Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
8108 octobre 2014 – C’est connu, Joe Biden est connu, justement, pour ses gaffes. Il l’était depuis longtemps, comme sénateur, il l’est resté comme vice-président de la Grande République, les États-Unis d’Amérique. On ne change pas un homme quand il gaffe si bien... La semaine dernière fut fructueuse pour lui à cet égard.
On retiendra essentiellement ici, – ce qui fait le sujet de ces Notes d’Analyse, – son “grand” discours de politique étrangère, jeudi dernier à Harvard (voir le DVD du discours, à partir de la 40ème minute, la Maison-Blanche ayant curieusement regroupé le discours de Biden avec un discours d’Obama sur un tout autre sujet, –peut-être par souci d’économie [?] ou plus simplement parce qu’ils s’en foutent...). L’effet retenu est de la pure polémique-à-la-Biden parce que Biden y “révéla” plusieurs “secrets de coulisse” qu’on jugerait, selon les normes, très peu diplomatiques, et qui provoquèrent beaucoup de remous, – c’est-à-dire, hein, Much Ado About Nothing...
La partie la plus spectaculaire fut l’affirmation selon laquelle, dans la nouvelle “Guerre contre la Terreur”, avec ce qui précéda l’inauguration publique de la chose, savoir les péripéties de la crise syrienne depuis 2011, le principal problème pour les USA fut le comportement de leurs alliés. Les protestations des susdits alliés n’ont pas manqué, suivies instantanément d’excuses personnelles de Biden. D’un point de vue objectif, on observera que le vice-président ne manque pas de la “vertu” psychologique américaniste de l’inculpabilité : il est bien possible que, dans le chef de ces alliés et si l’on remonte à l’origine de la séquence, les USA pourraient être tenus pour les responsables véridiques et incontestables de ce désordre devenu hyper-désordre.
Pour connaître les modalités de cette polémique “gaffes”-réactions, voici un rapide compte-rendu deRussia Today du 7 octobre 2014. Si l’on se concentre sur l’épisode décrit plus loin, on n’en ajoute pas moins une rapide observation concernant une autre “gaffe” du même discours, – car il y eut plusieurs séries de cet exercice général de Biden, concernant plusieurs crises avec les relations avec les différents acteurs qui les accompagnent.
«Who are Washington's foes in the Middle East? How can you make others impose sanctions, to their disadvantage? As Joe Biden spoke at Harvard, US global policies were somewhat revealed – or simply slipped out...
»Fighting terrorism is the “fourth element” of US foreign policy, Biden told Harvard students. Though he mentioned Islamic State militants in Syria and Iraq, he also stated that the insurgents are not Washington's “biggest problem in Syria.” Instead, he said the largest hurdle is actually America's “allies in the region.” He elaborated that the problems are stemming from Turkey, Qatar, Saudi Arabia, and the United Arab Emirates, because those nations are “so determined to take down Assad.” He added that they started a “proxy Sunni-Shia war” supplying cash to those fighting against the Syrian president.»
»In another unexpected revelation, Biden said that “his old friend” – Turkish President Recep Tayyip Erdogan – admitted that the US was “right.” But there was just one slight problem with that statement – Erdogan claimed that he had never said any such thing to Biden, and demanded an apology. The US vice president did, in fact, apologize in a phone call to Erdogan, “clarifying” what he meant to say. He then had to utter another apology, after the United Arab Emirates expressed “surprise” over supposedly being Washington's “biggest problem” in the Middle East... [...]
»... Biden also confessed that it was the US which pushed the EU into extending sanctions on Russia over Ukraine. “It is true they did not want to do that,” he said.»
La série des “excuses” de Biden ne s’arrête pas là. Elle continue après celles qui sont mentionnées par RT, montrant par là une certaine préoccupation de la direction US, voire une réelle anxiété, de ne pas irriter des pays dont il est pourtant affirmé en général qu’ils constituent une cohorte fidèle et assez ordonnée suivant les exhortations, les consignes, voire les réprimandes de l’“Empire”, – comme on nomme la chose, assez faussement puisqu’il s’agit en fait du Système.
Quoi qu’il en soit, voici ce que précise le New York Times le 7 octobre 2014. On voit confirmé que Biden est plus anxieux que préoccupé, qu’il est presque fébrile, qu’il passe son week-end au téléphone pour essayer d’avoir un officiel saoudien et lui communiquer son acte de contrition, et, en retour, obtenir le “pardon” du porte-flingue pour le boss ...
«Vice President Joseph R. Biden Jr. has one more stop on what has become a Middle East apology tour in the wake of his impolitic answer to a Harvard student’s question: Saudi Arabia. After apologizing to officials from Turkey and the United Arab Emirates over the weekend, Mr. Biden is trying to connect with Saudi leaders, a senior official said, to clarify that he did not mean to suggest that Saudi Arabia backed Al Qaeda or other extremist groups in Syria...»
On observe là un tour typique de cette situation nouvelle qu’a très bien décrit le philosophe Immanuel Wallerstein (voir notre texte du 24 mai 2014), à savoir qu’aujourd’hui le boss ne manipule plus les porte-flingue, mais qu’au contraire les porte-flingue manipulent le boss à leur avantage... Cela est moins un signe de l’inversion stricto-sensu d’un ordre-Système classique qu’un des nombreux signes de l’hyper-désordre caractérisant les actes extérieurs du bloc BAO, USA en tête ; la situation obtenue est bien une inversion, celle de l’autorité, mais plus comme un effet de l’hyper-désordre qu’une démarche de restructuration par inversion ; l’autorité n’est pas renversée cul par-dessus tête, elle est elle-même déstructurée et dissoute, comme un des effets de l’hyper-désordre, c’est-à-dire un signe parmi d’autres de la puissance dissolvante de cet hyper-désordre.
«This has operated as a top-down political structure, within each country and geopolitically between countries. The outcome has been an equilibrium slowly moving upward. Most analysts of the current strife tend to assume that the strings are still being pulled by Establishment elites. Each side asserts that the low-level actors of the other side are being manipulated by high-level elites. Everyone seems to assume that, if their side puts enough pressure on the elites of the other side, these other elites will agree to a “compromise” closer to what their side wants.
»This seems to me a fantastic misreading of the realities of our current situation, which is one of extended chaos as a result of the structural crisis of our modern world-system. I do not think that the elites are any longer succeeding in manipulating their low-level followers. I think the low-level followers are defying the elites, doing their own thing, and trying to manipulate the elites. This is indeed something new. It is a bottom-up rather than a top-down politics...»
... Mais, on l’a vu plus haut, Biden n’a pas seulement parlé des quelques porte-flingue mentionnés. On parle aussi d’une considération peu flatteuse pour l’Europe (l’UE), c’est-à-dire l’“aveu” de ce que tout le monde savait («... Biden also confessed that it was the US which pushed the EU into extending sanctions on Russia over Ukraine. “It is true they did not want to do that,” he said.»).
Ce n’est certes pas une nouveauté ni certainement une surprise d’apprendre que ce sont les USA qui ont imposé un nouveau train de sanctions antirusses à l’UE. La chose avait déjà été documentée par diverses fuites, et d’ailleurs elle transpirait abondamment de ce qu’on a pu voir du processus tel qu’il s’est déroulé lorsque ce troisième train de sanctions fut adopté. Bien, – Biden ajoutait donc à sa liste de “gaffes” l’Europe elle-même, en plus des porte-flingue du Moyen-Orient.
Mais plus encore, il faut aller dans le détail. Dans son discours, Biden n’a pas été tendre ni très amène pour l’UE en général, outre cette affaire de sanctions “imposées” par les non-discrètes pressions à peine amicales des USA. Il semble même que l’UE ait reçu un traitement de faveur à cet égard... C’est ce que le Weekly Standard a détaillé, masquant à peine ses ricanements (les neocons n’aiment décidément pas l’Europe, pas assez massacreuse à leur goût, – vieux stéréotypes datant de 2002 du “Vénus contre Mars” d’un des penseurs-Kagan du groupe).
On cite donc ici le texte que Jeryl Bier a publié sur son blog de l’hebdo neocon, le 6 octobre 2014 sous le titre de «Biden Mocks European Union's Economy». (On prêtera une particulière attention à la dernière phrase de ce texte, que nous soulignons de gras, et ce constat que nous avions fait nous-mêmes constituant la cause conjoncturelle et d’occasion de ces Notes d’analyse.)
«When Joe Biden addressed the John F. Kennedy Forum at Harvard's Kennedy School in Boston last Thursday night, he said that the “international order that we painstakingly built after World War II and defended over the past several decades is literally fraying at the seams right now.” Thanks to some of the remarks included in the vice president's speech, the Obama administration's relationships with several countries are also fraying at the seams. Biden placed calls over the weekend to the leaders of both Turkey and the United Arab Emirates (UAE) to “clarify” remarks that suggested those countries' complicity with al Qaeda-linked terrorists in Syria.
»While Biden's comments regarding Turkey and the UAE were perhaps the most damaging, the countries of the European Union (EU) cannot have been thrilled with his characterizations of them, either. The vice president took a dig at the relative economic weakness of the EU compared to China, though China did not escape Biden's taunting either:
»“I don’t know how long I’ve been hearing about how China – and I want China to succeed, it’s in our interest they succeed economically – about how China is eating America’s lunch. Folks, China has overwhelming problems. China not only has an energy problem, they have no water. No, no, not a joke – like California. They have no water. (Laughter.) It is a gigantic and multi-trillion-dollar problem for them. We should help them solve the problem.
»Ladies and gentlemen, raise your hand if you think our main competition is going to come from the EU in the next decade. Put your hands up. (Laughter.) I’m not being facetious here now, I’m being deadly earnest. We want – it is overwhelmingly our interest that the EU grow, and that China grows, because when they don’t grow, we don’t grow as fast. But, ladies and gentlemen, relative terms, we are so well-positioned if we act rationally, if we invest in our people.”
»Biden also chided Europe for reluctance to take steps against Russian aggression, suggesting that President Obama had to shame the EU into action on economic sanctions:
»“Throughout we’ve given Putin a simple choice: Respect Ukraine’s sovereignty or face increasing consequences. That has allowed us to rally the world’s major developed countries to impose real cost on Russia. It is true they [the Europeans] did not want to do that. But again, it was America’s leadership and the President of the United States insisting, oft times almost having to embarrass Europe to stand up and take economic hits to impose costs. And the results have been massive capital flight from Russia, a virtual freeze on foreign direct investment, a ruble at an all-time low against the dollar, and the Russian economy teetering on the brink of recession.”
»Finally, while Biden enumerated the successes of NATO, even then he appeared to suggest America is pulling more than its share of the weight in the alliance:
»“But beyond mutual defense, we’re working closely with Europe on everything from trade to counterterrorism to climate change. But we have to be honest about this and look it squarely in the eye, the transatlantic relationship does not sustain itself by itself. It cannot be sustained by America alone. It requires investment and sacrifice on both sides of the Atlantic, and that means ensuring that every NATO country meets its commitment to devote 2 percent of its GDP to defense; establishing once and for all a European energy strategy so that Russia can no longer use its natural resources to hold its neighbors hostage.”
»So far there is no indication from the White House that the vice president will be expanding his list of apology phone calls to include any European nations.»
Ainsi constate-t-on que l’Europe ne bénéficie nullement de l’effet-Wallerstein détaillé plus haut. Après tout, on pourrait aussi bien faire l’analogie, dans l’esprit sans aucun doute, entre cette intervention de Biden et celle, un peu plus leste certes, de Victoria Nuland (voir le 7 février 2014), le désormais fameux “Fuck the EU”.
C’est un curieux effet, dans le sens de l’inversion lui aussi, qui vaut plus du côté américaniste (l’ignorance absolue de l’exceptionnalisme américaniste pour les situations de souveraineté) que du côté européen (respect servile vis-à-vis de l’américanisme comme représentation sacrée du Système). C’est une situation nouvelle à cet égard, renvoyant effectivement à l’effet-Wallenstein mais pris dans toutes ses dimensions. L’invective américaniste s’adresse plus à l’UE en tant que telle qu’aux nations européennes, et l’inversion en ceci que l’UE n’est pas considérée du tout comme un porte-flingue comme le sont les autres pays mais bien comme un partenaire. (Un “partenaire”, certes, dont il va sans dire qu’il doit suivre et suit effectivement la voie commune au bloc BAO, c’est-à-dire la voie indiquée par le Système. Personne n’a le moindre doute là-dessus.) L’effet-Wallenstein est en effet complètement paradoxal puisqu’il suppose de “prendre des gants” avec les porte-flingue et de n’en prendre aucun pour admonester le partenaire principal, presque considéré comme un égal mais qu’on traite bien pire qu’un porte-flingue.
D’autre part, cela se comprend, – outre les spécificités américanistes pour la dignité et la souveraineté des autres, – dans la mesure où l’on se trouve devant un bloc BAO qui suit la courbe de déclin accéléré et d’effondrement du Système dont il est la sous-représentation opérationnelle. On exige une alacrité extrême et une “responsabilité” sans faille du partenaire parce qu’on est dans la même barque qui fait eau de toutes parts, et l’on accepte beaucoup des porte-flingue dont on craint à tout instant qu’ils rompent leur allégeance. Du coup, l’UE supporte les invectives du “partenaire” sans trop s’en indigner, plus que jamais convaincue que l’un et l’autre suivent une voie commune ; simplement, en d’autres occasions, elle fera à son tour des remarques critiques vis-à-vis du partenaire d’Outre-Atlantique, mais sur un autre ton que le “Fuck the EU” (“Fuck the US”, en l’occurrence), qui ne convient guère au standard du fonctionnaire européen. (Quoique, – avec à la tête de la Commission un Juncker, qui a un côté caractériel, il est possible que l’on ait quelques interventions à-la-Biden ; mais bon, tout cela sans importance d’un côté comme de l’autre.)
Sur le fond de la remarque de Biden, d’ailleurs, et malgré toutes les hésitations qu’on a mentionnées mais qui venaient des États-membres, on observera qu’il est acquis que l’UE, sa bureaucratie, ses dirigeants irresponsables et non-démocratiques, étaient partisans des sanctions. (Ne pas oublier tout de même que l’affaire ukrainienne, dans sa phase active conduisant à Maidan, a été déclenchée par l’intransigeance absolue de l’UE, acculant Ianoukovitch à une rupture, en novembre 2013.) Finalement, l’UE ne se sent pas vraiment concernée par l’invective de “Joe-la-gaffe”.
Au reste, l’UE avait des choses bien plus importantes à traiter que les “gaffes“ de Biden-guignol qui sont passées sans éveiller grand intérêt. La longue course des commissaires devant le Parlement Européen (PE), jusqu’à celle de Federica Mogherini, lundi soir, nous intéresse précisément. Mogherini remplace Lady Ashton dans la fonction de Haut Représentant de l’UE pour les affaires extérieures, et c’est donc sur elle que va reposer en bonne partie l’action politique extérieure de l’UE, notamment dans cette crise ukrainienne (et dans les relations avec la Russie), – ce qui a été l’objet de l’intervention contestée de Joe Biden. (On sait que certains espoirs ont été mis dans cette nomination, dans la mesure où Mogherini a montré des attitudes nuancées et intéressantes, notamment vis-à-vis de la Russie, durant son travail comme ministre italien des affaires étrangères.)
Nous avons recueilli les impressions de cette audition du lundi soir, essentiellement dans les formes, dans le climat qui y a présidé, enfin dans ce qu’elle laisse prévoir non pas de l’action de la Haute Représentante, mais dans ce que pourra et devra être cette action selon les contraintes existantes, quels que soient les choix politiques faits. (Nous citons notamment un témoin, habitué des affaires européennes, de la bureaucratie européenne, du fonctionnement des institutions européennes.) L’impression centrale est celle d’une formidable, d’une monstrueuse machine qui s’est aussitôt saisie de Mogherini, qui l’a enveloppée dans une multitude de contraintes inexpugnables, qui l’a enfermée dans des obligations de communication empêchant tout développement d’une réflexion intéressante et libérée de la pesanteur du conformisme exigé par le Système, – car cette “monstrueuse machine” n’est rien d’autre que la version européenne, pseudo-démocratisée (PE oblige) du Système en action-turbo. Les questions fusaient, essentiellement sur l’Ukraine et sur les relations avec la Russie, essentiellement constituées des habituels lieux communs marquées des anathèmes antirusses, questions auxquelles, dans le cadre considéré et sous la surveillance pointilleuse des représentants innombrables de la presse-Système, aucune possibilité n’existe de proposer des réponses sortant du cadre contraint d’hostilité et de haine antirusse.
Dans cet exercice se distinguent particulièrement les députés conservateurs britanniques, qui portent beau, qui ont le verbe haut, la pochette-cravate élégante et l’accent oxfordien un peu forcé, qui sont aussi arrogants et écrasants d’assurance pour leur propre compétence et de mépris pour ce qui n’est pas britannique, qu’ils sont en général confondants de servilité volontaire et enthousiaste lorsqu’ils s’adressent à quelque représentant américaniste dans d’autres occasions. Ces gens-là sont comme des garde-chiourmes, méprisants de toute ambition collective et ayant comme seul esprit d’empêcher quoi que ce soit qui puisse construire une action collective, européenne et conforme aux intérêts représentés. Ils sont les représentants nihilistes, sans fard ni dissimulation, de la “machine monstrueuse”, du Système, dans sa composante la plus arrogante et la plus servile de l’anglosaxonisme.
Cette audition ne représenta nullement, selon nos témoins, un de ces “examens de passage” qu’on oublie vite, une fois franchi l’obstacle, comme on écarte un mauvais souvenir. Au contraire, elle représente le cadre où va travailler la Haute Représentante, c’est-à-dire la prison où elle va être enfermée ; Mogherini sera invitée régulièrement devant ce PE, qui apparaît comme une sorte de gardien du dogme dépendant du conformisme-Système, et son action devra rendre compte tout aussi régulièrement des exigences du Système, sous la surveillance sans faille et terrible du système de la communication. Cette incursion de la soi-disant démocratie parlementaire dans le mécanisme de l’UE ne fera donc que renforcer toutes les tendances maximalistes, déstructurantes et dissolvantes, toutes les paralysies et les impuissances empêchant de sortir du cadre, qu’on a pu voir se développer ces dernières années. L’inauguration de Federica Mogherini marquait donc son enterrement, ou l’enterrement de ses éventuelles ambitions de développer une politique raisonnable sinon originale, en même temps qu’elle marquait son entrée dans le panthéon des gloires de la bureaucratie dirigeante du bloc BAO et du Système ...
En ce sens, l’événement rencontre parfaitement la pseudo-“gaffe” de Biden et explique qu’il n’ait nullement été question d’“excuse” ou de coup de téléphone, comme ceux dont été honorés les Turcs, les Emiratis et les Saoudiens. La remarque de Biden s’adressait en fait à ceux-ci des États-membres qui ont trainé un peu trop la patte pour accepter le troisième train de sanctions antirusses qui allait de soi dans la logique du Système. Dans le même ordre d’idée, et pour admirer la virtuosité de l’étanchéité du Système, les mêmes États-membres, de concert avec le PE, s’entendront pour freiner, sinon annihiler toute tentative de Mogherini de s’écarter du droit chemin, – s’il y en a, car il est bien possible qu’elle-même finisse très vite par être “une des leurs”. De même, à Washington, le Sénat surveille le Congrès, qui surveille lui-même le président, pour que tout cela aille dans le même sens voulu par le Système, avec l’habituelle cohorte des commentateurs et éditorialistes, et présentateurs de talk-shows, et autres et divers AIPAC, comme autant de chiens de garde.
Le bloc BAO, désormais constitué jusqu’à devenir institutionnalisé, ne cesse de “faire bloc”, chaque jour davantage, chaque jour avec une efficacité renforcée. Un guignol ou l’autre, un Biden ou l’autre, émet de temps en temps quelques considérations baptisées “gaffes” qui permettent d’éclairer un court instant l’étendue du désastre. On passe les coups de téléphone qu’il faut, on s’abstient des autres qui sont inutiles, et tout continue dans le même sens. Le résultat est la politique qu’on voit, c’est-à-dire ombre déformée et spectre sinistre de politique, avec la production d’un désordre si expansif que l’on doit trouver de nouvelles expressions pour le qualifier, à la mesure de ses outrances, – comme l’expression “hyper-désordre” qui nous vient sous la plume désormais.
Alors, tout est perdu, diront-ils, – nous parlons de ces commentateurs qui en tiennent pour une approche rationnelle du monde et ne trouvent, désespérément, que des motifs de désespoir, des motifs de ne plus rien espérer, des motifs de ne plus rien attendre que la réaffirmation incessante de la supériorité du Système et de l’impossibilité de l’abattre, et encore moins de le changer... Dans l’avant-dernière émission de Peter Lavelle, sur RT, le Crosstalks d’avant-hier 6 octobre 2014, le thème était “La troisième Guerre mondiale a-t-elle commencé ?”. Les trois intervenants, avec un Peter Lavelle exultant, ne cessèrent, en fait de “Troisième Guerre mondiale”, de parler du désordre, – de l’hyper-désordre généré par l’activisme, – celui des USA, c’est-à-dire celui du bloc BAO, c’est-à-dire celui du Système, – toujours la même rengaine de l’hyper-désordre enfantée par cette psychologie malade car aucune autre (rengaine) n’est possible... L’un des trois intervenants, le journaliste politique Patrick Henningsen (voir le 13 septembre 2013) parlant de Phoenix, dans l’Arizona, observa : «Nous sommes dans une époque post-idéologique, dans une ère post-rationnelle, où, pour l’essentiel, les politiciens occidentaux s’agitent frénétiquement dans l’obscurité...»
En effet, qu’avons-nous passé en revue dans ces Notes d’analyse à partir des “gaffes” de Jo Biden qui prétendaient illustrer un discours de politique étrangère (des USA) ? Qu’avons-nous observé en fait de “politique étrangère” ? Un bilan approximatif des incohérences, des mésententes, des coups fourrés échangés entre soi-disant alliés lancés dans on ne sait quelle incertaine croisade, pour des motifs futiles, de pure communication et de piètre opportunité ; des récriminations, des observations critiques, toujours entre alliés, pour des entreprises dont nul ne donne ni le sens, ni la vertu, ni la justification politique ... Ou bien est-ce le spectacle de l’impuissance et de l’auto-paralysie que s’imposent les institutions européennes à elles-mêmes, par simple référence à un conformisme aveugle dont nul ne peut dire l’ambition ni le dessein, sinon celui du cercle vicieux de la désintégration haineuse de toute pensée qui chercherait à être créatrice. Tout cela est généré évidemment par cette même force déstructurante et dissolvante qui anime en les forçant tous les actes de cette partie du monde acquiesçant au sacrifice de tout ce à quoi elle prétend sacrifier.
Ce que nous avons décrit qui a de quoi nous désespérer par l’impuissance et la paralysie étalées, c’est le désespoir qu’engendre le fonctionnement du Système, c’est-à-dire le désespoir pour lui-même, le désespoir qui le détruit lui-même. Il ne s’agit pas du tout de notre désespoir mais de son propre désespoir ; il s’agit de son désespoir qu’il ne parvienne jamais à autre chose qu’à alimenter ce désordre/hyper-désordre dans lequel s’abîment, les unes après les autres, les grossières ambitions qu’il prétend imposer. Le spectacle dont une toute petite portion à défilé sous la plume dans ces Notes d’analyse concerne les narrative et les fantasy-narrative dont le Système veut croire encore qu’elles sont “la vérité du monde” et qui se heurtent sans fin, jusqu’à leur destruction, à toutes les situation et à toutes les “vérités de situation” qui pulvérisent cette illusion. La chose désespérante que nous avons décrite n’est rien de moins qu’un instantané du fantastique mouvement en train de s’accomplir, de la transmutation de la formidable dynamique de surpuissance du Système en dynamique d’autodestruction.
Forum — Charger les commentaires