ne pas mettre en cause les éléments qui sont les fondements de cette crise.
L’un des fondements est psychologique, avec le phénomène de fascination – à nouveau ce mot – pour l’attraction exercée sur les esprits par le “modèle américaniste”, qui est en fait la représentation à la fois symbolique et onirique de la modernité. C’est cela qui est résumé sous l’expression populaire mais très substantivée de American Dream. Cette représentation donnée comme seule issue possible de notre civilisation (le facteur dit TINA, pour “There Is No Alternative”) infecte la plupart des élites en place; elle représente un verrou d’une puissance inouïe, qui complète d’une façon tragique la “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique” pour former une situation totalement bloquée empêchant de chercher une autre voie tout en dégringolant vers la catastrophe. La fin de l’American Dream, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l’Amérique, constituerait un facteur décisif pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation.
L’alternative n’est pas une évolution des arrangements politiques, économique ou géostratégiques (par exemple, la Chine remplaçant les USA comme n°1, mais toujours dans le même système). En raison du blocage psychologique ainsi décrit et de la prédominance de la communication, parce que nous sommes dans une ère psychopolitique et non plus dans une époque géopolitique, il n’est pas raisonnble d’envisager une évolution “douce” où les USA accepteraient de perdre leur position dirigeante absolue. L’alternative est une poursuite catastrophique de la crise vers des situations inconnues de désordre, avec les USA bloquant toute évolution possible. Mais il y a également de fortes chances que cette alternative renvoie évidemment à la première hypothèse, parce que l’entraînement “vers des situations inconnues de désordre” affecterait justement, en priorité, les USA, vers l’évolution qu’on suggère, prédatrice et liquidatrice de l’American Dream.
Il est à noter que les prévisionnistes radicaux sont aujourd’hui, expressément ou pas, axés sur cette perspective. Lorsqu’un Celente évoque une “Great American Renaissance” (GAR) avec un retour à un certain “jeffersonisme”, il apparaît évident que la condition sine qua non de cette prévision est la parcellisation de l’Amérique avec l’effondrement du centre comme moteur fondamental de la dynamique actuelle. On voit que les projections utopiques – car c’en est une, bien sûr – rejoignent les appréciations réalistes, voire le simple constat de l’évolution de la situation aux USA.
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