Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
607025 juillet 2020 – On commence sur un discours du 23 juillet de Mike Pompeo, secrétaire d’État, sonnant le tocsin et déclarant ouverte ce que nous pourrions désigner comme la “croisade des démocraties” contre la Chine, étiquetée comme le plus grand danger qui pèse sur la civilisation en ce XXIème siècle. Comme nous sommes friand de “plus grands dangers pesant sur la civilisation”, on ne peut manquer de rater celui-là.
Le discours de Pompeo avait été accompagné, le même jour, d’un coup de téléphone de Trump à Poutine, sans doute à propos de cette “croisade” et certainement à propos des négociations stratégiques pour prolonger le traité START en cours depuis 2010, ou pour le saboter c’est selon. Les Russes sont persuadés depuis un certain temps que les USA ne veulent pas vraiment d’un nouveau traité stratégique, et d’ailleurs, et plus précisément dit, qu’ils ne peuvent pas parvenir à un accord interne pour un tel traité dans l’actuelle situation du pouvoir américaniste.
Dans son discours du 23, Pompeo intervient de cette façon (selon RT-français), d’une exceptionnelle originalité et d’une très grande hauteur de vue :
« Depuis la bibliothèque présidentielle Richard Nixon à Yorba Linda (Californie) le 23 juillet, Mike Pompeo a entériné en des termes on ne peut plus clairs le virage stratégique des Etats-Unis, qui ciblent désormais la Chine : “Si nous nous inclinons maintenant, nos petits-enfants pourraient être à la merci du Parti communiste chinois, dont les actes constituent le premier défi du monde libre.”
» Le chef de la diplomatie américaine, qui a présenté Pékin à plusieurs reprises comme une menace ou un danger, a enjoint aux “nations libres” de “passer à l'acte”, afin de faire “changer d'attitude” à la Chine. Multipliant les références à la guerre froide, Mike Pompeo a exhorté le reste du monde à choisir son camp, entre “la liberté et la tyrannie”. »
Le même article précise que Pompeo a eu également, en une autre occasion, des mots très aimables à l’intention de la Russie, – surprise, surprise... Il poursuit dans ce cas la tactique assez grossière d’inciter la Russie à amener la Chine à participer à un nouvel accord stratégique. Les Chinois eux, ont une position aimablement claire et tranchante, qui était encore résumée récemment, sous une forme assez ironique, à partir des déclarations d’un porte-parole (« Pékin a déclaré qu'il serait “heureux” de prendre part aux négociations, – mais seulement si les États-Unis étaient prêts à réduire leur arsenal nucléaire au niveau de la Chine, qui est environ 20 fois plus petit. »)
Qu’importe, Pompeo continue à avancer, paradoxalement la main tendue vers Moscou alors que son discours courant est que la Russie est sur le point d’attaquer les pays de l’OTAN ; mais Pompeo a déjà largement commenté le cas qu’il faisait de la loyauté et des vérités-de-situation dans les relations avec les autres (« We lie, we cheat, we steal » [disons : “Nous mentons, nous trichons, nous volons”, et c’est un cas remarquable sinon unique dans son cas de l’expression sincère, justement, d’une vérité-de-situation]). Cela permet de comprendre comment, par cette intervention ci-après et en tenant compte de ce qui précède et du contexte dialectique en général, Pompeo ne fait rien d’autre que d’installer la Russie parmi les démocraties qu’il convie péremptoirement à former une “croisade” pour liquider la Chine...
« Or pour parvenir à amener Pékin à la table des négociations, les Etats-Unis comptent s'appuyer sur la Russie, comme l'a confié Mike Pompeo : “Il y a des dossiers sur lesquels nous devons travailler avec la Russie. Aujourd’hui [23 juillet] ou demain, nos équipes travailleront avec les Russes sur un dialogue stratégique pour, espérons-le, créer la prochaine génération d’accords de contrôle des armements, comme [Ronald] Reagan l’avait fait. C’est dans notre intérêt, c’est dans l’intérêt de la Russie. Nous avons demandé aux Chinois de participer. Ils ont refusé à ce jour. Nous espérons qu’ils changeront d’avis. [...] Si nous travaillons au côté de la Russie, je suis convaincu que nous pouvons rendre le monde plus sûr.” »
Si l’on s’en tient à nos sources habituelles du côté russe (RT & Sputnik essentiellement), on observera que le nombre d’articles consacrés aux réactions russes (tous les porte-paroles concernés s’y sont mis) montrent que la Russie n’a pas été très satisfaite, qu’elle a même été furieuse de l’assimilation faite par Pompeo entre la “croisade des démocraties”, l’amitié américaniste pour la Russie, et les négociations sur les armements stratégiques où il s’agit de gruger Pékin en attendant de l’anéantir.
Nous reprenons le texte déjà cité pour mesurer cette réaction russe, autant que cette volonté de la faire connaître dans toutes les langues possibles... On y distingue clairement la volonté des Russes de faire savoir qu’il n’est pas question de les entraîner dans toute action qui pourrait ternir les relations de la Russie avec la Chine, en même temps qu’est balayé l’argument grossier des négociations stratégiques.
« La diplomatie russe a réagi, ce 24 juillet, au discours très offensif du secrétaire d’Ettat US, qui avait appelé la veille à “une nouvelle alliance des démocraties” pour s’opposer à la Chine. Moscou a fait savoir que l’idée d’un front commun contre Pékin n'était pas une option, soulignant qu’elle n’abordait pas les relations internationales de la même manière que Washington.
» “Je tiens à évoquer les propos du président russe, qui indique que Moscou ne participe jamais à des alliances contre quelqu’un. Nous ne nous faisons pas d’amis pour contrecarrer quelqu’un, qu’il s’agisse d’une association d’intégration ou politique”, a déclaré Dimitri Pechkov, le porte-parole de Poutine. “Toute alliance à laquelle nous adhérons vise à promouvoir des relations de bon voisinage et de bénéfice réciproque”, a-t-il poursuivi, martelant que la Russie ne ferait pas d’alliance “contre un pays” et rappelant que la Chine était par ailleurs son “allié et son partenaire”.
» De même, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a accusé les Occidentaux, et à leur tête les Etats-Unis, de vouloir pousser la Russie et la Chine au clash. “Ils vont encore plus loin dans leurs déclarations. Désormais, il ne s’agit pas uniquement d’une rhétorique belliqueuse renforcée par des activités tout aussi belliqueuses, mais d’une tentative de provoquer une sorte de confrontation entre la Russie et la Chine dans le domaine public. Je peux vous assurer qu’ils n'y réussiront pas”. »
Le discours du 23 juillet de Pompeo a couronné un voyage en Europe du ministre, notamment au Royaume-Uni et au Danemark. Le thème était partout, bien entendu, celui de la “croisade des démocratie”, assorti de diverses menaces de sanctions, d’avertissement, etc. (aux Danois, pour avoir donné leur autorisation au gazoduc NordStream 2, initié par les Russes et les Allemands, et que Trump veut absolument liquider).
L’interprétation générale est, pour la nième fois, qu’on voit naître une nouvelle Guerre Froide. Cette interprétation a le handicap de ne pas tenir compte du temps qui a passé, de l’organisation mondiale (commerce et technologie) qui est également très différente, que la puissance visée (la Chine) est incomparablement plus engagée dans le commerce mondial, jusqu’à être proche d’en être la maîtresse, au contraire de ce que fut l’URSS durant la Guerre Froide. Par exemple, les USA, après trois ans de MAGA (“Make America Great Again”) de Trump, ont comptabilisé un déficit de 345 $milliards avec cette puissance en 2019.
Cela conduit Finian Cunningham à observer :
« Pendant la guerre froide avec l’Union soviétique, le monde était largement isolé entre les deux blocs. L’interconnexion économique était minimale. Un rideau de fer a pu être maintenu grâce à la séparation rigide entre les économies et les communications. Ce type d'isolement artificiel est impossible dans le monde actuel, de plus en plus interconnecté.
» Même Pompeo l’admet, bien que de façon péjorative. Dans un discours prononcé cette semaine [le 23 juillet], il a fait remarquer avec rancœur : “Contrairement à l'Union soviétique, la Chine est profondément intégrée dans l'économie mondiale... L'URSS était fermée au monde libre. La Chine communiste est déjà à l’intérieur de nos frontières”.
» Même le Pentagone doit se plier aux réalités de l’économie mondiale et à sa dépendance vis-à-vis de la Chine pour les produits de base vitaux. Cela montre bien que la nouvelle guerre froide avec la Chine recherchée par Washington est une chimère. Ce n’est que de la rhétorique vide pour justifier une idéologie de conflit que Washington doit poursuivre pour ses prétentions anachroniques de domination mondiale.
» Malheureusement, à cause de cette vision de confrontation du monde, de nombreux pays, y compris des soi-disant alliés des USA, en souffriront économiquement. Et pendant ce temps, les tensions internationales sont portées à un dangereux point de crise. »
Il est un peu lassant de répéter que, bien entendu, cette situation justement décrite (les pays alliés souffrants, les tensions, etc.) par Cunningham est tout à fait indifférente pour Washington. On peut même douter que les dirigeants américanistes soient seulement intéressés à la connaître, s’ils en ont même la capacité.
Les USA et leurs dirigeants sont figés dans le America First qui a toujours été la doctrine primale de cette puissance, mais refait à neuf après la Deuxième Guerre mondiale. Cet America First n’a rien à voir avec le America First isolationniste (et nullement fasciste, certes) de 1940-1941 ; le seul apport de Trump dans la matière a été d’“appeler un chat un chat”, et de désigner clairement la doctrine suivie depuis 1945-1948, qui consiste notamment à avancer, avec un sourire avenant et un discours bombastique sur les vertus du “monde libre”, le principe fondamental du “Tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à toi est négociable”.
Par conséquent, les USA de l’America First de Trump sont protectionnistes, impérialistes et interventionnistes, unilatéralistes dans les sanctions et les divers actes de piraterie et de force, etc. Cela est dit, par exemple, par l’édito de Strategic-Culture.org du 24 juillet 2020 :
« La puissance américaine, de par ses exigences capitalistes et impérialistes, est incompatible avec un monde mutuellement interdépendant. Elle insiste sur une domination, ou une hégémonie, unilatéraliste. Bien sûr, cet arrangement brutal est dissimulé par la rhétorique orwellienne sur la défense du “monde libre” et de la “démocratie”.
» La puissance américaine est essentiellement agressive car pour maintenir sa domination elle doit inévitablement recourir à la confrontation. C'est pourquoi Washington et ses alliés transatlantiques comme le Britannique Winston Churchill ont créé la Guerre froide après la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi Washington continue à insister sur la division du monde avec son paradigme du “eux ou nous”. Une telle idéologie a de graves implications pour la paix et la sécurité mondiales. Les guerres, froides et chaudes, en sont la manifestation ultime. »
Certes, il s’agit d’une “déclaration de guerre froide”, avec nécessairement tous les risques y afférant. La chose est sérieuse. A côté de cela, elle est vide, elle ne signifie rien, elle sonne creux, stratégie sans vie et sans colonne vertébrale sinon de la substance d’un éclair au chocolat (selon le mot du vice-président Theodore Roosevelt sur le président McKinley) ; stratégie molle comme une montre de Dali, sans dessein véritable (ni dessin tout court), stratégie de réaction sinon de réflexe, et alors de réflexe pavlovien ; stratégie nihiliste sans divertissement, pour clamer la gloire d’une puissance en décomposition extrêmement avancée, et qui se reconnaît à l’odeur.
Certes, cette ‘stratégie’ (quel drôle de nom pour caractériser cette chose !) pourrait conduire à un conflit, mais n’en serait pas plus structurée et significative pour autant. Certes, on pourrait dire que ce ne serait pas la première fois qu’un conflit serait déclenché pour une cause monstrueuse, simulacre ou sans signification. Mais le cas US est intéressant sinon absolument novateur parce qu’il n’est absolument pas accidentel et qu’il reflète absolument la situation des États-Unis, la situation du pouvoir américaniste, la situation des individus, de tous les individus qui prospèrent au sein de ce pouvoir complètement vide, la situation des mœurs et de la culture, la situation de “l’état de l’Union” comme nous dit chaque POTUS, en chaque début d’année.
Il est évident que tout le monde à Washington, y compris Black Lives Matter et ses riches sponsors du Corporate Power, y compris “Joe dans son bunker”, – oui, tout le monde est d’accord avec cette stratégie parce que le vide et le nihilisme sont absolument les reflets du miroir où ils projettent leur image. La Chine est l’“ennemi” rêvé, parce qu’on peut haïr les Jaunes comme jadis on haïssait les Noirs, parce qu’elle fait commerce mieux que l’Amérique et que l’Amérique ne supporte pas qu’on fasse commerce mieux qu’elle, parce qu’elle est perçue comme une puissance expansionniste ambitionnant de prendre la place qui ne peut en vérité que revenir à l’Amérique, campée comme la seule “City upon a Hill” possible, avec Dieu à ses côtés (ni plus haut, ni plus bas, Dieu).
Dans cette aventure qui pourrait d’ailleurs en rester à une succession de discours tandis que les manifestations continueraient à dévaster les villes de l’américanisme progressiste-sociétale, Trump est complètement à son aise. Cette stratégie est la stratégie de ses tripes (ses “guts”), et Pompeo l’homme qui lui faut, qui sait si bien “mentir, tromper, voler” ; et la Chine est un “péril jaune” vu par des yeux vides de zomlbie. S’il parvient tout de même à faire gober et digérer aux citoyens-électeurs que la Chine est productrice, cause et simulacre du Covid19 aux USA essentiellement sinon exclusivement, alors Trump a de bonnes chances d’être réélu. Après tout, 69% des citoyens aux USA ignorent contre qui les USA se battaient dans cette guerre qui se termina en mai 1945, ou se trompent d’ennemis, et 11% croient que les USA se battirent contre l’URSS et fêtèrent leur victoire sur cet adversaire immonde le 8 mai 1945.
Comme on le voit, nous ne prêtons pas un rôle essentiel à la Chine, ni même à la Russie dans cette affaire. Nous doutons grandement que la Chine soit le dragon terrifiant qui va nous croquer tout vif dans la décennie qui vient, à moins que nous américanisions suffisamment et complètement notre jugement, – à l’image des dirigeants et des experts européens du bloc-BAO ; par contre, nous comprenons, – sans hurler de fureur sacrée et vertueuse en “disant ton nom, nationalisme”, – que la Chine s’arme comme elle le fait, devant la marche folle et vide, et totalement entropique, de la stratégie US depuis la fin de la Guerre froide, ou depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Quant aux Russes, nous imaginons que leur fureur vient probablement de constater combien les experts américanistes les prennent pour des imbéciles, pour leur faire des propositions pareilles.
Cette civilisation absolument zombifiée mérite très vite un repos éternel, le temps de tirer la chasse.