Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
139913 juin 2013 – Admirons, tout en ressentant les effets d’un certain épuisement (mais d’une saine fatigue, certes), le potentiel impressionnant de situations nouvelles qu’engendre cette affaire NSA/PRISM devenue NSA/PRISM/Snowden. Quand l’on pense qu’elle a éclaté le 6 juin (date fatidique), on est confondu par la rapidité des choses, donc la vulnérabilité extrême des composants du Système à toute poussée antiSystème de résistance.
Encore une fois, car nous ne cessons de le proclamer, la sortie publique de Snowden a complètement bouleversé la séquence. Elle a diversifié les centres d’intérêts et de tension de l’affaire. Elle a polarisé l’attention vers d’autres points que le seul objet de la “fuite”.
... Disons, en avançant éventuellement un néologisme contestable, que la sortie publique de Snowden, avec ses effets, a “multipolarisé” une attention qui, au départ, pouvait s’avérer manipulatrice, notamment dans le chef du Système et de ses relais direction politique et presse-Système, en appréhendant et en atténuant l’effet obtenu, comme on a pu le craindre entre la publication des documents et l’apparition publique de Snowden. Cette “multipolarisation” a déstructuré et dissous cette attention à potentialité contre-offensive du Système dans le désordre des centres d’intérêt et l’a transformée, en la mettant sur la défensive, en une perception d’un événement multiple impliquant tous les domaines et exerçant une force déstabilisantes contre les structures du Système.
L’“humanisation” de l’affaire, par Snowden interposé, a sollicité cet éclatement des centres d’intérêt, et par conséquent a transformé un cas assez clair que le Système pouvait aisément maîtriser en une confusion considérable. Cette confusion est bien entendu multipliée par la formidable caisse de résonnance qu’est le système de la communication, puisque personne ne peut songer à mettre frein à cette poussée de la communication.
Ainsi constate-t-on la remarquable succession de phases différentes, depuis l’“humanisation” de l’affaire. Il y a déjà trois phases depuis que l’affaire PRISM/NSA est devenue PRISM/NSA/Snowden.
Ce week-end, c’était la mobilisation contre le “traître“ Snowden et pour l’héroïque whistleblower, selon ce qu’on en a, qu’on soit brave et appointé défenseur du Système, qu’on ait pour irrésistible vocation d’être antiSystème comme l’on respire. En début de semaine c’était le constat de la politisation et de l’internationalisation du cas Snowden, donnant aux pratiques de la NSA une nouvelle dimension qui concerne aussi bien la Russie (offrant l’asile politique à Snowden) que l’Europe (protestant contre l’espionnage et l’écoute illégale étendus à la dimension transatlantique). Depuis hier, c’est la colère qui s’empare du Washington, particulièrement au Congrès.
Cantonné dimanche dans le rôle du molosse furieux demandant la tête de Snowden, le Congrès s’est avisé du contenu des révélations publiées par le Guardian, et venues de Snowden. Il s’est soudain interrogé sur elles. (On notera qu’il ne semblait pas y songer, ou d’une façon beaucoup moins urgente, par conséquent beaucoup moins agressive, entre le 6 et le 9 juin, jour de l’apparition de Snowden... Toujours l’effet-Snowden.)
... Donc, le Congrès s’est rué sur les auditions urgentes et sous serment des responsables du renseignement et de la NSA, et découvre des variétés exotiques du langage humain, catégorie-Système ; les mensonges semi-mensongers, ou bien “les moins mensongers possibles”, les vérités “pas tout à fait vraies mais tout de même”, etc. Ces “dirigeants” sont contraints d’émettre ces diverses fantaisies parce qu’eux-mêmes sont totalement dépassés par les activités du monstre qu’ils sont censés diriger, qui en fait les manipule et les soumet à des contraintes dialectiques extraordinaires.
Les gens du Congrès, eux, découvrent des abîmes nouveaux sous la forme des organisations qu’ils sont censées contrôler et dont ils ne connaissent rien, – soit pour cause de somnolence durant les auditions, soit parce qu’ils furent victimes de rétentions d’informations. D’où des explosions de fureur vertueuse, l’objet de leur colère passant d’un Snowden qui révèle les turpitudes du Système, aux Clapper et Cie, responsables de la mise en place de ces turpitudes. Ils sont tous coincés entre la pompe et le décorum de l’apparence du Système (déclarations dithyrambiques, serments devant le Congrès, etc.) et l’impossibilité ontologique de réconcilier les effrayantes activités du monstre (NSA & Cie) dont il importe de dire quelques vérités qui ne soient pas trop mensongères. Qui en sait le moins et qui ment le plus, qui comprend et qui cherche à comprendre ? Partout, les mains dans le sac...
On trouve bien résumée l’atmosphère washingtoniennes, avec relais vers le Congrès, dans ces déclarations pathétiques et furieuses à la fois du député démocrate (le parti du président) Bill Pascrell, du New Jersey, sortant d’une audition de James Clapper, du directeur du renseignement (Director, National Intelligence, ou DNI), qui supervise toutes les agences de renseignement. (Voir le Guardian du 12 juin 2013.)
Pascrell nous dit que, selon le DNI, nombre d’informations (sur NSA/PRISM) se trouvent dans une lettre de la NSA envoyée au Congrès en 2011. Ni ses collègues ni lui-même ne l’ont jamais lue parce qu’il semble bien qu’on ne le leur a jamais communiquée ; tout le reste à l’avenant... D’où sa conclusion : “Il est juste que les citoyens soient informés, mais on devrait commencer par nous informer, nous, au Congrès”
«“There was a letter that we were supposed to have received in 2011 but I can't find it and most of my friends in Congress did not receive this either,” said New Jersey Democrat Bill Pascrell, who claimed the widespread collection of phone data amounted to “spying on Americans … This is one of the first briefings I have been to where I actually learned something.” “People should know what's going on in their name but we need to start with Congress knowing what the heck is going on.”»
Il faut dire que les performances des malheureux chefs du renseignement US sont révélatrices du désordre extraordinaire où ils se trouvent placés. Ils sont les représentants d’un monstre insatiable, progéniture directe du Système, qui dévore tout sous ses exigences et ne peut avoir par définition la moindre limite, – le monstre veut tout, pour toujours… Selon Gus Hunt, directeur des programmes technologiques à la CIA : «We fundamentally try to collect everything and hang onto it forever.»
Le directeur national du renseignement (DNI), James Clapper, est en première ligne. C’est le virtuose de plus en plus épuisé et accablé du “demi-mensonge à moitié vrai”, du “mensonge le moins mensonger possible”, “de la réponse sous serment la moins mensongère possible” et ainsi de suite, – tout cela pour qualifier ses diverses dépositions précédentes que sénateurs et députés lui mettent à présent sous le nez, à la lumière des révélations de Snowden. Le Guardian du 12 juin 2013 nous informe de cela, de Clapper qui répond souvent “non” aux demandes d’information parce que c’est «the most truthful, or least untruthful manner [to answer]».
«“It now appears clear that the director of national intelligence, James Clapper, lied under oath to Congress and the American people,” [Justin Amash a House’ Michigan Republican] posted on Wednesday morning. “Members of Congress can't make informed decisions on intelligence issues when the head of the intelligence community wilfully makes false statements. Perjury is a serious crime. Mr Clapper should resign immediately.”
»At a hearing of the Senate intelligence committee on 12 March, Oregon Democrat Ron Wyden grew frustrated that he could not get a “direct answer” from Clapper about a question Wyden said he had been posing to the intelligence agencies in a series of letters for a year: when do US spies need a warrant to surveil Americans' communications? “What I wanted to see is if you could give me a yes or no answer to the question: does the NSA collect any type of data at all on millions or hundreds of millions of Americans?” Wyden asked Clapper. “No, sir,” Clapper said. “Not wittingly. There are cases where they could inadvertently, perhaps, collect, but not wittingly.”
»Clapper's claim to Congress was undermined by an April order of the secretive Fisa court instructing Verizon to turn over phone records on millions of Americans to the National Security Agency. Published by the Guardian, the order explicitly authorized the NSA to collect so-called metadata “between the United States and abroad; or wholly within the United States, including local telephone calls.” An NSA data-mining program, called Boundless Informant and also revealed by the Guardian, further allows the NSA to sort its collected communications by country of origin. Clapper defended himself in a surprising way. He told NBC's Andrea Mitchell this week that the question was unfair, akin to asking him when he was going to stop beating his wife. “So I responded in what I thought was the most truthful, or least untruthful manner by saying no,” Clapper said.
»Clapper is in danger of becoming a meme signifying government deception about surveillance. The hashtag “Clapper” on Twitter is filled with acerbic tweets mocking the “least untruthful” line. On Tuesday, Fred Kaplan of Slate said Obama needed to fire Clapper for untruthfulness, a conclusion echoed by James Fallows of the Atlantic. Wyden, the senator who posed the question to Clapper, all but called the director of national intelligence a liar...»
Passons à une autre vedette du show, un virtuose du “non”. Le chef de la NSA, le général Alexander, a, en bon militaire, adopté une tactique défensive héritée du football italien d’antant : on bétonne… C’est “non” partout ! Snowden ment, les documents mentent, le Guardian ment, la NSA ne peut pas mentir …
Tiens, mieux encore : la NSA défend les libertés civiles et la vie privée des citoyens, oui-oui, mais on ne peut malheureusement en donner la preuve flagrante parce que, ô malheur, c’est classified, classé top secret, cosmic, etc. Justement ! C’est en gardant tout cela top secret-cosmic que la NSA défend les libertés civiles et la vie privée des citoyens, alors on ne peut rien déclassifier de tout cela pour dé-montrer la vertu de la NSA car ce serait mettre cette vertu en péril, et par conséquent mettre en péril les libertés civiles et la vie privées des gens... Alexander a réinventé le mouvement perpétuel dans la boucle bouclée, monté sur une scène classée top secret-cosmic, dans un théâtre de l’absurde sans début ni fin, avec accès par une galerie de miroirs déformants garnie de prismes, ou PRISM. (Dans Russia Today, le 12 juin 2013.)
«Wednesday’s hearing on the Hill was scheduled to focus heavily on Alexander’s role with protecting the US cyber infrastructure, but the NSA scandal exposed less than a week earlier took center stage shortly after the general finished reading his opening remarks and Sen. Leahy began grilling him over a leaked program called PRISM and another surveillance operation that intercepts the online communications of US citizens. Soon other lawmakers joined in, using the opportunity to speak with the Obama administration cyber czar about PRISM and other claims made by 29-year-old NSA leaker Edward Snowden, including that he could “wiretap anyone, from you or your account to a federal judge to even the president” from the NSA’s systems. “False,” Alexander answered Congress of the allegation. “I know of no way to do that.” [...]
»Later in the hearing, Sen. Mark Udall (D-Oregon) asked Alexander if he could ensure the NSA cooperates with any investigation into possible civil liberties or privacy violations caused by the surveillance programs, a request of which the general answered in the affirmative — but not before rejecting allegations of abuse. “I think you bring up a very important point here, because I do think what we’re doing protects Americans’ civil liberties and privacy,” Alexander said. “To date, we have not been able to explain it because it’s classified. How do we explain this and still keep this nation secure? That’s the issue that we have in front of us.”»
Quelle énorme affaire ! dirait-on. Et pourtant... Et pour quoi, finalement ? On veut dire : tout ça pour ça ? En effet, le Guardian, toujours lui, nous entretient des résultats obtenus par les voies et moyens du monstre américaniste, NSA-CIA et le reste, et leur super technologies. Après tout, la première cause fondamentale de ce développement monstrueux des moyens de surveillance, l’a été pour stopper et anéantir le terrorisme. Certains contesteront ce schéma, mais cela n’importe pas ici. D’abord, nous parlons de ce qui doit être, de la narrative officielle, de ce qui importe au Congrès ; ensuite, nous croyons que, même s’il y a des arrière-pensées, le but de tout le processus de renforcement de la Stasi-of-America fut bien, d’abord, et reste malgré tout, de lutter contre le terrorisme, contre la Terreur... Et le résultat est simple dans sa netteté, presque la netteté du rien.
Le Guardian, donc, détaille cela, ce 12 juin 2013. Il apparaît que les quelques résultats obtenus, dans telle ou telle affaire de complot terroriste déjoué, le furent, non pas du fait, pour l’essentiel, de la NSA & Cie avec leurs super-technologies de surveillance mais par l’action d’équipes des SR US et britanniques opérant selon les bonnes vieilles recettes du renseignement… Par renseignement humain (HumInt), infiltration, etc.
«Lawyers and intelligence experts with direct knowledge of two intercepted terrorist plots that the Obama administration says confirm the value of the NSA's vast data-mining activities have questioned whether the surveillance sweeps played a significant role, if any, in foiling the attacks.
»The defence of the controversial data collection operations, highlighted in a series of Guardian disclosures over the past week, has been led by Dianne Feinstein, chairwoman of the Senate intelligence committee, and her equivalent in the House, Mike Rogers. The two politicians have attempted to justify the NSA's use of vast data sweeps such as Prism and Boundless Informant by pointing to the arrests and convictions of would-be New York subway bomber Najibullah Zazi in 2009 and David Headley, who is serving a 35-year prison sentence for his role in the 2008 Mumbai attacks.
»Rogers told ABC's This Week that the NSA's bulk monitoring of phone calls and internet contacts was central to intercepting the plotters. “I can tell you, in the Zazi case in New York, it's exactly the programme that was used,” he said. A similar point was made in anonymous briefings by administration officials to the New York Times and Reuters.
»But court documents lodged in the US and UK, as well as interviews with involved parties, suggest that data-mining through Prism and other NSA programmes played a relatively minor role in the interception of the two plots. Conventional surveillance techniques, in both cases including old-fashioned tip-offs from intelligence services in Britain, appear to have initiated the investigations...»
Le désordre n’épargne pas les sondages qui semblent ne plus rien vouloir dire dans les résultats qu’ils donnent, – contradictoires et confus. Mais tout cela est logique, quoi qu’il en soit. Ils donnent, ces sondages, par ces contradictions et cette confusion, une parfaite image du désordre washingtonien qui se retrouve évidemment dans le sentiment de celui que les “sondeurs” désignent comme “l’Américain ordinaire” (ordinary Americans).
• Ainsi, le 9 juin 2013, un sondage de l’institut Rasmussen, honorablement connu, nous dit que 59% des citoyens s’opposent aux pratiques gouvernementales de la collecte secrète des conversations téléphoniques, contre 26% qui s’en satisfont.
• Le 10 juin 2013, une enquête du non moins honorable institut PEW Research (diffusée par le Washington Post), nous dit que 56% des Américains jugent le programme de la NSA d’écoute des conversations téléphoniques acceptable s’il/puisqu’il s’agit d’enquêter sur des terroristes, contre 41% qui le jugent inacceptable. (A noter que, plus loin dans cette enquête fouillée, on trouve 45% pour approuver la même pratique de surveillance et d’espionnage de l’internet, mais 52% qui la condamnent, soit un résultat contradictoire du précédent.)
• Le 11 juin 2013, voilà un sondage CBS.News, bien connu et sans doute honorable, pour nous dire que 58% des gens interrogés désapprouvent ces pratiques d’écoute et de surveillance des “Américains ordinaires”, contre 30% qui approuvent. Pourtant l’on apprend du même sondage que 75% des personnes interrogées approuvent ces pratiques si elles s’exercent contre des “personnes suspectes d’activités terroristes”... Voilà qui est intéressant et éclaire notre lanterne. Le problème devient alors de savoir ce que l’on en juge ; et si la NSA, elle, juge que tout “Américain ordinaire” est, d’une manière potentielle, une “personne suspecte d’activités terroristes”. Les instituts de sondages vont donc désormais s’attacher à demander aux “Américains ordinaires” combien d’Américains exactement sont “ordinaires”, pour mieux déterminer la signification des résultats de ce dernier sondage qui prétendrait nous éclairer en mettant de l’ordre dans le désordre des esprits.
...Tout cela se fait et se dit sous le regard de pierre d’Abraham Lincoln.
Qu’on pardonne cette remarque impromptue, qui se comprendra mieux plus loin, mais il nous semble fixer l’enjeu des choses en nous plaçant sous le patronage de la pierre immémoriale de l’immense sculpture du grand président qu’on trouve à son Mémorial, comme dans certaines de ses paroles prémonitoires. Le spectacle de Washington, depuis deux jours, sous le silence assourdissant du premier président Africain-Américain qui ne sait que dire pour porter l’anathème contre un gamin de 29 ans réfugié à Hong Kong, est celui d’une capitale d’un empire immense totalement prisonnier de lui-même, c’est-à-dire du Système. L’angoisse dépressive de Lincoln qui est un fait historique important, répond à leur hystérie hypomaniaque, restituant ainsi symboliquement la maniaco-dépression caractéristique du sapiens soumis aux exigences monstrueuses du Système.
Les agitations qu’on décrit plus haut, qui semblent être celles de la vertu outragée des pompeux membres du Congrès, qui feraient sourire en un premier mouvement où l’on songe à cet empilement de cynisme, de corruption, d’asservissement au Système qu’ils constituent, n’en restituent pas moins, jugées en un second mouvement de la pensée, une vérité indubitable. Il est vrai que l’apparat du Système, le décorum et la pompe, impliquent une apparence de vertu qui est leur sentiment de sauvegarde pour supporter le poids écrasant des turpitudes de leur asservissement. Ainsi se comprend-il que la fureur initiale, cruelle et vengeresse, contre le jeune whistleblower, se mue soudain en une colère épouvantable contre les soi-disant chefs de la structure oppressive, ou Stasi-of-America, que Snowden dénonce.
En un sens, littéralement, ils la découvrent, et l’on finirait par croire que l’énorme “fuite” de Snowden leur est d’abord destinés, à eux les membres du Congrès. «There was a letter that we were supposed to have received in 2011 but I can't find it and most of my friends in Congress did not receive this either !» : de qui se moque-t-on ? s’exclame le député Pascrell. Et tout cela, alors que ces chefs de cette Stasi-of-America prêtent serment chaque fois qu’ils témoignent devant le Congrès ! Et ceux-là ont installé, ou plutôt laissé s’installer, cette Stasi-of-America qui menace la liberté et la Constitution ! Aussi invraisemblable que cela pourrait paraître, nous croirions volontiers que cette colère n’est pas feinte, et que leur horreur devant la Stasi-of-America ne l’est pas moins.
Par conséquent, nous sommes conduits à envisager une nouvelle dimension, – une de plus, – à cette extraordinaire affaire PRISM/NSA/Snowden, qui se répand comme une trainée de poudre, dans toutes les directions. Aujourd’hui, on la voit toucher le Congrès, avec le cas éventuellement considérable, – selon ce qu'on en fera, – des affaires de parjure et de mensonges sous serment dans le chef de hauts fonctionnaires civils ou militaires, en plus de la mise à jour de cette Stasi-of-America pour laquelle ils votent consciencieusement depuis 2002, en toute connaissance de cause mais sans savoir vraiment de quoi il s’agit.
Ce qu’on décrit n’est par conséquent qu’incohérence, désordre de l’esprit, cloisonnement des psychologies malades, irresponsabilité sinon infraresponsabilité, – et il s’agit exactement de cela. Il n’y a finalement aucune surprise dans cette foire considérable et pompeuse, où s’entrechoquent toutes les contradictions et tous les paradoxes du monde. Nous atteignons un point de désordre et de confusion où il faudrait envisager, pour qu’ils se sortent de cette nasse où ils s’agitent, pour “reprendre le contrôle“ et paraître à nouveau ce qu’ils croient qu’ils sont, une grande opération de cette sorte d’énorme “nettoyage apparent” épisodique, une sorte de super-Watergate où des têtes doivent tomber, et méchamment...
Mais dans cette situation d’impuissance complète, de paralysie du pouvoir, où déjà rodent d’autres scandales non résolus, une telle issue est extrêmement dangereuse. Premièrement, d’ailleurs, ce n’est pas une “issue”. Même un super-Watergate de cette sorte ne permettrait pas de reprendre le contrôle des choses, et de satisfaire leur besoin de vertu. Le risque est énorme d’un dérapage vers des voies encore plus radicales, éventuellement vers la mise en cause du président lui-même, coincé dans son obligation-Système de soutenir les exécutants type-Clapper et le reste. Si le président est visé, s’il est touché, c’est alors tout le système de l’américanisme, comme courroie de transmission du Système, qui est ébranlé jusque dans ses tréfonds. Aujourd’hui, bien entendu, ce pays, les USA, est immensément fragile, bien plus qu’il ne l’était en 1973-74. La chute d'un président en 2013 ou 2014 n'a rien à voir avec la chute d'un président en 1973 ou 1974, quarante ans plus tôt. Une telle crise ne serait pas un événement soudain à potentialité catastrophique qui resterait d’une possibilité assez restreinte, ce serait la poussée ultime vers le processus de dissolution du système de l’américanisme, du “centre”, des structures du pouvoir aux USA, mangées par les termites depuis des années et des décennies.
En attendant, plus ou moins longtemps, il est temps de se pencher sérieusement sur l’artefact qu’est le système de l’américanisme comme principal élément du Système. Ces auditions au Congrès, ces fureurs, ces échanges, les déclarations des chefs impliqués, montrent combien il s’agit effectivement, – dans le chef de la NSA et de la Stasi-of-America, l’une dans l’autre certes, – d’une structure autonome fonctionnant selon sa propre dynamique et circulant sur son aire sans souci des remous et des dégâts qu’elle occasionne...
Cette fois est “une fois exceptionnelle”, sans que nous sachions si c’est la “fois décisive”… Nous parlons de la rapidité, la vélocité, la sûreté avec laquelle une affaire qui partait pour être une de ces occurrences classiques où le Système se rassemble pour vouer aux gémonies un whistleblower héroïque et partir à sa chasse pour avoir sa peau, se transforme, se retourne comme un chaussette en un drame washingtonien également classique mais si dangereux désormais, où les uns et les autres se déchirent, où les parlementaire se jouent la grande scène de la vertu offensée, où les exécutants adoubés par ces mêmes parlementaires se retrouvent comme des adolescents piteux, maladroits, sournois et menteurs, devant les déclamations et les serments sur fond d’inviolable Constitution.
Bien, nul ne sait ce que tout cela durera. Il n’empêche qu’il s’agit d’une de ces occasions où l’emportement pourrait faire passer le tout dans un mode incontrôlable, et mettre en danger l’équilibre du Système… Il n’empêche que le tohu-bohu est considérable, qu’on prend langue pour de nouveaux interrogatoires-torture au Congrès, qu’on demande la tête au moins d’un Clapper, et ainsi de suite. Rien ne plaît plus au parlementaire basique de Washington, corrompu jusqu’à l’os et votant comme un automate, d’apparaître soudain dans sa toge de sénateur romain, ne jurant son allégeance qu’à la Constitution, déclamant sur les mânes disponibles, – au moins de Lincoln, sinon de la Grande République.
“...Tout cela se fait et se dit sous le regard de pierre d’Abraham Lincoln”, disions-nous plus haut.
Effectivement, le “regard de pierre de Lincoln”, à la fois furieux, méprisant, énigmatique, et sans doute secrètement las... Que pense-t-il, ce Lincoln écrasant, installé sur son gigantesque fauteuil de pierre qui n’est pas un trône, – surtout pas ! Que pense-t-il, installé dans son Mémorial, de la frénésie de ces fourmis hystériques qui peuplent les couloirs du Congrès de la Grande République, comme si elles s’agitaient au rythme glorieux de The Battle Hymn of the Republic ?
Il n’y a pas un moment décisif, une circonstance tragique ou d’une gloire fardée de la Grande République... Il n’y a pas une scène d’un film hollywoodien sur la politique washingtonienne où le réalisateur prétend exprimer la vérité d’une situation ou la vérité d’un personnage, de Mister Smith Goes to Washington de Capra au Nixon de Stone, qui ne se passe au pied de cette immense et écrasante sculpture du grand président.
Lincoln, l’emblème d’Obama pour son élection, Lincoln le plus grand président de l’histoire des États-Unis, l’homme par qui les USA furent tordus par le fer et par le feu pour paraître la nation qui importait, et qui ne le furent jamais, cette nation... Lincoln, le plus grand président, c’est-à-dire le plus autoritaire, le plus tyrannique, le plus producteur de forfaitures diverses, le plus faussaire en un sens et l’installateur du Système au cœur de la République, et sans doute également, le plus angoissé et le plus dépressif. Le 9 juin 2013, Thomas di Lorenzo, spécialiste de Lincoln de la sorte que Spielberg s’est bien gardé de consulter pour tourner son sucre d’orge du même nom, écrivait, à propos d’un obscur mais héroïque parlementaire, ce qu’il faut savoir du grand président :
«....all of these heroes stand on the shoulders of Democratic Congressman Clement L. Vallandigham of Dayton, Ohio, who was deported by the Lincoln administration in 1863. He was treated in this way for saying such things as how any British sovereign over the past 300 years would have lost his head for doing things Lincoln was doing (illegal suspension of Habeas Corpus, mass imprisonment of tens of thousands of political dissenters, shutting down more than 300 opposition newspapers, committing treason by “levying war upon the [Southern] states”, the exact definition of treason under Article 3, Section 3 of the Constitution, confiscating firearms, intimidating federal judges, rigging Northern elections, waging war without congressional approval, and worse). He also condemned the Lincoln administration on the floor of Congress for waging total war on his own country for the purpose of institutionalizing corporate welfare, protectionist tariffs, and nationalized banks and currency to pay for it all.»
Ainsi était Lincoln, et c’est précisément pour cela que cette figure malgré tout tragique est effectivement le plus grand président des Etats-Unis. Sa victoire, à la veille de son assassinat, vit son grand général, Grant, recevoir la capitulation de Lee en mettant presque le genou en terre d’émotion et de respect devant le grand général sudiste, à Appomatox, en avril 1865, résumant ainsi involontairement, par ce comportement, la forfaiture de cette fausse Civil War. Les débuts en politique du grand Lincoln, en 1838, avaient été marqués par un discours, dans sa ville de Springfield, dans l’Illinois. Il disait ceci :
«A quel moment, donc, faut-il s’attendre à voir surgir le danger [pour l’Amérique]? Je réponds que, s’il doit nous atteindre un jour, il devra surgir de nous-mêmes. [...] Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant.»
Ainsi soit-il ?