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123921 avril 2015 – Dès l’accord de Minsk2 signé, en février dernier, un point est apparu intéressant et, de ce fait, parce qu’il était intéressant, n’a guère été évoqué. Il s’agit du point 10 de l’accord, qui prévoit le départ d’Ukraine de toutes les forces étrangères. Nous en parlions le 16 février 2015, à la lumière de remarques à cet égard de Ray McAdams, du Ron Paul Institute for Peace.
Bien entendu, l’esprit du temps se serait penché, s’il s’était intéressé au “point 10”, aux troupes russes en Ukraine. Depuis, des précisions intéressantes ont été apportées à ce propos (des troupes russes en Ukraine), qui précédaient largement le “point 10”, de la part du directeur du renseignement militaire français, la DMR (voir le 11 avril 2015). Pourtant, le plus intéressant vis-à-vis de ce “point10“, c’était tout autre chose : la présence de troupes US en Ukraine, – et de troupes à venir, et cela malgré Minsk2. Nous observions, dans le texte du 16 février 2015 :
«... Le second est l’annonce de l’envoi d’un bataillon de 600 hommes de la 173ème brigade aéroportée de l’US Army en Ukraine pour entraîner les forces armées ukrainiennes [...] Il faut d’abord noter que l’annonce du déploiement de cette force, faite le 11 février (le 12 février en Europe, vu le décalage horaire), a été faite exactement au moment où l’on bouclait l’accord Minsk-2. Il serait étonnant que le département d’État, avec lequel Porochenko était en contact permanent et direct (avec Victoria Nuland) lors de ses escapades toilettes/coup de téléphone durant les entretiens, n’ait pas été au courant de l’existence de cette clause dans la proposition d’accord. Ici se présentent alors deux options (en ne s’intéressant qu’à la seule nouvelle proclamé publiquement dans toutes les affirmations répandues, à savoir l’envoi du bataillon de 600 hommes de la 173ème aéroportée)... [...]
»... Il nous paraît incontestable que la position la plus difficile est celle de la France et de l’Allemagne, garantes de l’accord, et qui sont confrontées dans ces deux cas principaux évoqués aux deux grands problèmes de la crise ukrainienne. Le premier est le problème de la méthodologie, ou des rapports conflictuels de la narrative officielle avec la vérité de la situation en Ukraine. Le second est le problème du jeu des USA en Ukraine, avec le très fort soupçon que ce jeu est caractérisé par l’usage de la provocation pour empêcher le rétablissement d’un certain calme, sinon d’une “paix” approximative qui va contre le but essentiel des USA qui est l’attaque déstabilisatrice de la Russie.»
Finalement ils ne sont pas 600 mais 300, des parachutistes de la 173ème brigade aéroportée venus pour “entraîner” les forces ukrainiennes de la Garde Nationale. (Il est bien possible que les 300 autres viennent plus tard, pour remplacer ou renforcer les premiers 300, c’est selon.) Le 17 avril, le Pentagone annonçait officiellement qu’ils avaient débarqué les 15 et 16 avril, à Yavoriv, en Ukraine occidentale, venant d’Italie où est basée cette brigade. (On ne parlera pas ici d’autres contingents étrangers officiellement en Ukraine, britannique, canadien, polonais, tous vertueusement accourus pour l’instruction des Ukrainiens, aussi bien en contravention que les paras de la 173ème, mais qui n’attirent guère l’attention puisqu’ils ne valent que ce que la présence US leur permet de valoir, – c’est-à-dire pas tripette.)
Les Russes ont aussitôt réagi officiellement à l’annonce officielle du déploiement des forces US, suivant en cela la procédure standard des normes internationales. Il s’agit d’une réaction du porte-parole du ministre des affaires étrangères, qui observe avec inquiétude que les accords Minsk2 sont ainsi violés, et qu'on peut assimiler ce déploiement de soldats US à “un premier pas vers un équipement des forces ukrainiennes d’un armement avancé, comme le réclame ‘le parti de la guerre’ à Kiev...” La remarques est inquiète mais reste modérée parce que le déploiement de forces est tout de même autre chose qu’un “premier pas...”, etc. (Sputnik.News, le 18 avril 2015)...
«“These US actions directly contradict the agreements reached in Minsk on February 12, signed by Kiev officials and supported, as far as we are concerned, by Washington,” Foreign Ministry's spokesman Alexander Lukashevich said in a statement. “It could be viewed as a first step toward supplying Ukraine with advanced US weaponry, which Kiev‘s ‘party of war’ desires so much.” Washington's support of Ukrainian war hawks could lead to a new bloodshed in a country sharing border with Russia, the Russian Foreign Ministry's spokesman said.»
Mais l’accord Minsk-2, ce ne sont pas seulement les Russes (sans parler des Ukrainiens, certes, mais ceux-ci sont partie prenante). Les Allemands et les Français en sont aussi les garants, d’une certaine façon. En général, on n’en a pas tellement l’impression...
Tout de même, devant la flagrance de l’acte posé par les USA par rapport à Minsk2, certains commentateurs allemands ont cru de leur devoir de rappeler à madame Merkel que son devoir était de chercher à limiter, sinon à empêcher, toute situation mettant en péril ces accords. Ils ont poussé l’audace jusqu’à considérer que l’acte américaniste constituait une de ces “situations”, allant jusqu’à cette audace supplémentaire de ne pas accepter comme argent absolument comptant une explication US qui dit que ce déploiement des 300 soldats de la 173ème brigade aéroportée est une “opération humanitaire”, ou une autre qui dit que ce n’est pas “une aide létale”. Un de ces commentateurs est Michael Stürmer, dans Die Welt. (Sputnik.News, le 20 avril 2015).
«However, commentators in Germany are urging Merkel — who has a close relationship with Russian President Vladimir Putin — to ensure the US intervention does not escalate the crisis in Ukraine. Writing in Die Welt, Michael Stürmer said the issue depended on the definition of non-lethal assistance. “The path to the pre-war period was paved with misunderstandings”. “Today's conflict is, unlike the late stages of the Cold War, not a stable confrontation — and conflict management has not been rehearsed. This is not going to be over soon. There is too much distrust and deep conviction [on all sides in the Ukraine crisis]”.
»Stürmer said that putting in 300 US troops may look like a humanitarian gesture, but it could backfire and lead to an escalation of warfare. He recalled the words of the Prussian general and influential military theorist, Carl von Clausewitz, who said: “Kind-hearted people might of course think there was some ingenious way to disarm or defeat the enemy without too much bloodshed, and might imagine this is the true goal of the art of war. Pleasant as it sounds, it is a fallacy that must be exposed: War is such a dangerous business that mistakes that come from kindness are the very worst.” Stürmer urged Merkel to continue to press for peace via the Minsk agreement and pursue a diplomatic solution rather than a US-backed military one. “The Chancellor must stand firm: no weapons, no soldiers,” he wrote.»
Tout de même, Stürmer ne va pas jusqu’à recommander des sanctions contre les USA. Quant aux Français, ils suivent officiellement, et au niveau de la presse-Système, la voie de la discrétion qui sied à toute bonne diplomatie, sans anathèmes ni menaces, ni rien du tout d’ailleurs, – de la sorte qu’ils ont suivie, c’est bien connu, avec Assad et avec Poutine. Mais l’on sait bien qu’il y a deux sortes d’humanité chez ces gens-là : eux (le bloc BAO), et puis le reste (la tripette).
Là-dessus, il y a l’interview du général Frederick “Ben” Hodges, qui commande les forces terrestres américanistes (US Army) en Europe, au Daily Telegraph le 19 avril. On a déjà entendu Hodges et, jusqu’alors il a suivi la voie de la communication tonitruante dans l’antirussisme tracée puis abandonnée par son supérieur Breedlove (voir le 9 mars 2015, puis le tournant à 180° de Breedlove [voir le 12 mars 2015], suivi de celui de Hodges [voir le 19 mars 2015]). Cette fois, Hodges repart à l’attaque sans Breedlove, ce qui s’explique par leur différence de statut : Breedlove est un chef international (SACEUR, commandant les forces nécessairement multinationales de l’OTAN en plus des forces US en Europe) dont la parole engage les pays de l’OTAN tandis que Hodges exerce un commandement purement américaniste et parle pour les seuls USA. Le Pentagone ne veut pas trop froisser ou mettre dans une situation trop compliquée les amis de l’OTAN.
... Car c’est bien le Pentagone qui, à notre sens, envoie de nouveau Hodges au charbon. Son interview au Telegraph du 19 avril 2015 est très long, parfois un peu ambigu mais plutôt faussement lorsqu’il sacrifie à quelques bons vœux pieux, mais surtout marqué par une affirmation de supériorité. Le Sputnik-français rapporte, le 19 avril 2015, sans insister trop nettement ni tirer le vrai enseignement de ces déclarations, les deux facettes de la démarche de Hodges.
« Selon le commandant des troupes terrestres des Etats-Unis en Europe, les progrès enregistrés par Moscou dans le domaine des technologies militaires ne répondent pas aux intérêts des Etats-Unis. L'armée américaine ne veut pas rivaliser d'égal à égal avec un autre pays, a déclaré dimanche le lieutenant-général Frederick Ben Hodges, commandant des troupes terrestres de l'Otan en Europe, cité par le journal britannique Telegraph. “Nous ne sommes pas intéressés à une concurrence loyale avec un pays. Nous souhaitons avoir une position dominante dans tous les domaines. Je ne pense pas que nous soyons en retard sur la Russie, mais la Russie a comblé son retard dans certains secteurs. Nous ne voulons pas qu'elle comble ce retard”, a indiqué le général.
»Dans le même temps, le général Hodges a noté qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle guerre froide contre la Russie. “Nous aimerions que la Russie revienne au sein de la communauté internationale et qu'elle participe aux efforts visant à combattre le terrorisme islamique et les ambitions nucléaires de l'Iran. Cela ne ressemble pas à la guerre froide”, a-t-il ajouté.»
L’interprétation que fait le député Kosachev, qui préside la commission des affaires étrangères de la Douma, est beaucoup plus tranchante et, semble-t-il, correspond mieux à l’esprit des propos du général Hodges. (Sputnik.News, le 20 avril 2015) :
«“The commander of ground forces in Europe, General Frederick Ben Hodges, was very honest in his interview with the Telegraph,” Kosachev wrote on his blog, citing part of the article in which General Hodges said: “We're not interested in a fair fight with anyone. We want to have overmatch in all systems. I don't think that we've fallen behind but Russia has closed the gap in certain capabilities. We don't want them to close that gap.”
»Kosachev says that western military leaders have admitted that NATO will work to achieve superiority over Russia and that the expansion of NATO to the Russian borders is dictated by the desire to dominate in all fields. This, according to the Chairman of the Foreign Affairs Committee, is the first time a commander of ground forces in Europe has reiterated what the Russia Federation has been saying for a long time. “The goal of the plans is to get NATO military superiority over Russia (not the defense of values, nor even containment and preservation of defense capabilities needed),” said Kosachev. “NATO would never allow equality.”»
On doit revenir sur le détail, ou sur certains détails, de cette interview de Hodges au Telegraph du 19 avril 2015, dont le titre est sans la moindre ambigïté, – “L’Europe est face à une “réelle menace’ de la Russie”, avertit le chef de l’US Army”.
Au mot à mot, l’“avertissement” de Hodges est très clair. Il s’agit d’un cri d’alarme contre une menace très active, très réelle, en pleine dynamique et marquée par des progrès considérables des capacités, notamment technologiques mais aussi dans l’opérationnalisation de ces technologies, des forces russes. Le thème est bien qu’il s’agit d’un “danger imminent” appuyé sur une constante amélioration de forces russes qui va bientôt les mettre dans une position de parité avec les forces de l’OTAN, – ce dont le général Hodges ne veut as entendre parler ...
«The commander of the US army in Europe has warned that Nato must remain united in the face of a “real threat” from Russia. “It's not an assumption. There is a Russian threat,” Lt-Gen Frederick ‘Ben’ Hodges said. “You've got the Russian ambassador threatening that Denmark will be a nuclear target if it participates in any missile defence programme. And when you look at the unsafe way Russian aircraft are flying without transponders in proximity to civilian aircraft, that's not professional conduct.”»
»In recent years, while Western countries have been cutting their defence budgets, Russia has been spending heavily on modernising its military. “We're not interested in a fair fight with anyone,” Gen Hodges said. “We want to have overmatch in all systems. I don't think that we've fallen behind but Russia has closed the gap in certain capabilities. We don't want them to close that gap.” The recent involvement of Russian forces in fighting in eastern Ukraine has shown that they have made huge advances, particularly in electronic warfare, Gen Hodges said.»
Pour autant, dit Hodges, ce n’est pas la Guerre froide comme on l’a connu, – et cela est vrai, mais dans une mesure qui est le contraire d’être rassurante ... Hodges tend la main aux Russes, leur offre de réintégrer “la communauté internationale” (c’est-à-dire nous, le bloc BAO, le reste du monde n’ayant guère d’existence à cet égard), – pour autant qu’ils acceptent la supériorité de l’OTAN (du bloc BAO) comme feuille de route pour leur signifier et leur place, et leur politique qui consistera à suivre les consignes du bloc BAO. Le rameau d’olivier est du type menottes aux poignets, une façon d’à peine déguiser grossièrement un ultimatum d’avoir à se soumettre en une proposition de réconciliation.
«But he doesn't think this is the start of a new Cold War. “That was a different situation, with gigantic forces and large numbers of nuclear weapons,” he said. “The only thing that is similar now is that Russia and Nato have different views about what the security environment in Europe should be.” “I don't think it's the same as the Cold War. We did very specific things then that are no longer relevant. We don't need 300,000 soldiers in Europe. Nobody can afford that any more. “We want to see Russia back in the international community and cooperating against Islamic terrorism and on Iran's nuclear ambitions. That's different from the Cold War.” »
Enfin, il y a un passage intéressant dans le propos d’Hodges, qui répudie la stratégie de la “guerre de la communication” prônée par les communicants de la Maison-Blanche et, dans une moindre mesure, du département d’État. Hodges détaille cette “guerre de la communication” en insistant sur le fait que les Russes sont supérieurs aux USA dans ce domaine, –aveu appuyé sur de nombreux constats faits à Washington dans les milieux intéressés, mais aveu diablement intéressé. Les “milieux intéressés” font cet aveu pour proposer d’amplifier les moyens de cette “guerre de la communication” pour tenter de contrer l’avantage des Russes ; Hodges, en fonction de ce qu’il a remarqué précédemment, dit implicitement : “Les Russes sont plus forts que nous dans cette ‘guerre de la communication’, alors venons-en aux bonnes vieilles traditions de la guerre, la quincaillerie et les très hautes technologies, et là n’hésitons plus à appliquer toutes les pressions possibles sur les Russes pour l’emporter”, – par tous les moyens, y compris la guerre si les Russes ne capitulent pas ? Le point d’interrogation est-il utile pour exprimer la pensée brute du général ?
« Hodges] has chosen to speak out because he fears the Russia is going unchallenged in the information war, he said. “We talk about DIME: diplomacy, information, military and economy. An important aspect of how Russia operates is how they use information.” “They use information the way they use infantry and missiles. They're not burdened by the truth. Most of the independent media has left Russia and a large percentage is government-owned or -dominated. They don't have to worry about congressional or parliamentary oversight. There's a constant bombardment of information.”»
Revenons à Stürmer, recommandant à Merkel d’agir auprès de ses très grands amis US pour qu’ils n’en fassent pas trop avec leur déploiement de troupes. Il écrit que “le conflit d’aujourd’hui n’est pas, contrairement aux épisodes de la Guerre froide, une confrontation stable, – la gestion de l’antagonisme n’a pas été remise à jour”. Cela renverse complètement le rassurant “Ce n’est pas la Guerre froide” de Hodges. La Guerre froide opposait des masses bien plus considérables de troupes, de matériels, et de forces nucléaires, mais selon des processus et des mécanismes d’équilibre, de gestion partagée, d’un travail de stabilité réciproque où les diplomates, – à cette époque raisonnables et expérimentées, – avaient autant leur mot à dire, sinon plus, que les militaires.
En Europe, les chefs militaires eux-mêmes, à l’insistance des pouvoirs civils mais sans réticence aucune (à part Patton en 1945...), se rencontraient dans des visites de “bon voisinage” pour renforcer cette stabilisation ; à partir de la fin des années 1960, il y avait des visites réciproques régulières du maréchal soviétiques chef des forces soviétiques en RDA (le GFSA) au général chef de l’US Army en Europe basé en RFA, et réciproquement. L’équilibre des forces était soigneusement surveillé, en tenant compte des caractéristiques asymétriques de ces forces. L’introduction d’une arme nouvelle dont une partie estimait qu’elle mettait en danger cet équilibre était l’objet d’une alarme générale, d’une crise, jusqu’à ce qu’un accord de nouvel équilibre soit trouvé (la crise des “euromissiles”, de 1977-79 à 1983-1987).
Aujourd’hui, tout à fait au contraire, Hodges dit et répète : “Nous ne sommes intéressés que par la supériorité dans tous les domaines”, ce qui est l’exacte affirmation de la déstabilisation comme stratégie. On comprend que le nombre des forces et des matériels ne fait rien à l’affaire, dès lors qu’il est question des USA et de la Russie, puisque c’est par conséquent in fine du nucléaire qu’il est question. Plaider que tous les mécanismes et les intentions sont en place pour empêcher le recours au nucléaire, notamment grâce à la sagesse supposée des grands chefs civils est une affirmation complètement théorique sinon illusoire. Déjà, pendant la Guerre froide où le contrôle civil sur les militaires était en théorie impeccable, on s’est aperçu, une fois les archives explorées, qu’il y avait eu nombre d’occasions où ce principe fut mis à mal. On connaît le comportement du général LeMay à cet égard, ses initiatives innombrables dans les années 1950, et jusqu’à ce tir de provocation incroyable qu’il ordonna de sa seule autorité le 27 octobre 1962 alors que Kennedy et Krouchtchev tentaient de boucler la crise des missiles de Cuba : un soi-disant essai de tir réel d’un ICBM (tout de même, sans tête nucléaire) de Californie que les Russes pouvaient parfaitement prendre pour le début d’une attaque nucléaire, – et cela, évidemment sans la moindre consultation du président. De même a-t-on appris à un symposium à Cuba en 1991, auquel participaient les protagonistes US, cubains et russes de la crise, que des forces russes de combat équipées de nucléaire tactique étaient déployées à Cuba, et que leurs chefs avaient autorité pour décider de l’emploi du nucléaire en cas d’invasion de l’île par les forces US, – un des scénarios favorisés par tous les chefs militaires à Washington. Présent au symposium, le secrétaire à la défense US du temps de la crise, McNamara, avoua en avoir eu des sueurs rétrospectives...
Aujourd’hui, la situation est bien plus volatile à cet égard. Le contrôle du nucléaire par la direction civile, essentiellement US, est extrêmement dégradé par rapport à la Guerre froide, et les forces stratégiques US, comme on a pu le voir, sont elles-mêmes actuellement (voir le 12 novembre 2014) dans un état de discipline extrêmement dégradé qui autorise l’hypothèse catastrophique de tirs plus ou moins accidentels en cas de crise au plus haut niveau. Quant aux Russes, leur intention ne fait pas de doute : s’il y a un conflit conventionnel majeur avec les USA, sinon avec l’OTAN, ils n’hésiteront pas à employer du nucléaire tactique si cela est nécessaire : il s’agit de la défense de ma mère-patrie ...
Ces dispositions de désordre se placent dans un climat proche de l’irrationnel hystérique de défiance, dans deux mondes complètement séparées (le phénomène des narrative), qui n’ont aucun rapport direct et indirect du point de vue de la perception de la situation. Le contraire absolu des champs de confrontation soigneusement gérés de la Guerre froide... Dans un climat où l’un des côtés (celui du bloc BAO) a complètement perdu, au niveau de la communication et même chez les militaires, la conscience de ce qu’est un conflit nucléaire, – narrative oblige, – un climat où le nucléaire est perçu essentiellement comme un instrument parmi d’autres de la panoplie des armes de destruction massive dont on a appris à mesurer combien leurs effets étaient très largement exagérés pour les besoins de la communication, la dimension nucléaire s’est très largement et fortement banalisée. Pourtant, la réalité expérimentale, militaire, opérationnelle sinon philosophique, est bien que la dimension nucléaires représente un autre univers qui n’est rien de moins que l’univers suprême, quasi-métaphysique, de la destruction du monde.
Quel est l’état d’esprit général quant aux possibilités de conflit entre les USA et la Russie via l’Ukraine, éventuellement avec la possibilité de la composante nucléaire ? On a beaucoup entendu de chose dans ce cas du côté russe, beaucoup moins du côté US où l’on a beaucoup agi sans guère réfléchir aux conséquences de cette action. Un texte intéressant vient du point de vue US, sous la plume de Patrick J. Buchanan, qui est tout le contraire d’un interventionniste, – sous le titre éloquent pour ce qui est de l’opinion de l’auteur, de “l’Ukraine peut entraîner le monde dans la folie” (le 17 avril 2015 sur le blog de Buchanan et le 18 avril 2015 sur Russia Insider)
Buchanan part effectivement du très récent déploiement des 300 parachutistes de la 173ème brigade, dont il voit bien qu’il introduit un risque réel de confrontation avec la Russie. Cette brigade va entraîner les forces ukrainiennes, dans le but évident de reprendre les combats contre les séparatistes de Novorussia, dont Poutine a fait de leur sauvegarde une des lignes rouges à ne pas franchir ; et se pose alors la question d’un engagement US, notamment de ces forces US actuellement en Ukraine, si un nouveau conflit avec Novorussia a lieu... Buchanan se réfère à un article récent de The National Interest, revue influente et article qui a eu un retentissement certain à Washington.
«“Could a U.S. response to Russia’s action in Ukraine provoke a confrontation that leads to a U.S.-Russia War?” This jolting question is raised by Graham Allison and Dimitri Simes in the cover article of The National Interest. The answer the authors give, in “Countdown to War: The Coming U.S. Russia Conflict,” is that the odds are shortening on a military collision between the world’s largest nuclear powers. [...]
»What are the forces that have us “stumbling to war”? On our side there is President Obama who “enjoys attempting to humiliate Putin” and “repeatedly includes Russia in his list of current scourges alongside the Islamic State and Ebola.” Then there is what TNI editor Jacob Heilbrunn calls the “truculent disposition” that has become the “main driver of Republican foreign policy.” A “triumphalist camp,” redolent of the “cakewalk war” crowd of Bush II, is ascendant and pushing us toward confrontation.
»This American mindset has its mirror image in Moscow. “Putin is not the hardest of the hard-liners in Russia,” write the authors. “Russia’s establishment falls into … a pragmatic camp, which is currently dominant thanks principally to Putin’s support, and a hard-line camp” the one Putin adviser calls “the hotheads.” The hotheads believe the way to respond to U.S. encroachments is to invoke the doctrine of Yuri Andropov, “challenge the main enemy,” and brandish nuclear weapons to terrify Europe and split NATO. Russian public opinion is said to be moving toward the hotheads. [...]
»In Ukraine, Putin has drawn two red lines. He will not permit Ukraine to join NATO. He will not allow the rebels to be crushed.
»Russia hard-liners are confident that should it come to war in Ukraine, Russia would have what Cold War strategists called “escalation dominance.” This is what JFK had in the Cuban missile crisis — conventional and nuclear superiority on sea and land, and in the air around Cuba. With Ukraine easily accessible to Russian forces by road and rail, sea and air, and Russia’s military just over the border while U.S. military might is a continent away, the hard-liners believe Russia would prevail in a war and America would face a choice — accept defeat in Ukraine or escalate to tactical atomic weapons. The Russians are talking of resorting to such weapons first.
»The decisive date for Putin to determine which way Russia will go would appear to be this summer. The authors write: “Putin will attempt to exploit the expiration of EU sanctions, which are scheduled to expire in July. If that fails, however, and the European Union joins the United States in imposing additional economic sanctions such as excluding Moscow from the SWIFT financial clearing system, Putin would be tempted to respond, not by retreating, but by ending all cooperation with the West, and mobilizing his people against a new and ‘apocalyptic’ threat to ‘Mother Russia.’“As a leading Russian politician told us, ‘We stood all alone against Napoleon and against Hitler.’”»
Il y a des faits remarquables à propos de l’évolution de la crise ukrainienne, qui s’imposent peu à peu, malgré les avatars, malgré la prise de conscience de la dangerosité de la situation, avec notamment comme marque de cette dangerosité la signature de l’accord Minsk2...
• La première, c’est la résilience de la gravité de la crise sans pourtant qu’aucun événement décisif n’intervienne dans ce sens, sans même que les violences atteignent des degrés intolérables qui susciteraient des prises de conscience et des interventions décisives. L’accord Minsk2 et la cessation dans tous les cas officielle des combats (qui reprennent d’ailleurs une certaine vigueur) n’ont en rien entamé cette résilience. La crise semble de plus en plus renforcer une base explosive pour mieux alimenter ses propres prolongements. Elle se renforce et s’étend autant dans une situation intérieure dont certains aspects s’apparentent à une vraie terreur qui se réalise dans une sorte d’indifférence générale (notamment la série extraordinaire d’assassinats d’opposants et de journalistes dans un silence non moins extraordinaire de la presse-Système du bloc BAO, – sauf l’exception remarquable du quotidien La Repubblica en Italie). Elle se renforce et s’étend dans la dimension extérieure où les processus bureaucratiques (sanctions notamment) ne cessent de se développer et certains antagonismes à propos du rôle de la Russie, y compris à l’intérieur du bloc BAO, ne cessent de se renforcer.
• La situation en Russie a victorieusement passé l’obstacle du premier choc des sanctions et s’est adaptée à la situation, et aussi bien celui de l’attaque financière lancée contre elle, de façon ouverte, par les USA, qui a abouti à un complet fiasco. Sur le plan extérieur, sa position ne cesse de se renforcer, aussi bien avec des pays qui sont naturellement proches d’elle ou qui choisissent de l’être (voir l’Iran avec sa proposition d’alliance antiaméricaniste), qu’avec des pays du bloc BAO. Poutine poursuit sa politique caractérisée par une tactique habile, temporisatrice mais néanmoins discrètement offensive ... Pourtant, le fait majeur reste que le climat s’alourdit, au niveau de l’opinion publique russe comme des nationalistes, dans le sens d’un durcissement né d’une exaspération grandissante, comme le note l’article de The National Interest cité par Buchanan. “Nous avons résisté, seuls, à Napoléon et à Hitler, – alors...” Pour les Russes, l’anniversaire du 70ème anniversaire de la victoire de 1945 doit exalter à la fois leur sentiment national et le sentiment de rancœur vis-à-vis du bloc BAO, et encore renforcer cette évolution vers une position plus extrême.
• Mais, sans doute est-ce l’élément le plus nouveau et sans doute le plus important : l’essentiel de la politique US en Ukraine et face à la Russie semble de plus en plus être transféré aux militaires, et à des militaires particulièrement agressifs, et cela avec l’accord de leur hiérarchie, et cela comme un basculement... Un jour après la parution de son interview, Hodges en a confirmé tous les termes, et aucune réserve n’est venue du Pentagone, loin de là (ni d’ailleurs de la Maison-Blanche, ni du département d’État, où l’on pense à autre chose). Tout se passe comme si le Pentagone avait pris l’affaire ukrainienne et l’affrontement avec la Russie sur le plan opérationnel en mains, écartant aussi bien le département d’État et ses intrigues de communication, et les divers agences et services de renseignement, avec leurs “coups bas” douteux. L’arrivée des parachutistes de la 173ème brigade aussi bien que les déclarations de Hodges, officier général-type de l’exécutant d’une politique de brutalité, d’affirmation de puissance appuyée sur la seule quincaillerie du technologisme., en sont les signes.
La puissance et l’hégémonie des USA se trouvent devant un problème considérable qu’on résumera par cette remarque paradoxale : on devrait aussi bien parler de “soi-disant puissance” et de “soi-disant hégémonie”, ou encore d’une narrative de puissance et d’hégémonie. Le désordre général qui caractérise les relations internationales, et particulièrement la politique extérieure US avec ses diverses entreprises plus ou moins militarisées dans tous les sens jusqu’à des carambolages et des collisions frontales de myriades d’ennemis-alliés et d’alliés-ennemis, ce désordre général noie tout, emporte tout, culbute tout, y compris les narrative de puissance et d’hégémonie. Comment rétablir l’ordre ?
Il s’agit ici, principalement, d’une nouvelle hypothèse concernant l’attitude du Pentagone vis-à-vis de l’Ukraine, c’est-à-dire vis-à-vis de la Russie, et d’un Pentagone que nous percevrions alors comme une entité, comme une sorte d’égrégore suscitant sa propre dynamique, donc sa politique. Cette hypothèse ne contredit pas la précédente (avertissement du Pentagone à l’OTAN, voir le 5 mars 2015), elle la complète après avoir été suggérée par elle. Cette fois, l’hypothèse concerne un domaine plus vaste que celui de la seule cohésion de l’OTAN, puisqu’il s’agit du désordre général de la situation (dans lequel on peut d’ailleurs inclure la question de la cohésion de l’OTAN).
... Répétons la question : “Comment rétablir l’ordre” ? La réponse ne serait-elle pas, de la part du Pentagone, désormais décidément du côté des extrémistes neocon et autres qu’il détestait et qu’il déteste toujours mais qu’il engage sous sa bannière par convenance : une guerre ... Une guerre pour rétablir l’ordre, éventuellement une “vraie de vraie”, pas ces guerre de fausse-couche, ces embryons de conflit qui ne disent pas leur nom, bref toutes ces choses qui prétendent être des guerres et s’effondrent dans le trou noir du désordre. Il n’est nullement assuré qu’il y parvienne, le Pentagone, tant sa poussée avec des généraux-clown comme Hodges doit provoquer des mouvements incontrôlés de désordres dans tous les sens qui peuvent sinon doivent se retourner contre lui et la matrice du Système qu’est l’américanisme ; il n’est nullement assuré que son éventuelle incapacité à déclencher une guerre ne serait pas son ultime défaite couronnant une série de victoires-simulacres alimentant le désordre général, et celle du Système par conséquent...
C’est le paradoxe de la postmodernité ... La guerre est désordre pur, jusqu’à l’opérationnel (“the fog of war”) ; voilà pourtant qu’on y ferait appel pour dominer le désordre général ; alors même que ce désordre général vient de guerres précédentes (les victoires-simulacres) avec l’Irak-2003 principalement et initialement, qu’on a soi-même initiées ... Le Pentagone a inventé le mouvement perpétuel ou bien en est-il la victime ou le prisonnier c’est selon, tant il est impliqué même contre son gré dans la responsabilité de tous ces événements. Cette ultime tentative vers un conflit où il croirait pouvoir rétablir l’ordre n’est ni une recette, ni un complot, ni un vaste plan d’investissement du monde d’ores et déjà investi par cette force irrésistible du désordre-Système, mais bien une improvisation désespérée... En cela, le Pentagone est bien l’illustration du système de l’américanisme, avec sa “puissance impuissante” devant le flux crisique diluvien des crises diverses et sans fin qui rythment le désordre général. Il lui vient un goût de paroxysme qui ressemble à une tendance suicidaire, celle-là nous rappelant les mots de Lincoln qui doivent devenir une référence à la fois irrésistible et permanente («En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant»).
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