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14045 août 2013 – Chuck Hagel, ancien sénateur et homme honorable du Système, a un visage de belle facture, quoique raviné par les rides et les fameuses “valoches” sous les yeux. Ceci (les rides et compagnie) n’exclue pas cela (la belle facture). Depuis cinq mois qu’il est au Pentagone, la belle facture s’est chargée d’une dimension tragique, traduite par l’accentuation ultra-rapide des rides et des “valoches”. La politique extérieure et de sécurité nationale US, dont on attendait qu’il l’influençât décisivement, ne tient qu’une place mineure dans l’activité de Hagel. Cela n’a d’ailleurs pas d’importance, cette politique étant transformée en un marécage de désordre que nul ne peut plus influencer dans le sens d’une réforme.
Le fait est qu’Hagel a été happé, dévoré par le monstre (Moby Dick ou Achab, c’est selon). Le sort du Pentagone se précise dans un sens si vertigineux, si catastrophique jusqu’à l’eschatologie, qu’il mobilise désormais l’essentiel des préoccupations et du travail de Hagel. “Le sort”, c’est-à-dire pour le courant d’une actualité qui prend elle-même des allures eschatologiques, cette trouvaille monstrueuse qu’est la séquestration, cette machine autodestructrice que le Système s’est imposé à lui-même. La séquestration devait forcer la direction politique US, par son absurdité même, à trouver un accord alternatif constructif et gérable sur les réductions budgétaires. Il n’en a rien été : la direction politique est elle aussi une partie intégrante de ce “marécage de désordre que nul ne peut plus influencera dans le sens d’une réforme”. Ce fut donc la séquestration, ou comment se tirer une balle dans le pied, mais d’une façon si maladroite qu’elle pourrait atteindre la tête, – à moins qu’on ne pense avec ses pieds, d’ailleurs...
Mercredi dernier, Hagel a donc présenté la Strategic Choices Management Review (SCMP), qui envisage les options de gestion des choix stratégiques pour les prochaines dix années, selon la situation budgétaire. Le budget de la défense est, selon les projections budgétaires contrôlées, en baisse régulière. Mais la séquestration y ajoute une réduction automatique annuelle d’autour de $50 milliards, à répartir aveuglément et à parité sur tous les postes, ajoutant le désordre et l’impossibilité de la gestion à la réduction elle-même. La SCMP envisage les options diverses, dont celle très optimiste et sans le moindre doute irréalisable, d’une séquestration qui s’arrêterait en 2014 grâce à un accord politique. On laisse cela de côté, car l’unanimité absolue est que cet accord n’est plus réalisable, – et cela est bien un signe de la gravité d’une situation, plutôt du type “commencement de la fin” que “fin du commencement”.
On ne s’attardera pas aux détails divers, mais on donnera simplement l’appréciation d’un spécialiste, à la fois du budget et de l’industrie de défense, un expert complètement acquis au Système, donc archi-corrompu et absolument partisan de la puissance US. On ne peut soupçonner Daniel Goure d’un parti-pris alarmiste qu’il n’a jamais courtisé, étant le premier à affirmer la puissance US. Simplement, son analyse est retentissante sous sa plume, mais ne fait que rencontrer l’observation générale, de droite à gauche, de haut en bas, des interventionnistes aux isolationnistes... (Sur Early Warning, du Lexington Institute, le 2 août 2013.)
«There were no surprises in Secretary of Defense Chuck Hagel’s public out briefing of the results of his Strategic Capabilities and Management Review (SCMR). Budget cuts on the scale mandated under the terms of the Budget Control Act will be devastating to the military. [...] Even if we can weather the near-term catastrophe that is a $52 billion budget cliff for FY2014, the longer-term consequences for the military of sequestration are dire. There is no way for either force, the one based on capability or the other biased towards capacity, to meet all the operational requirements dictated by the defense strategy and this nation’s international interests and obligations over time. The former will be too small, too readily worn out from overuse and the latter will eventually become technologically second rate. [...] Either way, over the long-term, unless the United States walks away from its position as the world’s sole superpower, a decade of sequestration will break the force.»
Quelques précisions techniques des options envisagées donnent une petite idée des effets des mesures envisagées. (En fait, Hagel a présenté deux options principales, l’une sacrifiant la quantité des forces pour la soi-disant qualité des innovations technologiques, l’autre favorisant l’inverse, avec une troisième implicite mélangeant les deux.) Par exemple, DefenseOne.com écrit le 1er août 2013 :
«The review, or SCMR, laid out two options for finding some middle ground but both come at a cost to either capacity or capability, Hagel said. In the first option to reach $250 billion in cuts over 10 years, Hagel claimed the Pentagon can “trade away size for high-end capability.” Under this scenario, the active Army would shrink to between 380,000 and 450,000 troops, the number of carrier strike groups would drop from 11 to 8 or 9, the Marine Corps would be trimmed to 150,000 to 175,000 and old Air Force bombers would be retired. The second option would “trade away high-end capability for size.” There would be fewer cuts to the size and shape of the force but the department “would cancel or curtail many modernization programs, slow the growth of cyber enhancements and reduce special operations forces.”»
D’une façon générale, la présentation de Hagel a été accueillie avec un certain fatalisme, mais aussi des réserves très fortes et assurées concernant les options choisies. L’une d’elles est simplement que les perspectives des réductions budgétaires et des conséquences de la séquestration envisagées sont irréalistes, comme l’exprime William Hartung, cité ci-dessous (dans BeakingDefense.com, le 1er août 2013). Pour Hartung, les 10% de réduction des volumes budgétaires et volumes de forces sur les dix ans à venir sont irréalistes par rapport aux réductions réelles qui seront nécessaires. Les évaluations qui vont dans le sens de Hartung avancent que le Pentagone devrait prévoir au moins 20%-25% de réduction de ses capacités budgétaires pour les dix ans à venir, par rapport aux budgets disponibles. Pour Hartung, cette démarche de Hagel est suscitée par la bureaucratie qui veut à tout prix protéger ses grands programmes, – dont, bien entendu, le JSF, cité prioritairement à cause de sa masse budgétaire pour des capacités douteuses, le chaos de son développement avec des retards chroniques, et la possibilité fondamentale qu’il s’avère un échec technologique inapte à l’opérationnalité ...
«For those who think the Defense Secretary may be playing the game his predecessor Leon Panetta did, crying wolf and being left to look a bit foolish when the world did not end when sequestration came into effect, Hagel said during the press conference that he told his people they must not exaggerate, adding he didn’t want anyone coming back and saying the Pentagon had oversold the impact of sequestration.
»But William Hartung, head of the arms and security project at the Center for International Policy, didn’t buy that, saying Hagel’s actions “are too little, too late. Key questions like changes in military compensation — and even how to cut the $52 billion in FY 2014 — have yet again been kicked down the road.” Hartung accused Hagel of of understating DoD’s “ability to make sensible procurement cuts by protecting systems like the overpriced, under-performing F-35 combat aircraft.” Hartung concluded that the SCMR and Hagel’s speech today “is that this is a more low key version of ‘the sky is falling’ rhetoric favored by former Secretary of Defense Leon Panetta. A 10% cut over ten years will still leave us with over $5 trillion in spending over that time period, and a budget well above the Cold War average.”»
Hartung cite donc le JSF, que la bureaucratie voudrait protéger... Effectivement, l’on entendit parler du JSF à l’occasion de la présentation d’Hagel. Des bruits coururent, à partir d’une dépêche Reuters assez anodine, que l’abandon du JSF avait été envisagé comme une option théorique dans l’un des divers scénarios considérés. L’on eut aussitôt un écho général, montrant la sensibilité extrême du système de la communication à tout ce qui concerne ce programme d’avion de combat. (Voir par exemple Tony Capaccio, de Bloomberg.News, le 2 août 2013, ou Russia Today le 2 août 2013.)
Bien qu’on puisse arguer qu’une telle possibilité (l’abandon du JSF) envisagée comme une hypothèse parmi d’autres éventuellement dans un scénario parmi d’autres, constitue une pratique courante des techniques de planification, il reste qu’il s’agit de la première fois que cette hypothèse-là est prise en compte dans une planification des choix et des achats du Pentagone. Certains commentateurs étrangers ont pris la chose au sérieux, notamment du point de vue de la communication pour l’immédiat, et pour des hypothèses plus sérieuses dans le plus long terme. C’est par exemple le cas de Ben Sandilands, qui écrit un commentaire sur le site australien PlanetTalking.com le 3 août 2013, à la suite de la publication de la dépêche Reuters sur l’option de l’abandon du JSF. Sandilands est plutôt partisan de l’achat des JSF par le gouvernement australien ou, dans tous les cas, le considère comme acquis et sans retour.
«A very important question for this Australian government, or the next. Why is the Pentagon leaking stories referring to the possible cancellation of the Joint Strike Fighter? [...] Up front, the [Reuters] report makes it clear that the Pentagon was arguing very lucidly against such a cancellation, and it could be read as the US military turning such an unthinkable option into a ‘straw man’ for the purpose of lobbying against significant overall funding cutbacks.
»But that’s ‘up front’. The confirmation of such an option being presented in a ‘secret’ briefing that was inevitably going to be leaked to the White House media means that this is considered at high levels to be a no longer unthinkable possibility, and one worthy of a PR strategy to identify, isolate and perhaps kill off on the wider stage of national political reporting and analysis rather than as a debate that has gained some heat in recent years in more specialised defense commentary and analysis circles.
»It is fair to surmise that the Pentagon would collectively hope that stories like the one published by Reuters might cause the US Defense Secretary, if not the US President, to make a an unequivocal, cast iron public commitment to the massively costly and incredibly delayed and technologically challenged F-35 project thus rendering it immune to being cut back, or even cut down. So far, if that is the purpose of the leaks, the silence has been deafening, but on Capitol Hill anything is possible, and no political word uttered upon it is likely to be trusted as inviolable for quite some time, if not forever.
»The one thing the Reuters story doesn’t touch upon is what will happen if by 2018, the Joint Strike Fighter project still hasn’t delivered on its many and extensive promises, and remains a massive burden on the public purses of the US and the its JSF partners, some of whom, like Australia, will be left totally without the air superiority the JSF fighters are intended to bring.»
Finalement, il n’y a pas eu de démenti formel que l’option de l’abandon du JSF ait été envisagée, puisqu’elle a été effectivement envisagée ; et il n’y a pas eu, comme l’envisageait Sandilands en faisant l’hypothèse d’une manœuvre de la bureaucratie du Pentagone (“fuiter” cette affaire pour provoquer une réaffirmation de l’engagement du programme), de réaffirmation d’un haut responsable de l’avenir garanti du JSF. La formule choisie a été d’abreuver Reuters de demi-affirmations, de semi-garanties, d’évidences sans guère de conséquence, etc., bien dans le style de l’administration Obama. Cela ne nous dit rien de l'état du JSF, qui poursuit son calvaire triomphant, selon qu'on s'informe ou qu'on en reste aux communiqués.(Voir Reuters, le 3 août 2013.)
«The U.S. military on Thursday downplayed concerns it could cancel the F-35 fighter and a new stealth bomber, after leaked documents from a budget review suggested the programs might be eliminated as one way to deal with deep budget cuts.
»Pentagon briefing slides shown to various groups mapped out those tradeoffs in stark terms, indicating that a decision to maintain a larger military could result in the cancellation of the $392 billion Lockheed Martin Corp F-35 program and a new stealthy, long-range bomber, according to several people who saw the slides. Defense officials later stressed there were no plans to kill either program, noting that dismantling the F-35 program in particular would have far-reaching consequences for the U.S. military services and 10 foreign countries involved in the program, which is already in production. “We have gone to great lengths to stress that this review identified, through a rigorous process of strategic modeling, possible decisions we might face, under scenarios we may or may not face in the future,” Pentagon Spokesman George Little told Reuters in an email when asked about the slides. “Any suggestion that we're now moving away from key modernization programs as a result of yesterday's discussion of the outcomes of the review would be incorrect,” he said.»
Laissons là, pour l’instant, l’incident du JSF qui n’est pas clos et ne le sera d’ailleurs pas, laissé dans l’éther des incertitudes... Il faut mettre en évidence une remarque peut-être sibylline, mais révélatrice à la réflexion, du secrétaire à la défense Chuck Hagel. Elle suit l’affirmation que le choix suivant les “options” qu’offre cette SCMP sera fait dans les prochains mois, et sera le fait du président Obama lui-même. Cela est solennel et de bon aloi, sauf que l’on sait bien ce que valent les “décisions” d’Obama : ce sera donc un mélange des deux “options”, un peu de développement des innovations technologiques, un peu du maintien du volume des forces, l’un et l’autre choix n’apportant rien de décisif en aucun sens, – si tant est qu’on puisse encore faire du “décisif“ qui sauve quelque chose. “Décision” qui ne décide rien, typique d’Obama, accompagnée de discours roboratifs du type “Yes, we can”. (Dépêche Reuters du 1er août 2013. : «Hagel said decisions on how to balance the two stark options would be made in coming months. He said the final decision would be up to Obama.»)
... Puis vient la remarque de Hagel, avec une partie soulignée de gras par nous : «“Before this review, like many Americans, I wondered why a 10 percent budget cut was in fact so destructive
Cette remarque n’est pas anodine. Elle recouvre au moins deux choses : une prudence personnelle de Hagel, selon un comportement qui tendrait à montrer qu’il se trouve un peu isolé face à sa bureaucratie, – et, bien entendu, il ne serait pas le premier secrétaire à la défense à l’être, et c’est le contraire (qu’il ne fût pas isolé) qui serait étonnant. D’autre part, il y a dans cette remarque une part d’explication de l’inexplicable, ou plutôt de tentative de description de l’inexplicable, qui est l’incapacité du Pentagone en tant que tel, en tant qu’égrégore type Moby Dick/Achab, a tenir une autre posture que celle d’un gargantuesque tonneau des Danaïdes.
Lorsqu’il dit qu’il ignorait que 10% de réduction du budget du Pentagone pouvait amener des conséquences “si destructrices”, et si l’on y ajoute l’avertissement où il dit avoir insisté auprès des planificateurs pour qu’ils “n’exagèrent pas” la gravité de la situation, on en déduit qu’Hagel répond in fine à Hartung et à ceux qui pensent comme lui. (Hartung & Cie expriment le sentiment général sur la gravité de la situation, on l’a vu.) Hagel n’a pas voulu laisser passer une projection et une planification qui conduiraient à envisager des réductions vraiment catastrophiques, – et le genre de réductions qui rejoignent ce que Goure annonce et ce qu’Hartung affirme, – parce qu’il ne se sent pas assez fort pour en tirer les conclusions qui s’imposent. En d’autres mots, et pour reprendre la remarque de Hartung qui concerne un exemple mais l’exemple central du propos, Hagel ne se sent pas assez fort pour envisager officiellement la possibilité de liquider le programme JSF qui est, et de loin, le boulet qui accélère le naufrage du Pentagone.
Le plus effrayant, du point de vue stratégique, pour les USA qui sont une puissance maritime dans la plus pure acception géopolitique, c’est la réduction en groupes de porte-avions qu’implique la planification avec la séquestration. Dans l'option “innovation technologique de préférence à la quantité” de la SCMP, on passe à 8-9 groupes au lieu de 11, avec une réduction de 10% du budget du Pentagone sur dix ans. Si l’on prend la comptabilité Hartung, on tomberait à 4-5 groupes si le programme JSF est maintenu. Cela signifierait, vu l’importance existentielle du contrôle des mers pour les USA, la nécessité de liquider le JSF pour pouvoir maintenir un niveau absolument limite de groupes de porte-avions (6-7), pour exercer tant bien que mal ce contrôle. C’est-à-dire que l’abandon du JSF ne se ferait plus, désormais, pour économiser un budget annuel, année après année, mais simplement pour permettre au pilier fondamental de la stratégie US d’exister encore, et donc aux USA d’exister en tant que puissance globale. En quelque sorte, on pourrait dire que le programme JSF est devenu le nœud gordien de l’avenir stratégique des USA, symboliquement certes mais aussi d’une façon réaliste et comptable.
L’attitude de Hagel s’explique de deux façons possibles : ou bien, explication tactique, il espère que l’aggravation graduelle de la situation forcera d'elle-même à des décisions radicales (pour notre propos, l’abandon du JSF). La deuxième hypothèse est plus stratégique et fondamentale : Hagel a baissé les bras devant les pressions de la bureaucratie, le refus de décisions radicales et, sans doute, la “philosophie Obama” qui est de repousser en permanence les décisions radicales nécessaires...
Pour le reste, la remarque de Hagel contient une part de réalité, tenant au Système en général, à sa complexité extrême qui s’institue en blocage général d’une répartition acceptable des ressources et d’une utilisation efficace des ressources. On se trouve, lorsque 10% de réductions conduisent à une restructuration qui constitue une réduction en potentiel stratégique d’au moins 30 à 40%, dans une situation-Système classique. C’est la même qui rend impossible une relation logique directe de sauvegarde entre les chiffres de la production alimentaire et les effets de la disette dans certaines régions du monde. La disposition de stocks alimentaires n’implique nullement la capacité de nourrir une population soumise à la disette, parce que la mise à disposition effective de ces stocks vers ces populations est très difficile à réaliser, et même, souvent quasiment impossible, à cause d’un nombre de variables antagonistes et paralysantes qu’il est impossible de maîtriser, et qui est en augmentation constante. C’est un blocage-Système type.
Bien entendu, la situation de la bureaucratie du Pentagone, et de la bureaucratie de l’industrie de défense, est considérablement pire que l’exemple choisi. L’état de disette n’est pas (encore ?) un état permanent, alors que l’état de blocage du Pentagone est devenu permanent et structurel et ne cesse d’accumuler et d’aggraver ses effets. Dans ce cadre général, le JSF occupe sans aucun doute cette place d’une extrême importance, bien entendu à cause de son poids budgétaire colossal (il fait couler le navire) et de son importance symbolique à mesure (on ne peut songer à l’abandonner parce qu’il est l’“image” de l’illusion de l’excellence technologique des USA). Il est, répétons-le, le nœud gordien de toute cette affaire, – avec tout de même la réserve que s’il n’existait pas, on aurait sans (aucun) doute inventé autre chose qui lui ressemblerait comme un frère, occuperait la même place et produirait les mêmes effets.
Pour notre propos, on comprend que cette situation, désormais de plus en plus clairement identifiée, intègre complètement la crise du JSF dans la crise du Pentagone. La crise du JSF est la crise du Pentagone : ce programme monstrueux en est le symbole, l’illustration, la clef, l'incitatif décisif, le bourreau, etc., – et tout cela, par rapport au Pentagone, mais aussi par rapport à lui-même. Il semble y avoir bien entendu un lieu faustien entre Moby Dick/Achab et le JSF : ils périront, mais ils périront ensemble, l’un étant cause de la mort de l’autre et vice-versa.
On l’a écrit dans notre présentation de ces Notes d'analyses, la séquestration est “un événement du type ‘la goutte d’eau qui fait déborder le vase’”. L’image est très physique, et très connue, et elle est bien compréhensible... Mais lorsqu’il s’agit du Pentagone, de Moby Dick/Achab, même la plus simple des choses se complique. (“Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?” interroge le bon sens-Système.)
La séquestration est ce par quoi tout arrive, et ce au nom de quoi les prévisions pessimistes, et une situation bien pire que celle qu’envisage Hagel, ont toutes les chances (plutôt que malchances pour notre attente) de se réaliser. La séquestration est importante non pas tant à cause des réductions budgétaires qu’elle impose mais parce qu’elle les impose mécaniquement et bloque toute tentative de dissimuler l’ampleur de la crise par des manœuvres budgétaires dissimulées ; c’est certes la “goutte d’eau”, mais la goutte d’eau qui fixe complètement le trop plein du récipient.
Dans le cours normal des choses, le Pentagone est depuis longtemps dans un état de déficit chronique qui tient, non à son budget, mais à l’effet dissolvant de sa gestion par la bureaucratie. Ce déficit était jusqu’alors systématiquement dissimulé, et le plus souvent éradiqué à mesure subrepticement, par des mesures parcellaires et stricto sensu illégales dans l’esprit, des commissions ad hoc du Congrès, complètement complices du Pentagone. La séquestration est un processus législatif qui, non seulement impose une réduction budgétaire, mais impose le cadre de gestion, de répartition, de contrôle de l’exercice de ces réductions, en interdisant toute modification de ce cadre par arbitraire législatif. La séquestration a été créée pour cela, explicitement comme un cadre législatif inapplicable pour la bureaucratie dans ses pratiques habituelles, pour forcer la direction politique à un accord qui aurait justement évité son application. Cet accord n’a pas été trouvé, et ne sera sans aucun doute pas trouvé avant longtemps, et ainsi est-ce la loi inapplicable (la séquestration) qui a été appliquée... En plus d’être une obligation législative (pouvant être tournée par des manœuvres législatives), c’est une prison législative dont le premier effet est de refuser toute manœuvre législative vis-à-vis d’elle.
Ainsi la séquestration est-elle bien une sorte de suicide budgétaire, plus ou moins rapide selon les circonstances, voulu comme tel pour ne pas être exécuté, et qui est désormais en plein exercice d’application. La séquestration est une contrainte qui oblige à regarder le monstre (le Pentagone et sa crise) au fond des yeux. Pour cette raison remarquable, le programme SCMR est sérieux, au contraire de tant de tentatives précédentes du même genre, et il ouvre la phase finale de la crise du Pentagone. Séquestration oblige, de la surpuissance à l’autodestruction, dans un mouvement si parfait qu’on ajouterait l’autodérision pour qualifier l’attitude extraordinaire du Système par rapport à lui-même...
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